Reddition de rebelles du NPA et du MPF grâce à Acim-​Asia Rosa Mystica

1 – Mission médicale en territoire dangereux Mindanao, Philippines
2 – Reddition des rebelles du NPA grâce à Rosa Mystica

1- La mission médicale en elle-​même, par Thomas

A tra­vers la lucarne du blin­dé phi­lip­pin qui nous trans­porte, j’a­per­çois la forme lourde et mas­sive des camions mili­taires sor­tir de la jungle luxu­riante du sud-​ouest asia­tique. Des colonnes de pous­sière se dégagent, signa­lant au loin la pré­sence d’un convoi de lourds véhi­cules. Coincé sous la tou­relle du canon­nier res­pon­sable du canon de 50 mm, j’a­per­çois par la petite lucarne entrou­verte la grande et impo­sante sil­houette du vol­can qui règne sur toute l’île. Fascinant, ce vol­can est une puis­sance tran­quille qui pour­rait déchaî­ner les forces les plus vio­lentes en quelques ins­tants. De mêmes, abri­tés sur ses flancs, de nom­breux ter­ro­ristes, isla­mistes ou révo­lu­tion­naires, nour­rissent le des­sein de déchaî­ner le feu et la guerre dans tout le pays. Les mili­taires nous avaient pré­ve­nus : l’en­droit est dan­ge­reux. Sous les appa­rences enchan­te­resses d’une nature à nulle autre pareille, se cache le dan­ger, l’hos­ti­li­té. Ici, les coco­tiers, les pal­miers, les plages de sable blanc et l’eau trans­pa­rente consti­tuent le décor d’une guerre lar­vée qui rejoint la lutte inter­na­tio­nale contre le ter­ro­risme isla­miste et contre la haine. Dans cette optique, l’ar­mée phi­lip­pine orga­nise des mis­sions médi­cales pour mon­trer à tous que le sort des vil­la­geois inté­resse les auto­ri­tés : lut­ter contre le gou­ver­ne­ment, c’est lut­ter contre les médi­ca­ments que l’ar­mée dis­tri­bue. La veille, un bus a explo­sé à Manille, tuant quatre per­sonnes sur le coup. Le ter­ro­risme est pré­sent ; il impres­sionne. Oubliez-​le un ins­tant, il se rap­pelle à vous de la plus vio­lente des manières. Pensez‑y à tout ins­tant, et il indui­ra la peur dont il a tant besoin pour déve­lop­per et impo­ser son idéo­lo­gie nau­séa­bonde. Entre les deux, il y a la vie quo­ti­dienne, à Mindanao, dans le sud des Philippines.

Des ter­ri­toires dangereux

Depuis trois jours, les mili­taires phi­lip­pins mènent des mis­sions médi­cales dans le sud et l’ouest de l’île. L’association ACIM Asia est invi­tée en sou­tien. Nous y par­ti­ci­pons donc quo­ti­dien­ne­ment, mal­gré les recom­man­da­tions des gou­ver­ne­ments occi­den­taux, au vu et au su de tous les ter­ro­ristes isla­mistes ou révo­lu­tion­naires, qui savent tout le par­ti qu’il peut y avoir à enle­ver des Européens. Sur les che­mins de terre de Mindanao, les vieux camions de l’ar­mée se frayent dif­fi­ci­le­ment un pas­sage entre les nids de poule et les pierres, entre les ravins et la jungle, entre la peur et l’a­ven­ture. Composé d’une grosse dizaine d’en­gins mili­taires, de blin­dés, de camions ou de voi­tures, le cor­tège s’en­fonce tou­jours plus loin, dans des ter­ri­toires dont nous savons qu’ils sont dan­ge­reux. Pour se ras­su­rer, cer­tains comptent sur leur bonne étoile, d’autres comptent sur Dieu, d’autres encore se résignent…Chacun trouve une rai­son pour ne pas pani­quer. Et puis, il y a les mili­taires. Ne sont-​ils pas là pour nous pro­té­ger ? Ils orga­nisent la jour­née ; ils sau­ront bien nous défendre, même si beau­coup d’entre eux sont d’an­ciens révo­lu­tion­naires recru­tés par l’ar­mée pour mieux com­battre les sédi­tions sur leurs propres ter­rains. De toute part, des fusils, des canons, des revol­vers, des muni­tions côtoient les médi­ca­ments, les seringues, les anes­thé­siants et les diverses médi­ca­tions. Il est curieux de voya­ger en trans­por­tant des ins­tru­ments conçus pour tuer et d’autres faits pour soi­gner. Le para­doxe est pour moi par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tifs. Après tout, la sécu­ri­té est peut-​être la pre­mière des condi­tions d’hygiène.

Epuisés avant de commencer

Six per­sonnes d’AcimAsia par­ti­cipent à l’expédition. A côté de nous, six mili­taires phi­lip­pins veillent, l’arme au pied, le canon vers le sol pour évi­ter les acci­dents. A l’ar­rière, assis aux extré­mi­tés de chaque banc, deux mili­taires scrutent la jungle, l’arme char­gée, prêts à tirer. Le dan­ger vient de par­tout. Mais je me demande bien ce qui pour­rait empê­cher un ter­ro­riste de me tirer une balle dans le dos. A par­tir de cette épaisse lisière, ce serait une chose par­ti­cu­liè­re­ment simple. Mais je me ras­sure : mort, je ne vaux plus rien ; en vie, je suis autre­ment plus inté­res­sant. Le pari me paraît par­fai­te­ment réaliste.

Les cinq heures de voyage qui nous séparent de l’en­droit pré­vu pour la mis­sion médi­cale sont une véri­table cala­mi­té. Ces vieux camions aux bancs de bois ne sont pas de tout confort, et le dos ne reste pas insen­sible aux aspé­ri­tés du ter­rain. Au pas­sage des vil­lages, il faut nous apla­tir, ces­ser de chan­ter. Nous arri­vons usés, fati­gués, en lam­beaux avant même d’a­voir com­men­cé la mission.

L’aide des Américains

De temps à autre, nous aper­ce­vons de grosses voi­tures blanches au détour d’un virage. Ce sont des mili­taires amé­ri­cains. Ils sont là pour nous aider et pour appor­ter un sou­tien logis­tique ou médi­cal. Un bateau ravi­tailleur, à quelques miles des côtes, dis­pose de tout le néces­saire. Nul doute qu’ils prennent éga­le­ment quelques infor­ma­tions sur l’en­droit. Il paraît que l’île est une place géo­po­li­tique impor­tante, au car­re­four de grandes voies com­mer­ciales maritimes.

Certains mili­taires, équi­pés d’ap­pa­reils pho­tos ou de camé­ra, font le tour des ins­tal­la­tions, pour quelques prises de vue. La veille, concen­tré sur le den­tiste qui arra­chait une mau­vaise dent au patient dont je tenais la tête, je ne prê­tais pas vrai­ment atten­tion aux pho­tos qu’ils pre­naient. Ils sont là pour le rela­tion­nel ; sym­pa­thiques, ave­nants, les Américains nous pro­posent de venir déjeu­ner sur leur bateau et de nous y emme­ner sur leurs zodiacs. Evidemment, il faut qu’ils nous montrent de quoi sont capables ces zodiacs, à mon plus grand bon­heur. Il me semble que ces embar­ca­tions, lan­cées à pleine vitesse, effleurent tout juste la sur­face de l’eau, pro­fi­tant de la moindre vague pour décol­ler. Equipés de mitrailleuses de calibre 50 en poupe et en proue, ces zodiacs obligent les pas­sa­gers à s’ac­cro­cher soli­de­ment au bas­tin­gage pour ne pas bas­cu­ler. L’impression est gran­diose : dans un décor para­di­siaque, ces bateaux dégagent de grandes gerbes d’eau tout autour de nous, au plus grand plai­sir des spec­ta­teurs de la côte et des passagers.

Un accueil chaleureux

Nous arri­vons donc à …, l’ouest de Mindanao. Le maire nous attend visi­ble­ment avec impa­tience, tout comme les badauds. Après nous avoir ins­tal­lés, il nous pro­pose un match de bas­ket, sport natio­nal aux Philippines comme aux USA. Cela fai­sait une double rai­son pour que nous, Français, nous nous y met­tions. Alliés aux Américains, nous fîmes bonne figure. Surtout ma sœur, que tout le monde applau­dis­saient à chaque fois qu’elle fai­sait des prouesses avec la balle. Il faut avouer que les Philippins pré­fé­raient lais­ser les femmes mar­quer plu­tôt que de s’y oppo­ser, ce qui avan­ta­geait lar­ge­ment notre camp. Ils sont ain­si : ils n’osent pas s’af­fir­mer autant que les Occidentaux. Plus tard, le match ter­mi­né, nous nous repo­sons en contem­plant le magni­fique feu d’ar­ti­fice que le maire avait pré­vu pour nous. Il tenait à mettre les petits plats dans les grands.

Nous oublions un ins­tant les menaces qui pèsent sur nous pour vivre l’ins­tant pré­sent et ne se sou­cier de rien.

Le len­de­main, à la phar­ma­cie où je tra­vaille, une foule com­pacte attend de rece­voir des médi­ca­ments pres­crits par les méde­cins char­gés de faire un pre­mier contrôle. Quatre espaces struc­turent la mis­sion médi­cale : la phar­ma­cie, la salle de tri, l’es­pace réser­vé aux den­tistes, l’es­pace réser­vé aux chi­rur­giens. Ces der­niers pra­tiquent beau­coup de cir­con­ci­sions, obli­ga­toires aux Philippines pour des rai­sons d’hy­giène. Il y a beau­coup d’a­gi­ta­tion, la foule se presse pour prendre son tour. Nous sommes épui­sés par les allers-​retours que nous fai­sons à la phar­ma­cie pour réunir les médi­ca­ments néces­saires. Progressivement, les stocks s’é­puisent et nous voi­là contraints de trou­ver des sub­sti­tuts. Après tout, au fond de la jungle, enca­drés par les fusils M16 des mili­taires, il faut débrouiller avec ce que l’on a. Toutes sortes de mala­die viennent par­fois croi­ser leurs remèdes à la phar­ma­cie. Et je reste seul face à des mères de familles qui me demandent conseil parce qu’elles pensent que je suis méde­cin. Ce qui est loin d’être le cas. Impressionnés, cer­tains enfants se cachent alors que nous sommes véri­ta­ble­ment esto­ma­qués par le cou­rage de ces petits, dont l’un a vu son bec-​de-​lièvre opé­ré, l’autre les soins appli­qués sur sa jambe en par­tie brû­lée, le der­nier soi­gné pour un mal dont nous sommes bien inca­pables d’in­di­quer l’o­ri­gine, mais dont nous voyons les effets atroces. La misère du monde, que l’on voit rare­ment en France, semble s’être don­né rendez-​vous ici, aux Philippines.

Le retour

La jour­née s’a­chève tôt ; les mili­taires ne tiennent pas à res­ter trop tard. Il faut par­tir avant que la nuit ne tombe. Les infir­miers se sont affai­rés toute la jour­née, et voi­là que nous devons nous pré­ci­pi­ter pour plier bagages, aban­don­ner une par­tie des médi­ca­ments à la mai­rie et quit­ter la ville. De nou­veau, il nous faut par­cou­rir cinq heures de route dans des camions anté­di­lu­viens, sur des routes mal entre­te­nues. Personne ne parle ; nous sommes trop fati­gués pour cela. Nous subis­sons la pous­sière déga­gée par le camion, la pluie qui tombe bru­ta­le­ment, le manque d’es­pace, les com­pres­sions diverses et les chocs de la route sans rechigner.

Ce n’est que plus tard que nous mesu­rons le véri­table dan­ger que nous cou­rions. Les orga­ni­sa­teurs ont fini par expli­quer que les groupes ter­ro­ristes avaient bien repé­ré qu’il y avait des Européens blancs au sein du per­son­nel infir­mier. Des menaces avaient été pro­fé­rées. Peu de temps plus tard, les Américains iront jus­qu’à refu­ser de prendre un verre du côté de Lagao, à General Santos City, ville d’a­dop­tion d’ACIM Asia. A quoi peut-​on s’en tenir ? A‑t-​on échap­pé à l’Apocalypse ? Les ter­ro­ristes ont-​ils eu peur des mili­taires ? Ont-​ils pré­fé­ré lais­ser les habi­tants se faire soi­gner ? Dans quelle mesure avons-​nous pré­fé­ré igno­rer le dan­ger ? Nous ne le sau­rons pro­ba­ble­ment jamais. Deux semaines plus tard, les mili­taires refu­saient notre par­ti­ci­pa­tion à une nou­velle mis­sion médi­cale. Le dan­ger avait cer­tai­ne­ment été excessif.

Thomas

2 – Histoire d’une reddition – Acim Asia : Les semeurs de paix, par Théodore Mahieu

S’il vous était expli­qué tout de go que l’Association Catholique des Infirmières et Médecins en Asie a per­mis de mettre fin aux acti­vi­tés d’un groupe ter­ro­riste phi­lip­pin, le plus vieux au monde, sans nul doute vous pen­se­rez que ce n’est que van­tar­dise. Au pire ce groupe fai­sait la mouche du coche et au mieux la gre­nouille qui veut se faire aus­si grosse que le bœuf. Et pour­tant, telle est la réa­li­té. Les pho­tos jointes à cette incroyable his­toire sont des témoi­gnages his­to­riques impres­sion­nants et indis­cu­tables. L’histoire de base est simple. Les Philippins vivent au jour le jour. Ils ont du mal à faire la syn­thèse entre le pas­sé, ce qu’ils vivent et ses impli­ca­tions. Une telle annonce, méri­tait de savoir où, pour­quoi et com­ment. Nous sommes entrés en contact avec une des infir­mières de la per­ma­nence AcimAsia de Général Santos, Sherryl Ocampo, afin d’avoir les expli­ca­tions néces­saires. D’autres infor­ma­tions d’intérêt majeur ont été don­nées par le Dr. Dickès qui a sui­vi ces évènements.

Théodore Mahieu. : Docteur vous avez sui­vi cette incroyable affaire. AcimAsia s’est trou­vée au cœur de la réd­di­tion du NPA, groupe ter­ro­riste redou­table d’obédience com­mu­niste et pré­sen­té comme la plus ancienne rébel­lion au monde. Qu’en est-il ?
Jean-​Pierre Dickès : Si vous avez sui­vi un peu nos acti­vi­tés, vous devez savoir que toutes les mis­sions de Rosa Mystica étaient enca­drées par l’armée, la police, voire les deux. Tout sim­ple­ment parce qu’il existe en per­ma­nence un ter­ro­risme qui néces­site le main­tien d’un force armée de 1 mil­lion 300.000 hommes, soit pro­por­tion­nel­le­ment cinq fois plus que la France. Pourtant les « rebelles » comme on les appelle ici, ont réus­si le 7 novembre 2007, à mettre une bombe dans le Parlement, tuant deux per­sonnes dont un dépu­té et bles­sant gra­ve­ment dix autres. Les morts impu­tables au ter­ro­risme se comptent par cen­taines chaque année. Et plu­sieurs régions sont stric­te­ment inter­dites aux tou­ristes par notre Ministère de l’Intérieur. Or notre per­ma­nence de General Santos est dans une de ces zones.

TM : Qui sont ces terroristes ?
JPD : En dehors du grand ban­di­tisme clas­sique, ce ter­ro­risme relève de deux groupes prin­ci­paux. Le MILF, Mouvement isla­miste de libé­ra­tion ; le « F » ne signi­fie pas « de la femme », mais des Filipinos, forme espa­gnole du mot Philippines. Il est à géo­mé­trie variable et signe régu­liè­re­ment avec le gou­ver­ne­ment de Philippines des accords de paix. Il veut faire de l’île de Mindanao (deux cin­quième du ter­ri­toire) le centre d’un grand sul­ta­nat allant de la Malaisie à l’Indonésie. C’est le bang­sa­mo­ro ou la terre des Maures. Nous avons failli nous jeter dans la gueule du loup, quand en 2008 leurs pré­ten­tions avaient été reje­tées par le Conseil Constitutionnel, pré­ci­sé­ment lors de notre arri­vée sur le ter­rain. Cette révolte avait été matée au prix du dépla­ce­ment d’un mil­lion et demi de vil­la­geois. A la limite du ban­di­tisme, il se laisse faci­le­ment ache­ter. En revanche, le NPA (New poeple Army), fon­dé en 1969, est d’obédience com­mu­niste maoïste, mar­xiste léni­niste. Il a la dent très dure. Il est res­pon­sable de 40.000 morts. Wikipedia nous annonce qu’à ce jour aucun accord n’a jamais pu être conclu avec lui. Or c’est pré­ci­sé­ment à ce stade qu’est inter­ve­nue AcimAsia. Il a connu un déclin impor­tant avec la chute du com­mu­nisme. Ce sont les élé­ments les plus radi­caux qui sont res­tés. Ils sévissent au nord de Manille pré­ci­sé­ment dans le baran­gay (pro­vince) de Tanay où se sont tenues les mis­sions Rosa Mystica 2009 et 2010 ; à Mindanao au baran­gay de Sarangani où est notre per­ma­nence et à celui de Minguindanao et dans le sul­ta­nat de Kudarat.

TM : Que fait l’armée précisément ?
JPD : Plusieurs plans d’éradications ont été menés par les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs. Il faut com­prendre que c’est un objec­tif dif­fi­cile. Les ter­ro­ristes sont sou­vent des vil­la­geois qui viennent se mettre un temps au ser­vice de la rébel­lion ; puis retournent au vil­lage, puis repartent. Il s’ensuit lors d’opérations mili­taires, des dom­mages col­la­té­raux impor­tants ; ceux-​ci sont bien objec­ti­vés par les termes des com­mu­ni­qués de l’armée sti­pu­lant que des « sup­po­sés ter­ro­ristes » ont été abat­tus ici où là. Telle est la guerre révo­lu­tion­naire clas­sique. Sans par­ler des bom­bar­de­ments effec­tués par l’aviation amé­ri­caine. Le gou­ver­neur de Davao deuxième ville des Philippines se situant à Mindanao , un dénom­mé Dutertre – un nom bien de chez nous- a lan­cé la Makabayan peace cara­van ou cara­vane de la paix sur le thème « Le Christ est la paix ». Etonnant ? Non : rap­pe­lons que 85 % de la popu­la­tion est catho­lique. L’idée était que l’armée au lieu d’avoir un rôle répres­sif, se devait avant tout d’aider les popu­la­tions et se mettre à la dis­po­si­tion des œuvres huma­ni­taires. Mais elle n’avait guère de moyens en hommes et en médi­ca­ments. Exception faite des den­tistes mili­taires omni­pré­sents : en effet le seul trai­te­ment envi­sa­geable dans ce cadre est l’extraction den­taire. Bref, telle était la rai­son pour laquelle la force armée accom­pa­gnait, pro­té­geait les mis­sions pou­vant appor­ter les soins.

TM : Comment se situe l’ACIM dans ce cadre ?
JPD : Au com­men­ce­ment l’armée nous pro­té­geait ; puis elle nous a aidés. Il y a deux casernes à Général Santos. Celles des 33ème et 73ème bataillons d’infanterie. Puis elle orga­ni­sait elle-​même les inter­ven­tions. Des sym­pa­thies et des ami­tiés solides se sont créées avec les mili­taires, notam­ment les Américains. C’est dans ce cadre que m’arrive un bref mes­sage d’une de nos infir­mières, Sherryl Ocampo, que je connais bien car depuis 2008 elle était mon assis­tante et mon inter­prète taga­log ver­sus anglais. C’est une fille très intel­li­gente et fine, toute menue, très gaie. « Les rebelles s’étaient ren­dus à l’armée parce qu’ils consta­taient qu’elle était très effi­cace ; et ceci en rai­son des moyens mis à dis­po­si­tion par les mis­sions médi­cales. » J’ai cru que c’était une blague. Elle disant que c’était une « infor­ma­tion exclu­sive », un scoop en fran­glais.

TM : Que s’est-il pas­sé exac­te­ment à la mission ?
Sherryl Ocampo : Si vous regar­dez la carte que j’ai éta­blie des mul­tiples mis­sions médi­cales effec­tuées depuis 2007 par l’Acim (voir CSR 101), vous ver­rez que nos lieux d’interventions sont extrê­me­ment nom­breux aux quatre coins de l’archipel. Nous sommes inter­ve­nus dans deux sites pyg­mées, à l’île de Leyte et sur les pentes du Pinatubo au nord de Manille. De mul­tiples inter­ven­tions dans les zones inon­dées par les typhons, dans des vil­lages très pauvres, dans les pri­sons de General Santos, dans les hôpi­taux et mou­roirs de la région, les écoles, facul­tés etc. En 2008 et 2009 nous avons soi­gné plus de 6000 per­sonnes lors des opé­ra­tions Rosa Mystica. Ceci autour de Tanay dans l’île de Luzon, à 60 km de Manille dans une région infes­tée de rebelles du NPA. C’est dans cette région qu’ont com­men­cé les pre­mières défec­tions dans les rangs des ter­ro­ristes. Il faut dire qu’ils avaient tués plu­sieurs cen­taines de per­sonnes les deux années pré­cé­dentes. Sans comp­ter les enlè­ve­ments. Or mal­heu­reu­se­ment, nous connais­sons de gros pro­blèmes finan­ciers. La géné­ro­si­té des Français avait mal­heu­reu­se­ment dimi­nué dans des pro­por­tions impor­tantes. Nous avons dû lâcher cer­tains points comme celui des orphe­lins qui mour­raient de faim près de Sampaloc. Nous nous sommes recen­trés sur notre per­ma­nence, à Géneral Santos île de Mindanao. L’armée nous pro­po­sait de l’accompagner et de nous pro­té­ger. Mais c’était dan­ge­reux. Il n’y avait que nous pour « mon­ter au cré­neau » de la « cara­vane ». Les pro­tes­tants qui font beau­coup de bruit en ville ne se sont pas mobi­li­sés. Nous avons mul­ti­plié les mis­sions. Nous avons une cin­quan­taine de très belles attes­ta­tions faites par les muni­ci­pa­li­tés. Aux Philippines, nous aimons bien ce genre de papier. Mais dans les vil­lages il n’y a rien per­met­tant de les rédi­ger. Nous esti­mons à près de 150 toutes les mis­sions effec­tuées. Nous avons en dos­sier 12.000 per­sonnes en dos­siers infor­ma­tiques –sans comp­ter les endroits où il n’y a pas d’électricité- . Nous avons un sta­tut offi­ciel d’association recon­nue par le gou­ver­ne­ment depuis juin 2009. Et depuis trois mois nous menons presque tous les jours des mis­sions avec les mili­taires dans les baran­gays qui nous entourent. Essentiellement en pays musul­mans. Il va de soi que les catho­liques dis­per­sés dans les vil­lages sont heu­reux comme tout quand ils nous voient. Nous ras­sem­blons le vil­lage et nous par­lons de la paix en langue taga­log ou en visayas.

TM : Ces mis­sions vous semblent-​elles dangereuses ?
Sherryl : Bien sûr. Nous le savons. D’ailleurs, les mili­taires sont là pour nous le rap­pe­ler. Départs de nuit. Interdiction de chan­ter. Dans cer­tains vil­lages il faut se cacher au fond des camions. Ne jamais pas­ser par le même endroit. Nous sommes accueillis dans des mai­sons plus ou moins for­ti­fiées à l’ombre des mina­rets. Deux gardes à la porte. En cas d’alerte, nous ne devons pas ouvrir les portes d’entrée et filer nous cacher dans la jungle. C’est sur­tout pour les euro­péens que les mili­taires avaient peur. Quand nous avons com­men­cé il y a six mois, il y avait trois Françaises et une Suisse. C’est à par­tir de ce moment-​là que les rebelles ont com­men­cé à se rendre. Mais quinze jours avant la red­di­tion des chefs, le lieu­te­nant Rommel est venu nous dire qu’il fal­lait arrê­ter les mis­sions car nous avions été repérés.


La red­di­tion des chefs rebelles du NPA et du MPF 

TM : Comment avez-​vous su que vous aviez joué un rôle dans ces redditions ?
Sherryl : Le 7 février, notre ami le Lieutenant Nestor Valenzuela du 33ème bataillon, est arri­vé à la per­ma­nence. J’étais seule avec une recrue récente de la mis­sion nom­mée July, une amie à moi. Il nous a deman­dé de venir avec lui à la caserne. Il nous expli­qua que les der­niers chefs de rebelles s’étaient ren­dus. Que le géné­ral en chef de l’armée des Philippines Arturo Ortiz vou­lait féli­ci­ter les sol­dats ain­si que nous-​mêmes. Il y aurait aus­si le Lt. Rommel du 73ème bataillon deve­nu aus­si notre ami.

TM : Que s’est-il pas­sé alors ?
Sherryl : Le géné­ral est arri­vé avec un héli­co­ptère de com­bat. Il était en treillis. July a été char­gée de lui mettre au cou un ruban d’accueil : j’étais trop petite pour le faire. Tous les offi­ciers étaient ran­gés devant la caserne sous un gigan­tesque cali­cot repré­sen­tant le géné­ral. C’est une habi­tude d’accueil en Asie. Les chefs rebelles ras­sem­blés au fond de la pièce d’accueil avaient dépo­sé leurs der­nières armes sur une table ; nous étions entou­rés de petites gre­nades et de mines. Ils se dis­po­sèrent à droite. A gauche une ran­gée de soldats.

Les rebelles expli­quèrent qu’ils étaient las­sés de la guerre. La vie dans la jungle était dif­fi­cile notam­ment à cause des mala­dies. Et quand ils reve­naient dans leur vil­lage par inter­mit­tence, il leur était expli­qué que l’armée était pas­sée, que des volon­taires avaient soi­gné le vil­lage entier ; par­fois appor­té du riz et des fruits. Il leur était dit que l’armée n’était pas méchante, bien au contraire. Et que dans de telles condi­tions leur lutte était deve­nue inutile. Le géné­ral prit alors la parole pour dire que sans la mis­sion médi­cale de l’ACIM, la red­di­tion des rebelles n’aurait pas était pos­sible. Avec gran­deur il salua les pri­son­niers. Leur dit qu’ils étaient libres et que le gou­ver­neur leur don­ne­rait du tra­vail. Les sol­dats incli­nèrent leur tête pour rendre hom­mage à leur enne­mi vain­cu. Une belle histoire.

T.M. : Ainsi vous pen­sez avoir été direc­te­ment les res­pon­sables de ce suc­cès de la paix ?
Sherryl : Oui bien sûr ! D’abord nous étions les deux seuls civils à assis­ter à cette céré­mo­nie et être hono­rés. Nous avons des attes­ta­tions des deux bataillons avec les­quels nous avons mené les mis­sions médi­cales. L’un deux se ter­mine ain­si : Le 33ème bataillon d’Infanterie de Makabayan, la pre­mière divi­sion Tabak d’Infanterie, l’armée phi­lip­pine recon­nait et a appré­cié le rôle vital de l’Organisation Non Gouvernementale AcimAsia dans les efforts de construc­tion de la paix dans les pro­vinces du Sultanat de Kudurat et Minguindanao au tra­vers d’une orga­ni­sa­tion médi­cale et le sup­port pro­fes­sion­nel et logis­tique appor­té par de nom­breuses mis­sions qui ont abou­ti à la red­di­tion des mili­tants. Le tout dans le cadre du pro­jet ban­nière inti­tu­lé « La cara­vane de paix de Makabayan ».Pour le reste il suf­fit de regar­der les pho­tos que j’ai pu faire.

TM : Que diriez-​vous pour conclure ?
Sherryl : Nous ne nous consi­dé­rons pas comme des héros. Partout nous avons été bien accueillis. Les volon­taires venus de France ont été très appré­ciés. Les catho­liques phi­lip­pins se sont mon­trés par­ti­cu­liè­re­ment recon­nais­sants : étant mino­ri­taires dans ces baran­gays, ils se rendent compte que nous ne les oublions pas. Ils sont aux avant-​postes de la chré­tien­té et ont eu leur part de mar­tyres. Simplement nous espé­rons qu’AcimFrance et les Français conti­nuent à sou­te­nir cette œuvre de misé­ri­corde. Elle apporte tel­le­ment de grâces.

Théodore MAHIEU


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ACIM-Asia / Rosa Mystica

Association d'aide médicale aux Philippines