L’Espagne venait de décréter des lois de laïcisation du pays : la religion catholique n’est plus la religion d’Etat, les biens de l’Eglise sont saisis et l’exercice du culte est encadré par l’Etat. Le discours du pape proteste contre ces lois. Ce discours est cité comme source de la proposition n° 77 du Syllabus de Pie IX :
A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.
Proposition condamnée n° 77 du Syllabus.
Dans le consistoire secret du 26 juillet 1855.
Vénérables Frères,
Personne de vous, Vénérables Frères, n’ignore que depuis bientôt quatre ans, Nous avons cru ne devoir épargner ni soins, ni conseils, ni labeurs pour veiller aux affaires ecclésiastiques d’Espagne. Vous connaissez la convention que Nous avons faite en l’année 1851 avec notre chère Fille en Jésus-Christ, Marie-Elisabeth, reine catholique des Espagnes ; cette convention fut alors déclarée loi d’Etat dans ce royaume, et promulguée solennellement. Vous savez aussi comment dans cette convention, parmi toutes les décisions relatives aux intérêts de la Religion catholique, Nous avons surtout établi que cette religion sainte continuerait à être la seule religion de la nation espagnole, à l’exclusion de tout autre culte, et qu’elle conserverait comme auparavant, dans tout le royaume, les droits et les prérogatives dont elle doit jouir, d’après la loi de Dieu et les règles canoniques ; de plus que, dans les écoles tant publiques que particulières, l’enseignement serait entièrement conforme à la doctrine catholique ; surtout que les Evêques, dans l’accomplissement de leurs fonctions épiscopales, aussi bien que dans tout ce qui est relatif au droit et à l’exercice de l’autorité ecclésiastique et de leurs saintes obligations, jouiraient de cette pleine liberté que les saints Canons leur attribuent, et qu’enfin l’Eglise pourrait toujours user de son droit primitif d’acquérir de nouveaux biens, à quelque titre que ce soit, et que ce droit de propriété de l’Eglise serait inviolable tant pour ce qu’elle possédait alors que pour ce qu’elle acquerrait dans la suite. Nous avions la confiance que les soins et les sollicitudes de notre Pontificat atteindraient ce but désiré, et que l’Eglise catholique, selon notre désir, prospérerait de jour en jour en Espagne et y prendrait un nouveau développement, puisque d’ailleurs toute cette illustre nation se fait gloire de professer la Religion catholique et d’être fermement attachée à la Chaire de Pierre.
Mais, contre toute attente, nous voyons avec le plus grand étonnement et la douleur la plus vive que, dans ce royaume, notre convention est impunément rompue et violée, nonobstant l’opposition et même les réclamations et les regrets du peuple espagnol ; l’Eglise, ses droits sacrés, les Evêques et la puissance du Siège Suprême sont en butte à des injustices dont nous sommes contraint de vous entretenir douloureusement, Vénérables Frères. En effet, des lois furent portées, et ces lois renversent le premier et le second article de notre convention, au grand détriment de la Religion : l’on a de plus décrété la vente des biens ecclésiastiques. A cela se joignent d’autres prescriptions qui interdisent aux Evêques de conférer les ordres sacrés, aux vierges consacrées à Dieu d’admettre dans leur Ordre d’autres femmes : il est également prescrit de faire rentrer clans l’ordre séculier, les chapellenies laïques et autres pieuses institutions.
Dès que Nous avons appris que de si graves atteintes étaient portées à l’Eglise, à Nous-même et au Saint-Siège, Nous Nous sommes acquitté de notre devoir, et sans aucun retard, Nous avons fortement protesté et réclamé auprès du gouvernement de Madrid contre ces entreprises, par l’entremise du Cardinal, notre secrétaire d’Etat, et celle de notre ambassadeur à Madrid.
Nous avons cru devoir demander au gouvernement que nos réclamations vinssent à la connaissance des fidèles, à moins que la loi proposée touchant l’aliénation des biens ecclésiastiques ne fût retirée, afin que les fidèles pussent s’abstenir d’acheter ces biens. Nous avons rappelé au gouvernement espagnol, comme nous l’avions clairement exprimé dans nos lettres relatives à cette convention, qu’il ne pouvait plus espérer de notre part, puisque les articles de cette convention étaient si gravement rompus et violés, cette bienveillance avec laquelle, à l’occasion de ce traité, Nous déclarions que ni Nous ni les Pontifes Romains nos successeurs n’inquiéteraient ceux qui, avant cette convention, avaient acquis des biens aliénés.
Mais non seulement nos justes réclamations furent vaines, aussi bien que les pétitions des Evêques d’Espagne ; mais de plus, quelques-uns d’entre ces illustres Evêques qui s’étaient justement opposés à ces lois et à ces décrets, furent violemment arrachés de leurs diocèses, exilés et relégués ailleurs. Vous comprenez bien, Vénérables Frères, de quelle douleur nous fûmes accablé lorsque nous vîmes que tous nos soins et nos sollicitudes pour le rétablissement des affaires ecclésiastiques dans le royaume d’Espagne étaient perdus ; que l’Eglise de Jésus-Christ y était exposée aux plus grands périls, et que sa liberté et ses droits, ainsi que notre autorité et celle du Saint-Siège, y étaient foulés aux pieds.
Aussi n’avons-Nous pas permis que notre chargé d’affaires prolongeât son séjour en Espagne, et Nous lui avons enjoint de quitter ce pays et de revenir à Rome. Nous ressentons la plus vive douleur de voir cette illustre nation espagnole, qui Nous est si chère à cause de son zèle ardent pour la foi et de son dévouement pour l’Eglise et le Saint-Siège, exposée à de nouveaux périls pour sa religion par suite de cette perturbation et de ce trouble dans les affaires ecclésiastiques. Mais comme le devoir de notre ministère apostolique demande que Nous défendions de toutes nos forces la cause de l’Eglise que Dieu Nous a confiée, Nous ne pouvons Nous empêcher de faire connaître publiquement et solennellement nos réclamations et nos plaintes.
C’est pourquoi dans cette assemblée, Nous élevons notre voix, et Nous réclamons hautement contre tout ce qu’a fait récemment le pouvoir laïque en Espagne, et ce qu’il fait encore contre l’Eglise, contre sa liberté et ses droits, contre notre autorité et celle du Saint-Siège, et surtout Nous déplorons amèrement que notre solennelle convention ait été violée, contre le droit des gens ; que l’autorité des Evêques dans l’exercice de leur ministère ait été entravée, que la violence ait été employée contre ces mêmes Évêques, et qu’enfin le patrimoine de l’Église ait été usurpé, contre tous les droits divins et humains.
De plus, de notre autorité apostolique, Nous réprouvons et abrogeons les lois et les décrets précités, Nous les déclarons nuls et d’aucune valeur. Nous avertissons, Nous exhortons, Nous supplions, avec toute l’ardeur dont Nous sommes capable, les auteurs de ces actes de considérer attentivement que ceux qui ne craignent point d’affliger et de tourmenter la sainte Eglise ne pourront fuir la main vengeresse de Dieu.
Et maintenant, Nous ne pouvons attendre plus longtemps, pour vous féliciter et vous rendre de bien justes hommages, nos Vénérables Frères, Archevêques et Evêques d’Espagne, vous qui, dans l’accomplissement de votre devoir, ne vous êtes effrayés d’aucun péril, et qui avez eu soin de faire entendre d’un commun accord votre parole d’Evêques, et de réunir vos efforts, vos courages et vos conseils pour défendre avec énergie et constance la cause de la sainte Eglise. Nous devons aussi de particulières louanges au fidèle clergé d’Espagne, qui, se souvenant de sa vocation et de son devoir, a mis tous ses soins à l’accomplir. Nous rendons un égal tribut d’hommages à tant d’illustres laïques d’Espagne, qui ont montré tant de piété et de soumission envers la très sainte religion et l’Eglise, envers Nous et le Saint-Siège, et qui, tant par leurs paroles que par leurs écrits, se sont fait gloire de défendre les droits de l’Église. Et dans les sentiments de notre charité apostolique, Nous prenons pitié de cette situation déplorable où se trouve cette illustre nation d’Espagne, qui Nous est si chère, et de sa Souveraine, et, dans l’ardeur de nos prières, Nous supplions le Dieu tout-puissant de vouloir bien par sa force divine défendre, consoler et arracher à tant de maux cette nation et sa Reine.
Nous voulions aussi, Vénérables Frères, vous faire connaître les angoisses incroyables qui désolent notre âme en présence de l’état si lamentable auquel est réduite notre très sainte Religion en Suisse, et surtout, hélas ! dans les cantons les plus catholiques de ces Etats confédérés. Car, là aussi, la liberté et la puissance de l’Eglise Catholique sont opprimées, l’autorité des Evêques et de ce Saint-Siège est foulée aux pieds, la sainteté du mariage et du serment est violée et méprisée, les séminaires de jeunes clercs et les monastères des Ordres religieux sont ou complètement détruits, ou soumis absolument à la juridiction arbitraire du pouvoir civil ; la collation des bénéfices et les biens ecclésiastiques sont usurpés, et le clergé catholique est indignement et misérablement poursuivi et persécuté. Nous vous signalons rapidement aujourd’hui ces faits si funestes, et qui ne peuvent être trop déplorés et désapprouvés, parce que nous avons l’intention de tenir devant votre assemblée un autre discours sur ce sujet si plein d’amertume.
Cependant, ne cessons pas, Vénérables Frères, de conjurer nuit et jour, dans nos continuelles et ardentes prières, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, de défendre son Eglise sainte, que tant de calamités pressent de toutes parts, que les tempêtes agitent de tous côtés, et de le supplier de la secourir de la puissance de son bras, de la défendre et de l’arracher à toutes les adversités dont elle est affligée.
Source : Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.