Mgr Aillet – Levée des excommunications : « Le geste d’un Père » – La Nef

Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflétant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

La Nef n° 202 de mars 2009

Mgr Marc Aillet est évêque de Bayonne depuis l’automne 2008. Il exprime ici le point de vue d’un évêque fran­çais sur la levée des excom­mu­ni­ca­tions des quatre évêques de la Fraternité Saint-​Pie X

La Nef – Comment recevez-​vous le geste du pape d’avoir levé les excom­mu­ni­ca­tions qui tou­chaient les quatre évêques de la Fraternité Saint-​Pie X (FSPX) ?
Mgr Marc Aillet – C’est un geste signi­fi­ca­tif, d’autant qu’il est adve­nu au cours de la semaine de prière pour l’unité des chré­tiens. Qui ne sou­hai­te­rait une récon­ci­lia­tion de tous les fidèles catho­liques au sein de l’unique Eglise du Christ qui repose sur Pierre et ses suc­ces­seurs ? J’accueille donc ce geste comme l’émanation d’un Père qui ne fait l’économie d’aucun effort pour se récon­ci­lier ses enfants. Si l’on me per­met cette com­pa­rai­son for­cée, c’est un peu la para­bole évan­gé­lique dite du Fils pro­digue qui s’accomplit : le fils aîné se scan­da­li­se­ra tou­jours devant la lon­ga­ni­mi­té de son Père et soup­çon­ne­ra tou­jours son frère d’être inté­res­sé, ce qui est d’ailleurs le cas du fils pro­digue de la para­bole : cela n’empêche pas le Père d’ouvrir tout grand les bras !

Qu’est-ce que cela change pour la situa­tion de la FSPX et de tous ses prêtres qui, eux, n’étaient pas excom­mu­niés mais au moins sus­pens a divinis ?
L’excommunication n’avait été for­mel­le­ment décla­rée que pour les quatre évêques ordon­nés par Mgr Lefebvre sans man­dat pon­ti­fi­cal et la levée de la sanc­tion ne concerne à pro­pre­ment par­ler que les quatre pré­lats. Elle ne donne pas pour autant de sta­tut cano­nique à la Fraternité Saint-​Pie X, ni de mis­sion cano­nique aux évêques et aux prêtres de ce mou­ve­ment qui ne peuvent tou­jours pas exer­cer leur minis­tère de manière licite. Mais ce geste du Saint-​Père est une étape impor­tante, d’autant que ces évêques mani­fes­taient leur bonne volon­té en le lui deman­dant. Il devrait en effet faci­li­ter le dia­logue avec le Saint-​Siège, en vue de cla­ri­fier leur situa­tion cano­nique, et faci­li­ter ain­si le retour à la pleine communion.

La levée des excom­mu­ni­ca­tions ne signi­fie pas accord ni même réin­té­gra­tion dans le giron de l’Église : que signi­fie concrè­te­ment être en « pleine com­mu­nion », quelle est la base cano­nique de la notion de « pleine communion » ?
La pleine com­mu­nion se défi­nit à par­tir de trois critères.

– C’est d’abord la com­mu­nion dans la foi de l’Église, telle qu’elle est défi­nie par le Magistère extra­or­di­naire et par le Magistère ordi­naire uni­ver­sel (cf. Lumen Gentium, n. 25). Sans doute le Concile Vatican II n’a pas défi­ni de nou­veaux dogmes ; mais pour ce qu’il a rap­pe­lé de la Foi de tou­jours et de la morale catho­lique, il appar­tient au Magistère ordi­naire uni­ver­sel et exige l’assentiment des fidèles. En ce sens, le Catéchisme de l’Église Catholique, pro­mul­gué le 11 octobre 1992 par le pape Jean Paul II, pro­pre­ment comme un acte du Concile Vatican II, est le texte de réfé­rence de l’enseignement du Magistère actuel de l’Église en matière de foi et de morale. Dans la consti­tu­tion apos­to­lique Fidei Depositum par laquelle il le pro­mul­guait, Jean Paul II écrit : « Je le recon­nais comme un ins­tru­ment valable et auto­ri­sé au ser­vice de la com­mu­nion ecclé­siale et comme une norme sûre pour l’enseignement de la foi ».

– Le deuxième cri­tère de la pleine com­mu­nion porte sur les livres litur­giques auto­ri­sés pour la célé­bra­tion des sacre­ments de l’Église. Dans l’Église latine, nous savons désor­mais clai­re­ment, grâce au motu pro­prio Summorum Pontificum, publié par le Pape Benoît XVI le 7 juillet 2007, que les livres litur­giques anté­rieurs au Concile, dans l’édition de 1962, n’ont jamais été inter­dits par un acte cano­nique ; leur usage est désor­mais réglé par le motu pro­prio qui le désigne comme « la forme extra­or­di­naire de l’unique rite romain », lequel doit être célé­bré selon les prin­cipes théo­lo­giques défi­nis par la Constitution Sacrosanctum Concilium qui recueillait de manière auto­ri­sée les acquis prin­ci­paux du « mou­ve­ment litur­gique » lan­cé par le motu pro­prio Tra le sol­li­ci­tu­di­ni de saint-​Pie X en 1904.

– Enfin le troi­sième cri­tère de la pleine com­mu­nion concerne la dis­ci­pline de l’Église telle qu’elle a été réfor­mée par le Code de Droit cano­nique de 1983. Je sais d’ailleurs que bien des prêtres issus de la Fraternité Saint-​Pie X sont reve­nus à la pleine com­mu­nion grâce à l’étude du Code de Droit cano­nique, qui expose de manière par­fois plus rigou­reuse, étant don­né le genre lit­té­raire, l’essentiel de l’ecclésiologie du Concile Vatican II. C’est sur ces trois piliers de la vie de l’Église post-​conciliaire – Catéchisme de l’Église catho­lique, livres litur­giques de 1962 et 1970, Code de Droit cano­nique de 1983 – que doit por­ter la dis­cus­sion sur la pleine com­mu­nion, en tant qu’ils apportent une inter­pré­ta­tion auto­ri­sée des ensei­gne­ments du Concile à l’intérieur de la Tradition de l’Église.

Peut-​il y avoir un accord entre Rome et Écône s’il reste des points de diver­gences doc­tri­naux en suspens ?
Toutes les dis­cus­sions à venir auront sans doute pour objec­tif de véri­fier cette pleine com­mu­nion à l’aune des cri­tères que je viens de rap­pe­ler. On note­ra que Mgr Fellay a pré­ci­sé dans une inter­view don­née à l’hebdomadaire Famille Chrétienne qu’il ne s’agissait pas pour lui de reje­ter le Concile Vatican II en bloc, mais d’émettre des « réserves » sur un cer­tain nombre d’affirmations qui lui paraissent ambi­guës, c’est-à-dire sus­cep­tibles d’être inter­pré­tées en rup­ture avec la tradition.

L’on revient sou­vent sur ces quelques points qui font dif­fi­cul­té : l’engagement œcu­mé­nique de l’Église, s’il conduit à gom­mer les dif­fé­rences et à espé­rer une Eglise syn­cré­tiste au-​dessus des Églises et com­mu­nau­tés ecclé­siales, y com­pris l’Église catho­lique ; le dia­logue inter­re­li­gieux, s’il favo­rise l’indifférentisme ; la liber­té reli­gieuse, si elle induit le rela­ti­visme… Depuis le Concile, en s’attachant aux textes mêmes qui ont été pro­mul­gués par Paul VI, le Magistère a don­né bien des inter­pré­ta­tions conformes à la Tradition, là où un cer­tain « esprit du Concile » avait pu impo­ser dans les faits une cer­taine rup­ture de tra­di­tion, dénon­cée à plu­sieurs reprises par Jean Paul II et Benoît XVI. Je pense en par­ti­cu­lier au dis­cours du Saint-​Père à la Curie romaine, le 22 décembre 2005 qui a appor­té des pré­ci­sions très éclai­rantes, qui n’ont pas échap­pé au Supérieur de la Fraternité Saint-​Pie X, sur la véri­table her­mé­neu­tique du Concile, qui est dite « de la réforme et du renou­veau dans la conti­nui­té de l’unique Sujet-​Église », par oppo­si­tion à « l’herméneutique dite de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture », qui a sou­vent pu comp­ter « sur la sym­pa­thie des mass media, et éga­le­ment d’une par­tie de la théo­lo­gie moderne ».

Un cer­tain nombre de points doc­tri­naux, qui ne touchent pas direc­te­ment à la sub­stance de la foi, ont déjà reçu me semble-​t-​il une inter­pré­ta­tion conforme à la grande tra­di­tion de l’Église : pour le dia­logue inter­re­li­gieux, il y a eu Dominus Jesus qui rap­pelle sans ambi­guï­tés, en se fon­dant dans l’enseignement de Nostra Aetate, que Jésus est l’unique média­teur entre Dieu et les hommes, et qu’il est, comme Verbe fait chair, le seul Messie envoyé par le Père pour sau­ver tous les hommes ; pour l’œcuménisme, il y a eu l’encyclique Ut unum sint de Jean Paul II et la Note doc­tri­nale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi « sur cer­tains aspects de l’Évangélisation » (3 décembre 2007) qui affirme par exemple que l’engagement œcu­mé­nique « ne prive pas du droit, ni ne dis­pense de la res­pon­sa­bi­li­té d’annoncer en plé­ni­tude la foi catho­lique aux autres chré­tiens qui libre­ment acceptent de l’accueillir ».

Cela dit, les dis­cus­sions pour­raient per­mettre un accord entre Rome et Écône si les membres de la Fraternité Saint-​Pie X s’engagent à avoir désor­mais une atti­tude posi­tive d’étude et de com­mu­ni­ca­tion avec le Saint-​Siège, en évi­tant toute polé­mique, en n’ayant d’autre but que de par­ve­nir, par une cri­tique construc­tive, à la for­mu­la­tion d’une inter­pré­ta­tion de ces points de doc­trine à l’intérieur de la Tradition de l’Église, et en recon­nais­sant plei­ne­ment l’autorité du Successeur de Pierre. En ce sens, Mgr Fellay écri­vait ces der­niers temps au Saint-​Père : « Nous sommes tou­jours fer­me­ment déter­mi­nés dans notre volon­té de res­ter catho­liques et de mettre toutes nos forces au ser­vice de l’Église de Notre Seigneur Jésus Christ, qui est l’Église catho­lique romaine. Nous accep­tons son ensei­gne­ment dans un esprit filial. Nous croyons fer­me­ment à la Primauté de Pierre et à ses pré­ro­ga­tives, et c’est pour cela même que nous souf­frons tant de l’actuelle situation. »

En quoi peut-​on se réjouir du retour de la FSPX dans la pleine com­mu­nion ecclé­siale ? Que peut-​elle appor­ter à l’Église ? Comment voyez-​vous les rap­ports entre la FSPX et les évêques dans le cadre d’une admi­nis­tra­tion apos­to­lique ou d’une pré­la­ture personnelle ?
Ne devons-​nous pas sou­hai­ter que ces prêtres ordon­nés vali­de­ment, puissent, pour le bien des âmes, prendre toute leur place dans la mis­sion de l’Église si éprou­vée par la crise per­sis­tante des voca­tions et de l’évangélisation ? Nul n’est de trop dans l’Église ! Dans la mesure où les condi­tions d’un dia­logue sérieux, même cri­tique, qu’il appar­tient au Saint-​Siège seul de défi­nir, sont réa­li­sées en vue de par­ve­nir à la pleine com­mu­nion, je ne serais pas oppo­sé à ce qu’un sta­tut cano­nique soit accor­dé aux prêtres de la Fraternité Saint-​Pie X, même si les bles­sures entre­te­nues par une cer­taine presse qui s’est arro­gé le pou­voir de faire l’opinion publique, ris­que­rait encore de brouiller le message.

Ce geste sus­cite une large incom­pré­hen­sion dans cer­tains sec­teurs de l’Église, notam­ment en rai­son des scan­da­leux pro­pos néga­tion­nistes de Mgr Williamson : com­ment expliquez-​vous cette réserve ? Mgr Williamson n’est-il pas un pré­texte com­mode pour « reje­ter le bébé avec l’eau du bain » ?
Sans doute les pro­pos néga­tion­nistes into­lé­rables de Mgr Williamson sont-​ils venus para­si­ter la déci­sion du Saint-​Siège et je ne peux m’empêcher de pen­ser qu’ils ont ser­vi ceux qui veulent sys­té­ma­ti­que­ment dis­cré­di­ter le Saint-​Père et faire peser le soup­çon sur ses inten­tions. De même, il ne faut pas exclure tout à fait que, d’un point de vue poli­tique, cer­tains lob­bies aient trou­vé dans ces décla­ra­tions, je le répète odieuses, une belle aubaine pour détour­ner la désap­pro­ba­tion de l’opinion inter­na­tio­nale face aux évé­ne­ments qui ont aggra­vé ces der­nières semaines le conflit israélo-palestinien.

Mais l’incompréhension vient aus­si de l’ignorance qui carac­té­rise de nom­breux fidèles par rap­port au Concile Vatican II, dont on peut se deman­der, à qua­rante de dis­tance, s’il a été effec­ti­ve­ment reçu. C’était la ques­tion que posait Jean Paul II en 2001 dans sa lettre Au début du nou­veau mil­lé­naire : « En pré­pa­ra­tion du Grand Jubilé, j’avais deman­dé que l’Église s’interroge sur la récep­tion du Concile. Cela a‑t-​il été fait ? » Force est de consta­ter que, lors de la levée de bou­clier qui a accueilli, y com­pris au sein du monde catho­lique, la levée des excom­mu­ni­ca­tions, l’on a d’autant plus invo­qué le Concile Vatican II de façon incan­ta­toire que l’on est sou­vent bien loin, dans sa mise en œuvre, du véri­table Concile. « L’esprit du Concile » a été d’autant plus invo­qué que l’on a pris ses dis­tances, sou­vent de manière décla­rée, par rap­port aux « textes du Concile », au pro­fit d’interprétations dou­teuses, voire hété­ro­doxes. Comment taire la contes­ta­tion ouverte qui s’est par­fois impo­sée de manière expli­cite de la part de pas­teurs ou de théo­lo­giens, consti­tués en véri­tables groupes de pres­sion, qui comptent par­mi les prin­ci­paux défen­seurs de l’esprit du Concile, sur des points essen­tiels de la foi ou de la morale catho­lique, rap­pe­lés pour­tant sans ambi­guï­tés par le Concile et par le Magistère post-​conciliaire : je pense à la doc­trine d’Humanae Vitae sur la régu­la­tion natu­relle des nais­sances, l’indissolubilité du mariage, le non-​accès des femmes au sacer­doce minis­té­riel, le céli­bat des prêtres, la nature sacri­fi­cielle de la Messe, la pré­sence réelle, le sacre­ment de péni­tence et de récon­ci­lia­tion, etc. Je ne sache pas que ces posi­tions en rup­ture fla­grante de com­mu­nion et qui ont fait l’objet du rap­pel à l’ordre répé­té de l’autorité romaine depuis qua­rante ans, aient été trai­tés avec la même pug­na­ci­té que les réserves de la Fraternité Saint-​Pie X par rap­port au Concile.

En outre, je suis de ceux qui demandent que nous soyons vigi­lants à dénon­cer clai­re­ment tous les néga­tion­nismes : celui de l’holocauste bien sûr, mais aus­si celui des gou­lags sovié­tiques dont nous avons pu être com­plices par des rap­pro­che­ments pour le moins impru­dents avec le Parti com­mu­niste ou ses déri­vés syn­di­caux dans les années 70, mais encore celui des 220 000 enfants mas­sa­crés dans le sein de leur mère : les géné­ra­tions futures ne seront-​elles pas en droit de nous repro­cher notre silence ?

Des évêques ont regret­té le manque de com­mu­ni­ca­tion du Saint-​Siège en cette affaire : qu’en pensez-vous ?
Ces regrets et d’autres cri­tiques, qui ont pu don­ner l’impression que l’on hur­lait avec les loups, com­plai­sam­ment dif­fu­sés par la presse, y com­pris catho­lique, m’ont bles­sé dans mon affec­tion col­lé­giale : dans le contexte des calom­nies qui ont été pro­non­cées contre le Saint-​Père, ces regrets jetés en pâture aux médias ne m’ont pas sem­blé être le reflet d’une pleine com­mu­nion. Oui à la cri­tique construc­tive, mais non à leur publi­ci­té sur­tout dans le contexte explo­sif du moment : pour le coup, c’est une erreur grave de com­mu­ni­ca­tion. De plus, il est trop facile de reje­ter la res­pon­sa­bi­li­té sur le Saint-​Siège : qu’avons-nous fait pour com­mu­ni­quer sur ces matières auprès de nos prêtres et de nos fidèles ? Et sur­tout que faisons-​nous pour per­mettre à nos fidèles, dont la connais­sance du Concile est réduite à bien des cli­chés réduc­teurs dif­fu­sés par la presse, un véri­table accès à l’enseignement de Vatican II ? Comme l’écrivait Jean Paul II dans un texte déjà cité plus haut : « A mesure que passent les années, ces textes ne perdent rien de leur valeur ni de leur éclat. Il est néces­saire qu’ils soient lus de manière appro­priée, qu’ils soient connus et assi­mi­lés, comme des textes qua­li­fiés et nor­ma­tifs du Magistère, à l’intérieur de la Tradition de l’Église » (Au début du nou­veau mil­lé­naire, n. 57 ).

Toute cette affaire ne remet-​elle pas en cause notre façon de trai­ter l’information, notam­ment par le manque de dis­tance par rap­port à l’événement qui nous empêche de le sai­sir dans toute son ampleur ?
Il me semble que nous man­quons en effet d’une élé­men­taire dis­tance dans la façon que nous avons de trai­ter l’information. Dans notre exces­sif sou­ci de réagir à l’actualité, en temps réel, pour ne pas ris­quer d’être dis­qua­li­fiés, au nom des sacro-​saintes lois de la com­mu­ni­ca­tion qui nous sont impo­sées par le monde des médias, nous réagis­sons nous aus­si au quart de tour, sans prendre la peine d’aller à la source et d’attendre le temps de la réflexion et des éclair­cis­se­ments pro­vo­qués par ces embra­se­ments. Sans doute le trai­te­ment infli­gé à l’information par le monde aggrave l’image de l’Église ou du Saint-​Père qu’il impose com­plai­sam­ment et sou­vent de manière durable à l’opinion publique. Mais nous ne déjoue­rons pas cette part de ténèbres qui s’immisce dans les médias, dont il ne s’agit pas pour autant de nier tou­jours un cer­tain pro­fes­sion­na­lisme, en uti­li­sant les armes du monde. Il s’agit aus­si, on le voit bien, d’un déchaî­ne­ment qui dépasse l’humain et nous demande d’abord de four­bir des armes spi­ri­tuelles. Où est-​il écrit dans l’Évangile que la mis­sion pro­phé­tique de l’Église puisse se réduire aux lois bien hui­lées de la com­mu­ni­ca­tion humaine aux­quelles il fau­drait être rom­pu ? Jésus, qui est le com­mu­ni­quant par excel­lence et qui savait per­ti­nem­ment ce qu’il y a dans l’homme, a‑t-​il échap­pé à la calom­nie et déjoué tous les pièges ? Si c’était le cas, cela se sau­rait. Et si cela fai­sait par­tie de la mis­sion pro­phé­tique de l’Église pour que la Vérité triomphe tou­jours du men­songe ? « Mais la Sagesse se révèle juste dans ses enfants » (Mt 11, 19). D’ailleurs, je crois que de même que le dia­logue avec les musul­mans a été l’effet posi­tif inat­ten­du de la crise de Ratisbonne, le dia­logue avec les juifs, nos frères aînés dans la foi, est en train de s’approfondir grâce à la crise que nous venons de vivre.

Comment situez-​vous ce geste par rap­port à la ques­tion œcu­mé­nique, notam­ment dans nos rap­ports avec les orthodoxes ?
Pour ce qui est de l’unité des chré­tiens, qui tient tant à cœur au Saint-​Père qu’il en a fait une des prio­ri­tés de son pon­ti­fi­cat, en par­ti­cu­lier avec les ortho­doxes, cette ouver­ture mani­fes­tée par Benoît XVI vis-​à-​vis de ces catho­liques contes­ta­taires, pour­rait pré­ju­ger d’autres ouver­tures. Par exemple, pour­quoi ne pas envi­sa­ger, sans rien perdre de la concep­tion catho­lique de la pri­mau­té de Pierre, défi­nie au Concile Vatican I, de pour­suivre les dis­cus­sions théo­lo­giques avec nos frères sépa­rés de l’Orthodoxie, à l’intérieur même de la com­mu­nion ecclé­siale, même avec une réserve sérieuse quant à l’exercice de cette pri­mau­té, en vue de faci­li­ter le che­min vers la pleine com­mu­nion ? N’avons-nous pas vécu ensemble tout au long du pre­mier mil­lé­naire, sans nous poser expli­ci­te­ment la question ?

Un der­nier mot, Monseigneur ?
Je crois que nous avons mieux à faire aujourd’hui qu’à crier notre crainte infon­dée d’une remise en cause du Concile Vatican II, « qui nous offre une bous­sole fiable pour nous orien­ter sur le che­min du siècle qui com­mence » (Jean Paul II). Car en atten­dant, que faisons-​nous pour que le Concile apporte effec­ti­ve­ment un nou­veau prin­temps pour l’Église : en terme de voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses qui sont tou­jours le vrai baro­mètre de la vita­li­té de nos com­mu­nau­tés, en terme de trans­mis­sion de la foi ou de nou­velle évan­gé­li­sa­tion ? Comme évêque, ce qui m’intéresse d’abord aujourd’hui, c’est de relan­cer l’appel aux voca­tions sacer­do­tales. Aussi, dès la ren­trée pro­chaine, j’ouvrirai dans mon dio­cèse une Propédeutique pour per­mettre à des jeunes, dési­reux de répondre à l’appel au Sacerdoce, de trou­ver un lieu où l’identité du prêtre sera clai­re­ment défi­nie, dans sa grâce propre comme dans son arti­cu­la­tion théo­lo­gale et pas seule­ment fonc­tion­nelle avec le sacer­doce com­mun des fidèles, et où sera clai­re­ment envi­sa­gée la pos­si­bi­li­té d’exercer à plein le sacer­doce minis­té­riel, à la manière des apôtres, c’est-à-dire dans un sens réso­lu­ment missionnaire.

Propos recueillis par Christophe Geffroy pour La Nef

Communiqué de Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, du 25 jan­vier 2009
Entretien de Mgr Marc Aillet à Valeurs Actuelles du 5 mars 2009