Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

11 février 1906

Lettre encyclique Vehementer Nos

Sur la séparation de l'Eglise et de l'État

Table des matières

Aux arche­vêques, évêques, au cler­gé et au peuple fran­çais, à nos bien aimés fils : 

François-​Marie Richard, car­di­nal prêtre de la Sainte Eglise romaine, arche­vêque de Paris ;
Victor-​Lucien Lecot, car­di­nal prêtre de la Sainte Eglise romaine, arche­vêque de Bordeaux ;
Pierre-​Hector Coullié, car­di­nal prêtre de la Sainte Eglise romaine, arche­vêque de Lyon ;
Joseph-​Guillaume Labouré, car­di­nal prêtre de la Sainte Eglise romaine, arche­vêque de Rennes,
et à tous nos véné­rables frères, les arche­vêques et évêques et à tout le cler­gé et le peuple fran­çais,
Pie X, Pape

Vénérables frères, bien aimés fils, salut et béné­dic­tion apostolique.

Notre âme est pleine d’une dou­lou­reuse sol­li­ci­tude et notre cœur se rem­plit d’an­goisse quand notre pen­sée s’ar­rête sur vous. Et com­ment en pourrait-​il être autre­ment, en véri­té, au len­de­main de la pro­mul­ga­tion de la loi qui, en bri­sant vio­lem­ment les liens sécu­laires par les­quels votre nation était unie au siège apos­to­lique, crée à l’Eglise catho­lique, en France, une situa­tion indigne d’elle et lamen­table à jamais.

Evénement des plus graves sans doute que celui-​là ; évé­ne­ment que tous les bons esprits doivent déplo­rer, car il est aus­si funeste à la socié­té civile qu’à la reli­gion ; mais évé­ne­ment qui n’a pu sur­prendre per­sonne pour­vu que l’on ait prê­té quelque atten­tion à la poli­tique reli­gieuse sui­vie en France dans ces der­nières années.

Pour vous, véné­rables frères, elle n’au­ra été bien cer­tai­ne­ment ni une nou­veau­té, ni une sur­prise, témoins que vous avez été des coups si nom­breux et si redou­tables tour à tour por­tés par l’au­to­ri­té publique à la religion.

[Les attentats passés]

Vous avez vu vio­ler la sain­te­té et l’in­vio­la­bi­li­té du mariage chré­tien par des dis­po­si­tions légis­la­tives en contra­dic­tion for­melle avec elles, laï­ci­ser les écoles et les hôpi­taux, arra­cher les clercs à leurs études et à la dis­ci­pline ecclé­sias­tique pour les astreindre au ser­vice mili­taire, dis­per­ser et dépouiller les congré­ga­tions reli­gieuses et réduire la plu­part du temps leurs membres au der­nier dénue­ment. D’autres mesures légales ont sui­vi, que vous connais­sez tous. On a abro­gé la loi qui ordon­nait des prières publiques au début de chaque ses­sion par­le­men­taire et à la ren­trée des tri­bu­naux, sup­pri­mé les signes tra­di­tion­nels à bord des navires le Vendredi Saint, effa­cé du ser­ment judi­ciaire ce qui en fai­sait le carac­tère reli­gieux, ban­ni des tri­bu­naux, des écoles, de l’ar­mée, de la marine, de tous les éta­blis­se­ments publics enfin, tout acte ou tout emblème qui pou­vait, d’une façon quel­conque, rap­pe­ler la religion.

Ces mesures et d’autres encore qui peu à peu sépa­raient de fait l’Eglise de l’Etat n’é­taient rien autre chose que des jalons pla­cés dans le but d’ar­ri­ver à la sépa­ra­tion com­plète et officielle.

Leurs pro­mo­teurs eux-​mêmes n’ont pas hési­té à le recon­naître hau­te­ment, et maintes fois, pour écar­ter une, cala­mi­té si grande, le Siège apos­to­lique, au contraire, n’a abso­lu­ment rien épar­gné. Pendant que, d’un côté, il ne se las­sait pas d’a­ver­tir ceux qui étaient à la tête des affaires fran­çaises et qu’il les conju­rait à plu­sieurs reprises de bien peser l’im­men­si­té des maux qu’a­mè­ne­rait infailli­ble­ment leur poli­tique sépa­ra­tiste, de l’autre, il mul­ti­pliait vis-​à-​vis de la France les témoi­gnages écla­tants de sa condes­cen­dante affection.

Il avait le droit d’es­pé­rer ain­si, grâce aux liens de la recon­nais­sance, de pou­voir rete­nir ces poli­tiques sur la pente et de les ame­ner enfin à renon­cer à leurs pro­jets ; mais, atten­tions, bons offices, efforts tant de la part de notre Prédécesseur que de la nôtre, tout est res­té sans effet, et la vio­lence des enne­mis de la reli­gion a fini par empor­ter de vive force ce à quoi pen­dant long­temps ils avaient pré­ten­du à l’en­contre de vos droits de nation catho­lique et de tout ce que pou­vaient sou­hai­ter les esprits qui pensent sagement.

C’est pour­quoi, dans une heure aus­si grave pour l’Eglise, conscient de notre charge apos­to­lique, nous avons consi­dé­ré comme un devoir d’é­le­ver notre voix et de vous ouvrir notre âme, à vous, véné­rables Frères, à votre cler­gé et à votre peuple, à vous tous que nous avons tou­jours entou­rés d’une ten­dresse par­ti­cu­lière, mais qu’en ce moment, comme c’est bien juste, nous aimons plus ten­dre­ment que jamais.

[Fausseté du principe de la Séparation]

Qu’il faille sépa­rer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse abso­lu­ment fausse, une très per­ni­cieuse erreur. Basée, en effet, sur ce prin­cipe que l’Etat ne doit recon­naître aucun culte reli­gieux, elle est tout d’a­bord très gra­ve­ment inju­rieuse pour Dieu, car le créa­teur de l’homme est aus­si le fon­da­teur des socié­tés humaines et il les conserve dans l’exis­tence comme il nous soutient.

Nous lui devons donc, non seule­ment un culte pri­vé, mais un culte public et social, pour l’honorer.

En outre, cette thèse est la néga­tion très claire de l’ordre sur­na­tu­rel ; elle limite, en effet, l’ac­tion de l’Etat à la seule pour­suite de la pros­pé­ri­té publique durant cette vie, qui n’est que la rai­son pro­chaine des socié­tés poli­tiques, et elle ne s’oc­cupe en aucune façon, comme lui étant étran­gère, de leur rai­son der­nière qui est la béa­ti­tude éter­nelle pro­po­sée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin.

Qu’il faille sépa­rer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse abso­lu­ment fausse, une très per­ni­cieuse erreur. Basée, en effet, sur ce prin­cipe que l’Etat ne doit recon­naître aucun culte reli­gieux, elle est tout d’a­bord très gra­ve­ment inju­rieuse pour Dieu

Et pour­tant, l’ordre pré­sent des choses qui se déroulent dans le temps se trou­vant subor­don­né à la conquête de ce bien suprême et abso­lu, non seule­ment le pou­voir civil ne doit pas faire obs­tacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider.

Cette thèse bou­le­verse éga­le­ment l’ordre très sage­ment éta­bli par Dieu dans le monde, ordre qui exige une har­mo­nieuse concorde entre les deux sociétés.

Ces deux socié­tés, la socié­té reli­gieuse, et la socié­té civile, ont, en effet, les mêmes sujets, quoique cha­cune d’elles exerce dans sa sphère propre son auto­ri­té sur eux.

Il en résulte for­cé­ment qu’il y aura bien des matières dont elles devront connaître l’une et l’autre, comme étant de leur res­sort à toutes deux.

Or, qu’entre l’Etat et l’Eglise l’ac­cord vienne à dis­pa­raître, et de ces matières com­munes pul­lu­le­ront faci­le­ment les germes de dif­fé­rends qui devien­dront très aigus des deux côtés.

La notion du vrai en ser­ra trou­blée et les âmes rem­plies d’une grande anxiété.

Enfin, cette thèse inflige de graves dom­mages à la socié­té civile elle-​même, car elle ne peut pas pros­pé­rer ni durer long­temps lors­qu’on n’y fait point sa place à la reli­gion, règle suprême et sou­ve­raine maî­tresse quand il s’a­git des droits de l’homme et de ses devoirs. Aussi, les pon­tifes romains n’ont-​ils pas ces­sé, sui­vant les cir­cons­tances et selon les temps, de réfu­ter et de condam­ner la doc­trine de la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat.

Notre illustre pré­dé­ces­seur Léon XIII, notam­ment, a plu­sieurs fois, et magni­fi­que­ment expo­sé ce que devraient être, sui­vant la doc­trine catho­lique, les rap­ports entre les deux socié­tés. « Entre elles, a‑t-​il dit,. il faut néces­sai­re­ment qu’une sage union inter­vienne, union qu’on peut non sans jus­tesse ; com­pa­rer à celle, qui réunit dans l’homme, l’âme et le corps. » « Quaedam inter­ce­dat necesse est ordi­na­ta col­li­ga­tio inter illas quae qui­dem coniun­tio­ni non imme­ri­to com­pa­ra­tur per quam ani­ma et cor­pus in homine copu­lan­tur. » Il ajoute encore : « Les socié­tés humaines ne peuvent pas, sans deve­nir cri­mi­nelles, se conduire comme si Dieu n’exis­tait pas ou refu­ser de se pré­oc­cu­per de la reli­gion comme si elle leur était chose étran­gère ou qui ne pût leur ser­vir de rien. Quant à l’Eglise, qui a Dieu lui-​même pour auteur, l’ex­clure de la vie active de la nation, des lois, de l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse, de la socié­té domes­tique, c’est com­mettre une grande et per­ni­cieuse erreur ! » « Civitates non pos­sunt, citra seclus, genere se, tan­quam si Deus omni­no non esset, aut curam reli­gio­nis velut alie­nam nihil que pro­fi­tu­ram abli­cere. Ecclesiam vero quam Deus ipse consti­tuit ab actione vitae exclu­dere, a legi­bus, ab ins­ti­tu­tione ado­les­cen­tium, a socie­tate domes­ti­ca, magnus et per­ni­cio­sus est error.« 1

[La Séparation est particulièrement funeste et injuste en France]

Que si en se sépa­rant de l’Eglise, un Etat chré­tien, quel qu’il soit, com­met un acte émi­nem­ment funeste et blâ­mable, com­bien n’est-​il pas à déplo­rer que la France se soit enga­gée dans cette voie, alors que, moins encore que toutes les autres nations, elle n’eût dû y entrer, la France, disons-​nous, qui, dans le cours des siècles, a été, de la part de ce siège apos­to­lique, l’ob­jet d’une si grande et si sin­gu­lière pré­di­lec­tion, la France, dont la for­tune et la gloire ont tou­jours été inti­me­ment unies à la pra­tique des mœurs chré­tiennes et au res­pect de la religion.

Le même pon­tife Léon XIII avait donc bien rai­son de dire : « La France ne sau­rait oublier que sa pro­vi­den­tielle des­ti­née l’a unie au Saint-​Siège par des liens trop étroits et trop anciens pour qu’elle veuille jamais les bri­ser. De cette union, en effet, sont sor­ties ses vraies gran­deurs et sa gloire la plus pure. Troubler cette union tra­di­tion­nelle, serait enle­ver à la nation elle-​même une par­tie de sa force morale et de sa haute influence dans le monde ».2

Les liens qui consa­craient cette union devaient être d’au­tant plus invio­lables qu’ain­si l’exi­geait la foi jurée des trai­tés. Le Concordat pas­sé entre le Souverain Pontife et le gou­ver­ne­ment fran­çais, comme du reste tous les trai­tés du même genre, que les Etats concluent entre eux, était un contrat bila­té­ral, qui obli­geait des deux côtés : le Pontife romain d’une part, le chef de la nation fran­çaise de l’autre, s’en­ga­gèrent donc solen­nel­le­ment, tant pour eux que pour leurs suc­ces­seurs, à main­te­nir invio­la­ble­ment le pacte qu’ils signaient.

l’Etat abroge de sa seule auto­ri­té le pacte solen­nel qu’il avait signé.

Il en résul­tait que le Concordat avait pour règle la règle de tous les trai­tés inter­na­tio­naux, c’est-​à-​dire le droit des gens, et qu’il ne pou­vait, en aucune manière, être annu­lé par le fait de l’une seule des deux par­ties ayant contrac­té. Le Saint-​Siège a tou­jours obser­vé avec une fidé­li­té scru­pu­leuse les enga­ge­ments qu’il avait sous­crits et, de tout temps, il a récla­mé que l’Etat fit preuve de la même fidé­li­té. C’est là une véri­té qu’au­cun juge impar­tial ne peut nier. Or, aujourd’­hui, l’Etat abroge de sa seule auto­ri­té le pacte solen­nel qu’il avait signé.

Il trans­gresse ain­si la foi jurée et, pour rompre avec l’Eglise, pour s’af­fran­chir de son ami­tié, ne recu­lant devant rien, il n’hé­site pas plus à infli­ger au Siège apos­to­lique l’ou­trage qui résulte de cette vio­la­tion du droit des gens qu’à ébran­ler l’ordre social et poli­tique lui-​même, puisque, pour la sécu­ri­té réci­proque de leurs rap­ports mutuels, rien n’in­té­resse autant les nations qu’une fidé­li­té irré­vo­cable dans le res­pect sacré des traités.

[Aggravation de l’injure]

La gran­deur de l’in­jure infli­gée au Siège apos­to­lique par l’a­bro­ga­tion uni­la­té­rale du Concordat s’aug­mente encore et d’une façon sin­gu­lière quand on se prend à consi­dé­rer la forme dans laquelle l’Etat a effec­tué cette abro­ga­tion. C’est un prin­cipe admis sans dis­cus­sion dans le droit des gens et uni­ver­sel­le­ment obser­vé par toutes les nations que la rup­ture d’un trai­té doit être pré­ven­ti­ve­ment et régu­liè­re­ment noti­fiée d’une manière claire et expli­cite à l’autre par­tie contrac­tante par celle qui a l’in­ten­tion de dénon­cer le trai­té. Or, non seule­ment aucune dénon­cia­tion de ce genre n’a été faite au Saint-​Siège, mais aucune indi­ca­tion quel­conque ne lui a même été don­née à ce sujet ; en sorte que le gou­ver­ne­ment fran­çais n’a pas hési­té à man­quer vis-​à-​vis du siège apos­to­lique aux égards ordi­naires et à la cour­toi­sie dont on ne se dis­pense même pas vis-​à-​vis des Etats les plus petits, et ses man­da­taires, qui étaient pour­tant les repré­sen­tants d’une nation catho­lique, n’ont pas craint de trai­ter avec mépris la digni­té et le pou­voir du Pontife, chef suprême de l’Eglise, alors qu’ils auraient dû avoir pour cette puis­sance un res­pect supé­rieur à celui qu’ins­pirent toutes les autres puis­sances poli­tiques et d’au­tant plus grand que, d’une part, cette puis­sance a trait au lien éter­nel des âmes et que, sans limites, de l’autre, elle s’é­tend partout.

[Injustice et périls des dispositions de la loi examinée en détail]

Si nous exa­mi­nons main­te­nant en elle-​même la loi qui vient d’être pro­mul­guée, nous y trou­vons une rai­son nou­velle de nous plaindre encore plus énergiquement.

Puisque l’Etat, rom­pant les liens du Concordat, se sépa­rait de l’Eglise, il eût dû comme consé­quence natu­relle lui lais­ser son indé­pen­dance et lui per­mettre de jouir en paix du droit com­mun dans la liber­té qu’il pré­ten­dait lui concé­der. Or, rien n’a été moins fait en véri­té. Nous rele­vons, en effet, dans la loi, plu­sieurs mesures d’ex­cep­tion, qui, odieu­se­ment res­tric­tives, mettent l’Eglise sous la domi­na­tion du pou­voir civil. Quant à nous, ce nous a été une dou­leur bien amère que de voir l’Etat faire ain­si inva­sion dans des matières qui sont du res­sort exclu­sif de la puis­sance ecclé­sias­tique, et nous en gémis­sons d’au­tant plus qu’ou­blieux de l’é­qui­té et de la jus­tice, il a créé par là à l’Eglise de France une situa­tion dure, acca­blante et oppres­sive de ses droits les plus sacrés.

Les dis­po­si­tions de la nou­velle loi sont, en effet, contraires à la Constitution sui­vant laquelle l’Eglise a été fon­dée par Jésus-Christ.

L’Ecriture nous enseigne, et la tra­di­tion des Pères nous le confirme, que l’Eglise est le corps mys­tique du Christ, corps régi par des pas­teurs et des doc­teurs3, socié­té d’hommes, dès lors, au sein de laquelle des chefs se trouvent qui ont de pleins et par­faits pou­voirs pour gou­ver­ner, pour ensei­gner et pour juger.4

Il en résulte que cette Eglise est par essence une socié­té inégale, c’est-​à-​dire une socié­té com­pre­nant deux caté­go­ries de per­sonnes : les pas­teurs et le trou­peau, ceux qui occupent un rang dans les dif­fé­rents degrés de la hié­rar­chie et la mul­ti­tude des fidèles ; et ces caté­go­ries sont tel­le­ment dis­tinctes entre elles, que, dans le corps pas­to­ral seul, résident le droit et l’au­to­ri­té néces­saires pour pro­mou­voir et diri­ger tous les membres vers la fin de la société.

Quant à la mul­ti­tude, elle n’a pas d’autre devoir que celui de se lais­ser conduire et, trou­peau docile, de suivre ses pasteurs.

Saint Cyprien, mar­tyr, exprime cette véri­té d’une façon admi­rable, quand il écrit : Notre Seigneur dont nous devons révé­rer et obser­ver les pré­ceptes réglant la digni­té épis­co­pale et le mode d’être de son Eglise, dit dans l’Evangile, en s’a­dres­sant à Pierre : « Ego dico tibi quia tu es Petrus », etc.

Aussi, « à tra­vers les vicis­si­tudes des âges et des évé­ne­ments, l’é­co­no­mie de l’é­pis­co­pat et la consti­tu­tion de l’Eglise se déroulent de telle sorte que l’Eglise repose sur les évêques et que toute sa vie active est gou­ver­née par eux ». Dominus nos­ter cujus prae­cep­ta metuere et ser­vare debe­mus epi­sco­pi hono­rem et eccle­siae suae ratio­nem dis­po­nens in evan­go­lio loqui­tur et dixit Petro : ego dico tibi quia tu es Petrus, etc. Inde per tem­po­rum et suc­ces­sio­num vices epi­sco­po­rum ordi­na­tio et eccle­siae ratio decur­bit ut Ecclesia super epi­sco­pas consti­tua­tur et omnis actus eccle­siae per eos­dem prae­po­si­tos guber­ne­tur.5

Saint Cyprien affirme que tout cela est fon­dé sur une loi divine : « Divina lege fundatum. »

Contrairement à ces prin­cipes, la loi de sépa­ra­tion attri­bue l’ad­mi­nis­tra­tion et la tutelle du culte public, non pas au corps hié­rar­chique divi­ne­ment ins­ti­tué par le Sauveur, mais à une asso­cia­tion de per­sonnes laïques.

A cette asso­cia­tion elle impose une forme, une per­son­na­li­té juri­dique et pour tout ce qui touche au culte reli­gieux, elle la consi­dère comme ayant seule des droits civils et des res­pon­sa­bi­li­tés à ses yeux. Aussi est-​ce à cette asso­cia­tion que revien­dra l’u­sage des temples et des édi­fices sacrés. C’est elle qui pos­sé­de­ra tous les biens ecclé­sias­tiques, meubles et immeubles ; c’est elle qui dis­po­se­ra, quoique d’une manière tem­po­raire seule­ment, des évê­chés, des pres­by­tères et des sémi­naires ! C’est elle, enfin, qui admi­nis­tre­ra les biens, régle­ra les quêtes et rece­vra les aumônes et les legs des­ti­nés au culte reli­gieux. Quant au corps hié­rar­chique des pas­teurs, on fait sur lui un silence abso­lu ! Et si la loi pres­crit que les asso­cia­tions cultuelles doivent être consti­tuées confor­mé­ment aux règles d’or­ga­ni­sa­tion géné­rale du culte, dont elles se pro­posent d’as­su­rer l’exer­cice, d’autre part, on a bien soin de décla­rer que, dans tous les dif­fé­rends qui pour­ront naître rela­ti­ve­ment à leurs biens, seul le Conseil d’État sera com­pé­tent. Ces asso­cia­tions cultuelles elles-​mêmes seront donc, vis-​à-​vis de l’au­to­ri­té civile dans une dépen­dance telle, que l’au­to­ri­té ecclé­sias­tique, et c’est mani­feste, n’au­ra plus sur elles aucun pou­voir. Combien toutes ces dis­po­si­tions seront bles­santes pour l’Eglise et contraires à ses droits et à sa consti­tu­tion divine ! Il n’est per­sonne qui ne l’a­per­çoive au pre­mier coup d’œil, sans comp­ter que la loi n’est pas conçue, sur ce point, en des termes nets et pré­cis, qu’elle s’ex­prime d’une façon très vague et se prê­tant lar­ge­ment à l’ar­bi­traire et qu’on peut, dès lors, redou­ter de voir sur­gir de son inter­pré­ta­tion même de plus grands maux !

[L’Eglise ne sera pas libre]

En outre, rien n’est plus contraire à la liber­té de l’Eglise que cette loi. En effet, quand, par suite de l’exis­tence des asso­cia­tions cultuelles, la loi de sépa­ra­tion empêche les pas­teurs d’exer­cer la plé­ni­tude de leur auto­ri­té et de leur charge sur le peuple des fidèles ; quand elle attri­bue la juri­dic­tion suprême sur ces asso­cia­tions cultuelles au Conseil d’Etat et qu’elle les sou­met à toute une série de pres­crip­tions en dehors du droit com­mun qui rendent leur for­ma­tion dif­fi­cile, et plus dif­fi­cile encore leur main­tien, quand, après avoir pro­cla­mé la liber­té du culte, elle en res­treint l’exer­cice par de mul­tiples excep­tions, quand elle dépouille l’Église de la police inté­rieure des temples pour en inves­tir l’Etat, quand elle entrave la pré­di­ca­tion de la foi et de la morale catho­liques et édicte contre les clercs un régime pénal sévère et d’ex­cep­tion, quand elle sanc­tionne ces dis­po­si­tions et plu­sieurs autres dis­po­si­tions sem­blables où l’ar­bi­traire peut aisé­ment s’exer­cer, que fait-​elle donc sinon pla­cer l’Église dans une sujé­tion humi­liante et, sous le pré­texte de pro­té­ger l’ordre public, ravir à des citoyens pai­sibles, qui forment encore l’im­mense majo­ri­té en France, le droit sacré de pra­ti­quer leur propre reli­gion ? Aussi. n’est-​ce pas seule­ment en restrei­gnant l’exer­cice de son culte auquel la loi de sépa­ra­tion réduit faus­se­ment toute l’es­sence de la reli­gion, que l’Etat blesse l’Eglise, c’est encore en fai­sant obs­tacle à son influence tou­jours si bien­fai­sante sur le peuple et en para­ly­sant de mille manières dif­fé­rentes son action.

C’est ain­si, entre autres choses, qu’il ne lui a pas suf­fi d’ar­ra­cher à cette Eglise les ordres reli­gieux, ses pré­cieux auxi­liaires dans le sacré minis­tère, dans l’en­sei­gne­ment, dans l’é­du­ca­tion, dans les œuvres de cha­ri­té chré­tienne ; mais qu’il la prive encore des res­sources qui consti­tuent les moyens humains néces­saires à son exis­tence et à l’ac­com­plis­se­ment de sa mission.

[Droit de propriété violé]

Outre les pré­ju­dices et les injures que nous avons rele­vés jus­qu’i­ci, la loi de sépa­ra­tion viole encore le droit de pro­prié­té de l’Eglise et elle le foule aux pieds ! Contrairement à toute jus­tice, elle dépouille cette Eglise d’une grande par­tie d’un patri­moine, qui lui appar­tient pour­tant à des titres aus­si mul­tiples que sacrés. Elle sup­prime et annule toutes les fon­da­tions pieuses très léga­le­ment consa­crées au culte divin ou à la prière pour les tré­pas­sés. Quant aux res­sources que la libé­ra­li­té catho­lique avait consti­tuées pour le main­tien des écoles chré­tiennes, ou pour le fonc­tion­ne­ment des dif­fé­rentes œuvres de bien­fai­sance cultuelles, elle les trans­fère à des éta­blis­se­ments laïques où l’on cher­che­rait vai­ne­ment le moindre ves­tige de reli­gion ! En quoi elle ne viole pas seule­ment les droits de l’Eglise, mais encore la volon­té for­melle et expli­cite des dona­teurs et des testateurs !

Il nous est extrê­me­ment dou­lou­reux aus­si qu’au mépris de tous les droits, la loi déclare pro­prié­té de l’Etat, des dépar­te­ments ou des com­munes, tous les édi­fices ecclé­sias­tiques anté­rieurs au Concordat. Et si la loi en concède l’u­sage indé­fi­ni et gra­tuit aux asso­cia­tions cultuelles, elle entoure cette conces­sion de tant et de telles réserves qu’en réa­li­té elle laisse aux pou­voirs publics la liber­té d’en disposer.

Nous avons de plus les craintes les plus véhé­mentes en ce qui concerne la sain­te­té de ces temples, asiles augustes de la Majesté Divine et lieux mille fois chers, à cause de leurs sou­ve­nirs, à la pié­té du peuple fran­çais ! Car ils sont cer­tai­ne­ment en dan­ger, s’ils tombent entre des mains laïques, d’être pro­fa­nés ! Quand la loi sup­pri­mant le bud­get des cultes exo­nère ensuite l’Etat de l’o­bli­ga­tion de pour­voir aux dépenses cultuelles, en même temps elle viole un enga­ge­ment contrac­té dans une conven­tion diplo­ma­tique et elle blesse très gra­ve­ment la jus­tice. Sur ce point, en effet, aucun doute n’est pos­sible et les docu­ments his­to­riques eux-​mêmes en témoignent de la façon la plus claire. Si le gou­ver­ne­ment fran­çais assu­ma, dans le Concordat, la charge d’as­su­rer aux membres du cler­gé un trai­te­ment qui leur per­mit de pour­voir, d’une façon conve­nable, à leur entre­tien et à celui du culte reli­gieux, il ne fit point cela à titre de conces­sion gra­tuite, il s’y obli­gea à titre de dédom­ma­ge­ment par­tiel, au moins vis-​à-​vis de l’Eglise, dont l’Etat s’é­tait appro­prié tes biens pen­dant la pre­mière Révolution.

D’autre part aus­si, quand, dans ce même Concordat et par amour de la paix, le Pontife romain s’en­ga­gea, en son nom et au nom de ses suc­ces­seurs à ne pas inquié­ter les déten­teurs des biens qui avaient été ain­si ravis à l’Eglise, il est cer­tain qu’il ne fit cette pro­messe qu’à une condi­tion : c’est que le gou­ver­ne­ment fran­çais s’en­ga­ge­rait à per­pé­tui­té à doter le cler­gé d’une façon conve­nable et à pour­voir aux frais du culte divin.

[Principe de discorde]

Enfin et com­ment, pourrions-​nous bien nous taire sur ce point ? En dehors des inté­rêts de l’Eglise qu’elle blesse, la nou­velle loi sera aus­si des plus funestes à votre pays ! Pas de doute, en effet, qu’elle ne ruine lamen­ta­ble­ment l’u­nion et la concorde des âmes. Et cepen­dant, sans cette union et sans cette concorde, aucune nation ne peut vivre ou pros­pé­rer. Voilà pour­quoi, dans la situa­tion pré­sente de l’Europe sur­tout, cette har­mo­nie par­faite forme le vœu le plus ardent de tous ceux, en France, qui, aimant vrai­ment, leur pays, ont encore à cœur le salut de la patrie.

Quant à Nous, à l’exemple de notre pré­dé­ces­seur et héri­tier de sa pré­di­lec­tion toute par­ti­cu­lière pour votre nation, nous nous sommes effor­cé sans doute de main­te­nir la reli­gion de vos aïeux dans l’in­té­grale pos­ses­sion de tous ses droits par­mi vous, mais, en même temps, et tou­jours ayant devant les yeux cette paix fra­ter­nelle, dont le lien le plus étroit est cer­tai­ne­ment la reli­gion, nous avons tra­vaillé à vous raf­fer­mir tous dans l’u­nion. Aussi, nous ne pou­vons pas voir, sans la plus vive angoisse, que le gou­ver­ne­ment fran­çais vient d’ac­com­plir un acte qui, en atti­sant, sur le ter­rain reli­gieux, des pas­sions exci­tées déjà d’une façon trop funeste, semble de nature à bou­le­ver­ser de fond en comble tout votre pays.

[La condamnation]

nous réprou­vons et nous condam­nons la loi votée en France sur la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat comme pro­fon­dé­ment inju­rieuse vis-​à-​vis de Dieu, qu’elle renie offi­ciel­le­ment, en posant en prin­cipe que la République ne recon­naît aucun culte

C’est pour­quoi, Nous sou­ve­nant de notre charge apos­to­lique et conscient de l’im­pé­rieux devoir qui nous incombe de défendre contre toute attaque et de main­te­nir dans leur inté­gri­té abso­lue les droits invio­lables et sacrés de l’Eglise, en ver­tu de l’au­to­ri­té suprême que Dieu nous a confé­rée, Nous, pour les motifs expo­sés ci-​dessus, nous réprou­vons et nous condam­nons la loi votée en France sur la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat comme pro­fon­dé­ment inju­rieuse vis-​à-​vis de Dieu, qu’elle renie offi­ciel­le­ment, en posant en prin­cipe que la République ne recon­naît aucun culte.

Nous la réprou­vons et condam­nons comme vio­lant le droit natu­rel, le droit des gens et la fidé­li­té due aux trai­tés, comme contraire à la consti­tu­tion divine de l’Eglise, à ses droits essen­tiels, à sa liber­té, comme ren­ver­sant la jus­tice et fou­lant aux pieds les droits de pro­prié­té que l’Eglise a acquis à des titres mul­tiples et, en outre, en ver­tu du Concordat.

Nous la réprou­vons et condam­nons comme gra­ve­ment offen­sante pour la digni­té de ce Siège apos­to­lique, pour notre per­sonne, pour l’é­pis­co­pat, pour le cler­gé et pour tous les catho­liques français.

En consé­quence, nous pro­tes­tons solen­nel­le­ment de toutes nos forces contre la pro­po­si­tion, contre le vote et contre la pro­mul­ga­tion de cette loi, décla­rant qu’elle ne pour­ra jamais être allé­guée contre les droits impres­crip­tibles et immuables de l’Eglise pour les infirmer.

[Aux Évêques et au Clergé – Instructions Pratiques]

Nous devions faire entendre ces graves paroles et vous les adres­ser à vous, véné­rables Frères, au peuple de France et au monde chré­tien tout entier, pour dénon­cer le fait qui vient de se produire.

Assurément, pro­fonde est notre tris­tesse, comme nous l’a­vons déjà dit, quand, par avance, nous mesu­rions du regard les maux que cette loi va déchaî­ner sur un peuple si ten­dre­ment aimé par nous, et elle nous émeut plus pro­fon­dé­ment encore à la pen­sée des peines, des souf­frances, des tri­bu­la­tions de tout genre qui vont vous incom­ber à vous aus­si véné­rables Frères, et à votre cler­gé tout entier.

Mais, pour nous gar­der au milieu des sol­li­ci­tudes si acca­blantes contre toute afflic­tion exces­sive et contre tous les décou­ra­ge­ments, nous avons le res­sou­ve­nir de la Providence divine tou­jours si misé­ri­cor­dieuse et l’es­pé­rance mille fois véri­fiée que jamais Jésus-​Christ n’a­ban­don­ne­ra son Eglise, que jamais, il ne la pri­ve­ra de son indé­fec­tible appui. Aussi, sommes-​nous bien loin d’é­prou­ver la moindre crainte pour cette Eglise. Sa force est divine comme son immuable sta­bi­li­té. L’expérience des siècles le démontre vic­to­rieu­se­ment. Personne n’i­gnore, en effet, les cala­mi­tés innom­brables et plus ter­ribles les unes que les autres qui ont fon­du sur elle pen­dant cette longue durée et là où toute ins­ti­tu­tion pure­ment humaine eût dû néces­sai­re­ment s’é­crou­ler, l’Église a tou­jours pui­sé dans ses épreuves une force plus rigou­reuse et une plus opu­lente fécondité.

Quant aux lois de per­sé­cu­tion diri­gées contre elle, l’his­toire nous l’en­seigne, et dans des temps assez rap­pro­chés la France elle-​même nous le prouve, for­gées par la haine, elles finissent tou­jours par être abro­gées avec sagesse, quand devient mani­feste le pré­ju­dice qui en découle pour les Etats. Plaise à Dieu que ceux qui en ce moment sont au pou­voir en France suivent bien­tôt sur ce point l’exemple de ceux qui les y pré­cé­dèrent. Plaise à Dieu qu’aux applau­dis­se­ments de tous les gens de bien, ils ne tardent pas à rendre à la reli­gion, source de civi­li­sa­tion et de pros­pé­ri­té pour les peuples, avec l’hon­neur qui lui est dû, la liber­té ! En atten­dant, et aus­si long­temps que dure­ra une per­sé­cu­tion oppres­sive, revê­tus des armes de lumière6, les enfants de l’Eglise doivent agir de toutes leurs forces pour la véri­té et pour la jus­tice. C’est leur devoir tou­jours ! C’est leur devoir aujourd’­hui plus que jamais ! Dans ces saintes luttes, véné­rables Frères, vous qui devez être les maîtres et les guides de tous les autres, vous appor­te­rez toute l’ar­deur de ce zèle vigi­lant et infa­ti­gable, dont de tout temps l’Episcopat fran­çais a four­ni à sa louange des preuves si connues de tous ; mais par des­sus tout, nous vou­lons, car c’est une chose d’une impor­tance extrême, que, dans tous les pro­jets que vous entre­pren­drez pour la défense de l’Eglise, vous vous effor­ciez de réa­li­ser la plus par­faite union de cœur et de volonté !

Nous sommes fer­me­ment réso­lu à vous adres­ser, en temps oppor­tun, des ins­truc­tions pra­tiques pour qu’elles vous soient une règle de conduite sûre au milieu des grandes dif­fi­cul­tés de l’heure pré­sente. Et nous sommes cer­tain d’a­vance que vous vous y confor­me­rez très fidèlement.

Poursuivez cepen­dant l’œuvre salu­taire que vous faites, ravi­vez le plus pos­sible la pié­té par­mi les fidèles, pro­mou­vez et vul­ga­ri­sez de plus en plus l’en­sei­gne­ment de la doc­trine chré­tienne, pré­ser­vez toutes les âmes qui vous sont confiées des erreurs et des séduc­tions qu’au­jourd’­hui elles ren­contrent de tant de côtés ; ins­trui­sez, pré­ve­nez, encou­ra­gez, conso­lez votre trou­peau ; acquittez-​vous enfin vis-​à-​vis de lui de tous les devoirs que vous impose votre charge pastorale.

Dans cette œuvre, vous aurez sans doute, comme col­la­bo­ra­teur infa­ti­gable, votre cler­gé. Il est riche en hommes remar­quables par leur pié­té, leur science, leur atta­che­ment au Siège apos­to­lique, et nous savons qu’il est tou­jours prêt à se dévouer sans comp­ter sous votre direc­tion pour le triomphe de l’Eglise et pour le salut éter­nel du prochain.

Bien cer­tai­ne­ment, aus­si les membres de ce cler­gé com­pren­dront que dans cette tour­mente ils doivent avoir au cœur les sen­ti­ments qui furent jadis ceux des apôtres et ils se réjoui­ront d’a­voir été jugés dignes de souf­frir des opprobres pour le nom de Jésus. Gaudentes quo­niam digni habi­ti sunt pro nomine Jesu contu­me­liam pati : « ils s’en allaient joyeux de devant le conseil, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souf­frir des outrages pour le nom de Jésus« 7.

Ils reven­di­que­ront donc vaillam­ment les droits et la liber­té de l’Eglise, mais sans offen­ser per­sonne. Bien plus sou­cieux de gar­der la cha­ri­té comme le doivent sur­tout des ministres de Jésus-​Christ, ils répon­dront à l’i­ni­qui­té par la jus­tice, aux outrages par la dou­ceur, et aux mau­vais trai­te­ments par des bienfaits.

[Au peuple catholique – Appel à l’union]

Et main­te­nant, c’est à vous que nous nous adres­sons, catho­liques de France ; que notre parole vous par­vienne à tous comme un témoi­gnage de la très tendre bien­veillance avec laquelle nous ne ces­sons pas d’ai­mer votre pays et comme un récon­fort au milieu des cala­mi­tés redou­tables qu’il va vous fal­loir traverser.

Vous savez le but que se sont assi­gné les sectes impies qui courbent vos têtes sous leur joug, car elles l’ont elles-​mêmes pro­cla­mé avec une cynique audace : « Décatholiciser la France ».

Elles veulent arra­cher de vos cœurs, jus­qu’à la der­nière racine, la foi qui a com­blé vos pères de gloire, la foi qui a ren­du votre patrie pros­père et grande par­mi les nations, la foi qui vous sou­tient dans l’é­preuve qui main­tient la tran­quilli­té et la paix à votre foyer et qui vous ouvre la voie vers l’é­ter­nelle félicité.

C’est de toute votre âme, vous le sen­tez bien, qu’il vous faut défendre cette foi ; mais ne vous y mépre­nez pas, tra­vail et efforts seraient inutiles si vous ten­tiez de repous­ser les assauts qu’on vous livre­ra sans être for­te­ment unis. Abdiquez donc tous les germes de dés­union s’il en exis­tait par­mi vous et faites le néces­saire pour que, dans la pen­sée comme dans l’ac­tion, votre union soit aus­si ferme qu’elle doit l’être par­mi des hommes qui com­battent pour la même cause, sur­tout quand cette cause est de celles au triomphe de qui cha­cun doit volon­tiers sacri­fier quelque chose de ses propres opinions.

Si vous vou­lez dans la limite de vos forces, et comme c’est votre devoir impé­rieux, sau­ver la reli­gion de vos ancêtres des dan­gers qu’elle court, il est de toute néces­si­té que vous déployiez dans une large mesure vaillance et géné­ro­si­té. Cette géné­ro­si­té vous l’au­rez, nous en sommes sûr et, en vous mon­trant ain­si cha­ri­tables vis-​à-​vis de ses ministres, vous incli­ne­rez Dieu à se mon­trer de plus en plus cha­ri­table vis-​à-​vis de vous. Quant à la défense de la reli­gion, si vous vou­lez l’en­tre­prendre d’une manière digne d’elle, la pour­suivre sans écart et avec effi­ca­ci­té, deux choses importent avant tout : vous devez d’a­bord vous mode­ler si fidè­le­ment sur les pré­ceptes de la loi chré­tienne que vos actes et votre vie tout entière honorent la foi dont vous faites pro­fes­sion ; vous devez ensuite demeu­rer très étroi­te­ment unis avec ceux à qui il appar­tient en propre de veiller ici-​bas sur la reli­gion, avec vos prêtres, avec vos évêques et sur­tout avec ce siège apos­to­lique, qui est le pivot de la foi catho­lique et de tout ce qu’on peut faire en son nom. Ainsi armés pour la lutte, mar­chez sans crainte à la défense de l’Eglise, mais ayez bien soin que votre confiance se fonde tout entière sur le Dieu dont vous sou­tien­drez la cause et, pour qu’il vous secoure, implorez-​le sans vous lasser.

Pour nous, aus­si long­temps que vous aurez à lut­ter contre le dan­ger, nous serons de cœur et d’âme au milieu de vous. Labeurs, peines, souf­frances, nous par­ta­ge­rons tout avec vous et, adres­sant en même temps au Dieu qui a fon­dé l’Eglise et qui la conserve, nos prières les plus humbles et les plus ins­tantes, nous le sup­plie­rons d’a­bais­ser sur la France un regard de misé­ri­corde, de l’ar­ra­cher aux flots déchaî­nés autour d’elle et de lui rendre bien­tôt, par l’in­ter­ces­sion de Marie Immaculée, le calme et la paix. Comme pré­sage de ces bien­faits célestes et pour vous témoi­gner notre pré­di­lec­tion toute par­ti­cu­lière, c’est de tout cœur que nous vous don­nons notre béné­dic­tion apos­to­lique, à vous, véné­rables Frères, à votre cler­gé et au peuple fran­çais tout entier.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 11 février de l’an­née 1906, de notre pon­ti­fi­cat la troisième.

Pie X, Pape

  1. Lettre ency­clique Immortale Dei, 1er nov. 1885. []
  2. Allocution aux pèle­rins fran­çais, 13 avril 1888. []
  3. Ephes., IV, 11 []
  4. Matthieu, XXVIII, 18–20 ; XVI, 18–19 ; XVIII, 17 ; Tite II, 15 ; II Cor. X, 6 ; XIII, 10, etc. []
  5. St Cypr., epist., XXVII ; Al., XXVIII, ad Lapsos, 11. []
  6. Rom. XIII, 12 []
  7. Ac 5, 41. []