Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

26 juillet 1855

Allocution consistoriale Nemo vestrum

Protestations contre les lois de laïcisation de l'Espagne catholique

L’Espagne venait de décré­ter des lois de laï­ci­sa­tion du pays : la reli­gion catho­lique n’est plus la reli­gion d’Etat, les biens de l’Eglise sont sai­sis et l’exer­cice du culte est enca­dré par l’Etat. Le dis­cours du pape pro­teste contre ces lois. Ce dis­cours est cité comme source de la pro­po­si­tion n° 77 du Syllabus de Pie IX :

A notre époque, il n’est plus utile que la reli­gion catho­lique soit consi­dé­rée comme l’unique reli­gion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.

Proposition condam­née n° 77 du Syllabus.

Dans le consis­toire secret du 26 juillet 1855.

Vénérables Frères,

Personne de vous, Vénérables Frères, n’ignore que depuis bien­tôt quatre ans, Nous avons cru ne devoir épar­gner ni soins, ni conseils, ni labeurs pour veiller aux affaires ecclé­sias­tiques d’Espagne. Vous connais­sez la conven­tion que Nous avons faite en l’année 1851 avec notre chère Fille en Jésus-​Christ, Marie-​Elisabeth, reine catho­lique des Espagnes ; cette conven­tion fut alors décla­rée loi d’Etat dans ce royaume, et pro­mul­guée solen­nel­le­ment. Vous savez aus­si com­ment dans cette conven­tion, par­mi toutes les déci­sions rela­tives aux inté­rêts de la Religion catho­lique, Nous avons sur­tout éta­bli que cette reli­gion sainte conti­nue­rait à être la seule reli­gion de la nation espa­gnole, à l’ex­clu­sion de tout autre culte, et qu’elle conser­ve­rait comme aupa­ravant, dans tout le royaume, les droits et les pré­ro­ga­tives dont elle doit jouir, d’après la loi de Dieu et les règles cano­niques ; de plus que, dans les écoles tant publiques que par­ti­cu­lières, l’enseignement serait entiè­re­ment conforme à la doc­trine catho­lique ; sur­tout que les Evêques, dans l’accomplissement de leurs fonc­tions épis­co­pales, aus­si bien que dans tout ce qui est rela­tif au droit et à l’exercice de l’autorité ecclé­sias­tique et de leurs saintes obli­ga­tions, joui­raient de cette pleine liber­té que les saints Canons leur attri­buent, et qu’enfin l’Eglise pour­rait tou­jours user de son droit pri­mi­tif d’acquérir de nou­veaux biens, à quelque titre que ce soit, et que ce droit de pro­prié­té de l’Eglise serait invio­lable tant pour ce qu’elle pos­sé­dait alors que pour ce qu’elle acquer­rait dans la suite. Nous avions la confiance que les soins et les sollici­tudes de notre Pontificat attein­draient ce but dési­ré, et que l’Eglise catho­lique, selon notre désir, pros­pé­re­rait de jour en jour en Espagne et y pren­drait un nou­veau déve­lop­pe­ment, puisque d’ailleurs toute cette illustre nation se fait gloire de pro­fes­ser la Religion catho­lique et d’être fer­me­ment atta­chée à la Chaire de Pierre.

Nous avons sur­tout éta­bli que cette reli­gion sainte conti­nue­rait à être la seule reli­gion de la nation espa­gnole, à l’ex­clu­sion de tout autre culte, et qu’elle conser­ve­rait comme aupa­ravant, dans tout le royaume, les droits et les pré­ro­ga­tives dont elle doit jouir

Mais, contre toute attente, nous voyons avec le plus grand éton­ne­ment et la dou­leur la plus vive que, dans ce royaume, notre conven­tion est impuné­ment rom­pue et vio­lée, non­obs­tant l’opposition et même les récla­ma­tions et les regrets du peuple espa­gnol ; l’Eglise, ses droits sacrés, les Evêques et la puis­sance du Siège Suprême sont en butte à des injus­tices dont nous sommes contraint de vous entre­te­nir dou­lou­reu­se­ment, Vénérables Frères. En effet, des lois furent por­tées, et ces lois ren­versent le pre­mier et le second article de notre conven­tion, au grand détri­ment de la Religion : l’on a de plus décré­té la vente des biens ecclé­sias­tiques. A cela se joignent d’autres pres­crip­tions qui inter­disent aux Evêques de confé­rer les ordres sacrés, aux vierges consa­crées à Dieu d’admettre dans leur Ordre d’autres femmes : il est éga­le­ment pres­crit de faire ren­trer clans l’ordre sécu­lier, les cha­pel­le­nies laïques et au­tres pieuses institutions.

Dès que Nous avons appris que de si graves atteintes étaient por­tées à l’Eglise, à Nous-​même et au Saint-​Siège, Nous Nous sommes acquit­té de notre devoir, et sans aucun retard, Nous avons for­te­ment pro­tes­té et récla­mé auprès du gou­ver­ne­ment de Madrid contre ces entre­prises, par l’entremise du Cardi­nal, notre secré­taire d’Etat, et celle de notre ambas­sa­deur à Madrid.

Nous avons cru devoir deman­der au gou­ver­ne­ment que nos récla­ma­tions vinssent à la connais­sance des fidèles, à moins que la loi pro­po­sée tou­chant l’aliénation des biens ecclé­sias­tiques ne fût reti­rée, afin que les fidèles pussent s’abstenir d’acheter ces biens. Nous avons rap­pe­lé au gou­ver­ne­ment espa­gnol, comme nous l’avions clai­re­ment expri­mé dans nos lettres rela­tives à cette con­vention, qu’il ne pou­vait plus espé­rer de notre part, puisque les articles de cette conven­tion étaient si gra­ve­ment rom­pus et vio­lés, cette bien­veillance avec laquelle, à l’occasion de ce trai­té, Nous décla­rions que ni Nous ni les Pontifes Romains nos suc­ces­seurs n’inquiéteraient ceux qui, avant cette con­vention, avaient acquis des biens aliénés.

Mais non seule­ment nos justes récla­ma­tions furent vaines, aus­si bien que les péti­tions des Evêques d’Espagne ; mais de plus, quelques-​uns d’entre ces illustres Evêques qui s’étaient jus­te­ment oppo­sés à ces lois et à ces décrets, furent vio­lem­ment arra­chés de leurs dio­cèses, exi­lés et relé­gués ailleurs. Vous com­pre­nez bien, Vénérables Frères, de quelle dou­leur nous fûmes acca­blé lorsque nous vîmes que tous nos soins et nos sol­li­ci­tudes pour le rétablisse­ment des affaires ecclé­sias­tiques dans le royaume d’Espagne étaient per­dus ; que l’Eglise de Jésus-​Christ y était expo­sée aux plus grands périls, et que sa liber­té et ses droits, ain­si que notre auto­ri­té et celle du Saint-​Siège, y étaient fou­lés aux pieds.

Aussi n’avons-Nous pas per­mis que notre char­gé d’affaires pro­lon­geât son séjour en Espagne, et Nous lui avons enjoint de quit­ter ce pays et de reve­nir à Rome. Nous res­sen­tons la plus vive dou­leur de voir cette illustre nation espa­gnole, qui Nous est si chère à cause de son zèle ardent pour la foi et de son dévoue­ment pour l’Eglise et le Saint-​Siège, expo­sée à de nou­veaux périls pour sa reli­gion par suite de cette per­tur­ba­tion et de ce trouble dans les affaires ec­clésiastiques. Mais comme le devoir de notre minis­tère apos­to­lique demande que Nous défen­dions de toutes nos forces la cause de l’Eglise que Dieu Nous a confiée, Nous ne pou­vons Nous empê­cher de faire connaître publi­que­ment et solen­nel­le­ment nos récla­ma­tions et nos plaintes.

C’est pour­quoi dans cette assem­blée, Nous éle­vons notre voix, et Nous récla­mons hau­te­ment contre tout ce qu’a fait récem­ment le pou­voir laïque en Es­pagne, et ce qu’il fait encore contre l’Eglise, contre sa liber­té et ses droits, contre notre auto­ri­té et celle du Saint-​Siège, et sur­tout Nous déplo­rons amè­rement que notre solen­nelle conven­tion ait été vio­lée, contre le droit des gens ; que l’autorité des Evêques dans l’exercice de leur minis­tère ait été en­travée, que la vio­lence ait été employée contre ces mêmes Évêques, et qu’enfin le patri­moine de l’Église ait été usur­pé, contre tous les droits divins et humains.

De plus, de notre auto­ri­té apos­to­lique, Nous réprou­vons et abro­geons les lois et les décrets pré­ci­tés, Nous les décla­rons nuls et d’aucune valeur. Nous aver­tis­sons, Nous exhor­tons, Nous sup­plions, avec toute l’ar­deur dont Nous sommes capable, les auteurs de ces actes de consi­dé­rer atten­ti­ve­ment que ceux qui ne craignent point d’affliger et de tour­men­ter la sainte Eglise ne pour­ront fuir la main ven­ge­resse de Dieu.

Et main­te­nant, Nous ne pou­vons attendre plus long­temps, pour vous féli­citer et vous rendre de bien justes hom­mages, nos Vénérables Frères, Arche­vêques et Evêques d’Espagne, vous qui, dans l’accomplissement de votre devoir, ne vous êtes effrayés d’aucun péril, et qui avez eu soin de faire en­tendre d’un com­mun accord votre parole d’Evêques, et de réunir vos efforts, vos cou­rages et vos conseils pour défendre avec éner­gie et constance la cause de la sainte Eglise. Nous devons aus­si de par­ti­cu­lières louanges au fidèle cler­gé d’Espagne, qui, se sou­ve­nant de sa voca­tion et de son devoir, a mis tous ses soins à l’accomplir. Nous ren­dons un égal tri­but d’hommages à tant d’illus­tres laïques d’Espagne, qui ont mon­tré tant de pié­té et de sou­mis­sion envers la très sainte reli­gion et l’Eglise, envers Nous et le Saint-​Siège, et qui, tant par leurs paroles que par leurs écrits, se sont fait gloire de défendre les droits de l’Église. Et dans les sen­ti­ments de notre cha­ri­té apos­to­lique, Nous pre­nons pitié de cette situa­tion déplo­rable où se trouve cette illustre nation d’Espagne, qui Nous est si chère, et de sa Souveraine, et, dans l’ardeur de nos prières, Nous sup­plions le Dieu tout-​puissant de vou­loir bien par sa force divine dé­fendre, conso­ler et arra­cher à tant de maux cette nation et sa Reine.

Nous vou­lions aus­si, Vénérables Frères, vous faire connaître les angoisses incroyables qui déso­lent notre âme en pré­sence de l’état si lamen­table auquel est réduite notre très sainte Religion en Suisse, et sur­tout, hélas ! dans les can­tons les plus catho­liques de ces Etats confé­dé­rés. Car, là aus­si, la liber­té et la puis­sance de l’Eglise Catholique sont oppri­mées, l’autorité des Evêques et de ce Saint-​Siège est fou­lée aux pieds, la sain­te­té du mariage et du ser­ment est vio­lée et mépri­sée, les sémi­naires de jeunes clercs et les monas­tères des Ordres reli­gieux sont ou com­plè­te­ment détruits, ou sou­mis abso­lu­ment à la juri­dic­tion arbi­traire du pou­voir civil ; la col­la­tion des béné­fices et les biens ecclé­sias­tiques sont usur­pés, et le cler­gé catho­lique est indi­gne­ment et misé­rablement pour­sui­vi et per­sé­cu­té. Nous vous signa­lons rapi­de­ment aujourd’hui ces faits si funestes, et qui ne peuvent être trop déplo­rés et désap­prou­vés, parce que nous avons l’intention de tenir devant votre assem­blée un autre dis­cours sur ce sujet si plein d’amertume.

Cependant, ne ces­sons pas, Vénérables Frères, de conju­rer nuit et jour, dans nos conti­nuelles et ardentes prières, le Père des misé­ri­cordes et le Dieu de toute conso­la­tion, de défendre son Eglise sainte, que tant de cala­mi­tés pressent de toutes parts, que les tem­pêtes agitent de tous côtés, et de le sup­plier de la secou­rir de la puis­sance de son bras, de la défendre et de l’ar­ra­cher à toutes les adver­si­tés dont elle est affligée.

Source : Recueil des allo­cu­tions consis­to­riales, ency­cliques et autres lettres apos­to­liques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.

7 mars 1874
Sur les persécutions dont était victime l'Église de l'Empire d'Autriche-Hongrie et la liberté dont l'Eglise doit jouir à l'égard du pouvoir civil
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