Jean Ousset : scandales dans l’Eglise

Présenté par Adrien Loubier
Article extrait de la revue « Sous la Bannière » (n°116), publié dans « L’Aigle Royal »
(Bulletin du Prieuré de l’Enfant Jésus, à Plauzat – 63), n°17 (avril-​mai 2005), pp. 21 à 27.

ans les années 60, en plein concile, la « Cité catho­lique » fon­dée par Jean Masson et Jean Ousset, com­men­çait à se diluer dans l’Office International. Mais on y tenait encore bon. J’en étais. Et les temps qui courent aujourd’­hui, 40 ans plus tard, m’ont fait res­sou­ve­nir d’une petite pla­quette édi­tée alors par Jean Ousset, en réponse à une lettre toute sem­blable à d’autres qui nous arrivent aujourd’­hui à « Sous la Bannière ».
Ce lec­teur, écoeu­ré et décou­ra­gé par l’é­tat de l’Église, qu’il qua­li­fiait à juste titre de « pagaille noire », disait son scan­dale devant « l’at­ti­tude de cer­tains clercs », « l’u­ni­ver­selle retape pour Teilhard », devant « le scan­dale de l’é­touf­fe­ment clé­ri­cal de l’af­faire PAX », devant « les défou­le­ments du psy­chiatre Oraison », les « réseaux scouts d’aide au FLN », la « dépa­cel­li­sa­lion » en cours ; bref, son décou­ra­ge­ment devant le com­bat de l’of­fice et de la rue des Renaudes, où celui-​ci avait son siège. Combat qu’il jugeait inutile comme celui de la « vieille Renaude » de Monsieur Seguin, « qui ayant lut­té toute la nuit contre le loup, n’en fut pas moins dévo­rée au matin ».
Tous ces scan­dales évo­qués par ce cor­res­pon­dant naguère sont aujourd’­hui bien dépas­sés. Et même cer­tains sont sans doute oubliés par quelques-​uns de nos lec­teurs. Mais ils sont abon­dam­ment rem­pla­cés par d’autres, sou­vent pires, et plus nom­breux sans doute. Et le même décou­ra­ge­ment se retrouve dans des lettres actuelles devant une « pagaille noire » sans cesse renou­ve­lée, sans cesse accrue, qui n’é­pargne même pas les milieux qui com­battent encore pour la tra­di­tion dans des ténèbres de plus en plus épaisses, et semblent en effet voués au sort de la « vieille Renaude« de Monsieur Seguin.
Mais la réponse que fit alors Jean Ousset à son cor­res­pon­dant reste et demeure ani­mée d’un souffle qui revi­go­ra bien des jeunes dont j’é­tais alors, et dont les argu­ments res­tent d’une actua­li­té brû­lante. Aussi, j’en pro­pose l’es­sen­tiel à mes lec­teurs, en y ajou­tant seule­ment par­fois quelques élé­ments propres à les actua­li­ser en ces jours de 2004.

Ce qui pré­cède, et ce qui est écrit de ma main est en carac­tères droits, les cita­tions de Jean Ousset sont en italiques.

« Il n’est pas agréable de répondre à votre lettre. Il y fau­drait un volume. Sans qu’on soit assu­ré de tom­ber juste. Garder le silence ? »
« J’avoue ne pou­voir m’ar­rê­ter à cette solu­tion. Non par désir, vous le pen­sez bien, de cou­rir après un sous­crip­teur qui s’en va. Mais parce que l’a­mi­tié qui, dans vos lignes trans­pa­raît à notre égard, est en droit d’at­tendre autre chose qu’un silence pru­dent ou désa­bu­sé. Je pense qu’elle a besoin d’une réponse aus­si bru­tale que la colère qui vous anime. »
« Vous dites avoir per­du la Foi. Je n’en suis pas si sûr. Et cela d’a­près votre lettre ; révolte, au moins, à pro­pos de ce qui est l’ob­jet même de la Foi. Preuve que cette Foi (au sens strict du ser­ment anti-​moderniste : « adhé­sion à un ensei­gne­ment. », etc.) est en vous plus lucide, plus ardente en dépit d’un cer­tain aspect, qu’en ce « béni-​oui-​ouisme » de répu­tés fer­vents qui ne savent pas à quoi ils croient. Prêts à tout gober dès que le papier leur en est ven­du aux portes des églises ! »
« Votre péché me semble beau­coup plus contre l’Espérance. Non l’es­pé­rance selon le monde, faite d’op­ti­misme béat, mais l’au­then­tique espé­rance chré­tienne. Vertu théo­lo­gale, sur­na­tu­relle. Sereine, quoique sans illu­sions. Plus forte que la mort et les pires scan­dales… pour peu qu’elle soit nour­rie de bonnes doc­trines, ET d’une connais­sance suf­fi­sante de l’his­toire de l’Église. »
« Or, si pécher contre l’es­pé­rance peut être aus­si désas­treux que pécher contre la foi, on ne répond pas à un péché contre l’es­pé­rance comme on répond à un péché contre la foi. »
« Vous me faites pen­ser à un sol­dat qui aban­don­ne­rait le ser­vice et l’a­mour de sa patrie parce qu’il en est à ne plus sup­por­ter les misères ou les fautes d’un trop grand nombre de ses chefs. Situation tra­gique ; mais qui ne l’est pas autant que ce degré pire où ne peuvent man­quer de conduire pareilles déser­tions ou révoltes. »

« Trop d’ex­cès clé­ri­caux vous scan­da­lisent. Vous en per­driez la. foi. Et le fait est que, très sou­vent, le refus de la foi a pour argu­ment la pro­tes­ta­tion contre cet excès autre mais tout ana­logue : « scan­dale pour les juifs, folie pour les païens » d’un Dieu s’a­bais­sant, souf­frant, mou­rant sur une croix, entre deux voleurs, sous les insultes et sar­casmes de ce que la reli­gion légi­time d’a­lors comp­tait de plus offi­ciel­le­ment « gra­ti­né ». « Pagaille » ; comme vous dites, qui bri­sa d’un coup l’é­lan des pre­miers dis­ciples, mais qu’au matin de la Résurrection le Maître se plut à com­men­ter à « deux d’entre eux » sur le che­min d’Emmaüs. En les trai­tant d’a­bord : « d’es­prits sans intel­li­gence : lents à croire tout ce qu’ont annon­cé les pro­phètes ! Ne fallait-​il pas que le Christ souf­frît pour entrer dans sa gloire ? Et com­men­çant par Moïse et par­cou­rant tous les pro­phètes… » etc. (S Luc, ch. XXIV). »

« Et de même pour l’Église. »

« Pensez-​vous qu’il n’im­porte pas qu’elle ait, elle aus­si, à souf­frir. Comme le Maître ! Avant qu’il lui soit don­né de deve­nir en son entier la Jérusalem céleste ! »
« Comme si la vie, comme si l’être de l’Église n’é­taient pas, n’é­taient plus la vie, l’être de Jésus-​Christ pro­je­tés dans les suc­ces­sions de l’his­toire et la mul­ti­tude des nations. »

« « … Et com­men­çant par Moïse et par­cou­rant tous les pro­phètes… » »
« Telle est la méthode ! »
« Et com­men­çant par l’é­tude de l’Église en ses débuts et par­cou­rant toute son his­toire… »
« Car c’est par igno­rance de ce que l’Église n’a ces­sé de subir depuis vingt siècles que nous nous fai­sons de notre sainte reli­gion une idée fadasse, tota­le­ment énu­cléée par le confor­misme clé­ri­cal. »
« Alors que depuis le Calvaire, d’une façon constante, Dieu a per­mis, Dieu per­met que l’his­toire de l’Église soit (au moins sous un cer­tain aspect) un drame clé­ri­cal. Drame ana­logue à celui de la vie, de la Passion du Seigneur. »

« Vous par­lez de « pagaille noire actuelle ». »
« Même s’il est vrai, l’ar­gu­ment est faible dans la mesure où il se borne pré­ci­sé­ment à la seule « pagaille » actuelle. Car, en un sens, l’his­toire de l’Église est l’his­toire d’une pagaille per­pé­tuelle. Au point que… si l’on devait perdre la foi pour rai­son de « pagaille » ce serait pécher par défaut, non par excès que d’é­vo­quer seule­ment la « pagaille » d’aujourd’hui. »

« A se révol­ter, pour­quoi se révol­ter au nom de la seule der­nière « par­tie » quand il y a le « tout » ? »
« C’est qu’à le pous­ser à fond l’ar­gu­ment se ren­verse. A prendre le « tout » et non seule­ment la par­tie qui nous touche davan­tage parce que nous la vivons [.] (« Commençant par Moïse et par­cou­rant… » etc). Autant dire, à prendre l’his­toire de l’Église dès son début et à exa­mi­ner le renou­vel­le­ment de ses drames au cours des siècles ce qui, frag­men­tai­re­ment consi­dé­ré, risque de faire perdre la foi, devient argu­ment de cette der­nière, pour peu qu’on le médite dans sa totalité. »

Oui, Jean Ousset avait rai­son. On s’est for­mé, par­ti­cu­liè­re­ment dans ces années 50, – ce que Monseigneur Williamson appe­lait le cin­quan­tisme – une idée FADASSE, ÉNUCLÉÉE de la vie et de l’his­toire de l’Église. A cette époque je me sou­viens d’a­voir eu entre les mains une « Histoire de l’Église » de Rohrbacher qui avait ser­vi de lec­ture dans un couvent de femmes. Mon atten­tion fut atti­rée par de nom­breux pas­sages ratu­rés au crayon, avec men­tion en marge : « Ne pas lire ».
A l’exa­men, ces pas­sages étaient ceux où l’his­to­rien retra­çait les défaillances de clercs, de reli­gieux, de reli­gieuses, voire de princes, voire d’é­vêques ou de papes ; défaillances qui avaient fait scan­dale, entraî­né la fer­me­ture de mai­sons reli­gieuses ou leur perte, favo­ri­sé des héré­sies, etc. Certains pas­sages même avaient été rem­pla­cés par des com­men­taires ou des résu­més pieux ; mais de fausse pié­té.
Que restait-​il ? Une his­toire fadasse, énu­cléée, à l’eau de rose, où l’on racon­tait seule­ment les ver­tus des réfor­ma­teurs en cachant les scan­dales et dévia­tions qui avaient sus­ci­té leurs réac­tions et leurs com­bats.
Nourris de cette fausse pié­té, com­ment des chré­tiens pouvaient-​ils com­prendre ce que Jean Ousset disait alors à son correspondant ?

« Vous butez sur les scan­dales d’un cer­tain clé­ri­ca­lisme actuel. »
« Croyez qu’il faut buter sur beau­coup plus pour tom­ber sérieu­se­ment à genoux. Car le spec­tacle de ce « beau­coup plus » est tel qu’il ne peut plus être équi­voque. Il faut, bon gré, mal gré, y recon­naître la marque d’un drame divin. Tragédie de la rédemp­tion qui conti­nue et conti­nue­ra à s’o­pé­rer « jus­qu’à ce que le nombre des élus soit complet ». »

« Ainsi l’ar­gu­ment « contre » devient l’ar­gu­ment « pour » dès lors qu’on le médite à la lumière sur­na­tu­relle de la Passion du Seigneur. »
« L’enfer ne désarme pas ! »
« Et comme cela est récon­for­tant ! Quel admi­rable signe de l’é­ter­nelle actua­li­té de notre foi ! Et comme nous devons pré­fé­rer cet état d’a­larme inces­sant à la vie de tant de « reli­gions » sans gra­buge, que Satan ne prend même pas la peine de « cri­bler ». »
« Le mal, le très grand mal, est que nous, catho­liques, ne connais­sons pas, ne médi­tons pas l’his­toire de l’Église. Telles luttes, tels remous nous paraissent inavouables parce que nous croyons que le calme et la paix devraient être les seules marques de sa divi­ni­té. »
« Nous lais­sons se répandre de plus en plus ce slo­gan publi­ci­taire que chez nous la vie serait plus pai­sible et sereine que par­tout ailleurs. Et nous nous éton­nons de l’i­ner­tie géné­rale. Comme disait Bernanos : « Ils écri­ront sur leur temple : on est mieux nour­ri ici qu’en face. Et ils s’é­ton­ne­ront de ne recueillir que des ventres ». »

« Quelques per­sé­cu­tions… venant de l’ex­té­rieur ? Passe encore ! Mais troubles, tra­hi­sons, scan­dales au-​dedans et comme entre nous ! Nous per­dons confiance. »
« Pourtant ni la doc­trine, ni l’ex­pé­rience d’une his­toire vingt fois sécu­laire, ne per­mettent d’af­fir­mer qu’ici-​bas l’Église doit être néces­sai­re­ment com­po­sée de fidèles édi­fiants, de prêtres de bonne doc­trine, sur­na­tu­rels, d’é­vêques sans res­pect humain, cou­ra­geux devant César et sou­mis de cour au Saint-​Siège, voire de papes impec­cables, bien qu’in­faillibles. »
« « Il faut qu’il y ait des héré­sies, écrit un auteur peu sus­pect d’in­té­grisme : Kart Rahner (Gefahren im heu­ti­gen Katholizismus…) parce qu’elles sont plus que de simples consé­quences d’une liber­té arbi­traire. Elles appar­tiennent à ces sombres choses qui « doivent » être, afin qu’au­cun homme, et donc aus­si la « véri­té » de l’homme, ne puisse se glo­ri­fier devant Dieu. Ainsi le chré­tien ne doit pas s’é­ton­ner de ren­con­trer des héré­sies. Bien plus, il les atten­dra. Il les consi­dé­re­ra comme une ten­ta­tion inévi­table, voire comme la ten­ta­tion (l’é­preuve) la plus haute, la plus sublime. Celle dans laquelle les ténèbres se déguisent en ange de lumière. Et si le chré­tien ne dis­tingue aucune héré­sie [.] il ne consi­dé­re­ra pas une sem­blable paix de l’es­prit comme quelque chose qui va de soi. Il se deman­de­ra plu­tôt, avec crainte, si les yeux de son esprit ne seraient pas deve­nus aveugles et son cour insen­sible à la dif­fé­rence entre le vrai et le faux, au point de ne plus pou­voir dis­tin­guer l’hé­ré­sie comme telle. » »

« Si nous connais­sions mieux l’his­toire de l’Église, nous ne dou­te­rions plus de la pré­di­lec­tion de Dieu pour ce genre d’é­preuve. »
« C’est man­quer d’un sens juste du divin que d’i­gno­rer, taire, cacher déli­bé­ré­ment ce que, dans les annales chré­tiennes, Dieu a si mani­fes­te­ment lais­sé sur­abon­der. »
« Se serait-​Il trom­pé ? Ou n’est-​ce point nous qui ten­drions à pré­fé­rer une comé­die de patro­nage à la tra­gé­die bou­le­ver­sante de la Rédemption ? Les saints, eux, ont aimé la saveur de ce vin et s’en sont enivrés. Nos chré­tiens répu­tés « adultes » pré­fèrent l’eau de burette ! Un grand nombre de chré­tiens perd cour à la vue de cer­tains heurts. Curieux sol­dats d’une Église répu­tée mili­tante, que ces guer­riers trou­blés aux pre­miers signes de la bataille. »
« Où se croient-​ils ? Pourquoi Dieu nous épargnerait-​il ce qu’il n’a épar­gné à aucune géné­ra­tion chré­tienne ? « Nous y avons droit ». Et de quoi vous plaignez-vous ? »

Ici, Jean Ousset pas­sait en revue les prin­ci­paux scan­dales qui, en plein concile, dans les années 60, bou­le­ver­saient l’Église.
Je ne crois pas utile de reprendre la mise à jour de ce triste cata­logue qui, pour n’être plus le même de nos jours, n’en serait que plus long.
Mais aujourd’­hui, comme du temps de Jean Ousset, ces scan­dales de toute sorte n’ont-​ils pas les mêmes effets sur beau­coup ? Perte de la Foi ! Surtout perte de l’Espérance ! Et c’est là l’er­reur la plus grave.

« … tout cela vous paraît le signe d’une « pagaille noire » [.] vous fait « perdre la foi » [.] « aban­don­ner ». »
« Mais n’aviez-​vous jamais réflé­chi à ce que l’in­ces­sant cor­tège des héré­sies et des schismes a pu entre­te­nir d’in­so­lences, de révoltes, de bas­sesses [.] auprès des­quelles celles que nous subis­sons paraissent « petits gra­viers », inci­dents et détails ? »
« Soient, à la course [.] gnos­tiques et mani­chéens du tout début ; mon­ta­nistes nova­tiens du second siècle, accom­pa­gnés des quarto-​décimans, débap­ti­sants, mil­lé­naires, anti­tri­ni­taires. Puis dona­tistes et méle­ciens, pré­cur­seurs de l’a­ria­nisme ; lequel eut plu­sieurs phases ou retours. Pélage et Célestin. Nestorius et Eutychès. El tous les autres… jus­qu’à nos jours. A la cadence de trois ou quatre héré­sies par siècle. »

« Aujourd’hui, et de loin, tout cela paraît clair ; net, par­fai­te­ment dis­tinct : fidèles d’un côté, héré­tiques ou schis­ma­tiques de l’autre. Mais, pour ceux qui vécurent cela, c’é­tait aus­si « pagaille noire » . On ne savait pour qui opter. Le curé était d’un bord, le vicaire de l’autre, les évêques en col­lé­giale dis­corde, les Athanase et les Hilaire en minus­cule mino­ri­té. Et comme tou­jours, c’é­taient les autres qui, modes­te­ment, se pré­ten­daient dans le sens de l’his­toire, « pré­sents au monde », témoins de leur siècle, etc. »

« Le recul du temps déforme, en ordon­nant à l’ex­cès ce qui fut pagaille noire et san­glante. »
« Songez à ce qu’eût pu être notre humeur si nous avions eu sous les yeux les acces­soires inévi­tables de tant d’er­reurs : sus­pi­cions, polé­miques, insultes, tumultes, conflits, tor­tures, assas­si­nats, apos­ta­sies, tra­hi­sons, lâche­tés que l’his­toire ne prend même plus la peine de rela­ter parce qu’elle en est pleine. »
« Et, puisque vous en avez contre les clercs, son­gez à ce que fut l’é­tat de l’Église au Xe siècle. La pire époque ! Plus d’é­coles, plus d’en­sei­gne­ment ! L’ignorance est telle que les conciles (celui de Trosly : 909) se voient contraints de rame­ner les prêtres eux-​mêmes à des études si rudi­men­taires qu’on en perd le souffle. »
« Et pour­tant, Monsieur, nous ne pou­vons dou­ter que même en ces périodes épou­van­tables, le ciel eut la joie de voir des fidèles « tenir ». Authentiques conso­la­teurs du Christ dans son ago­nie. »
« « Pagaille » du Grand Schisme d’Occident. Deux papes et même trois, s’a­na­thé­ma­ti­sant l’un l’autre. « Pagaille » du « concile » de Bâle, décla­rant le pape sus­pect. « Pagaille » de peuples entiers pas­sant à l’hé­ré­sie, cler­gé en tête. « Pagaille » d’é­vêques gal­li­cans et jan­sé­nistes. »
« Pour nous qui vou­lons rendre notre patrie à son « droic­tu­rier sei­gneur » : « pagaille » du pro­cès de Jeanne d Arc. Ce fut la forte dose. Un évêque, un vice-​inquisiteur, plu­sieurs pères abbés, la fine fleur des doc­teurs de Sorbonne, fut­nous assez à ce que fut, au fond du cour de la mère de Jeanne et de tous les bons chré­tiens de Domrémy, lurs « experts », pour la plu­part, à l’in­digne concile de Bâle qui allait s’ou­vrir peu après. »
« Pensons- a ten­ta­tion de révolte ou de déses­poir (« sublime épreuve », nous dit Rahner) quand par­vint, en ces boucles de Meuse, l’an­nonce du bûcher de Rouen ? »

Faut-​il rap­pe­ler ici que le père et le frère aîné de Jeanne d’Arc en mou­rurent de cha­grin, n’o­sant plus sor­tir de chez eux sous la honte d’a­voir une fille et une sour condam­née et brû­lée vive par « l’Église » comme sor­cière et hérétique ?

« Jeanne, certes, fut réha­bi­li­tée. Pas avant tou­te­fois que le roi de France ait triom­phé [.] la diplo­ma­tie l’emportant sou­vent sur la pro­cla­ma­tion de la véri­té et de la défense de l’innocent ! »

« Et Dieu per­met cela ! Comme Il a per­mis la vie dou­lou­reuse et la cruelle pas­sion de son Fils. Toujours pour la même rai­son : sa plus grande gloire, la plus grande gloire des élus. »

« Mystère de la croix rédemp­trice. Mystère de l’Église. Mystère des épreuves innom­brables de tous les saints. Une seule et même pers­pec­tive. »
« Et c’est parce que notre concep­tion de l’Église se désur­na­tu­ra­lise, se ratio­na­lise, se veut tou­jours plus dans « le sens de l’his­toire », sens d’un mes­sia­nisme tout humain, que nous per­dons l’in­tel­li­gence et l’a­mour du mys­tère ado­rable de la sainte pas­sion de notre mère : l’Église. »

« Que faire ? »
« Ce que frirent Véronique et le Cyrénéen au pas­sage du Maître cou­vert de sang, de pous­sière, de cra­chats, de vomis­sures avi­nées (c’est l’Écriture qui le dit. Elle n’a pas peur des mots) ; la cou­ronne d’é­pines cei­gnant ses che­veux d’une glu rouge ; le visage tumé­fié ; titu­bant sous la croix ; rudoyé par la sol­da­tesque ; conspué par le peuple ; condam­né par les doc­teurs, prêtres et théo­lo­giens du temps. »
« Et donc pour nous le devoir est clair. »
« D’abord ne pas avoir peur, nous moquer des sar­casmes ; ne pas déser­ter. Fendre les rangs de la foule. Avancer réso­lu­ment vers Jésus. Rester fermes dans la foi. »

« Depuis vingt siècles que le mys­tère s’en renou­velle, com­ment serions-​nous excu­sables d’en paraître sur­pris seule­ment aujourd’­hui ? »
« Soyons prêts, et plus prompts s’il se peut que Véronique pour recon­naître, sous quelque souillure que ce soit, avec la sainte Face de notre Dieu, la sainte Face de l’Église. Qu’en gestes doux et pieux nous sachions rendre au cher visage son essen­tielle pure­té. »
« Essuyer la sainte Face, comme Véronique. Mais en pre­nant soin, comme elle, de ne pas ajou­ter à sa dou­leur. Sans l’é­cor­cher un peu plus du fait de nos colères ou de nos impa­tiences. Sans rou­vrir ses bles­sures. Encore qu’elle ait dû, pour y par­ve­nir, se frayer un pas­sage, bous­cu­ler quelques badauds, pas­ser outre à quelque inter­dic­tion légale, for­cer le cor­don des légion­naires. »
« Aider à por­ter la Croix, comme Simon. Efficacement certes. Mais sans rudesses nou­velles, sans mal­adresses, sans sur­sauts dou­lou­reux. »
« Gardons-​nous, sur­tout, de détour­ner les yeux devant l’i­gno­mi­nie du spec­tacle. Sachons recon­naître Celui… et donc Celle (l’Église) qui semblent vaciller devant nous. Malgré tant de souillures, tant d’ec­chy­moses, empê­chons qu’on oublie leur pure­té, leur sain­te­té fondamentales. »

« Heureux serons-​nous si, ayant tout sui­vi, tout vu, tout enten­du, comme le cen­tu­rion du Calvaire, nous en repar­tons pro­fes­sant plus haut et plus clair que cet homme est vrai­ment le Fils de Dieu [.] que l Église est réel­le­ment et tou­jours l’é­pouse imma­cu­lée du Christ. »
« « Nous l’a­vons mécon­nu, pro­phé­ti­sait Isaïe. Sans beau­té, sans éclat [.] mépri­sé, le der­nier des hommes, un être de dou­leur, rom­pu à la souf­france, au visage caché, sem­blable à un lépreux. » Oui, tout cela est vrai. Du Christ et aus­si de l’Église. »
« « Sa grande détresse, nous dit Bernanos (LA GRANDE PEUR…) est jus­te­ment ce trou­peau tenu, ras­sem­blé par l’ha­bi­tude ou la crainte pour qui le divin n’est plus guère qu’une sorte d’a­li­bi à sa paresse, à son hor­reur de toute lutte virile, à son goût mala­dif de subir, d’en­du­rer., d’é­prou­ver la force d’un maître. Mais qui les recueille­rait, sinon l’Église ? Elle ne sol­li­cite que les consciences, ne pré­tend régir qu’un domaine inté­rieur où ne peut avoir accès que Dieu seul, au lieu qu’un par­ti poli­tique réclame pre­miè­re­ment des gages. Ainsi voit-​on se pres­ser autour d’elle, repous­sant les saints sur le par­vis, une foule de mal­heu­reux qui n’y viennent cher­cher d’âge en âge que le repos, des hon­neurs ou des rentes, inca­pables de trou­ver ailleurs le pain de leur propre convoi­tise. Quiconque s’é­ton­ne­rait de les voir là res­sem­ble­rait aux pha­ri­siens sour­cilleux toi­sant d’un regard de dégoût le rab­bi Jésus avec son escorte de béquillards, d’a­veugles, de men­diants et pro­ba­ble­ment aus­si de simu­la­teurs. Car l’Église n’est rien moins que le pan­théon des grands hommes, mais, sous la rage de la pluie et du vent éter­nels, le refuge où la plus misé­rable espèce vient rece­voir de Dieu et de ses saints, jour après jour, de quoi sub­sis­ter, vaille que vaille, jus­qu’à l’é­ter­nel pardon. » »

« C’est là, sans nul doute, l’as­pect lépreux, sans beau­té, sans éclat décrit en maints pas­sages d’Isaïe. Mais non moins vrais, pour le Christ (et son Église) les textes sacrés qui parlent du plus beau des enfants des hommes, de vête­ments blancs comme la neige, de visage plus brillant que le soleil. »
« Église, source de sain­te­té clans la vie pri­vée. Église, source de civi­li­sa­tion, d’ordre et de paix dans la vie publique. Mère des saints, mère des vierges, mère des mar­tyrs, mère des apôtres, mère des doc­teurs, mère des moines défri­cheurs, agri­cul­teurs et bâtis­seurs, mère des libé­ra­teurs d’es­claves, mère des gué­ris­seurs de malades, mère des hôpi­taux, mère des orphe­li­nats, mère des refuges, mère des écoles, mère du res­pect de la .femme, mère de l’es­prit che­va­le­resque, mère ins­ti­tu­trice des peuples, mère des ency­clique sociales, mère pro­tec­trice des arts, mère du gré­go­rien, mère de nos basi­liques et de nos cathé­drales [.] Mère des deux Thérèse, mère de François, de Bonaventure, de Thomas, d’Ignace, de Xavier, de Vincent, etc. »

« Qui dit mieux ? »
« Mieux dans la durée ? Mieux dans l’u­ni­ver­sa­li­té des mani­fes­ta­tions ? Mieux clans la qua­li­té, l’hé­roï­ci­té de ces bien­faits ? Sont-​ce là des valeurs qu’on aban­donne, cause qu’on déserte, armée qu’on lâche… Même si, comme vous le pré­ten­dez, une cer­taine « clique » n’at­tend que l’oc­ca­sion de nous démo­lir ? Croyez-​vous que Bernanos pré­pa­rait un lâchage de l’Arche Sainte, qui pour­tant ne crai­gnit pas d’é­crire : « Une nou­velle inva­sion moder­niste com­mence. Cent ans de conces­sions, d’é­qui­voque, ont per­mis à l’a­nar­chie d’en­ta­mer le cler­gé. La cause de l’ordre ne peut plus comp­ter sur bon nombre de ces pri­maires déclas­sés. Je crois que nos fils ver­ront des « troupes » de l’Église du côté des forces de mort. Je serai fusillé par des prêtres bol­che­vicks qui auront le « Contrat Social » dans la poche et la croix sur la poitrine. » »

« Ce que Dieu n’a quand même pas per­mis, voyez-​vous. Preuve qu’il reste le Maître. Ou qu’il nous réserve tout cela ! »

« Ou qu’il nous réserve tout cela » ?

Ces paroles de Jean Ousset peuvent aujourd’­hui paraître pro­phé­tiques. Celles de Bernanos ne le sont pas moins. Soyons prêts !

« A cet égard, ce nom de « Renaudes » évo­que­rait ce qui nous attend. »
« Dieu vous écoute ! »
« Car enfin, cette « vieille Renaude », elle a tenu tête au loup toute la nuit, refu­sant de se cou­cher pour mou­rir avant le lever de l’au­rore. Est-​il sort plus enviable pour tout sol­dat du Christ qui refuse d’être « plan­qué » ? »
« Car la nuit c’est le temps des loups. Le temps où ils pro­fitent des ténèbres pour faire admettre leur dégui­se­ment de ber­gers. Le temps où, des paroles de « PAX » plein la gueule, ils avancent pour rava­ger le trou­peau. »
« La nuit, c’est le temps de la dis­per­sion des lâches ; de l’a­pla­tis­se­ment des « trem­bleurs » dont parle l’Écriture. Le temps où le mau­vais pas­teur pré­fère res­ter cou­ché, où les apôtres ont les pau­pières appe­san­ties par le som­meil. »
« Le temps de l’ac­ti­vi­té des Judas. »
« Le temps de la soli­tude du Maître. »
« Mais aus­si le temps où l’Époux se réjouit de trou­ver les vierges sages, leur lampe pleine d’huile, toutes mèches allu­mées. C’est donc la nuit, et mal­gré la nuit, qu’il importe sur­tout de « tenir » et com­battre. »
« En consé­quence, bien­heu­reuses les Renaudes qui, inébran­la­ble­ment déci­dées à lut­ter, n’ac­ceptent de se cou­cher pour mou­rir qu’a­près le lever de l’aurore. »

« Car, voyez-​vous, l’au­rore c’est de toute façon la vic­toire des Renaudes. Le terme de leur mis­sion. Parce que, même si les loups se retirent après les avoir déchi­rées, le fait est que l’au­rore est l’heure de la fuite des loups devant la lumière. L’heure où ils s’é­loignent de la ber­ge­rie. L’heure où les ber­gers, même médiocres, se réveillent. L’heure où les « lâches » reprennent cour où le trou­peau peut avan­cer sans crainte. »
« Dieu. fasse de nous de vraies « Renaudes ». Et quand son­ne­ra l’heure de nous cou­cher pour mou­rir, puissions-​nous voir du côté de l’Est, l’é­cla­tante lueur, non d’une étoile, mais cette « lumen gen­tium », ce « sol jus­ti­ciae » qui sont le Christ : aurore d’un nou­vel ordre chré­tien social sur le monde. »

« Le reste importe peu. Celui qui sème n’é­tant pas celui qui mois­sonne, rien d’a­lar­mant si les « Renaudes » dis­pa­raissent au lever du jour. »
« La gloire de l’Église ne sau­rait être une gloire humaine. Il lui faut être sainte comme mal­gré nous. »
« Oseriez-​vous dire qu’elle nous a lais­sé sans ensei­gne­ment ? Manquez-​vous d’en­cy­cliques pour y voir clair ? Les dis­cours et mes­sages pon­ti­fi­caux ne vous paraissent-​ils pas assez nets ? Allons, vos réac­tions seraient moins vio­lentes contre le pro­gres­sisme de cer­tains clercs si vous étiez moins sûr de leur mécon­nais­sance de la doc­trine de l’Église en ces matières ! »

« Alors ? Que pen­se­rait un offi­cier du sol­dat qui n’ac­cepte de faire son devoir que si per­sonne autour de lui ne « tire au flanc » ou ne déso­béit ? La déser­tion deviendrait-​elle per­mise dès que l’exemple en est don­né ? »
« Épreuve dou­lou­reuse ! Certes ! Mais qui est celle de notre espé­rance et de notre. foi en l’Église. De notre espé­rance et de notre foi en la Croix. »
« Allons, cher ami, reprenons-​nous. Et comme dit à peu près l’au­teur de l’Imitation : « Il n’est aucune rai­son sérieuse de s’ar­rê­ter Marchons ensemble. Jésus est avec nous. Par Jésus, certes, nous serons char­gés de la croix, mais il sera notre sou­tien, celui qui est notre seul chef et notre guide. Voilà que notre Roi marche devant nous. Il com­bat­tra pour nous. Suivons avec cou­rage. Que rien ne nous effraie. Soyons prêts à mou­rir géné­reu­se­ment dans cette guerre. Et ne souillons pas notre gloire de la honte d’a­voir fui la croix. » (L. III ; ch. LVI). »

« O Crux ave Spes unica ! »

Abbé Michel Koller