« […]Que ceux qui sont appelés à une telle destinée de gloire divine sachent cependant qu’ils ne peuvent prétendre à devenir les compagnons et les amis de Jésus-Christ que parce qu’ils le seront vraiment dans ses abaissements et ses humiliations.[…] »
† Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il
Cher Monsieur le Directeur, chers Confrères, bien chers pèlerins,
Les pèlerinages ne manquent pas dans la vie de notre famille de catholiques de tradition. Ainsi, dans trois semaines à peine, nous retrouverons-nous tous certainement à sillonner la Beauce, de Notre-Dame de Chartres au Sacré-Cœur de Montmartre. Etait-il bien utile d’organiser encore ce Pèlerinage au Puy, au point d’encourir peut-être le blâme de l’Imitation de Jésus-Christ :
« Souvent, on ne se sanctifie pas par de nombreux pèlerinages ? »
Il a été bien difficile de ne pas se laisser convaincre par l’enthousiasme érudit et communicatif de quelques prêtres qui connaissaient bien les lettres de noblesse exceptionnelles de ce sanctuaire et ont fini par donner le branle à cette nouvelle équipée. Bien sûr, tous les pèlerinages peuvent revendiquer de beaux titres pour en appeler à la piété des catholiques. Le Puy cependant, reçut du pape Jean XVI la faveur de jouir d’un jubilé solennel à chaque fois que se produirait cette rare coïncidence de date du 25 mars jour de l’Annonciation à Marie et de l’Incarnation de Notre-Seigneur, avec le Vendredi Saint jour de la mort de Notre-Seigneur, où s’accomplit le mystère de la Rédemption.
Les retrouvailles de ces deux mystères ne se produisent que bien rarement, la dernière fois en 1932, et je ne puis donc que remercier tous ceux qui se sont dévoués pour nous permettre, à nous aussi, de nous rendre dans d’excellentes conditions au Puy afin de gagner à notre tour cette indulgence jubilaire. Afin de vous y aider, chers pèlerins, je voudrais insister sur la signification de la rencontre de ces deux dates du 25 mars et du Vendredi Saint. Elle n’est pas fortuite. Même si nous ne pouvons parvenir à une certitude, il semble bien, d’après d’excellents auteurs et d’après une forte tradition, que la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ a bien eu lieu 33 ans, jour pour jour, après le jour de son Incarnation. Le Bon Dieu, qui ne laisse rien au hasard, spécialement dans le choix des circonstances et des moindres détails qui président à la vie de son Fils, a voulu qu’il en soit ainsi. Et nous trouvons, dans cet établissement du Jubilé du Puy une confirmation de l’importance que l’Eglise accorde aux quelques rencontres de ces deux dates qui se produisent au cours des siècles. Aussi, après avoir souligné le sens de cette correspondance de dates, je dirai combien elle éclaire la mission des prêtres et des futurs prêtres, mais également celle de tous les catholiques.
Notre-Seigneur a voulu mourir 33 ans après sa conception dans le sein de la Vierge Marie. Il n’y avait pas d’autre date que celle de sa naissance qui fut plus convenable pour le choix de celle de sa mort.
Notre-Seigneur avait une mission à réaliser sur cette terre, et il n’en avait qu’une seule : il est né pour mourir, il est né pour s’offrir lui-même en sacrifice sur la Croix. Toute sa vie s’est orientée vers ce but unique : le 25 mars, jour de son Incarnation, il commence à exister dans le sein de sa Mère comme victime et comme prêtre, et cette oblation de lui-même se poursuivra jour après jour jusqu’au 25 mars de son immolation sur la Croix où son sacrifice suprême est consommé.
Nous célébrons à une même date le premier instant où Notre-Seigneur a commencé de souffrir pour nos péchés et pour ouvrer à notre rachat, celui de l’Incarnation, et le dernier instant de cette souffrance et de son immolation terrestre.
Nous célébrons à une même date le premier instant du Sacerdoce de Notre-Seigneur, prêtre dès sa conception, et l’acte suprême de son sacerdoce qui est son sacrifice sanglant sur la Croix. A une même date, le vendredi 25 mars, le sacerdoce de la Nouvelle Alliance est inauguré dans le sein de la Vierge Marie et s’achève cette course vers l’immolation sur l’autel de la Croix..
Nous devons comprendre, mes bien chers frères, que le Mystère de l’Incarnation est tout entier orienté vers le Mystère de la Rédemption, comme la mission sacerdotale ne trouve à s’achever parfaitement que dans le sacrifice de la Croix.
De l’Incarnation à la Rédemption, d’un 25 mars à l’autre, rien ne détourne Notre-Seigneur de la mission qu’il est venu remplir. Aucune autre date ne compte ni n’a sa place. Il ne lui est pas utile d’augmenter la durée de sa vie d’un seul jour. Il avait dit lors de son incarnation :
« Voici que je viens, ô Père, pour faire votre volonté »
et il peut mourir, ce 25 mars, car il a accompli toute la volonté de Dieu et il a consommé son sacrifice. Nous pouvons rester haletants d’admiration nous autres de la terre, en revivant la correspondance de ces deux dates. Nous avons bien compris, qu’il n’est parmi nous que parce qu’il voulait mourir pour nous. Qui d’entre nous ne peut donc être saisi devant l’ampleur de la mission du Dieu qui s’est incarné et qui s’est immolé, du Dieu qui ne s’est incarné que parce qu’il voulait s’immoler ?
En cette année de grâce où se produit la fusion des deux dates, il convient aux prêtres d’abord, et à tous les catholiques ensuite, de secouer la torpeur trop facile de leurs âmes, pour que toute leur existence signifie également le mystère du 25 mars.
En 1991, notre fondateur est mort un 25 mars qui cette année-là était un Lundi Saint. Nous ne nous étonnons pas que celui qui fut choisi pour présider à la survie du sacerdoce catholique, se soit éteint en cette date prestigieuse où le sacerdoce de la Nouvelle Alliance commençait d’exister. Nous ne nous étonnons pas que Mgr Lefebvre, Athanase de la messe catholique, soit entré dans l’Eternité le jour où Notre-Seigneur a consommé le sacrifice du Calvaire. Cependant, il est mort un Lundi Saint et non, un Vendredi Saint, car il appartenait à la Fraternité, à son ouvre, de continuer le magnifique travail qu’il avait inauguré jusqu’au Vendredi Saint et ensuite jusqu’au triomphe de Pâques.
Si nous avons de nombreuses raisons de nous réjouir de la présence de tant de nos prêtres et de nos séminaristes, il y a certainement celle aussi, que nous ne pouvons comprendre ce jubilé ponot qu’en rappelant la mission sacerdotale de Notre-Seigneur et que nous nous réjouissons que la Fraternité à son tour puisse bénéficier de cette occasion.
Oui, la vie de Notre-Seigneur n’est belle et fulgurante que par cette mission unique de salut qu’Il est venu accomplir et à laquelle Il consacre tous les instants de son existence, au service de laquelle tout est soumis.
Nous avons perçu que toutes les circonstances s’inclinent, que les dates elles-mêmes se son infléchies et se retrouvent confondues parce que la mission unique s’est accomplie et que les âmes scrutatrices des mystères divins en sont toutes transportées d’amour et d’admiration.
En ce Vendredi Saint, où Notre-Seigneur accomplit sa mission attaché aux bras de la Croix, il y opère l’œuvre essentielle, bien plus haute que la Création, l’œuvre qui révèle quelque chose de la profondeur insondable, de la justice, de la pureté et de la miséricorde de Dieu, l’œuvre de Rédemption. Il y obtient une fécondité à la mesure du sacrifice auquel il consent. Voici l’arrachement d’une multitude innombrable, arrachement aux geôles du pêché qui préludaient à celles de l’Enfer. Voilà cette race nouvelle, illuminée de la grâce de Dieu qui vient changer la face de la terre. Et voilà encore cette colonne des grands imitateurs de Dieu, saints et saintes de l’Eglise qui donne la plus éblouissante démonstration de la bienfaisance du Sacrifice de la Croix.
Mais je n’aurais rien dit si je n’exprimais ce chef‑d’œuvre de la Rédemption qu’est l’Immaculée Conception, celle dont la beauté constitue le fleuron de Dieu et l’honneur inégalable de la race humaine. Or, chers confrères dans le Sacerdoce, et vous, chers futurs prêtres, notre vocation nous place au cœur de la perpétuation du sacerdoce de Notre-Seigneur et de son Sacrifice vivant ; nous sommes donc, comme Notre-Seigneur, les hommes d’une seule date.
Les prêtres, ce sont les hommes du 25 mars où commence notre mission avec l’appel d’un ange qui pour nous est notre vocation et où elle s’achève avec l’immolation de notre existence sur l’autel pour la gloire de Dieu et le salut des âmes de nos frères.
Il n’est de grandeur d’existence ici bas que par le principe d’unité qui la domine. L’homme de plusieurs missions n’est qu’une illusion. Nous autres prêtres, nous avons reçu de Dieu comme le plus somptueux des héritages, notre vocation sacerdotale. Ne nous abaissons pas à en chercher une autre, humaine, américaniste. Il s’agit de la plus belle mission, celle que le Père a choisi pour son Fils Bien-Aimé. Y a‑t-il plus bel idéal que l’on puisse concevoir et dont un cœur humain puisse rêver ? Le prêtre, élu de la droite de Dieu, autre Christ vivant sur la terre, destiné à offrir à Dieu le sacrifice de l’Autel pour donner Notre-Seigneur en nourriture à ses frères.
Voilà 2000 ans que depuis les Apôtres, les prêtres se succèdent sur la terre pour y renouveler encore et toujours le sacrifice de l’Agneau et irriguer les âmes du Sang Rédempteur. Telle est la mission Sacerdotale, telle qu’elle demeure intacte, parfaitement inchangée après 2000 ans d’autant plus nécessaire au monde qu’il s’est davantage corrompu et avili. Que ceux qui sont appelés à une telle destinée de gloire divine sachent cependant qu’ils ne peuvent prétendre à devenir les compagnons et les amis de Jésus-Christ que parce qu’ils le seront vraiment dans ses abaissements et ses humiliations.
Telle qu’elle est, parfaitement belle et terriblement exigeante, nous pensons la mission sacerdotale tellement attirante et séduisante qu’elle laisse à côté d’elle, un peu falot, un peu fadasse les meilleurs métiers d’hommes. C’est pourquoi dans une société catholique digne de ce nom, il est bon que la vocation sacerdotale, même si elle est d’abord don de Dieu, soit également l’objet des saintes convoitises et du plus haut désir des hommes. Ce n’est qu’après l’avoir admiré que les hommes qui n’y sont pas appelés peuvent ensuite songer à d’autres devoirs.
Mes bien chers frères, si le sens du jubilé du 25 mars et la présence de nos prêtres et séminaristes nous donnait comme une obligation de concentrer d’abord notre attention sur la mission sacerdotale inaugurée par Notre-Seigneur ; si nous étions également convaincus de l’importance que tous les catholiques aient une estime du sacerdoce catholique, nous voudrions maintenant nous tourner vers vous, vous tous qui vous êtes déplacés pour ce pèlerinage. Pour que ce jubilé auquel vous participez revête bien toute l’importance qu’il doit avoir et que l’ « Ite Missa est » qui conclura cette messe ne soit pas compris comme un contre-sens, comme un au revoir mais comme un ordre de mission bien net qui claque comme un drapeau, comme une vague de fond qui envahisse les âmes, les soulève et les entraîne, bien décidées dans une ferveur renouvelée.
Au premier jubilé de l’an 33, il s’en est fallu d’une parole du Christ pour que le dernier des gredins qui se trouvait attaché à la croix, à côté de lui, se trouve comme catapulté dans l’Eternité en quelques instants jusqu’au sommet de la sainteté, et jusqu’à la vision béatifique. La puissance de Dieu est toujours la même, qui fait encore à partir des stercora, des pierres précieuses.
La grâce de Dieu qui a converti Dismas, ne comprenez-vous pas comme elle est avide d’envahir vos cœurs aujourd’hui et de vous conduire à votre tour vers ces hauteurs où le Bon Dieu vous veut ? Parce que le jubilé n’est pas qu’un mot, il doit coïncider avec une victoire sur les âmes impatientes de rompre enfin avec la médiocrité pour se placer tout de bon au Service de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Mes bien chers frères, nous n’avons pas le courage de rompre avec nos médiocrités, peut être parce que nous n’avons pas suffisamment conscience de ces paysages stupéfiants de beauté auxquels nous convie Notre-Seigneur Jésus-Christ, par la puissance de la grâce de Dieu, par son cœur débordant d’amour qui réchauffe les cœurs glacés, par l’absolution des prêtres qui vous entourent et qui défait les liens du péché, par la Sainte-Eucharistie reçue dans les âmes, par la jubilation catholique communiquée par ce jubilé, il faut, il est impératif que les âmes se redressent.
Ce lieu est évidement saint qui est la patrie de Notre-Dame de France, qui attire les pèlerins depuis le plus profond des âges et qui vit partir la Première Croisade en 1095. Ce lieu est profondément français qui palpite encore du sang de Bertrand Du Guesclin, mort pour la défendre en 1380. Mais ce lieu, mes bien chers frères, est peut-être surtout celui qui illumine mystérieusement la mission de l’incarnation de l’espérance de notre pays , j’ai dit sainte Jeanne d’Arc. Qu’il est admirable cet instant où Jeanne envoyée à sa mission par les saints n’hésite pas à envoyer à son tour sa mère elle-même, qui, en 1429 vient prier ici pour sa fille et pour la mission de sa fille. Mère et fille se trouvent inséparablement unies dans la rédemption de notre pays auquel elles se sont vouées. Est-il possible qu’il y ait un cœur catholique et français qui puisse demeurer morne et flasque devant ces souvenirs chargés d’une telle espérance ? Il doit y avoir parmi vous des Isabelle Romée pour que nous soient donnés les saints et les saintes dont nous avons besoin.
Vous constatez, mes bien chers frères, qu’en tout cela il n’y a aucune place pour les sentiments stériles, pour le découragement ou pour l’amertume. Nous n’avons pas de temps à perdre, et notre mission est trop belle et trop grande pour que nous ne nous y lancions pas enfin de tout notre cœur.
Notre Dame de France nous bénit et nous encourage et nous presse de nous donner à cette œuvre de restauration du règne de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si le bon sang de France coule encore un peu dans nos veines, si notre génération ne veut pas être au milieu de toutes les autres, celle que l’on désignera du doigt parce que c’est avec elle qu’aura cessé la transmission de la foi, il importe alors d’écouter l’appel du Puy.
Ce pèlerinage ne sera pas à ajouter à la collection de ceux que vous aurez déjà parcourus. Il est un pèlerinage unique, en vue de susciter un réveil unique de notre foi. Il est marqué au coin du sceau national, mouillé du sang de Du Guesclin, inaugurateur de la mission de Jeanne. C’est à notre tour maintenant de devoir y répondre sans plus tarder. A l’heure de l’agonie de la France, de notre pays comme blessé jusqu’à la mort, ne sommes-nous pas comme les derniers survivants pour qui le mot de patrie a encore un sens, à ne pas cesser d’aimer encore notre mère patrie humiliée, ravagée, ravalée au rang des nations décadentes ? Il pèse donc sur nous une mission écrasante, mais encore plus exaltante qu’écrasante.
Cette mission est de délivrer notre sol à l’instar de Jeanne, et de la rendre au Seigneur Jésus-Christ et à Notre Dame de France. Au moment où l’Eglise agonise, où ses enfants les plus fidèles sont jetés hors de la cathédrale ou hors de la maison, ils n’ont rien d’autre à demander que l’honneur de continuer à la servir, uniquement heureux de savoir que ces sacrifices contribueront modestement à la fin de la crise terrible qu’elle connaît. Telle est notre attitude à l’avènement du nouveau Pape à qui nous souhaitons la grâce de ne pas s’émouvoir de l’hostilité qu’il semble susciter et que, au contraire, cette hostilité lui soit salutaire pour qu’il comprenne l’impossibilité de la conciliation entre l’Eglise et le monde.
Mes bien chers frères, au service de l’Eglise comme au service de la France, il nous faut donc quelques hommes d’armes, quelques Isabelle Romée, quelques Jeanne d’Arc. Alors, à toutes les âmes ici présentes, redevables au Ciel de la grâce du Jubilé, éblouies par la grandeur de l’idéal catholique, nous demandons pour la Tradition, pour le triomphe de la Tradition, une nouvelle ferveur. Mais pour que mes mots ne demeurent pas désincarnés, pieux souhaits qui s’envoleront, pour que personne ne puisse protester qu’il ne sait pas comment servir, permettez-moi d’énumérer, pour terminer, quatre pistes que je propose à votre flamme, quatre brandons :
- la fidélité à la retraite ignatienne annuelle, meilleure antidote contre la tiédeur ;
- la pratique des premiers samedis du mois, conformément au désir de Notre Dame de Fatima ;
- l’engagement dans un Tiers-Ordre ou une confrérie pour enraciner et stabiliser vos habitudes de vertu et de piété ;
- le service de la France par le combat civique et politique catholique selon la croisade des pères de famille préconisée dès 1979 par Mgr Lefèbvre.
Notre vénéré Monseigneur est né, cette année, il y a un siècle. Qu’il nous accorde à nous tous son attachement indéfectible à la foi, à la Sainte Eglise Catholique et à Rome. Qu’il agrandisse nos cœurs pour que nous puissions entendre l’appel salvateur :
« « Va, fille de Dieu, va » , qui conduisit Jeanne à se mettre en route immédiatement « car, disait-elle, je ne durerai qu’un an. Il me faut l’employer. O mon Dieu ! Vous tardez trop à m’envoyer ; il faut besogner quand Dieu veut, travailler et Dieu travaillera ! ». »
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Ainsi soit-il.
Abbé Régis de Cacqueray †