6e Opération – Les derniers feux de Rosa Mystica 2012

Reportage n° 6
Les derniers feux de Rosa Mystica 2012


Nous étions atten­dus avec tel­le­ment de gentillesse

Mission accom­plie. Nous avons atteint de nou­veau les 3 550 consul­ta­tions connues en 2010. L’an der­nier, Manille était inon­dée et beau­coup de patients étaient res­tés chez eux faute de moyens de com­mu­ni­ca­tion : nous n’avions vu que 2 800 per­sonnes. Les condi­tions cette année ont été opti­males. Aide de l’administration du baran­gay (arron­dis­se­ment) de Mariana, l’armée tou­jours : nous avons même retrou­vé une paire d’anciens de l’année der­nière. Le prieu­ré de la Fraternité s’est trans­for­mé en ruche. Nous avons retrou­vé la famille de l’enfant bap­ti­sé lors de la mis­sion il y a un an. La grand-​mère de ce der­nier ain­si que la maman du trans­genre mort lors de la mis­sion 2011 sont deve­nues des parois­siennes fidèles.

Reste une bombe à retar­de­ment. Cette année nous avons béné­fi­cié d’un labo­ra­toire tra­vaillant dans un bâti­ment fai­sant par­tie du gym­nase où se dérou­lait toute une par­tie de l’activité médi­cale notam­ment des pédiatres. Mais aus­si d’une radio­lo­gie ins­tal­lée dans le bureau de la direc­trice de l’école atte­nante à la cour cen­trale mise à notre dis­po­si­tion par l’administration. Gilbert Dichard, Marie Hutié et moi-​même – un pour tous et tous pour un- étions à trois méde­cins fran­çais : piliers des consul­ta­tions, char­gés de la lec­ture des élec­tro­car­dio­grammes, de la radio­lo­gie et de la petite chi­rur­gie. Il faut com­prendre que faire une infil­tra­tion à une femme vivant de la les­sive et atteinte d’un syn­drome du canal car­pien cau­sé par sa pro­fes­sion lui per­met de gué­rir et de conti­nuer à faire vivre toute sa famille. Mais tous les volon­taires se retrou­vèrent dans une seule et même foi : ils furent exemplaires.

La tuberculose omniprésente

Les résul­tats de la radio­gra­phie se trou­vaient déca­lés dans le temps. Un cer­tain nombre cli­chés ne sont arri­vées que le lun­di sui­vant. C’est avec épou­vante que nous avons eu en main 38 diag­nos­tics de tuber­cu­lose sur cin­quante radios. 18 enfants dont des bébés étaient concer­nés. L’équipe phi­lip­pine débrouillarde comme pas deux va prendre le relai et chaque cas sera trai­té indi­vi­duel­le­ment par rap­pel des familles. Par le gou­ver­ne­ment nous avions eu des quan­ti­tés consi­dé­rables de kits sous blis­ter com­por­tant trois ou quatre anti­bio­tiques à prendre en une fois par jour. Pour ces patients-​là nous sommes tran­quilles. En revanche, nous avons une angoisse qui nous reste vrillée au cœur.

Car cela veut dire que depuis cinq ans, faute de moyens pra­tiques, nous sommes pas­sés à côté de ce diag­nos­tic concer­nant cer­tai­ne­ment plu­sieurs dizaines de per­sonnes qui pensent peut-​être que nous n’avons fait que par­tiel­le­ment notre tra­vail. Tel est hélas le ter­rible lot de la méde­cine huma­ni­taire. Que sont deve­nues les 18 femmes néces­si­tant une inter­ven­tion pour des goitres com­pres­sifs vus à Sampaloc autour de l’église en construc­tion et squat­tée par nous en 2007 et 2009 ? Une véri­table méde­cine de guerre durant laquelle il avait fal­lu choi­sir par­mi ceux qui allaient en mourir.

Un grand motif de satisfaction

Ce ter­ri­fiant dilemme nous a été adou­ci par le fait qu’AcimAsia, dans notre per­ma­nence de General Santos a tel­le­ment fait pour la région qu’une sorte de concor­dat a été signé avec l’hôpital de cette ville. Par un invrai­sem­blable de sys­tème de troc avec des aides en hommes et en médi­ca­ments, nos patients de cette ville seront pris en charge gra­tui­te­ment pour les inter­ven­tions chi­rur­gi­cales. Une sorte de clin d’œil de la Providence à des filles comme Mathilde Rigolot qui a pas­sé qua­si­ment quatre mois dans le mou­roir de la ville pour visi­ter les mou­rants, fai­sant appel bien sûr à l’aide spi­ri­tuelle des prêtres récon­for­tant par les sacre­ments ceux et celles qui ren­daient leur âme à Dieu.

Certains de nos lec­teurs des Cahiers Saint Raphaël se désa­bonnent car ils trouvent que nous par­lons de choses tristes. C’est notre tris­tesse mais aus­si notre hon­neur devant Dieu. Nous avons fait ce que nous pou­vions avec les moyens que nous ont offert géné­reu­se­ment nos dona­teurs par­ti­ci­pant aux œuvres de misé­ri­corde en accep­tant de se pri­ver d’autres choses. A tous ceux-​là nous n’osons même pas dire « mer­ci ». Car c’est le Juge Suprême qui les remer­cie­ra sur terre ou dans l’Eternité.

Il y eut d’autres temps fort. A la demande de parois­siens une expé­di­tion a été menée conjoin­te­ment à Bulacan, un vil­lage proche de Manille. Mais aus­si et sur­tout, la maman du jeune trans­genre a emme­né une équipe sous la direc­tion spi­ri­tuelle de l’abbé Castel aumô­nier dans le bidon­ville de Marikina. C’est un endroit consi­dé­ré comme dan­ge­reux où per­sonne ne s’aventure. L’accueil de la popu­la­tion y a été abso­lu­ment pathé­tique. Le prêtre allait de mai­son en mai­son pour bénir les habi­tants et pour les confesser.

A l’Etat-Major

Ont par­ti­ci­pé à cette mis­sion 78 volon­taires. Par ordre de repré­sen­ta­tion : Philippines, France, Corée du Sud, Amérique du Nord, Singapour, Irlande, Suisse, Belgique, Canada, Malaisie. Les Oblates et les Béthaniennes étaient au nombre de huit.

L’armée était omni­pré­sente par une dizaine de sol­dats et des véhi­cules. En fin de mis­sion, nous avons été invi­tés à nous pré­sen­ter à l’Etat- Major de l’armée (voir pho­to ci-​dessus). Ce qui nous a per­mis de le remer­cier pour l’aide constante qu’il nous a four­nie depuis 2007. Le colo­nel Francisco Papayo s’est réjoui de faire notre connais­sance et a renou­ve­lé sa pro­po­si­tion de ser­vice. A noter à l’entrée du camp lui-​même une grande sta­tue de l’archange saint Michel ain­si qu’un magni­fique che­min de croix…Nous sommes loin de la laï­ci­té « à la française ».

L’or perdu de Cagayan

Le same­di matin, nous par­tions en avion à quatre à Cagayan de Oro dans l’île de Mindanao. Ce nom vient du proto-​polynésien Kagay-​an qui signi­fie « la terre de la rivière ». Les Espagnols du XVIème y avaient ins­tal­lé des orpailleurs. Il en est tou­jours de manière illé­gale dans un des affluents appe­lé Iponan. Ceux qui en vivent peuvent espé­rer un gain quo­ti­dien de 350 pesos, soit un peu plus de six euros ; un pou­voir d’achat pra­tique de 25 euros per­met­tant aux inté­res­sés de faire vivre cor­rec­te­ment leur famille.

Cette ville d’un mil­lion d’habitants est sur­tout connue pour ses éta­blis­se­ments d’enseignement. En 2004, j’avais eu à faire dans de bonnes condi­tions une confé­rence de bioé­thique à l’Université du lieu. Ceci avait per­mis de ren­con­trer un pro­fes­seur de bioé­thique le Dr Woo qui vou­lait aider la Tradition. Effectivement, deux mois plus tard, un centre de messe était ins­tal­lé. Un deuxième centre s’ouvrit à une cen­taine de kilo­mètres de là. Puis un troi­sième dans l’île fai­sant face à la ville ; ceci grâce à un prêtre dio­cé­sain le Father Hora venu rejoindre la Fraternité Saint Pie X. Les rai­sons de ce prêtre sont très simples : il a été scan­da­li­sé par la manière dont était dis­tri­buée la com­mu­nion lors du voyage du pape en 1995.

Le grand drame

Le 16 décembre huit jours après une pro­ces­sion maçon­nique en ville, le typhon Washi appe­lé ici Sendong s’abattait sur la ville. 30 000 per­sonnes vont perdre la vie ou dis­pa­raître ; soit trois fois plus que lors du tsu­na­mi du Japon. Brutalement un tor­rent d’eau et de boue mêlé de pierres vol­ca­niques va défer­ler de la mon­tagne vers la ville empor­tant toutes les mai­sons construites le long du fleuve. Certes la pluie avait lit­té­ra­le­ment noyé la région. Il appa­raît rétros­pec­ti­ve­ment que ce drame épou­van­table ait été lié à deux fac­teurs conjoints.

Des coupes d’arbres faites illé­ga­le­ment avaient été effec­tuées dans la mon­tagne ; et les troncs jetés au fil de l’eau d’un affluent du Cagayan afin de les faire déva­ler à des endroits où ils étaient récu­pé­rables. L’ensemble avait fini par faire une sorte de bar­rage qui avait cédé. Conjointement devant l’afflux des eaux le bar­rage pro­té­geant la ville mena­çait de cra­quer. L’administration déci­da de l’ouvrir sans pré­ve­nir la population.

Le miracle de Jal

Il se pré­sente que les rives du fleuve Cagayan aux méandres si doux sont pro­prié­té du ter­ri­toire natio­nal. De nom­breux sans-​logis s’y étaient ins­tal­lés dans des mai­sons de for­tune. Ceci sur une lon­gueur de quinze kilo­mètres. La vague de boue venant de la mon­tagne empor­tait tout : les mai­sons, les hommes et même les bovins des riches pâtu­rages entou­rant la ville. J’ai racon­té dans une pré­cé­dente paru­tion de la Porte Latine l’effroyable his­toire de Jal. Vers minuit, en lais­sant pendre son bras du lit elle sen­tit de l’eau froide. Il y avait avec elle dans sa mai­son sa tante, un enfant de 8 ans, et une amie. Le flot mon­tant, tous se réfu­gièrent sur la table, puis y empi­lèrent des chaises qui flot­taient. Le groupe va se trou­ver coin­cé à trente cen­ti­mètre du toit. Dehors c’était les hur­le­ments des per­sonnes appe­lant au secours, des enfants qui se noyaient. Brutalement le mur de la mai­son explo­sa pro­ba­ble­ment sous l’effet d’une voi­ture qui déri­vait. La porte fut vio­lem­ment arra­chée. Jal et sa tante qui savaient nager se rac­cro­chèrent au cham­branle avec l’enfant et l’autre per­sonne accro­chés à leurs épaules. Une lutte inhu­maine de quatre heures durant laquelle il fal­lait essayer de se main­te­nir en nageant. Brutalement le niveau bais­sa. Tous quatre s’écroulèrent sur les lits pleins de boue. Quand ils se réveillèrent, ils sor­tirent. Un effroyable spec­tacle s’offrit à eux. Les 17 mai­sons entou­rant la leur avaient disparu.

Tous leurs habi­tants étaient morts. Il fal­lut des jours pour déga­ger un cer­tain nombre de cadavres (cer­tains coin­cés dans leur pla­fond) qui furent allon­gés dans la rue. Jal res­ta durant deux semaines dans un état de stu­peur, inca­pable de par­ler, de reprendre ses esprits.

Une installation précaire

Quand le drame de Cagayan fut connu, les infir­mières d’AcimAsia me sup­plièrent de pou­voir par­tir avec le stock de médi­ca­ments de Général Santos et celui de Manille. Une grave déci­sion était à prendre : il avait été ras­sem­blé pour la mis­sion de février laquelle se trou­vait mena­cée de ce fait. Faisant confiance à la Providence, je don­nais mon accord.


L’abbé Pfeiffer en pleine prédication ! 

Un groupe par­tit de Davao sous la direc­tion de l’abbé Tim Pfeiffer et l’autre de la per­ma­nence de General Santos. Dans la cohue des asso­cia­tions huma­ni­taires qui arri­vaient, il était dif­fi­cile de se faire une place. Finalement à la demande d’une parente de Jal, un ter­rain de bas­ket sera inves­ti à Balugang dans l’immédiate ban­lieue. Un han­gar sera prê­té. Dans un pre­mier temps une femme méde­cin alle­mande ayant tra­vaillé avec l’équipe de Magali Burguburu il y a trois ans lors du typhon Ketsana vint s’occuper de la par­tie médi­cale. Mais la pre­mière besogne aura été de don­ner des bou­teilles d’eau miné­rale, du riz, des vête­ments, puis de net­toyer le coin de toute la boue. Un des parois­siens était mort ; il fal­lu aider ceux d’entre eux dont les mai­sons avaient été détruites en par­tie ou totalement.

Un tra­vail exem­plaire. Pendant ce temps l’abbé fai­sait son trou dans la boue. Il ras­sem­blait les enfants pour le caté­chisme. La messe se dérou­lait entre deux aca­cias. Puis vint en ren­fort le Dr Woo, cette une vieille connais­sance de 2004 qui assu­rait une per­ma­nence médi­cale trois fois par semaine. La sta­bi­li­té du groupe inci­tait à créer un deuxième centre médi­cal de l’ACIM. Ce pour quoi nous prîmes l’avion de Manille vers Cagayan de Oro.

Rencontre avec Jal

Photo de gauche : Jal

A notre arri­vée à l’aéroport le soir, un groupe de parois­siens était venu nous accueillir avec un magni­fique cali­cot. Le len­de­main dimanche, la messe était dite par l’abbé Couture. Etrange endroit : une cha­pelle sous un préau situé en haut d’un groupe de mai­son. La pié­té des 200 fidèles ras­sem­blés était impres­sion­nante. Un groupe d’entre eux avaient abso­lu­ment tenu à se confes­ser si bien que toute une par­tie de l’assistance vint com­mu­nier alors que la messe était ter­mi­née. Emouvant. L’accueil des fidèles sera en tout égard excep­tion­nel. Nous étions trois en plus de l’abbé : moi-​même, mon épouse et Delphine Grouhel. Un accueil fas­tueux de gens encore sous le choc.

Le dimanche soir, nous ren­con­trions Jal. Il s’agit d’une infir­mière d’AcimAsia de 28 ans. Un visage très fin, et une sta­ture expli­quant sans doute com­ment elle avait pu lut­ter de cette manière contre le tor­rent de boue. Elle venait de revoir sa mai­son pour la pre­mière fois : il nous fal­lait res­pec­ter sa peine. Elle nous confir­ma son récit et ajou­ta pour­quoi elle avait pu sur­vivre. La veille au soir, après avoir lu un livre sur Fatima, par une ins­pi­ra­tion pro­vi­den­tielle, elle s’était mise autour du cou une petite chaîne avec une très grosse médaille mira­cu­leuse qu’elle nous mon­tra. Pendant son long com­bat de quatre heures, elle réci­ta conti­nuel­le­ment les mys­tères dou­lou­reux du cha­pe­let, ce qui lui ren­dait des forces à chaque fois qu’elle allait se lais­ser aller dans le cou­rant. Des larmes nous vinrent aux yeux quand elle ajou­ta qu’elle avait prié en répa­ra­tion des offenses faites au Cœur Immaculé de Marie. Alors que la mort la pres­sait, elle pen­sait à conso­ler Notre Dame.

Nous prîmes toute la mesure du cata­clysme en domi­nant de la mon­tagne le lit du fleuve. En pra­tique sur des kilo­mètres, à la place des mai­sons, il n’y avait plus que de la boue. Laquelle d’ailleurs se trou­vait répan­due un peu par­tout dans les rues ou sous les coco­tiers. De vagues tentes en bâches bleues cachait la misère des réfu­giés. Des camps entiers avaient été orga­ni­sés dans d’autres endroits.

Un deuxième dispensaire

Puis nous avons ren­con­tré le Dr Woo. Il fut déci­dé de créer un deuxième dis­pen­saire per­ma­nent de l’ACIM avec Jal et une autre infir­mière du nom de Margaret, elle-​même nièce de l’abbé Hora. L’abbé Pfeiffer avait dépo­sé le stock de médi­ca­ments dans une grande mai­son domi­nant le ter­rain de bas­ket. Le pro­prié­taire, un notable, expli­qua que 80 per­sonnes avaient eu la vie sauve en se réfu­giant en des­sous du toit de sa mai­son. Il nous reçut fort bien. Le prêtre déci­da de mon­ter au plus vite un ora­toire avec un mémo­rial por­tant les noms des per­sonnes mortes ou dis­pa­rues de l’urbanisation. Dans un ave­nir rap­pro­ché nous espé­rons que la messe pour­ra y être célé­brée régu­liè­re­ment. Le notable assu­ra qu’il y avait-​là un ser­vice ren­du à la popu­la­tion qui y était très sensible.

C’est ain­si que le pro­jet d’un deuxième dis­pen­saire Acim est désor­mais au point. Les frais se rédui­ront à l’achat de médi­ca­ments. Mais notre secré­taire Yolly Gamutan avec son insé­pa­rable Sherryl Ocampo dite Bibi sont imbat­tables pour extor­quer des médi­ca­ments aux labo­ra­toires. Et conjoin­te­ment, un deuxième lieu de messe de la Fraternité Saint Pie X est né à Cagayan de Oro. Ceci pour le plus grand bien des âmes et des corps.

Nous remer­cions de tout cœur les nom­breux dona­teurs sans les­quels nous n’aurions rien pu faire au nom de la Gloire de Dieu.

Dr Jean-​Pierre Dickès


Pour aider la Mission Acim Asia 2012

Les dons pour ACIM ASIA doivent être envoyés au : 

Dr Jean-​Pierre Dickès
2, route d’Equihen
62360 St-Etienne-du-Mont

Il est rap­pe­lé que la tota­li­té des dons est envoyé à la mis­sion sans pré­lè­ve­ment de quelque nature que ce soit. D’autant qu’ACIM France prend en charge inté­gra­le­ment le fonctionnement
de sa petite sœur d’Asie. Tous les volon­taires sont les bien­ve­nus tout au long de l’année.

ACIM-Asia / Rosa Mystica

Association d'aide médicale aux Philippines