Vatican : le changement sur les rails – Evangelii gaudium résumé par Témoignage chrétien


Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Révision de cer­tains « usages », ouver­ture de débats hier clos, lutte contre le clé­ri­ca­lisme : le pre­mier grand texte du pape François confirme une volon­té réfor­ma­trice qui va faire grin­cer des dents.

Un docu­ment de Rome qui parle de joie. En avait-​on lu depuis le Concile Vatican II et Gaudium et spes ? L’exhortation Evangelii gau­dium (la joie de l’Évangile), pre­mier grand texte magis­té­riel entiè­re­ment label­li­sée « Pape François », colle bien à l’image du nou­veau pape. 

Son pré­dé­ces­seur uti­li­sait plus faci­le­ment le rap­pel à la véri­té que l’invocation de la joie. Ce texte fait suite au synode des évêques sur la nou­velle évan­gé­li­sa­tion tenu en octobre 2012, dans les der­nières semaines du pon­ti­fi­cat de Benoît XVI. Et pour­tant, cette « exhor­ta­tion » n’est pas, du moins dans son inti­tu­lé offi­ciel, « post-synodale ». 

Plus signi­fi­ca­tif encore, le terme de « nou­velle évan­gé­li­sa­tion », si cher à nombre de mou­ve­ments d’Église très en vogue ces der­nières décen­nies, a dis­pa­ru du voca­bu­laire papal.

Dans ce docu­ment un peu fourre-​tout, et dans lequel il se per­met d’utiliser sou­vent la pre­mière per­sonne, le pape François théo­rise ses prio­ri­tés dans le dis­cours ecclé­sial, déjà appa­rues çà et là (1).

Citant Vatican II – « il existe un ordre ou une hié­rar­chie des véri­tés de la doc­trine catho­lique » -, il ajoute que « ceci vaut autant pour les dogmes de foi que pour l’ensemble des ensei­gne­ments de l’Église, y com­pris l’enseignement moral » (§ 36). Comme il y a 50 ans, on peut par­ler dans l’Église catholique !

Thomas d’Aquin

Homme pra­tique, le pape donne des exemples de façons de faire et de par­ler que les pas­teurs doivent évi­ter ; par­ler « plus de la loi que de la grâce, plus de l’Église que de Jésus-​Christ, plus du pape que de la Parole de Dieu » (§ 38). 

L’heure est au chan­ge­ment et François en donne un argu­ment. « Certains usages [de l’Église] ne rendent pas le même ser­vice pour la trans­mis­sion de l’Évangile. N’ayons pas peur de les revoir. »

S’appuyant sur Thomas d’Aquin – qui notait que les pré­ceptes don­nés par le Christ aux apôtres furent très peu nom­breux – le pon­tife argen­tin demande à faire de ce constat « un des cri­tères de réflexion au moment de pen­ser une réforme de l’Église et de sa pré­di­ca­tion qui per­mette réel­le­ment de par­ve­nir à tous » (§ 43). 

La phrase est cen­trale. Il s’agit bien d’une « réforme ». Il y a quelques mois, le mot était tabou. Cette « réforme » concerne, non le mes­sage mais la « prédication ». 

Et celle-​ci est bien des­ti­née à tous. La dif­fu­sion du mes­sage ne sau­rait se limi­ter à une élite de catho­liques purs, tou­jours dans les clous du Catéchisme, que cer­tains de nos évêques bichonnent. En délais­sant le trou­peau. C’est sans doute à leur inten­tion que le pape écrit aujourd’hui avec force.

Piété populaire

Volontiers exi­geant avec les pas­teurs, à qui il adresse des conseils pour rédi­ger les homé­lies, le pape François aborde avec bien­veillance la situa­tion des laïcs inves­tis dans les com­mu­nau­tés. Il recon­naît les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par celles et ceux qui « n’ont pas trou­vé d’espace […] afin de pou­voir s’exprimer et agir, à cause d’un clé­ri­ca­lisme exces­sif qui les main­tient en marge des déci­sions » (§ 102). Le clé­ri­ca­lisme exces­sif, pléo­nasme diront cer­tains, semble appe­lé à deve­nir une des bêtes noires du pape.

Un autre accent mérite d’être rele­vé, fruit de l’expérience argen­tine de l’auteur. Le pape consacre quelques para­graphes à « la force évan­gé­li­sa­trice de la pié­té popu­laire », laquelle « n’est pas vide de conte­nus mais les révèle et les exprime plus par voix sym­bo­lique que par l’usage de la rai­son ins­tru­men­tale » (§ 124). 

Encore une fois, Jorge Mario Bergoglio uti­lise la pre­mière per­sonne : « Je pense à la foi solide de ces mères au pied du lit de leur enfant malade qui s’appliquent au Rosaire bien qu’elles ne sachent pas ébau­cher les phrases du Credo » (§ 125). Le tro­pisme intel­lec­tua­liste du catho­li­cisme euro­péen sera sans doute ébran­lé par ce pontificat.

De ce texte pro­gram­ma­tique, on se s’attardera pas sur les pro­pos socio-​économiques, lar­ge­ment évo­qués dans la presse. Non qu’ils soient sans inté­rêt, bien au contraire. Mais les thèses cri­tiques du libé­ra­lisme et de l’individualisme s’inscrivent dans la droite ligne des pré­cé­dents textes romains, depuis cin­quante ans. Venant de la plume d’un pape « popu­laire », on peut espé­rer qu’ils soient plus lus qu’auparavant.

Avec ce texte – cette fois inat­ta­quable quant à son sta­tut offi­ciel –, ceux qui pré­ten­daient (ou espé­raient) per­ce­voir une conti­nui­té par­faite avec le pré­cé­dent pon­ti­fi­cat, vont devoir admettre que cer­taines choses vont chan­ger. Les pro­chains mois, qui à Rome ne man­que­ront pas d’être agi­tés, nous en appren­dront plus.

Source : Philippe Clanché de Témoignage Chrétien

(1) Notamment dans son entre­tien aux revues jésuites