Et si l’on commençait l’année comme il faut ?

Il faut reve­nir à une chose essen­tielle : apprendre à rai­son­ner selon les prin­cipes chré­tiens, cela empê­che­ra tou­jours la confu­sion d’augmenter dans nos esprits. A force de voir des scan­dales de plus en plus grands se pro­duire, à force de voir une licence morale de plus en plus affi­chée, on finit par s’accoutumer soi-​même à de moindres dévia­tions, à ne plus y prê­ter d’importance ou même, à ne plus savoir que tel ou tel usage – quoique bana­li­sé chez les meilleurs d’entre vous – n’en est pas moins impré­gné de naturalisme.

C’est pour­quoi – sui­vant en cela quelques rap­pels don­nés par notre supé­rieur de dis­trict dont cet édi­to­rial est pétri – je me per­mets de rap­pe­ler qu’il est anor­mal de voir de plus en plus de dames et de jeunes filles venir à la messe en pan­ta­lon, d’en voir de plus en plus qui ne se couvrent pas la tête à l’église, encore plus anor­mal de voir les jupes rac­cour­cir de plus en plus. Ne croyez pas que nos yeux traînent par plai­sir là où il ne le faut pas mais ne nous obli­gez pas, si cette ten­dance ne se cor­rige pas, à refu­ser, au nom de la bien­séance, la com­mu­nion à celles dont les jupes ne couvrent pas les genoux.

Quant aux hommes, nom­breux sont-​ils à la tenue relâ­chée, pas rasés, pas coiffés.Mais je vous le demande : où est le res­pect dû à Dieu, au culte public que vous venez Lui rendre ? Dans cette église, on vous a sou­vent aler­tés contre le moder­nisme – et bien d’autres choses – et c’était et c’est nor­mal. Vous ne pour­rez pas nous accu­ser de reve­nir sou­vent sur la ques­tion des tenues. Alors, tout sim­ple­ment mer­ci d’en tenir compte, pour nous certes, mais d’abord par res­pect pour ce lieu consa­cré et par res­pect pour vous-​mêmes. Il y a des opi­nions qui chez nous peuvent cor­rompre l’intégrité de la foi, et la ques­tion de la modes­tie n’est pas si secon­daire ; elle peut cor­rompre un jour cette inté­gri­té de la foi, car du rela­ti­visme en cette matière, il n’y a sou­vent qu’un pas au rela­ti­visme doctrinal.

Dans un souci apostolique

« Vous per­dez votre temps, Monsieur le curé » diront cer­tains même par­mi les meilleurs d’entre vous. D’autres diront : « Pourquoi vous épui­ser à per­fec­tion­ner la morale et la foi que quelques-​uns vivent déjà tant bien que mal, alors qu’il vau­drait mieux cher­cher à conver­tir ceux qui se trouvent hors de l’Eglise, en quête de votre apos­to­lat ? » Faux raisonnement…D’abord parce qu’il ne se passe pas une semaine sans que bien des conver­sions s’opèrent dans cette église et, ensuite, parce que ces mêmes conver­tis sont par­fois bien déçus du relâ­che­ment de ceux qui, pour­tant, ont tant reçu ici depuis long­temps. D’autres diront : « Mais Monsieur le curé, quelle impru­dence de rap­pe­ler les règles de tenue à l’église et dehors (la modes­tie en effet se pra­tique non seule­ment à l’église mais dans la rue) car c’est déjà tel­le­ment méri­toire pour beau­coup de venir ici à Saint-​Nicolas, c’est déjà tel­le­ment méri­toire de vivre chré­tien­ne­ment dans un monde si hos­tile à Dieu, à l’Eglise, au catho­li­cisme, que vous cou­rez le risque de perdre jusqu’aux meilleurs. Alors ne sur­char­gez pas les fidèles de minu­ties irritantes ».

Mes bien chers frères, com­pre­nez bien ce zèle qui est le nôtre en tant que prêtres catho­liques, nous ne sommes pas des pala­dins exal­tés, inin­tel­li­gents et obs­ti­nés. Mais si vous, vous res­tez sur vos obs­ti­na­tions en ces points, ces obs­ti­na­tions mêmes vous empê­che­ront irré­mé­dia­ble­ment de pro­gres­ser. Je n’ai pas le droit de me conten­ter du fait que cer­tains et cer­taines tien­dront compte de ce que je viens de deman­der et d’autres, non. La foi comme la morale ne se contentent pas sim­ple­ment de quelques lignes géné­rales, mais elles exigent l’intégrité et la plé­ni­tude de soi.

Le sens de l’intégrité

Prenez, côté morale, la ver­tu de pure­té. Je ne crois pas que, sur ce point, on vienne oser me dire que cela ne vous concerne pas. A cet égard, toute conces­sion prend un carac­tère de tache sombre, toute impru­dence la met tout entière en dan­ger. On a quel­que­fois com­pa­ré l’âme pure à une per­sonne debout sur une sphère. Tant qu’elle conserve sa posi­tion d’équilibre, elle n’a rien à craindre, mais toute impru­dence, tout faux pas de sa part, même minime, peut la faire glis­ser rapi­de­ment et par­fois même jusqu’au fond de l’abîme. La condi­tion essen­tielle à la conser­va­tion de cette ver­tu est la pru­dence vigi­lante et intran­si­geante d’abord avec soi-même.

Côté foi, on peut en dire tout autant. Tant que le catho­lique se place sur le point d’équilibre par­fait, sa per­sé­vé­rance sera sûre et facile. Ce point d’équilibre – il faut le pré­ci­ser – ne consiste pas dans l’acceptation de quelques lignes géné­rales de foi, mais dans la pro­fes­sion de toute la doc­trine de l’Eglise, une pro­fes­sion faite avec l’âme tout entière, impli­quant l’acceptation loyale et cohé­rente de ce que le Magistère enseigne et de toutes les consé­quences de cet ensei­gne­ment. Pour cela, il faut que le fidèle pos­sède cette foi vive pour laquelle il est capable d’humilier sa rai­son per­son­nelle devant le magis­tère infaillible et de dis­cer­ner avec péné­tra­tion tout ce qui – direc­te­ment ou indi­rec­te­ment – s’oppose à l’enseignement de l’Eglise. S’il aban­donne un tant soit peu cette posi­tion de par­fait équi­libre, il com­mence à sen­tir l’attraction de l’abîme. Une foi éclai­rée et robuste n’est pas le pri­vi­lège des savants, elle est une ver­tu et, dans l’Eglise, les ver­tus sont acces­sibles à tous les fidèles igno­rants ou savants, riches ou pauvres. L’exemple de sainte Jeanne d’Arc est flagrant.

Pour que nous ayons un peuple ferme et logique dans sa foi, il n’est pas néces­saire que nous en fas­sions un peuple de théo­lo­giens. Il suf­fit que celui qui aime pro­fon­dé­ment l’Eglise s’instruise des véri­tés révé­lées selon son niveau de culture géné­rale, et pos­sède les ver­tus de pure­té, d’humilité néces­saires pour réel­le­ment croire, com­prendre et goû­ter les choses de Dieu. Quand la popu­la­tion d’un dio­cèse pos­sède l’intégralité de l’esprit catho­lique, elle est à même d’affronter, avec l’aide de la grâce de Dieu, les vagues d’impiété et d’immoralité.

Il est évident que notre foi doit dépas­ser les for­mules exté­rieures et répé­tées sans amour et sans convic­tion, car il y a tou­jours le risque que la sève ne cir­cule plus. Il est donc de la plus grande impor­tance de veiller à la plé­ni­tude de la foi, à l’esprit de foi. Les atti­tudes que nous avons à l’Eglise ne sont pas le tout d’un chré­tien, certes, mais elles contri­buent à cet esprit de foi. Croyez-​vous que le fait de venir assis­ter à la messe en mâchant un chewing-​gum (témoins les nom­breux chewing-​gums, sous les chaises ou écra­sés sur le sol) ; croyez-​vous que le fait d’assister à la messe en s’affalant ou s’écroulant sur une chaise ou en pas­sant la moi­tié de la messe à admi­rer la belle che­ve­lure de la belle jeune fille assise devant vous – et qui n’a pas de fou­lard – ou en allant com­mu­nier les bras bal­lants, croyez-​vous que cela agisse peu sur l’esprit de foi, sur la fer­veur, sur les fruits à recueillir de la messe, de la communion ?

« Vous per­dez votre temps, Monsieur le curé, tout ce temps et ces efforts que vous employez « pour per­fec­tion­ner les fidèles dans la foi » – comme vous dites – sont un temps et des efforts déro­bés aux fidèles ». Non, il ne peut y avoir oppo­si­tion car l’intégralité de la foi pro­duit par­mi les catho­liques beau­coup de fruits de ver­tu et répand dans l’Eglise la bonne odeur de Jésus-​Christ, qui attire à elle les infi­dèles, en sorte que le bien fait aux fils de l’Eglise pro­fi­te­ra for­cé­ment à ceux qui sont récem­ment conver­tis (et il y en a beau­coup ici) ou à ceux qui se trouvent hors du bercail.

L’appât des nouveautés

Un des fruits de la fer­veur de la foi sera néces­sai­re­ment le zèle apos­to­lique. Multiplier les apôtres, c’est per­fec­tion­ner les infi­dèles. Ne soyez pas « contre-​apôtres » par vos atti­tudes. Et puis, Notre-​Seigneur – en for­mant les apôtres et les dis­ciples, et donc en per­fec­tion­nant un groupe de pri­vi­lé­giés – s’est-il pour autant dés­in­té­res­sé du reste de l’humanité ? C’est à toute époque qu’il faut prendre en compte ce qu’écrivait le pape Pie XII à l’épiscopat brésilien :

« Le dan­ger le plus urgent, aujourd’hui, n’est pas celui d’un atta­che­ment trop rigide et exclu­sif à la tra­di­tion, mais prin­ci­pa­le­ment celui d’un goût exa­gé­ré et peu pru­dent pour toute nou­veau­té quelle qu’elle soit. C’est au sno­bisme des nou­veau­tés que l’on doit la mul­ti­pli­ca­tion des erreurs cachées sous une appa­rence de véri­té, et très fré­quem­ment sous une ter­mi­no­lo­gie pré­ten­tieuse et obs­cure ». La sen­sua­li­té et l’orgueil ont tou­jours sus­ci­té – et sus­ci­te­ront jusqu’à la fin des siècles – la révolte de cer­tains fils de l’Eglise contre la doc­trine et l’esprit de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Ne soyez pas de ces révoltés.

« Ces fau­teurs de révolte, disait saint Pie X, devien­dront plus fré­quents à mesure qu’on s’acheminera vers la fin des temps ».

De plus, si la cause des erreurs et des crises, est la fai­blesse de la nature déchue, c’est aus­si l’action du démon. Il lui a été don­né jusqu’à la fin des siècles de ten­ter les hommes dans les ver­tus et par consé­quent aus­si dans la ver­tu de foi qui est le fonc­tion­ne­ment même de la vie sur­na­tu­relle. Il est donc évident que, jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, l’Eglise sera expo­sée à des jaillis­se­ments internes de l’esprit d’hérésie et qu’il n’y a pas de pro­grès qui, pour ain­si dire, immu­nise défi­ni­ti­ve­ment contre ce mal.

Or, l’allié que le démon arrive à implan­ter au-​dedans des armées fidèles est son plus pré­cieux ins­tru­ment de com­bat, une 5e colonne qui sur­passe en effi­ca­ci­té les plus ter­ribles arme­ments. La tumeur étant for­mée dans les milieux catho­liques, les forces se divisent, les éner­gies qui devraient être uti­li­sées entiè­re­ment dans la lutte contre l’ennemi exté­rieur, s’épuisent en dis­cus­sions entre frères.

L’Eglise aura donc tou­jours à souf­frir de cet inves­tis­se­ment inté­rieur par l’esprit des ténèbres. Pour que l’action de l’ennemi reste inté­rieure, il convient qu’elle soit dégui­sée. La four­be­rie est la règle fon­da­men­tale de qui agit en secret dans le camp de l’adversaire. Le démon insuffle alors l’esprit de confu­sion qui séduit les âmes et les conduit à pro­fes­ser l’erreur habi­le­ment dis­si­mu­lée sous les appa­rences de véri­té. Il ne faut pas s’attendre, dans cette lutte, à ce que l’adversaire émette des sen­tences clai­re­ment oppo­sées à des véri­tés déjà défi­nies. Non ! il ne le fera que lorsqu’il se juge­ra entiè­re­ment maître du ter­rain. Et la plu­part du temps, il fera pul­lu­ler les erreurs cachées sous une appa­rence de véri­té et sous une ter­mi­no­lo­gie pré­ten­tieuse et obs­cure. La manière de pro­pa­ger cette mul­ti­tude d’erreurs sera elle-​même voi­lée et insidieuse.

La tac­tique de l’adversaire est de pro­po­ser l’erreur dans des pro­po­si­tions qui, à beau­coup, peuvent paraître claires et ortho­doxes, ou confuses mais sus­cep­tibles de bonne inter­pré­ta­tion, ou de la noyer dans des demi-​teintes, assez habi­le­ment dis­po­sées pour qu’elle se dif­fuse mais qu’elle soit dif­fi­cile à combattre.

La tac­tique de l’adversaire sera alors de mettre ain­si dans une posi­tion embar­ras­sante ceux qui lui sont oppo­sés. De cette façon, elle atti­re­ra par­fois contre nous l’antipathie de per­sonnes qui n’ont pas la plus petite inten­tion de favo­ri­ser le mal. Par crainte de ces cri­tiques, cer­tains auraient peut-​être l’idée de recu­ler devant l’adversaire. Non, sans exa­gé­ra­tion, sans pré­ci­pi­ta­tion, sans juge­ment non moti­vé, il faut mal­gré tout crier, chaque fois que l’adversaire caché sous la peau de bre­bis se pré­sente devant vous, sans lui céder un pouce de ter­rain par crainte qu’il ne vous accuse d’un d’excès que votre conscience ne vous reproche pas. Notre effort à dénon­cer l’erreur, à main­te­nir cette ligne dans la modes­tie chré­tienne, n’a d’autre but que de vous conduire plus sûre­ment vers Dieu.

De cette façon seule­ment, nous fai­sons œuvre posi­tive et durable. Vous avez beau­coup de mérites à per­sé­vé­rer dans les cir­cons­tances dif­fi­ciles que nous tra­ver­sons ; la morale catho­lique, la foi catho­lique engagent beau­coup d’entre vous, pas tou­jours tous hélas, dans des choix dif­fi­ciles et exigeants.

C’est bien pour cela que, mal­gré ces rap­pels du début sur les tenues à obser­ver – par amour de Dieu – c’est un encou­ra­ge­ment que je vous adresse, encou­ra­ge­ment à tenir bon dans cette guerre. Puissent ces recom­man­da­tions, puisse le dévoue­ment des prêtres de Saint-​Nicolas, l’amour qu’ils ont réel­le­ment pour vous, puisse la litur­gie catho­lique rani­mer, en vous, l’esprit de sacri­fice qui per­met d’éviter tout relâ­che­ment en matière de morale et en matière de foi. Le spec­tacle de la vie peu facile de bien des familles confron­tées à toute sorte de sou­cis, le spec­tacle aus­si d’une jeu­nesse qui fait tous ses efforts pour ramer à contre-​courant dans cette socié­té maté­ria­liste et hédo­niste, m’avaient fait hési­ter à vous rap­pe­ler ce que cer­tains appellent des « minu­ties », sachant qu’elles en irri­te­ront quel­que­suns et quelques-​unes, sachant qu’elles seront même sou­vent incomprises.

Mais faut-​il que nos ser­mons soient là sim­ple­ment pour char­mer vos oreilles, n’ont-ils pas pour but de nous faire pro­gres­ser ensemble, vous et nous ? Que faire ? Vous répé­ter les exi­gences de la vie chré­tienne, les répé­ter à une masse de fidèles qui refuse de les entendre, se bute et s’obstine ? Ou renon­cer, pour ne pas user notre auto­ri­té à répé­ter les minu­ties les plus déli­cates et consta­ter par la suite l’attiédissement des fidèles et une sus­cep­ti­bi­li­té gran­dis­sante face à des remarques pour­tant déjà deve­nues par­fois trop timides de notre part.

Puissent ces quelques paroles s’inspirer de cette alliance déli­cate de l’intransigeance qu’on trou­vait chez Monseigneur Lefebvre à ne rien concé­der des prin­cipes, et son sou­ci pas­to­ral de trou­ver les moyens les plus adé­quats pour qu’ils soient com­pris et mis en œuvre pour vous tous.

Abbé Xavier BEAUVAIS

Extrait du Chardonnet n° 264 de jan­vier 2011