Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

4 octobre 1903

Lettre encyclique E Supremi Apostolatus

Sur la charge du Souverain Pontife

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 4 octobre de l’an­née 1903

Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le siège apos­to­lique.
À nos véné­rables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

PIE X, PAPE
Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Au moment de vous adres­ser pour la pre­mière fois la parole du haut de cette chaire apos­to­lique où Nous avons été éle­vé par un impé­né­trable conseil de Dieu, il est inutile de vous rap­pe­ler avec quelles larmes et quelles ardentes prières Nous Nous sommes effor­cé de détour­ner de Nous la charge si lourde du Pontificat suprême. Il Nous semble pou­voir, mal­gré la dis­pro­por­tion des mérites, Nous appro­prier les plaintes de saint Anselme, quand, en dépit de ses oppo­si­tions et de ses répu­gnances, il se vit contraint d’ac­cep­ter l’hon­neur de l’épiscopat.

Les témoi­gnages de tris­tesse qu’il don­na alors, Nous pou­vons les pro­duire à Notre tour, pour mon­trer dans quelles dis­po­si­tions d’âme et de volon­té Nous avons accep­té la mis­sion si redou­table de pas­teur du trou­peau de Jésus-​Christ. Les larmes de mes yeux m’en sont témoins, écrivait-​il [1], ain­si que les cris, et pour ain­si dire les rugis­se­ments que pous­sait mon cœur dans son angoisse pro­fonde. Ils furent tels que je ne me sou­viens pas d’en avoir lais­sé échap­per de sem­blables en aucune dou­leur avant le jour où cette cala­mi­té de l’ar­che­vê­ché de Cantorbéry vint fondre sur moi. Ils n’ont pu l’i­gno­rer, ceux qui, ce jour-​là, virent de près mon visage. Plus sem­blable à un cadavre qu’à un homme vivant, j’é­tais pâle de conster­na­tion et de dou­leur. À cette élec­tion, ou plu­tôt à cette vio­lence, j’ai résis­té jus­qu’i­ci, je le dis en véri­té, autant qu’il m’a été pos­sible. Mais main­te­nant, bon gré mal gré, me voi­ci contraint de recon­naître de plus en plus clai­re­ment que les des­seins de Dieu sont contraires à mes efforts, de telle sorte que nul moyen ne me reste d’y échap­per. Vaincu moins par la vio­lence des hommes que par celle de Dieu, contre qui nulle pru­dence ne sau­rait pré­va­loir, après avoir fait tous les efforts en mon pou­voir pour que ce calice s’é­loigne de moi sans que je le boive, je ne vois d’autre déter­mi­na­tion à prendre que celle de renon­cer à mon sens propre, à ma volon­té, et de m’en remettre entiè­re­ment au juge­ment et à la volon­té de Dieu.

Certes, Nous non plus ne man­quions pas de nom­breux et sérieux motifs de Nous déro­ber au far­deau. Sans comp­ter que, en rai­son de Notre peti­tesse, Nous ne pou­vions à aucun titre Nous esti­mer digne des hon­neurs du Pontificat, com­ment ne pas Nous sen­tir pro­fon­dé­ment ému en Nous voyant choi­si pour suc­cé­der à celui qui, durant les vingt-​six ans, ou peu s’en faut, qu’il gou­ver­na l’Église avec une sagesse consom­mée, fit paraître une telle vigueur d’es­prit et de si insignes ver­tus, qu’il s’im­po­sa à l’ad­mi­ra­tion des adver­saires eux-​mêmes et, par l’é­clat de ses œuvres, immor­ta­li­sa sa mémoire ?

En outre, et pour pas­ser sous silence bien d’autres rai­sons, Nous éprou­vions une sorte de ter­reur à consi­dé­rer les condi­tions funestes de l’hu­ma­ni­té à l’heure pré­sente. Peut-​on igno­rer la mala­die si pro­fonde et si grave qui tra­vaille, en ce moment bien plus que par le pas­sé, la socié­té humaine, et qui, s’ag­gra­vant de jour en jour et la ron­geant jus­qu’aux moelles, l’en­traîne à sa ruine ? Cette mala­die, Vénérables Frères, vous la connais­sez, c’est, à l’é­gard de Dieu, l’a­ban­don et l’a­po­sta­sie ; et rien sans nul doute qui mène plus sûre­ment à la ruine, selon cette parole du pro­phète : Voici que ceux qui s’é­loignent de vous péri­ront [2]. À un si grand mal Nous com­pre­nions qu’il Nous appar­te­nait, en ver­tu de la charge pon­ti­fi­cale à Nous confiée, de por­ter remède ; Nous esti­mions, qu’à Nous s’a­dres­sait cet ordre de Dieu : Voici qu’au­jourd’­hui je t’é­ta­blis sur les nations et les royaumes pour arra­cher et pour détruire, pour édi­fier et pour plan­ter [3] ; mais plei­ne­ment conscient de Notre fai­blesse, Nous redou­tions d’as­su­mer une œuvre héris­sée de tant de dif­fi­cul­tés, et qui pour­tant n’ad­met pas de délais.

Cependant, puis­qu’il a plu à Dieu d’é­le­ver Notre bas­sesse jus­qu’à cette plé­ni­tude de puis­sance, Nous pui­sons cou­rage en Celui qui nous conforte ; et met­tant la main à l’œuvre, sou­te­nu de la force divine, Nous décla­rons que Notre but unique dans l’exer­cice du suprême Pontificat est de tout res­tau­rer dans le Christ [4] afin que le Christ soit tout et en tout [5].

Il s’en trou­ve­ra sans doute qui, appli­quant aux choses divines la courte mesure des choses humaines, cher­che­ront à scru­ter Nos pen­sées intimes et à les tour­ner à leurs vues ter­restres et à leurs inté­rêts de parti.

Pour cou­per court à ces vaines ten­ta­tives, Nous affir­mons en toute véri­té que Nous ne vou­lons être et que, avec le secours divin, Nous ne serons rien autre, au milieu des socié­tés humaines, que le ministre du Dieu qui Nous a revê­tu de son auto­ri­té. Ses inté­rêts sont Nos inté­rêts ; leur consa­crer Nos forces et Notre vie, telle est Notre réso­lu­tion inébran­lable. C’est pour­quoi, si l’on Nous demande une devise tra­dui­sant le fond même de Notre âme, Nous ne don­ne­rons jamais que celle-​ci : Restaurer toutes choses dans le Christ.

Voulant donc entre­prendre et pour­suivre cette grande œuvre, Vénérables Frères, ce qui redouble Notre ardeur, c’est la cer­ti­tude que vous Nous y serez de vaillants auxi­liaires. Si nous en dou­tions, Nous sem­ble­rions vous tenir, et bien à tort, pour mal infor­més, ou indif­fé­rents, en face de la guerre impie qui a été sou­le­vée et qui va se pour­sui­vant presque par­tout contre Dieu. De nos jours, il n’est que trop vrai, les nations ont fré­mi et les peuples ont médi­té des pro­jets insen­sés [6] contre leur Créateur ; et presque com­mun est deve­nu ce cri de ses enne­mis : Retirez-​vous de nous [7]. De là, en la plu­part, un rejet total de tout res­pect de Dieu. De là des habi­tudes de vie, tant pri­vée que publique, où nul compte n’est tenu de sa sou­ve­rai­ne­té. Bien plus, il n’est effort ni arti­fice que l’on ne mette en œuvre pour abo­lir entiè­re­ment son sou­ve­nir et jus­qu’à sa notion.

Qui pèse ces choses a droit de craindre qu’une telle per­ver­sion des esprits ne soit le com­men­ce­ment des maux annon­cés pour la fin des temps, et comme leur prise de contact avec la terre, et que véri­ta­ble­ment le fils de per­di­tion dont parle l’Apôtre [8] n’ait déjà fait son avè­ne­ment par­mi nous. Si grande est l’au­dace et si grande la rage avec les­quelles on se rue par­tout à l’at­taque de la reli­gion, on bat en brèche les dogmes de la foi, on tend d’un effort obs­ti­né à anéan­tir tout rap­port de l’homme avec la Divinité ! En revanche, et c’est là, au dire du même Apôtre, le carac­tère propre de l’Antéchrist, l’homme, avec une témé­ri­té sans nom, a usur­pé la place du Créateur en s’é­le­vant au-​dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu. C’est à tel point que, impuis­sant à éteindre com­plè­te­ment en soi la notion, de Dieu, il secoue cepen­dant le joug de sa majes­té, et se dédie à lui-​même le monde visible en guise de temple, où il pré­tend rece­voir les ado­ra­tions de ses sem­blables. Il siège dans le temple de Dieu, où il se montre comme s’il était Dieu lui-​même [9].

Quelle sera l’is­sue de ce com­bat livré à Dieu par de faibles mor­tels, nul esprit sen­sé ne le peut mettre en doute. Il est loi­sible assu­ré­ment, à l’homme qui veut abu­ser de sa liber­té, de vio­ler les droits et l’au­to­ri­té suprême du Créateur ; mais au Créateur reste tou­jours la vic­toire. Et ce n’est pas encore assez dire : la ruine plane de plus près sur l’homme jus­te­ment quand il se dresse plus auda­cieux dans l’es­poir du triomphe. C’est de quoi Dieu lui-​même nous aver­tit dans les Saintes Écritures. Il ferme les yeux, disent-​elles, sur les péchés des hommes [10], comme oublieux de sa puis­sance et de sa majes­té ; mais bien­tôt, après ce sem­blant de recul, se réveillant ain­si qu’un homme dont l’i­vresse a gran­di la force [11], il brise la tête de ses enne­mis [12], afin que tous sachent que le roi de toute la terre, c’est Dieu [13], et que les peuples com­prennent qu’ils ne sont que des hommes [14].

Tout cela, Vénérables Frères, nous le tenons d’une foi cer­taine et nous l’at­ten­dons. Mais cette confiance ne nous dis­pense pas, pour ce qui dépend de nous, de hâter l’œuvre divine, non seule­ment par une prière per­sé­vé­rante : Levez-​vous, Seigneur, et ne per­met­tez pas que l’homme se pré­vale de sa force [15], mais encore, et c’est ce qui importe le plus, par la parole et par les œuvres, au grand jour, en affir­mant et en reven­di­quant pour Dieu la plé­ni­tude de son domaine sur les hommes et sur toute créa­ture, de sorte que ses droits et son pou­voir de com­man­der soient recon­nus par tous avec véné­ra­tion et pra­ti­que­ment respectés.

Accomplir ces devoirs, n’est pas seule­ment obéir aux lois de la nature, c’est tra­vailler aus­si à l’a­van­tage du genre humain. Qui pour­rait, en effet, Vénérables Frères, ne pas sen­tir son âme sai­sie de crainte et de tris­tesse à voir la plu­part des hommes, tan­dis qu’on exalte par ailleurs et à juste titre les pro­grès de la civi­li­sa­tion, se déchaî­ner avec un tel achar­ne­ment les uns contre les autres, qu’on dirait un com­bat de tous contre tous ? Sans doute, le désir de la paix est dans tous les cœurs, et il n’est per­sonne qui ne l’ap­pelle de tous ses vœux. Mais cette paix, insen­sé qui la cherche en dehors de Dieu ; car, chas­ser Dieu, c’est ban­nir la jus­tice ; et, la jus­tice écar­tée, toute espé­rance de paix devient une chi­mère. La paix est l’œuvre de la jus­tice [16]. Il en est, et en grand nombre, Nous ne l’i­gno­rons pas, qui, pous­sés par l’a­mour de la paix, c’est-​à-​dire de la tran­quilli­té de l’ordre, s’as­so­cient et se groupent pour for­mer ce qu’ils appellent le par­ti de l’ordre. Hélas ! vaines espé­rances, peines per­dues ! De par­tis d’ordre capables de réta­blir la tran­quilli­té au milieu de la per­tur­ba­tion des choses, il n’y en a qu’un : le par­ti de Dieu. C’est donc celui-​là qu’il nous faut pro­mou­voir ; c’est à lui qu’il nous faut ame­ner le plus d’adhé­rents pos­sible, pour peu que nous ayons à cœur la sécu­ri­té publique.

Toutefois, Vénérables Frères, ce retour des nations au res­pect de la majes­té et de la sou­ve­rai­ne­té divine, quelques efforts que nous fas­sions d’ailleurs pour le réa­li­ser, n’ad­vien­dra que par Jésus-​Christ. L’Apôtre, en effet, nous aver­tit que per­sonne ne peut poser d’autre fon­de­ment que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus [17]. C’est lui seul que le Père a sanc­ti­fié et envoyé dans ce monde [18], splen­deur du Père et figure de sa sub­stance [19], vrai Dieu et vrai homme, sans lequel nul ne peut connaître Dieu comme il faut, car per­sonne n’a connu le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura vou­lu le révé­ler [20].

D’où il suit que tout res­tau­rer dans le Christ et rame­ner les hommes à l’o­béis­sance divine sont une seule et même chose. Et c’est pour­quoi le but vers lequel doivent conver­ger tous nos efforts, c’est de rame­ner le genre humain à l’empire du Christ. Cela fait, l’homme se trou­ve­ra, par là même, rame­né à Dieu. Non pas, voulons-​Nous dire, un Dieu inerte et insou­cieux des choses humaines, comme les maté­ria­listes l’ont for­gé dans leurs folles rêve­ries, mais un Dieu vivant et vrai, en trois per­sonnes dans l’u­ni­té de nature, auteur du monde, éten­dant à toute chose son infi­nie pro­vi­dence, enfin légis­la­teur très juste qui punit les cou­pables et assure aux ver­tus leur récompense.

Or, où est la voie qui nous donne accès auprès de Jésus-​Christ ? Elle est sous nos yeux : c’est l’Église. Saint Jean Chrysostome nous le dit avec rai­son : L’Église est ton espé­rance, l’Église est ton salut, l’Église est ton refuge [21].

C’est pour cela que le Christ l’a éta­blie, après l’a­voir acquise au prix de son sang, pour cela qu’il lui a confié sa doc­trine et les pré­ceptes de sa loi, lui pro­di­guant en même temps les tré­sors de la grâce divine pour la sanc­ti­fi­ca­tion et le salut des hommes.

Vous voyez donc, Vénérables Frères, quelle œuvre nous est confiée à Nous et à vous. Il s’a­git de rame­ner les socié­tés humaines, éga­rées loin de la sagesse du Christ, à l’o­béis­sance de l’Église ; l’Église, à son tour, les sou­met­tra au Christ, et le Christ à Dieu. Que s’il Nous est don­né, par la grâce divine, d’ac­com­plir cette œuvre, Nous aurons la joie de voir l’i­ni­qui­té faire place à la jus­tice, et Nous serons heu­reux d’en­tendre une grande voix disant du haut des cieux : Maintenant c’est le salut, et la ver­tu, et le royaume de notre Dieu et la puis­sance de son Christ [22].

Toutefois, pour que le résul­tat réponde à Nos vœux, il faut, par tous les moyens et au prix de tous les efforts, déra­ci­ner entiè­re­ment cette mons­trueuse et détes­table ini­qui­té propre au temps où nous vivons et par laquelle l’homme se sub­sti­tue à Dieu ; réta­blir dans leur ancienne digni­té les lois très saintes et les conseils de l’Évangile ; pro­cla­mer hau­te­ment les véri­tés ensei­gnées par l’Église sur la sain­te­té du mariage, sur l’é­du­ca­tion de l’en­fance, sur la pos­ses­sion et l’u­sage des biens tem­po­rels, sur les devoirs de ceux qui admi­nistrent la chose publique ; réta­blir enfin le juste équi­libre entre les diverses classes de la socié­té selon les lois et les ins­ti­tu­tions chrétiennes.

Tels sont les prin­cipes que, Pour obéir à la divine volon­té, Nous Nous pro­po­sons d’ap­pli­quer durant tout le cours de Notre Pontificat et avec toute l’éner­gie de Notre âme.

Votre rôle, à vous, Vénérables Frères, sera de Nous secon­der par votre sain­te­té, votre science, votre expé­rience, et sur­tout votre zèle pour la gloire de Dieu, ne visant à rien autre qu’à for­mer en tous Jésus-​Christ [23].

Quels moyens convient-​il d’employer pour atteindre un but si éle­vé ? Il semble super­flu de les indi­quer, tant ils se pré­sentent d’eux-​mêmes à l’es­prit. Que vos pre­miers soins soient de for­mer le Christ dans ceux qui, par le devoir de leur voca­tion, sont des­ti­nés à le for­mer dans les autres. Nous vou­lons par­ler des prêtres, Vénérables Frères. Car tous ceux qui sont hono­rés du sacer­doce doivent savoir qu’ils ont, par­mi les peuples avec les­quels Ils vivent, la même mis­sion que Paul attes­tait avoir reçue quand il pro­non­çait ces tendres paroles : Mes petits enfants, que j’en­gendre de nou­veau jus­qu’à ce que le Christ se forme en vous [24]. Or, com­ment pourront-​ils accom­plir un tel devoir, s’ils ne sont d’a­bord eux-​mêmes revê­tus du Christ ? et revê­tus jus­qu’à pou­voir dire avec l’Apôtre : Je vis, non plus moi, mais le Christ vit en moi [25]. Pour moi, le Christ est ma vie [26]. Aussi, quoique tous les fidèles doivent aspi­rer à l’é­tat d’homme par­fait à la mesure de l’âge de la plé­ni­tude du Christ [27], cette obli­ga­tion appar­tient prin­ci­pa­le­ment à celui qui exerce le minis­tère sacer­do­tal. Il est appe­lé pour cela un autre Christ ; non seule­ment parce qu’il par­ti­cipe au pou­voir de Jésus-​Christ, mais parce qu’il doit imi­ter ses œuvres et par là repro­duire en soi son image.

S’il en est ain­si, Vénérables Frères, com­bien grande ne doit pas être votre sol­li­ci­tude pour for­mer le cler­gé à la sain­te­té ! II n’est affaire qui ne doive céder le pas à celle-​ci. Et la consé­quence, c’est que le meilleur et le prin­ci­pal de votre zèle doit se por­ter sur vos Séminaires, pour y intro­duire un tel ordre et leur assu­rer un tel gou­ver­ne­ment, qu’on y voie fleu­rir, côte à côte l’in­té­gri­té de l’en­sei­gne­ment et la sain­te­té des mœurs. Faites du Séminaire les délices de votre cœur, et ne négli­gez rien de tout ce que le Concile de Trente a pres­crit dans sa haute sagesse pour garan­tir la pros­pé­ri­té de cette ins­ti­tu­tion. Quand le temps sera venu de pro­mou­voir les jeunes can­di­dats aux saints Ordres, ah ! n’ou­bliez pas ce qu’é­cri­vait saint Paul à Timothée : N’impose pré­ci­pi­tam­ment les mains à per­sonne [28] ; vous per­sua­dant bien que, le plus sou­vent, tels seront ceux que vous admet­trez au sacer­doce, et tels seront aus­si dans la suite les fidèles confiés à leur sol­li­ci­tude. Ne regar­dez donc aucun Intérêt par­ti­cu­lier, de quelque nature qu’il soit ; mais ayez uni­que­ment en vue Dieu, l’Église, le bon­heur éter­nel des âmes, afin d’é­vi­ter, comme nous en aver­tit l’Apôtre, de par­ti­ci­per aux péchés d’au­trui [29].

D’ailleurs, que les nou­veaux prêtres, qui sortent du Séminaire, n’é­chappent pas pour cela aux sol­li­ci­tudes de votre zèle. Pressez-​les Nous vous le recom­man­dons du plus pro­fond de Notre âme, pressez-​les sou­vent sur votre cœur, qui doit brû­ler d’un feu céleste ; réchauffez-​les, enflammez-​les, afin qu’ils n’as­pirent plus qu’à Dieu et à la conquête des âmes. Quant à Nous, Vénérables Frères, Nous veille­rons avec le plus grand soin à ce que les membres du cler­gé ne se laissent point sur­prendre aux manœuvres insi­dieuses d’une cer­taine science nou­velle qui se pare du masque de la véri­té et où l’on ne res­pire pas le par­fum de Jésus-​Christ ; science men­teuse qui, à la faveur d’ar­gu­ments fal­la­cieux et per­fides, s’ef­force de frayer le che­min aux erreurs du ratio­na­lisme ou du semi-​rationalisme, et contre laquelle l’Apôtre aver­tis­sait déjà son cher Timothée de se pré­mu­nir lors­qu’il lui écri­vait : Garde le dépôt, évi­tant les nou­veau­tés pro­fanes dans le lan­gage, aus­si bien que les objec­tions d’une science fausse, dont les par­ti­sans avec toutes leurs pro­messes ont défailli dans la foi [30]. Ce n’est pas à dire que Nous ne jugions ces jeunes prêtres dignes d’é­loges, qui se consacrent à d’u­tiles études dans toutes les branches de la science, et se pré­parent ain­si à mieux défendre la véri­té et à réfu­ter plus vic­to­rieu­se­ment les calom­nies des enne­mis de la foi. Nous ne pou­vons néan­moins le dis­si­mu­ler, et Nous le décla­rons même très ouver­te­ment, Nos pré­fé­rences sont et seront tou­jours pour ceux qui, sans négli­ger les sciences ecclé­sias­tiques et pro­fanes, se vouent plus par­ti­cu­liè­re­ment au bien des âmes dans l’exer­cice des divers minis­tères qui siéent au prêtre ani­mé de zèle pour l’hon­neur divin.

C’est pour Notre cœur une grande tris­tesse et une conti­nuelle dou­leur [31] de consta­ter qu’on peut appli­quer à nos jours cette plainte de Jérémie : Les enfants ont deman­dé du pain et il n’y avait per­sonne pour le leur rompre [32]. Il n’en manque pas, en effet, dans le cler­gé, qui, cédant à des goûts per­son­nels, dépensent leur acti­vi­té en des choses d’une uti­li­té plus appa­rente que réelle ; tan­dis que moins nom­breux peut-​être sont ceux qui, à l’exemple du Christ, prennent pour eux-​mêmes les paroles du Prophète : L’esprit du Seigneur m’a don­né l’onc­tion, il m’a envoyé évan­gé­li­ser les pauvres, gué­rir ceux qui ont le cœur bri­sé, annon­cer aux cap­tifs la déli­vrance et la lumière aux aveugles [33]. Et pour­tant, il n’é­chappe à per­sonne, puisque l’homme a pour guide la rai­son et la liber­té, que le prin­ci­pal moyen de rendre à Dieu son empire sur les âmes, c’est l’en­sei­gne­ment religieux.

Combien sont hos­tiles à Jésus-​Christ, prennent en hor­reur l’Église et l’Évangile, bien plus par igno­rance que par malice, et dont on pour­rait dire : Ils blas­phèment tout ce qu’ils ignorent [34] ! État d’âme que l’on constate non seule­ment dans le peuple et au sein des classes les plus humbles que leur condi­tion même rend plus acces­sibles à l’er­reur, mais jusque dans les classes éle­vées et chez ceux-​là mêmes qui pos­sèdent, par ailleurs, une ins­truc­tion peu com­mune. De là, en beau­coup, le dépé­ris­se­ment de la foi ; car il ne faut pas admettre que ce soient les pro­grès de la science qui l’é­touffent ; c’est bien plu­tôt l’i­gno­rance ; tel­le­ment que là où l’i­gno­rance est plus grande, là aus­si l’in­cré­du­li­té fait de plus grands ravages. C’est pour cela que le Christ a don­né aux apôtres ce pré­cepte : Allez et ensei­gnez toutes les nations [35].

Mais pour que ce zèle à ensei­gner pro­duise les fruits qu’on en espère et serve à for­mer en tous le Christ, rien n’est plus effi­cace que la cha­ri­té ; gra­vons cela for­te­ment dans notre mémoire, ô Vénérables Frères, car le Seigneur n’est pas dans la com­mo­tion [36]. En vain espérerait-​on atti­rer les âmes à Dieu par un zèle empreint d’a­mer­tume ; repro­cher dure­ment les erreurs et reprendre les vices avec âpre­té cause très sou­vent plus de dom­mage que de pro­fit. Il est vrai que l’Apôtre, exhor­tant Timothée, lui disait : Accuse, sup­plie, reprends, mais il ajou­tait : en toute patience [37]. Rien de plus conforme aux exemples que Jésus-​Christ nous a laissés.

C’est lui qui nous adresse cette invi­ta­tion : Venez à moi, vous tous qui souf­frez et qui gémis­sez sous le far­deau, et je vous sou­la­ge­rai [38]. Et, dans sa pen­sée, ces infirmes et ces oppri­més n’é­taient autres que les esclaves de l’er­reur et du péché. Quelle man­sué­tude, en effet, dans ce divin Maître ! Quelle ten­dresse, quelle com­pas­sion envers tous les mal­heu­reux ! Son divin Cœur nous est admi­ra­ble­ment dépeint par Isaïe dans ces termes : Je pose­rai sur lui mon esprit, il ne contes­te­ra point et n’é­lè­ve­ra point la voix : jamais il n’a­chè­ve­ra le roseau demi-​brisé et n’é­tein­dra la mèche encore fumante [39].

Cette cha­ri­té patiente et bénigne [40] devra aller au-​devant de ceux-​là mêmes qui sont nos adver­saires et nos per­sé­cu­teurs. Ils nous mau­dissent, ain­si le pro­cla­mait saint Paul, et nous bénis­sons ; ils nous per­sé­cutent, et nous sup­por­tons ; ils nous blas­phèment, et nous prions [41]. Peut-​être après tout se montrent-​ils pires qu’ils ne sont. Le contact avec les autres, les pré­ju­gés, l’in­fluence des doc­trines et des exemples, enfin le res­pect humain, conseiller funeste, les ont enga­gés dans le par­ti de l’im­pié­té ; mais au fond leur volon­té n’est pas aus­si dépra­vée qu’ils se plaisent à le faire croire. Pourquoi n’espérerions-​nous pas que la flamme de la Charité dis­sipe enfin les ténèbres de leur âme et y fasse régner, avec la lumière, la paix de Dieu ? Plus d’une fois le fruit de notre tra­vail se fera peut-​être attendre ; mais la cha­ri­té ne se lasse pas, per­sua­dée que Dieu mesure ses récom­penses non pas aux résul­tats mais à la bonne volonté.

Cependant, Vénérables Frères, ce n’est nul­le­ment Notre pen­sée que, dans cette œuvre si ardue de la réno­va­tion des peuples par le Christ, vous res­tiez, vous et votre cler­gé, sans auxi­liaires. Nous savons que Dieu a recom­man­dé à cha­cun le soin de son pro­chain [42]. Ce ne sont donc pas seule­ment les hommes revê­tus du sacer­doce, mais tous les fidèles sans excep­tion qui doivent se dévouer aux inté­rêts de Dieu et des âmes : non pas, certes, cha­cun au gré de ses vues et de ses ten­dances, mais tou­jours sous la direc­tion et selon la volon­té des évêques, car le droit de com­man­der, d’en­sei­gner, de diri­ger n’ap­par­tient dans l’Église à per­sonne autre qu’à vous, éta­blis par l’Esprit-​Saint pour régir l’Église de Dieu [43].

S’associer entre catho­liques dans des buts divers, mais tou­jours pour le bien de la reli­gion, est chose qui, depuis long­temps, a méri­té l’ap­pro­ba­tion et les béné­dic­tions de Nos pré­dé­ces­seurs. Nous non plus, Nous n’hé­si­tons pas à louer une si belle œuvre, et Nous dési­rons vive­ment qu’elle se répande et fleu­risse par­tout, dans les villes comme dans les cam­pagnes. Mais, en même temps, Nous enten­dons que ces asso­cia­tions aient pour pre­mier et prin­ci­pal objet de faire que ceux qui s’y enrôlent accom­plissent fidè­le­ment les devoirs de la vie chré­tienne. Il importe peu, en véri­té, d’a­gi­ter sub­ti­le­ment de mul­tiples ques­tions et de dis­ser­ter avec élo­quence sur droits et devoirs, si tout cela n’a­bou­tit à l’action.

L’action, voi­là ce que réclament les temps pré­sents ; mais une action qui se porte sans réserve à l’ob­ser­va­tion inté­grale et scru­pu­leuse des lois divines et des pres­crip­tions de l’Église, à la pro­fes­sion ouverte et har­die de la reli­gion, à l’exer­cice de la cha­ri­té sous toutes ses formes, sans nul retour sur soi ni sur ses avan­tages ter­restres. D’éclatants exemples de ce genre don­nés par tant de sol­dats du Christ auront plus tôt fait d’é­bran­ler et d’en­traî­ner les âmes, que la mul­ti­pli­ci­té des paroles et la sub­ti­li­té des dis­cus­sions ; et l’on ver­ra sans doute des mul­ti­tudes d’hommes fou­lant aux pieds le res­pect humain, se déga­geant de tout pré­ju­gé et de toute hési­ta­tion, adhé­rer au Christ, et pro­mou­voir à leur tour sa connais­sance et son amour, gage de vraie et solide félicité.

Certes, le jour où, dans chaque cité, dans chaque bour­gade, la loi du Seigneur sera soi­gneu­se­ment gar­dée, les choses saintes entou­rées de res­pect, les sacre­ments fré­quen­tés, en un mot, tout ce qui consti­tue la vie chré­tienne remis en hon­neur, il ne man­que­ra plus rien, Vénérables Frères, pour que Nous contem­plions la res­tau­ra­tion de toutes les choses dans le Christ. Et que l’on ne crie pas que tout cela se rap­porte seule­ment à l’ac­qui­si­tion des biens éter­nels ; les inté­rêts tem­po­rels et la pros­pé­ri­té publique s’en res­sen­ti­ront aus­si très heureusement.

Car, ces résul­tats une fois obte­nus, les nobles et les riches sau­ront être justes et cha­ri­tables à l’é­gard des petits, et ceux-​ci sup­por­te­ront dans la paix et la patience les pri­va­tions de leur condi­tion peu for­tu­née ; les citoyens obéi­ront non plus à l’ar­bi­traire, mais aux lois ; tous regar­de­ront comme un devoir le res­pect et l’a­mour envers ceux qui gou­vernent, et dont le pou­voir ne vient que de Dieu [44].

Il y a plus. Dès lors il sera mani­feste à tous que l’Église, telle qu’elle fut ins­ti­tuée par Jésus-​Christ, doit jouir d’une pleine et entière liber­té et n’être sou­mise à aucune domi­na­tion humaine, et que Nous-​même, en reven­di­quant cette liber­té, non seule­ment Nous sau­ve­gar­dons les droits sacrés de la reli­gion, mais Nous pour­voyons aus­si au bien com­mun et à la sécu­ri­té des peuples : la pié­té est utile à tout [45], et là où elle règne le peuple est vrai­ment assis dans la plé­ni­tude de la paix [46].

Que Dieu, riche en misé­ri­corde [47], hâte dans sa bon­té cette réno­va­tion du genre humain en Jésus-​Christ, puisque ce n’est l’œuvre ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais du Dieu des misé­ri­cordes [48]. Et nous tous, Vénérables Frères, demandons-​lui cette grâce en esprit d’hu­mi­li­té [49] par une prière Instante et conti­nuelle, appuyée sur les mérites de Jésus-​Christ. Recourons aus­si à l’in­ter­ces­sion très puis­sante de la divine Mère. Et pour l’ob­te­nir plus lar­ge­ment, pre­nant occa­sion de ce jour où Nous vous adres­sons ces Lettres, et qui a été ins­ti­tué pour solen­ni­ser le Saint Rosaire, Nous confir­mons toutes les ordon­nances par les­quelles Notre pré­dé­ces­seur a consa­cré le mois d’oc­tobre à l’au­guste Vierge et pres­crit dans toutes les églises la réci­ta­tion publique du Rosaire. Nous vous exhor­tons en outre à prendre aus­si pour inter­ces­seurs le très pur Époux de Marie, patron de l’Église catho­lique, et les princes des apôtres saint Pierre et saint Paul.

Pour que toutes ces choses se réa­lisent selon Nos dési­rs et que tous vos tra­vaux soient cou­ron­nés de suc­cès, Nous implo­rons sur vous, en grande abon­dance, les dons de la grâce divine. Et comme témoi­gnage de la tendre cha­ri­té dans laquelle Nous vous embras­sons, vous et tous les fidèles confiés à vos soins par la divine Providence, Nous vous accor­dons en Dieu de grand cœur, Vénérables Frères, ain­si qu’à votre cler­gé et à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 4 octobre de l’an­née 1903, de Notre Pontificat la première.

PIE X, PAPE

Notes de bas de page

  1. Epp. 1. III, ep. 1[]
  2. Ps. LXXII, 27.[]
  3. Jerem. I, 10.[]
  4. Ephes. I, 10.[]
  5. Coloss. III, 11.[]
  6. Ps. II, 1.[]
  7. Job XXI, 14.[]
  8. II Thess. II, 3.[]
  9. II Thess. II, 2.[]
  10. Sap. XI, 24.[]
  11. Ps. LXXVII, 65.[]
  12. Ib. LXVII, 22.[]
  13. Ps. XLVI, 8.[]
  14. lb. IX, 20.[]
  15. lb. IX, 19.[]
  16. Is. XXXII, 17.[]
  17. I Cor. III, 11.[]
  18. Job X, 36.[]
  19. Hebr. I, 3.[]
  20. Matth. XI, 27.[]
  21. Hom. de cap­to Eutropio, n.6.[]
  22. Apoc. XII, 10.[]
  23. Gal. IV, 19.[]
  24. Gal. IV.[]
  25. Gal. II, 20.[]
  26. Philipp. I, 21.[]
  27. Ephes. IV, 3.[]
  28. I Tim. V, 22.[]
  29. Ibid.[]
  30. Ib., VI, 20 et seq.[]
  31. Rom. IX, 2.[]
  32. Thren. IV. 4.[]
  33. Luc. IV, 18–19.[]
  34. Jud. II, 10.[]
  35. Matth. XXVIII, 19.[]
  36. III Reg. XIX, 11.[]
  37. II Tim. IV, 2.[]
  38. Matth. XI, 28.[]
  39. Is. XLII, 1 et seq.[]
  40. I Cor. XIII, 4.[]
  41. Ibid., IV, 12.[]
  42. Eccli XVII, 12.[]
  43. Act. XX, 28.[]
  44. Rom. XIII, 1.[]
  45. I Tim. IV, 8.[]
  46. Is. XXXII, 18.[]
  47. Ephes. II, 4.[]
  48. Rom. IX, 16.[]
  49. Dan. III, 39. []
13 décembre 1908
Prononcé après la lecture des décrets de béatification des Vénérables Jeanne d'Arc, Jean Eudes, François de Capillas, Théophane Vénard et ses compagnons.
  • Saint Pie X