TRP Dom Forgeot, TRP Dom Louis-​Marie et Christophe Geffroy

« Le Figaro » du 13 juillet 2007
Par TRP Dom Antoine Forgeot, Abbé de Notre-​Dame de Fontgombault,
TRP Dom Louis-​Marie, Abbé de Sainte-​Madeleine du Barroux,
Christophe Geffroy
, Directeur de la Nef.

Pourquoi Benoît XVI a‑t-​il publié un Motu pro­prio libé­ra­li­sant l’u­sage du mis­sel tri­den­tin ? Il en donne lui-​même la rai­son dans sa lettre aux évêques : « Il s’a­git de par­ve­nir à une récon­ci­lia­tion interne au sein de l’Église. » Ce fai­sant, il ne vise pas prio­ri­tai­re­ment les prêtres et fidèles qui ont sui­vi Mgr Lefebvre dans sa rup­ture avec le Siège romain en 1988. Il vise plus géné­ra­le­ment la paix litur­gique et il incite aus­si à célé­brer fidè­le­ment selon les pres­crip­tions le nou­veau missel.

Il serait en effet absurde de se voi­ler la face comme s’il n’y avait eu aucun pro­blème litur­gique depuis la réforme de 1970, comme si les fidèles atta­chés aux anciennes formes litur­giques n’é­taient que de vieux retar­da­taires inca­pables de s’a­dap­ter à une litur­gie plus moderne. Si tel avait été le cas, il n’y aurait pas autant de jeunes atta­chés à cette litur­gie ancienne répu­tée incom­pré­hen­sible, mais qui, trans­met­tant ce qui est avant tout un mys­tère, parle le lan­gage de l’âme acces­sible même à ceux qui ignorent le latin. Pour Benoît XVI, il n’y a ni « rup­ture » ni « contra­dic­tion » entre les deux mis­sels : « L’histoire de la litur­gie est faite de crois­sance et de pro­grès, jamais de rup­ture », écrit-​il dans sa lettre aux évêques.

C’est contre l’es­prit de la « table rase », contraire à la notion même de tra­di­tion si chère à l’Église, que s’é­lève le Pape. Et c’est pré­ci­sé­ment parce qu’il n’y a pas de rup­ture que Benoît XVI peut affir­mer en toute cré­di­bi­li­té que la per­ma­nence de l’an­cien mis­sel ne signi­fie en aucune façon une quel­conque remise en cause de l’au­to­ri­té du concile Vatican II et de la réforme litur­gique du pape Paul VI. Nous pou­vons témoi­gner que l’im­mense majo­ri­té des prêtres et fidèles qui sont atta­chés à l’an­cien mis­sel en pleine com­mu­nion avec l’Église – par­ti­cu­liè­re­ment chez les jeunes qui n’ont connu ni Vatican II ni la réforme de 1970 -, recon­naissent sans l’ombre d’un doute cette autorité.

Dans sa lettre aux évêques, le Saint-​Père répond à une autre crainte expri­mée par les évêques consul­tés : « Qu’une plus large pos­si­bi­li­té d’u­ti­li­ser le mis­sel de 1962 puisse por­ter à des désordres, voire à des frac­tures dans les com­mu­nau­tés parois­siales. » Benoît XVI ne juge pas cette crainte fon­dée. L’expérience montre que dans tous les dio­cèses où le Motu pro­prio Ecclesia Dei de 1988 a été appli­qué « géné­reu­se­ment » comme Jean-​Paul II le deman­dait, il n’y a eu ni désordres ni divi­sions. Et plus l’ac­cueil a été géné­reux, plus l’in­té­gra­tion dans la vie du dio­cèse a été facile. Des cas de dis­sen­sion se sont mani­fes­tés là où la demande des fidèles a été ignorée.

Sans doute ce nou­veau Motu pro­prio – acte dont on mesu­re­ra l’im­por­tance dans quelques années – occasionnera-​t-​il ici ou là d’i­né­vi­tables ten­sions. Il n’en demeure pas moins fon­da­men­ta­le­ment un appel pres­sant à la paix, à la recon­nais­sance de l’autre dans ses dif­fé­rences légitimes.

Là encore, le Pape nous y invite for­te­ment : « Les deux formes d’u­sage du rite romain peuvent s’en­ri­chir réci­pro­que­ment. » Certes, le Motu pro­prio marque une recon­nais­sance bien­ve­nue pour un mis­sel « jamais abro­gé ». Les efforts atten­dus de com­mu­nion, néan­moins, ne peuvent être à sens unique. Si les catho­liques atta­chés aux anciennes formes litur­giques sont enfin recon­nus comme des membres de l’Église à part entière, ils doivent eux-​mêmes chas­ser tout esprit de cha­pelle et s’en­ga­ger sans com­plexe dans la vie des diocèses.

Pour qu’une paix soit pro­fonde, il faut que cha­cun fasse, sans arrière-​pensées un pas vers l’autre. La paix litur­gique retrou­vée, les catho­liques pour­ront mieux unir leurs efforts pour ce qui est la prio­ri­té pre­mière de l’Église aujourd’­hui : la nou­velle évangélisation.

Toucher les cœurs de ces foules immenses qui ignorent com­bien Dieu les aime – et l’ex­pé­rience montre que la litur­gie tra­di­tion­nelle a une dimen­sion mis­sion­naire auprès de cer­taines âmes.

Dans cette tâche immense, les deux formes litur­giques du rite romain ont cha­cune un rôle confor­mé­ment à la parole du Christ : « Il y a des demeures nom­breuses dans la mai­son de mon Père » (Jean, 14, 2).

Le FIGARO daté du ven­dre­di 13 juillet 2007