« Quel avenir pour la Fraternité Saint-​Pie X ? » Abbé Barthe


Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflé­tant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

– Vous avez écrit dans Présent du 30 jan­vier : « Ces évêques, à leur demande, se trouvent désor­mais décla­rés plei­ne­ment catho­liques et lavés de toutes cen­sures (l’in­ter­pré­ta­tion qui semble devoir l’emporter étant que la sus­pense qui les frap­pait aus­si était « acces­soire » par rap­port à l’ex­com­mu­ni­ca­tion et qu’elle dis­pa­raît en même temps qu’elle pour ces évêques). » Pourtant le canon 1359 de l’ac­tuel Code de droit cano­nique semble affir­mer le contraire. Sur quoi fon­dez­vous « l’in­ter­pré­ta­tion qui semble devoir l’emporter » ? Et pour­quoi l’emporterait- elle ?

- Il faut rap­pe­ler en deux mots – sans prendre par­ti sur le fond – que du point de vue du droit de l’Eglise, en consa­crant le 30 juillet 1988 quatre évêques sans man­dat pon­ti­fi­cal, NNSS Lefebvre et Castro Mayer, évêques consa­crants, et les quatre évêques consa­crés sont tom­bés sous le coup d’une excom­mu­ni­ca­tion auto­ma­tique (peine dont la sen­tence est pour ain­si dire conte­nue dans l’acte, dit latae sen­ten­tiae, à la dif­fé­rence d’une peine por­tée par sen­tence expresse, dite feren­dae sen­ten­tiae). L’excommunication est la plus grave des peines qui peut frap­per un catho­lique, puis­qu’elle le prive de la com­mu­nion « exté­rieure », c’est-​à-​dire qu’il n’a, en prin­cipe et sauf excep­tions, plus le droit de célé­brer des sacre­ments, ni même d’y par­ti­ci­per. La gra­vi­té de la peine est telle que, si l’ex­com­mu­ni­ca­tion est auto­ma­tique, on prend sou­vent la pré­cau­tion de la « décla­rer ». C’est, en l’es­pèce, ce qui a été fait par un décret de la Congrégation des évêques du 1er juillet 1988 signé par le car­di­nal Gantin. 

Quant aux prêtres de la Fraternité Saint-​Pie X, ils sont en prin­cipe frap­pés par une peine de sus­pense, cen­sure propre celle-​là aux clercs, et qui pour l’es­sen­tiel leur inter­dit de célé­brer les sacre­ments (sauf excep­tions). Cette peine frappe ici ceux qui ont reçu des ordres sacrés d’un évêque sus­pens (de Mgr Lefebvre avant 1988) ou excom­mu­nié (des évêques de la FSSPX après 1988). Atout le moins, ces prêtres sont consi­dé­rés offi­ciel­le­ment comme irré­gu­liers, c’est-​à-​dire qu’ils n’ont pas le droit d’exer­cer les ordres reçus. Le tout sauf excep­tion, et tou­jours, encore une fois, sans por­ter de juge­ment sur le fond, en s’en tenant à la lettre du droit.

Le décret de la Congrégation des évêques, du 21 jan­vier der­nier, signé par le car­di­nal Re, relève donc les quatre évêques consa­crés en 1988 de l’ex­com­mu­ni­ca­tion décla­rée le 1er juillet 1988 et de toutes ses consé­quences, à par­tir de ce jour. Qu’en est-​il alors de la sus­pense qui frap­pait, du fait de leur ordi­na­tion sacer­do­tale, trois des évêques concer­nés (Mgr Tissier de Mallerais, sauf erreur, ayant été ordon­né prêtre alors que Mgr Lefebvre n’é­tait pas sus­pens) ? Deux inter­pré­ta­tions semblent possibles :

– la pre­mière est l’ap­pli­ca­tion stricte du canon 1359 : si une per­sonne est sous le coup de plu­sieurs peines (en fait, en géné­ral, il s’a­git d’ex­com­mu­ni­ca­tions mul­tiples), la remise ne vaut que pour la peine men­tion­née par l’acte qui la lève ;

– la seconde inter­pré­ta­tion, qui semble avoir les faveurs du Saint-​Siège, pour des rai­sons de bon sens et des rai­sons d’in­té­rêt géné­ral de l’Eglise, veut que, pour ces évêques de la FSSPX, la sus­pense était « acces­soire » à la peine prin­ci­pale qui les frap­pait pour des actes posés dans un même contexte géné­ral et pour des rai­sons iden­tiques : de sorte que, puis­qu’ils sont lavés du « prin­ci­pal », ils sont aus­si logi­que­ment rele­vés de l”« accessoire ».

– Vous ajou­tiez : « On ima­gine mal que la FSSPX n’es­saye pas de faire en sorte que la situa­tion de ses prêtres ne devienne sem­blable à celle de ses évêques. » Effectivement, on se retrou­ve­rait sinon dans le cas d’a­voir, dans la Fraternité, des évêques sans peine cano­nique, ordon­nant des prêtres qui n’en auraient pas non plus. Alors que les plus anciens, au moins ceux ordon­nés de 1976 à 2008, demeu­re­raient sus­pens. Croyez-​vous que cet imbro­glio puisse être évité ?

– De toute façon, le décret du 21 jan­vier met la FSSPX dans une situa­tion juri­dique tout à fait excep­tion­nelle. Elle la met dans un état de dés­équi­libre qui ne peut durer qu’un temps, et même qu’un peu de temps : quelle sera, en effet, la situa­tion des prêtres qui vont désor­mais être ordon­nés en son sein ? qu’est-​ce donc que cette socié­té sacer­do­tale, dont la catho­li­ci­té des chefs est recon­nue, mais dont la per­mis­sion de célé­brer est contes­tée pour les membres ou pour la majo­ri­té d’entre eux ? La déci­sion du 21 jan­vier oblige soit à se diri­ger vers un état nou­veau, c’est-​à-​dire vers une régu­la­ri­sa­tion glo­bale (évêques, prêtres, sta­tut ecclé­sial de la FSSPX), soit à retom­ber d’une manière ou d’une autre dans l’é­tat anté­rieur, sans le motif de « néces­si­té » (une socié­té de prêtres « indé­pen­dante » qui orga­nise sur l’en­semble de la pla­nète toute une vie ecclé­siale, y com­pris des ordi­na­tions sacer­do­tales, est de soi incon­ce­vable dans l’Eglise, a for­tio­ri dans une Eglise qui ne voit aucune dif­fi­cul­té à l’of­fi­cia­li­ser). Ni le Pape ni la FSSPX ne peuvent res­ter au milieu du gué. Et on ima­gine mal les évêques de la FSSPX, désor­mais « libé­rés » lais­ser leurs sol­dats res­ter offi­ciel­le­ment « dans les fers ». 

- Pourtant, Mgr Fellay, dans l’en­tre­tien accor­dé à Présent en date du 31 jan­vier, estime néces­saire de com­men­cer par cer­taines dis­cus­sions (en accord sur ce point avec le décret lui­même). La situa­tion de flou juri­dique (et dis­ci­pli­naire) peut-​elle donc per­du­rer, le décret évo­quant la néces­si­té d’at­teindre une « pleine com­mu­nion » – alors même que Mgr Fellay, dans le même entre­tien, estime que cette dis­tinc­tion de com­mu­nion pleine ou non n’a pas lieu d’être ? 

- Je suis plei­ne­ment – c’est le cas de le dire – d’ac­cord avec Mgr Fellay : la com­mu­nion ecclé­siale (comme l’é­tat de grâce) est ou n’est pas, mais elle n’est pas plus ou moins pleine. C’est d’ailleurs là que se trouve toute la dif­fi­cul­té de la théo­rie oecu­mé­nique. Ceci posé, je remarque avec la même satis­fac­tion que l’en­semble des catho­liques qui estiment qu’il existe dans Vatican II quelques pro­blèmes doc­tri­naux qu’il fau­dra bien un jour résoudre, que le décret du 21 jan­vier parle à ce pro­pos – et ceci pour la pre­mière fois dans un docu­ment du Saint-​Siège – d’exis­tence de « ques­tions ouvertes ». Le décret, rejoi­gnant les demandes de la FSSPX d’or­ga­ni­ser des dis­cus­sions doc­tri­nales – cer­tains disent même d’ailleurs que ces demandes de débats ont été déjà par­tiel­le­ment rem­plies -, parle en effet de « colloques ». 

Mais n’est-​il pas évident : 

1. que ces col­loques, si l’on veut qu’ils pré­parent sérieu­se­ment et effi­ca­ce­ment, fût-​ce de loin, des pré­ci­sions ulté­rieures du magis­tère sur les points ambi­gus, néces­sitent un labeur et sur­tout un temps qui vont sans doute dépas­ser les limites de l’ac­tuel pontificat ? 

2. qu’ils n’in­té­ressent pas que la FSSPX, mais tous ceux aux­quels telle ou telle expres­sion de Vatican II pose pro­blème sur le fond ou au moins, ce qui n’est pas rien, dans les expres­sions (je pense à des théo­lo­giens romains, à des prêtres et laïcs du monde entier) ? 

3. et aus­si que concrè­te­ment, si de telles dis­cus­sions s’ou­vraient aujourd’­hui, dans le contexte d’é­bul­li­tion de la mar­mite média­tique que nous savons, elles s’en­li­se­raient dans l’or­nière des rap­ports du judaïsme et du christianisme ?

Il est plus rai­son­nable de pen­ser que la FSSPX offi­cia­li­sée et le Saint-​Siège vou­dront conve­nir de la tenue de col­loques orga­ni­sés sur les « ques­tions ouvertes », les­quels favo­ri­se­ront en effet gran­de­ment la com­mu­nion (la com­mu­nion pure et simple) dans toute l’Eglise.

- On a évo­qué, pour l’of­fi­cia­li­sa­tion de la Fraternité, le sta­tut de pré­la­ture per­son­nelle (sem­blable à celui de l’Opus Dei), ou celui d’une admi­nis­tra­tion apos­to­lique (sem­blable à celui de Campos). Rome peut évi­dem­ment trou­ver une autre voie. Qu’en pensezvous ? 

- Les per­sonnes bien infor­mées, comme on dit, assurent qu’un sta­tut d’ad­mi­nis­tra­tion apos­to­lique (uni­ver­selle) a été pro­po­sé à la FSSPX en 2001, et que le conte­nu d’un sta­tut de pré­la­ture per­son­nelle lui a été mon­tré à l’oc­ca­sion des ren­contres du deuxième semestre de 2008. Une autre solu­tion pour­rait être ima­gi­nable : celle d’un « sta­tut d’é­tape », qui consa­cre­rait offi­ciel­le­ment l’é­tat pré­sent de la FSSPX. Ce pour­rait être quelque chose comme un ins­ti­tut de droit pon­ti­fi­cal sem­blable aux ins­ti­tuts qui dépendent de la Commission Ecclesia Dei (pour­quoi pas, au fait, Commission Summorum Pontificum ?), au sein duquel exis­te­raient des évêques « titu­laires » (ayant un « titre », mais pas de juri­dic­tion). Le sta­tut des mai­sons, des lieux de culte, des sémi­naires serait déter­mi­né ou res­te­rait indé­ter­mi­né (je pense, entre autres, à l’exemple du sta­tut en voie de déter­mi­na­tion du sémi­naire de l’Institut du Bon Pasteur, à Courtalain). Mais ici, comme vous le pen­sez bien, je fais de la science cano­nique fiction. 

- Qui peut empê­cher cela ? qui peut le réaliser ?

– Peut-​être pensez-​vous que je vais répondre : les supé­rieurs de la FSSPX. Mais en réa­li­té, ils ne sont que des acteurs – consi­dé­rables, il est vrai – par­mi beau­coup d’autres de ce qui se passe aujourd’­hui. C’est qu’en réa­li­té l’hy­po­thèse de l’of­fi­cia­li­sa­tion de la FSSPX, venant après la libé­ra­li­sa­tion de la messe tra­di­tion­nelle, effraie les oppo­sants au Pape (qu’il me soit per­mis de rap­pe­ler les deux dos­siers que je viens de publier dans L’Homme nou­veau : « Ya-​til une oppo­si­tion romaine au Pape ? », du 17 jan­vier 2009 et du 31 jan­vier 2009.). Concernant la levée des excom­mu­ni­ca­tions des évêques de la FSSPX, de tout récents articles d’Andrea Tornielli et de Paolo Rodani parlent d’un dos­sier qui cir­cu­le­rait dans les Palais apos­to­liques émet­tant jus­te­ment l’hy­po­thèse que l’af­faire Williamson – au maxi­mum regret­table ! – a lar­ge­ment été orches­trée comme une machine de guerre contre le Pape. 

- En défi­ni­tive, si je vous suis bien, pour la Fraternité, les choses ne peuvent désor­mais qu’a­van­cer ou recu­ler, avec toutes les consé­quences qu’on ima­gine pour l’Eglise dans l’une ou l’autre hypo­thèse. Comment les choses peuvent-​elles concrè­te­ment avancer ? 

- Pour lever l’ex­com­mu­ni­ca­tion qui pesait sur les quatre évêques de la FSSPX, il leur a été seule­ment deman­dé de la sol­li­ci­ter, ce qu’a fait Mgr Fellay au nom de ses confrères par une lettre datée du 15 décembre 2008. De quoi s’agit-​il aujourd’­hui ? D’inclure les prêtres dans la « grâce » pon­ti­fi­cale dont béné­fi­cient les évêques. Logiquement, il suf­fi­rait donc que ce qui a été fait (et deman­dé) pour les évêques le soit pour les prêtres. D’où décou­le­rait logi­que­ment l’of­fi­cia­li­sa­tion de la socié­té sacer­do­tale de Mgr Marcel Lefebvre. Et la FSSPX se trou­ve­rait au milieu, comme on dit. Au milieu : je veux dire « à l’in­té­rieur », avec toutes les consé­quences. Disons d’a­bord que la trans­for­ma­tion juri­dique, et donc « poli­tique », de la FSSPX contri­bue­rait à son renou­vel­le­ment interne, dont on peut sou­hai­ter qu’il s’o­père dans le bon sens, c’est-​àdire non pas en perte de pug­na­ci­té cri­tique concer­nant les « ques­tions ouvertes » par Vatican II, mais en per­ti­nence dans la forme et dans le fond de cette cri­tique. Mais par-​dessus tout, il est clair que l’a­morce de la trans­for­ma­tion de la FSSPX en une force « interne » de l’Eglise, de l’Eglise dans son état actuel – à savoir, néga­ti­ve­ment, un état de schisme vir­tuel, et posi­ti­ve­ment, une ten­ta­tive de « res­tau­ra­tion » – par­ti­ci­pe­rait à un mou­ve­ment amor­cé par l’é­lec­tion de Benoît XVI en 2005 et conti­nué par le motu pro­prio de 2007, à ce que j’ai appe­lé un phé­no­mène de tran­si­tion, autre­ment dit aux pré­mices de la remise en ordre, pour ne pas dire de la réforme, d’une Eglise com­mo­tion­née par une crise sans pré­cé­dent, depuis près d’un demi-​siècle en toutes ses parties. 

Propos recueillis par Olivier Figueras pour n° 6773 de 5 février 2009