Lors de ses vœux de Noël 2014 à la Curie, le Pape François a tellement fustigé les membres de cette auguste assemblée que le Figaro s’est cru autorisé à titrer, dans son édition du 22 décembre 2014, : « L’attaque au vitriol de François contre la curie romaine ».
Avec une voix grave et sur un ton très ferme le Pape a établi, en deux discours différents, un même diagnostic, celui des quinze « maladies » dont souffriraient ses collaborateurs, dont il a voulu établir « un catalogue » très précis qui n’a rien d’un portrait flatteur de la curie romaine. Première maladie : « se sentir indispensable ». C’est du « narcissisme » lance le Pape. Deuxième maladie : « l’activisme ». Or, dit François, il y a « un temps pour chaque chose ». Troisième problème : « l’empierrement spirituel » de ceux qui ont un « cœur dur ». Ils ont perdu « les sentiments de Jésus » et « deviennent incapables d’aimer ». Vient ensuite « l’excessive planification », qui fait du pasteur « un comptable » qui ne laisse plus « piloter la liberté de l’Esprit saint ». Autre difficulté : « la perte de l’harmonie fonctionnelle : l’orchestre fait alors du bruit » parce qu’il n’est pas en « communion » avec lui-même.
Sixième virus : la « maladie d’Alzheimer spirituelle » qui sévit chez ceux qui ont perdu « la mémoire de leur rencontre avec le Seigneur » et qui se laissent enfermer dans leurs « caprices et manies », devenant des « esclaves de leurs idoles, qu’ils ont sculptées eux-mêmes ». Septième maladie : « la rivalité et la vaine gloire » guidée par la recherche des « apparences » et des « honneurs » au prix parfois d’un « faux mysticisme ». Autre difficulté : « la schizophrénie existentielle », qui conduit à « une double vie » et une « hypocrisie typique du vide spirituel que des titres académiques ne peuvent cacher ». La « conversion est alors urgente » lance François.
Neuvième maladie : « les bavardages, les conciliabules, les cancans ». Ce « terrorisme du bavardage » ne s’exprime « jamais en face », mais « toujours dans le dos ». Dixième pathologie : celle de « la divinisation des chefs », soit un « carriérisme » et une attitude « mesquine ». Autre dénonciation : la « maladie de l’indifférence vis-à-vis des autres ». Douzième plaie : « la maladie des têtes d’enterrement », notamment vis-à-vis de ceux que l’on considère avec « arrogance » comme « inférieurs », mais c’est une « sévérité théâtrale » qui a perdu tout « sens de l’humour ». Treizième mal : « la maladie de l’accumulation » de biens matériels. Quatorzième étape de ce chemin de croix : « la maladie des cercles fermés ». Enfin, dernière maladie, celle « du profit mondain, de l’exhibitionnisme », la « recherche insatiable du pouvoir ».[1]
Ces vœux « justiciers » ont été prononcés après la destitution du cardinal Burke qui a perdu sa charge de préfet de la Suprême Signature Apostolique pour celle, honotrifique, de « Patronus » de l’Ordre de Malte.
On s’attendait donc à ce que François, en toute justice et équité et vu le catalogue impressionnant des « péchés » par lui imputés à la Curie, fasse ce qu’il a dit, c’est-à-dire « nettoyer les écuries d’Augias » !
Mais contre toute attente et malgré l’apparente urgence découlant de ses vœux « au vitriol », il a déclaré qu’il ne mettrait pas la réforme de la curie en route avant 2016.
Pire encore : après l’injuste éviction du cardinal Léo Burke – pour conservatisme aggravé – on pouvait s’attendre, au moins, à la révocation du funeste Mgr Battista Ricca promu le 15 juin 2013 – et confirmé fin juillet de la même année – à la tête de l’IOR.
Sandro Magister [2] s’en étrangle encore d’indignation en écrivant :
« En revanche, si l’on examine les promotions, la plus incroyable est celle dont a bénéficié Mgr Battista Ricca, un fonctionnaire du service diplomatique du Vatican qui avait été rappelé à Rome il y a de cela plusieurs années, après avoir provoqué des scandales dans trois nonciatures différentes, la dernière en date étant celle de Montevideo où il avait fait venir son amant [3]. Mais, par la suite, il a miraculeusement poursuivi sa carrière, en tant que directeur de deux résidences pour ecclésiastiques situées à Rome, celle de la via della Scrofa et celle de Santa Marta, et surtout en tant qu’ami de très nombreux cardinaux et évêques du monde entier qui viennent y loger, y compris celui qui est pape aujourd’hui et qui l’a nommé prélat de l’IOR [Institut pour les Œuvres de Religion], c’est-à-dire son homme de confiance à la banque du Vatican.[4] »
Même le très progressiste – et plus du tout catholique – Golias s’était emparé de cette scabreuse affaire en déclarant [5] :
« Dans l’avion qui le ramenait de Brasilia vers Rome[NDLR de LPL : le 28 juillet 2013], le pape François, interrogé par des journalistes, déclarait : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur et qu’elle est de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Belles paroles auxquelles on ne peut que souscrire. Mais lorsque la conduite est notoirement scandaleuse, que ce soit pour un homosexuel ou un hétérosexuel, la question se pose sur le maintien en poste d’un prêtre ou d’un prélat. L’affaire Ricca [6] est la parfaite illustration d’une réorganisation à la romaine qui laisse mal augurer du bilan final. »
Cinq évêques d’Uruguay, qui ont été des témoins directs du scandale, ont dits être prêts à en rendre compte directement au Pape. « Es todo verdad », c’est entièrement vrai, ont déclaré des sources ecclésiastiques au premier journal de Montevideo, El País. Devant l’évidence des faits, le pape François a pris lui-même son téléphone et a appelé des personnes en qui il a confiance dans ce pays, pour avoir des confirmations définitives des faits. Résultat de son enquête personnelle : « le Saint-Père, dans sa sagesse, saura certainement comment agir », a laconiquement déclaré le nonce actuel, Mgr Guido Anselmo Pecorari.
Même si cette phrase du nonce urugayen signifie « circulez, il n’y a rien à voir », nous ne pouvons quant à nous nous satisfaire de cet insolite enterrement de première classe.
Et nous posons la question qui fâche : pourquoi déchoir le cardinal Burke et avoir promu et maintenu le scandaleux Mgr Ricca ? Irions-nous même jusqu’à appliquer à François cette célèbre formule : « dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es… »? Prions le Ciel que non et que, dans ce cas précis, le « qui tu es » se transforme en « qui tu hais » !
La Porte Latine
Sources : IMedia/La Vie/Le Figaro/Sandro Magister/Le Matin/Golias/Riposte Catholique/
- Jean-Marie Guenois in Le Figaro du 22 décembre 2014[↩]
- Dans Chiesa-espresso du 23 janvier 2015 [↩]
- Les scandaleux antécédents de Mgr Battista Ricca ont été révélés de manière détaillée par « L’Espresso » au mois de juillet 2013, après sa promotion au poste de prélat de l’IOR par le pape François : « Un mois plus tard, interpellé par une journaliste brésilienne au cours du vol qui le ramenait de Rio de Janeiro à Rome, François s’était borné à dire qu’il n’avait rien trouvé à propos de ces antécédents scandaleux dans le dossier officiel de Ricca qui lui avait été remis pour information avant la nomination. Cependant il existe un grand nombre de témoins directs de ces faits qui, dix ans auparavant, avaient provoqué le rappel de Ricca à Rome et son exclusion des fonctions en nonciature, ainsi qu’une documentation irréfutable, que le pape François lui-même s’était déjà fait adresser par la nonciature de Montevideo. Cela veut donc dire que Ricca, qui ne s’est pas repenti, a bénéficié, lorsqu’il est revenu à Rome, d’appuis à la curie qui étaient loin d’être marginaux, puisqu’ils ont été capables de faire disparaître des archives du Vatican les traces infamantes de son passé et de relancer avec succès sa carrière. À tel point que le pape actuel lui a manifesté sa confiance et accordé une récompense. Lors de cette même conférence de presse tenue à bord de l’avion qui le ramenait de Rio à Rome, François avait déclaré qu’il n’avait rien – « qui suis-je pour juger ? » – contre quelqu’un qui « est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté ». Mais il avait ajouté : « Le problème, c’est quand on fait de cette tendance un lobby, comme celui des milieux d’affaires, ou des hommes politiques, ou des francs-maçons. Il y a tant de lobbys. Pour moi, ce problème-là est plus grave ». Ce qui est certain, c’est qu’un an plus tard, au mois de juillet 2014, le pape François, loin de mettre Ricca à l’écart et de s’attaquer au lobby qui le protège, l’a confirmé à titre définitif dans les fonctions de prélat de l’IOR, qu’il exerçait, jusqu’alors, seulement « ad interim », à titre provisoire. »[↩]
- Golias du 14 mars 2014 : L’affaire Ricca ou les limites d’une réforme.[↩]
- Golias du 14 mars 2014 : L’affaire Ricca ou les limites d’une réforme.[↩]
- A propos des activités homosexuelles de Mgr Battista Ricca, prélat de l’IOR nommé par le pape François, ce dernier a déclaré ; « J’ai fait ce que prévoit le droit canon, c’est-à-dire l’investigatio praevia, et nous n’avons rien trouvé ». En fait François se retranche « naïvement » derrière le dossier qui lui a été présenté et qui était immaculé. La chaîne de commandement, composée du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone, de son substitut Giovanni Angelo Becciu et du délégué pour les représentations pontificales, c’est-à-dire du directeur du personnel, Luciano Suriani, n’a même pas fait le geste élémentaire consistant à redemander à la nonciature de Montevideo, pour vérification, une copie des rapports rédigés par le nonce de l’époque, Janusz Bolonek.[↩]