Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 août 1941

Discours aux jeunes époux

Les héroïsmes des époux chrétiens

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 20 août 1941

A la vue de cette foule nom­breuse et pieuse de jeunes époux chré­tiens réunis autour de Nous, Nous exul­tons et Nous ren­dons grâce à Dieu, auteur des dons pré­cieux de la foi, de l’es­pé­rance et en par­ti­cu­lier de la confiance qu’il plaît à Notre affec­tion pater­nelle d’in­vo­quer sur vos per­sonnes et vos dési­rs. Si la divine pitié pour la misère humaine donne à Notre prière force et puis­sance, la béné­dic­tion qui des­cend de Dieu, elle, est toute-​puissante : à un seul mot de Dieu, voi­là que du néant sortent le ciel et la terre, des ténèbres le soleil, de la terre et des eaux la mul­ti­tude des vivants. Alors se lève de la pous­sière, par l’o­pé­ra­tion divine, l’homme, pour rece­voir un esprit immor­tel (Gn 2,7), comme un souffle de la bouche du Créateur, et pour écou­ter avec sa com­pagne sem­blable à lui et tirée de son flanc ce com­man­de­ment qui est une béné­dic­tion : « Croissez et mul­ti­pliez sur la terre » (Gn 1,28). Quant à vous, jeunes époux, qui avez cru au nom du Christ, notre Sauveur et Rédempteur, vous avez été, aux pieds des autels, bénis en ce nom, afin que par vous s’ac­croisse le peuple des enfants de Dieu et s’ac­com­plisse le nombre des élus. C’est à ces hautes fins du mariage que le Seigneur a dai­gné vous appe­ler par le lien indis­so­luble dont il a uni vos cœurs et vos vies.

Rien donc d’é­ton­nant, selon une pen­sée qu’in­si­nuait notre der­nière allo­cu­tion, qu’un état si noble exige des actes héroïques : héroïsmes extra­or­di­naires de situa­tions excep­tion­nelles, héroïsmes impo­sés par la vie quo­ti­dienne ; héroïsmes sou­vent cachés et qui n’en sont pas moins admi­rables. Nous vou­drions aujourd’­hui atti­rer votre atten­tion plus par­ti­cu­liè­re­ment là-dessus.

Aux temps modernes comme aux pre­miers siècles du chris­tia­nisme, dans les pays où sévissent les per­sé­cu­tions reli­gieuses ouvertes, ou sour­noises et non moins dures, les plus humbles fidèles peuvent, d’un moment à l’autre, se trou­ver dans la dra­ma­tique néces­si­té de choi­sir entre leur foi, qu’ils ont le devoir de conser­ver intacte, et leur liber­té, leurs moyens de sub­sis­tance ou même leur propre vie. Mais aux époques nor­males elles-​mêmes, dans les condi­tions ordi­naires des familles chré­tiennes, il arrive par­fois que les âmes se voient dans l’al­ter­na­tive de vio­ler un impres­crip­tible devoir ou de s’ex­po­ser, dans leur san­té, dans leurs biens, dans leurs posi­tions fami­liale et sociale, à des sacri­fices et à des risques dou­lou­reux et pres­sants : elles se voient mises dans la néces­si­té d’être héroïques et de se mon­trer héroïques, si elles veulent res­ter fidèles à leurs devoirs et demeu­rer dans la grâce de Dieu.

Héroïsme dans l’observation des lois inviolables de la vie matrimoniale

Quand Nos pré­dé­ces­seurs, et tout spé­cia­le­ment Pie XI dans son ency­clique Casti connu­bii, rap­pe­laient les lois saintes et iné­luc­tables de la vie matri­mo­niale, ils se ren­daient par­fai­te­ment compte que dans bien des cas l’in­vio­lable obser­va­tion de ces lois exige de l’hé­roïsme. Qu’il s’a­gisse de res­pec­ter les fins que Dieu a éta­blies pour le mariage ; qu’il s’a­gisse, pour un cœur inquiet, de résis­ter aux pas­sions et sol­li­ci­ta­tions ardentes et séduc­trices qui lui sug­gèrent de cher­cher ailleurs ce qu’il n’a pas ou croit n’a­voir pas trou­vé dans sa légi­time union aus­si plei­ne­ment qu’il l’es­pé­rait ; ou bien qu’il s’a­gisse, pour ne pas bri­ser ou relâ­cher l’u­nion des cœurs et de l’a­mour mutuel, de savoir par­don­ner, de savoir oublier un dif­fé­rend, une offense, ou un heurt peut-​être grave : que de drames intimes déroulent leurs amer­tumes der­rière le voile de la vie quo­ti­dienne ! Que d’hé­roïques sacri­fices cachés ! Que d’an­goisses morales pour vivre sous le même toit et gar­der à sa place et à son devoir une constance de chrétien !

… dans la vie commune

Quelle force d’âme n’est pas exi­gée sou­vent par cette vie de chaque jour ? Il fau­dra, chaque matin, reprendre le même tra­vail, rude peut-​être et mono­tone ; il convien­dra, pour la paix, de sup­por­ter le sou­rire aux lèvres, aima­ble­ment, joyeu­se­ment, les défauts

réci­proques, les oppo­si­tions jamais apla­nies, les petites diver­gences de goûts, d’ha­bi­tudes, d’i­dées, aux­quelles donne lieu sou­vent la vie com­mune ; il fau­dra, par­mi les menues dif­fi­cul­tés et les petits inci­dents, inévi­tables sou­vent, gar­der intacts le calme et la bonne humeur ; il s’a­gi­ra, dans une froide ren­contre, de savoir se taire, de savoir rete­nir les plaintes à temps, de savoir chan­ger de ton et adou­cir sa parole qui, si elle ne se maî­tri­sait, déten­drait des nerfs irri­tés, mais crée­rait dans le foyer domes­tique une atmo­sphère pénible. Que de force d’âme requise en toutes ces occa­sions ! Ce sont là mille détails infimes de la vie quo­ti­dienne, mille ins­tants qui passent ; cha­cun est bien peu de chose, presque rien ; mais ils se suc­cèdent, ils s’ac­cu­mulent, ils finissent par deve­nir pesants et ils contri­buent pour une bonne part à entra­ver et à para­ly­ser, dans une souf­france mutuelle des époux, la paix et la joie du foyer.

… dans la tâche familiale de la mère.

Et pour­tant, la femme, l’é­pouse, la mère entend être la source de la joie et de la paix de la famille, elle en veut être l’a­li­ment et le sou­tien spé­cial. N’est-​ce pas elle qui crée et res­serre le lien d’a­mour entre le père et les enfants ? N’est-​ce pas elle qui par son affec­tion résume pour ain­si dire en elle-​même la famille tout entière ? N’est-​ce pas elle qui la sur­veille, qui la garde, qui la pro­tège et la défend ? Elle est le chant du ber­ceau, le sou­rire des bébés roses et fré­tillants, et le sou­rire des bébés en pleurs et infirmes, la pre­mière maî­tresse qui montre à ses enfants le ciel, qui apprend à ses fils et filles à s’a­ge­nouiller au pied de l’au­tel, et qui par­fois leur ins­pire les pen­sées et les dési­rs les plus sublimes.

Donnez-​Nous une mère qui sente sa mater­ni­té spi­ri­tuelle non moins vivante en son cœur que sa mater­ni­té natu­relle : Nous ver­rons en elle l’hé­roïne de la famille, la femme forte que vous pou­vez célé­brer avec le chant du roi Lemuel au livre des Proverbes : « La force et la grâce sont sa parure, et elle se rit de l’a­ve­nir. Elle ouvre la bouche avec sagesse et les bonnes paroles sont sur sa langue. Elle sur­veille les sen­tiers de sa mai­son et elle ne mange pas le pain de l’oi­si­ve­té. Ses fils se lèvent et la pro­clament heu­reuse ; son époux se lève et lui donne des éloges » (Pr 31,25–28).

Laissez-​Nous don­ner d’autres éloges encore à la mère et à la femme forte : l’é­loge de l’hé­roïsme dans la dou­leur. L’épreuve, l’af­flic­tion et la peine la trouvent très sou­vent plus cou­ra­geuse, plus intré­pide et rési­gnée que l’homme, parce qu’elle sait tirer de l’a­mour la science de la dou­leur. Considérez les saintes femmes de l’Evangile qui suivent le Christ et l’as­sistent de leur pré­sence, qui l’ac­com­pagnent de leurs lamen­ta­tions sur la voie du Calvaire et jus­qu’à la croix (Lc 8,1–3 ; Lc 23,27). Le Cœur du Christ n’est que misé­ri­corde pour les larmes de la femme : elles en ont fait l’ex­pé­rience, les sœurs éplo­rées de Lazare, la veuve de Naïm, et Madeleine tout en larmes auprès de son sépulcre. Aujourd’hui même, en ces heures où le sang coule, Dieu sait à com­bien de veuves de Naïm le Rédempteur mani­feste sa bon­té : sans aller jus­qu’à res­sus­ci­ter leur fils tom­bé à la guerre, il verse au cœur de com­bien de mères le baume de sa parole récon­for­tante : Noli flere, « ne pleure pas » (Lc 7,13).

Soyez fidèles dans les efforts quotidiens.

Bien-​aimés fils et filles, n’hé­si­tez point : tournez-​vous avec confiance vers les cimes héroïques du voyage que vous com­men­cez. Il a tou­jours été vrai que c’est des menues occu­pa­tions qu’on passe aux grandes entre­prises et que la ver­tu est la fleur qui cou­ronne une plante arro­sée par les efforts assi­dus de chaque jour. C’est là l’hé­roïsme quo­ti­dien de la fidé­li­té aux devoirs habi­tuels et com­muns de la vie ordi­naire ; et c’est là l’hé­roïsme qui forge et aguer­rit les hommes, qui les élève et les trempe pour les jours où Dieu leur deman­de­ra un héroïsme extraordinaire.

C’est là, et non ailleurs, qu’il faut aller cher­cher la source de cet héroïsme extra­or­di­naire. Dans les évé­ne­ments de la vie fami­liale comme en toutes les cir­cons­tances de la vie humaine, l’hé­roïsme a sa racine prin­ci­pale dans le sen­ti­ment pro­fond et sou­ve­rain du devoir, du devoir qui ne souffre ni mar­chan­dage ni com­pro­mis et qui doit l’emporter en toutes choses et sur toutes choses. Ce sen­ti­ment nous enseigne com­ment la volon­té divine clai­re­ment mani­fes­tée ne souffre aucune dis­cus­sion et qu’elle exige de cha­cun qu’il s’in­cline devant elle ; ce sen­ti­ment, par-​dessus tout, nous fait com­prendre que cette volon­té divine est la voix d’un amour infi­ni à notre égard ; ce n’est pas en un mot le sen­ti­ment d’un devoir abs­trait ou d’une loi tyran­nique, inexo­rable, hos­tile, qui écra­se­rait notre liber­té de vou­loir et d’a­gir : c’est le sen­ti­ment d’une loi qui répond et se plie aux exi­gences d’un amour, aux exi­gences d’une ami­tié infi­ni­ment géné­reuse qui domine et gou­verne les mul­tiples vicis­si­tudes de notre vie d’ici-bas.

Ce sen­ti­ment chré­tien si puis­sant du devoir se déve­lop­pe­ra et se ren­for­ce­ra en vous, bien-​aimés fils et filles, par votre per­sé­vé­rante fidé­li­té aux plus humbles tâches et obli­ga­tions de cha­cune de vos jour­nées. Par là, les menus sacri­fices, les petites vic­toires sur vous-​mêmes se mul­ti­plie­ront, affer­mis­sant de plus en plus en vous la ver­tueuse habi­tude de ne pas tenir compte des impres­sions, impul­sions et répu­gnances qui peuvent se pré­sen­ter sur le sen­tier de votre vie, lors­qu’il s’a­git d’un devoir, d’une volon­té de Dieu à accom­plir. L’héroïsme n’est pas le fruit d’un jour et il ne mûrit pas en une mati­née ; c’est par de longues ascen­sions que se forment et s’é­lèvent les grandes âmes, c’est par là qu’elles se trouvent prêtes, au moment où l’oc­ca­sion s’en pré­sente, aux gestes magni­fiques et aux suprêmes triomphes qui nous rem­plissent d’admiration.

Afin que gran­dissent dans vos âmes ce sen­ti­ment chré­tien du devoir et cette joyeuse et cou­ra­geuse confiance, Nous vous accor­dons de tout cœur, en gage des grâces divines les plus abon­dantes, Notre Bénédiction apostolique.

PIE XII, Pape.

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