Présent – Après la levée de l’excommunication, les réponses de Mgr Fellay

Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflétant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

– Puisque c’est, en défi­ni­tive, le sujet qui, bien que sans rap­port avec elle, sub­merge le monde média­tique depuis l’annonce, le 24 jan­vier der­nier, de la levée de l’excommunication por­tée en 1988 à la suite des sacres, pouvez-​vous, avant d’entrer dans le vif du sujet, nous don­ner votre sen­ti­ment sur ce qu’on pour­rait appe­ler l’affaire Williamson ?

– Nous sommes très ennuyés par cette affaire qui donne du grain à moudre à l’ennemi. Mgr Williamson est, bien sûr, très gêné. Il m’a écrit pour me deman­der – quatre fois – par­don. Mais il faut tout de même noter – car on ne peut pas appe­ler cela une coïn­ci­dence – que cette inter­view, réa­li­sée le 1er novembre à l’occasion de l’ordination dia­co­nale d’un ancien pas­teur luthé­rien qui avait abju­ré à Saint-​Nicolas, et qui est sémi­na­riste à Zaitzkofen, sort au moment pré­cis de la levée de l’excommunication.

Ce ne devait d’ailleurs être qu’un entre­tien reli­gieux, et y on a glis­sé cette peau de banane, sur laquelle il a glis­sé sans pen­ser aux conséquences.

Je sou­ligne que ces ques­tions n’ont rien à voir avec l’objet de la Fraternité Saint-​Pie X, qui est la pro­pa­ga­tion de la doc­trine catho­lique. C’est un mal­heu­reux inci­dent qu’on espère clos, et c’est tout. Evidemment, il y a désor­mais des consé­quences juri­diques pour Mgr Williamson, et, pour nous, une éti­quette supplémentaire.

Il convient néan­moins de pré­ci­ser que l’affaire est sor­tie en deux temps. C’est tout d’abord le Spiegel qui a sor­ti cette infor­ma­tion. Car c’est un jour­nal alle­mand qui a annon­cé l’émission sué­doise… Et l’article du Spiegel était diri­gé contre le Pape. Il disait que le Pape était en train de réin­té­grer ces gens-​là – car­ré­ment, et avant même l’annonce de la levée de l’excommunication –, qu’on y voyait très bien une ten­dance, une volon­té de se rap­pro­cher de ces gens-​là, et qu’il y aurait un pro­blème, parce qu’il y avait un néga­tion­niste par­mi eux. C’était vrai­ment une volon­té de mettre le Pape en dif­fi­cul­té ; et éga­le­ment de nous gêner. Quant à la télé­vi­sion sué­doise, elle cra­chait sur la Fraternité du début à la fin de son émis­sion. En rap­pe­lant la condam­na­tion pour racisme de Mgr Lefebvre, la prise de Saint-​Nicolas, en ten­tant de trou­ver des liens avec l’extrême droite ; c’était une manière de pré­pa­rer le ter­rain en Suède, alors que, à l’occasion de l’ordination dia­co­nale d’un ancien pas­teur sué­dois, nous jetions des regards sur un nou­veau pays à évan­gé­li­ser. Toute l’affaire est cou­sue de fil blanc…

Mais il ne faut pas dra­ma­ti­ser, parce que c’est une affaire qui ne regarde pas la Tradition, même si elle est uti­li­sée contre la Tradition.

– Venons-​en à la levée de l’excommunication. A‑t-​elle été pour vous une surprise ?

– Je m’attendais à cette levée depuis novembre 2005, depuis que le car­di­nal Castrillon Hoyos m’a deman­dé d’écrire au Pape pour deman­der la levée de l’excommunication. Parce qu’il est clair que Rome n’allait pas me deman­der d’écrire une lettre pour ne pas, ensuite, accor­der la levée d’excommunication deman­dée. Cependant, je peux vous assu­rer que je ne m’attendais pas à ce que cela arrive main­te­nant. Car, ces der­niers mois, depuis le mois de juin, la situa­tion, après l’affaire de l’ulti­ma­tum, et même après qu’elle eut été résor­bée, n’était pas pro­pice. Finalement je me suis déci­dé à écrire une lettre en date du 15 novembre, qui avait vrai­ment pour but, après l’ultimatum qui avait conduit à une impasse, de dépas­ser l’impasse.

– Cette lettre sera-​t-​elle ren­due publique ?

– Avec le temps, des bribes en sor­ti­ront peut-​être, mais dans cette lettre il y a des élé­ments qui concernent cer­taines per­sonnes, et donc elle ne sera pas ren­due publique.

– Ce Décret est-​il un signe mani­feste de la volon­té du Souverain Pontife, alors que vous dites que l’atmosphère n’était pas si bonne que cela ?

– Je l’attribue d’abord à la Sainte Vierge. S’il y a un signe mani­feste, c’est celui-​là : une réponse presque immé­diate de la Sainte Vierge à notre demande. J’avais en effet juste déci­dé d’aller à Rome pour por­ter le résul­tat du bou­quet de cha­pe­lets que nous avions lan­cé à Lourdes avec cette inten­tion expli­cite de la levée du décret d’excommunication, lorsque le Cardinal m’a appe­lé pour me deman­der de venir. Le voyage était déjà pré­vu, mais je ne l’avais pas contac­té, je pen­sais sim­ple­ment passer.

– Donc, lorsque vous publiez le résul­tat du bou­quet, vous savez déjà ce qu’il en est ?

– Oui ! Mais il fal­lait que le résul­tat du bou­quet soit annon­cé avant. J’ai eu le chiffre défi­ni­tif le matin même où je suis arri­vé chez le Cardinal. Tout est arri­vé en même temps. Jusqu’à l’annonce offi­cielle nous sommes res­tés discrets.

– Le conten­te­ment dont vous faites preuve aujourd’hui est-​il modé­ré par le che­min qui reste à par­cou­rir ? Ce che­min vous paraît-​il réalisable ?

– C’est encore trop tôt pour le dire. Il vient de se pas­ser un acte d’une très grande impor­tance, même si on le consi­dère comme une remise en ordre des choses. Nous sommes certes satis­faits, mais ce n’est pas le moment de faire du triom­pha­lisme. Non ! nous sommes vrai­ment recon­nais­sants, mais c’est assez dif­fi­cile d’évaluer d’ores et déjà la situa­tion ; il faut encore quelque temps pour avoir une vision entière des consé­quences de cet acte. Pour l’heure, nous n’avons pas assez de réac­tions – il y a bien sûr des réac­tions à chaud. Mais nous n’en voyons pas encore toutes les impli­ca­tions. C’est donc une joie pru­dente. Car, à voir tout ce qu’on a connu jusqu’à main­te­nant, on se dit que ce n’est pas fini. Il y a encore beau­coup de tra­vail, mais on se dit aus­si que cette nou­velle situa­tion per­met­tra une beau­coup plus grande union des âmes de bonne volon­té. Il y a vrai­ment une grande espé­rance, même si cela ne se fera pas en un jour, que le mou­ve­ment des âmes qui veulent vrai­ment le Bon Dieu, qui veulent le bien de l’Eglise, va recom­men­cer ; il y a une res­tau­ra­tion de l’Eglise qui s’annonce, qui pro­ba­ble­ment com­men­ce­ra par la dis­ci­pline, par la vie de l’Eglise, plu­tôt que par la doc­trine ; mais une fois que les cœurs sont puri­fiés, il est plus facile d’aborder la doctrine.

– Auparavant vos démarches avec Rome étaient assez limi­tées. Depuis quand s’est pro­duit ce chan­ge­ment dans vos relations ?

– Depuis 2001, nous avons tou­jours dit que la posi­tion était ten­due, et qu’il était pra­ti­que­ment impos­sible de dis­cu­ter, tel­le­ment nous étions dia­bo­li­sés. Et puis Rome fait un geste vers nous, et nous pro­pose de régler la situa­tion. Il faut vrai­ment dire qu’il y a un chan­ge­ment en qua­li­té, qu’il faut attri­buer, du côté humain, au Pape actuel, à Benoît XVI.

– Cela tient-​il à sa connais­sance per­son­nelle de votre situation ?

– Oui, mais ce n’est pas l’essentiel. Il a tou­jours consi­dé­ré comme une bles­sure per­son­nelle de pas avoir réus­si à résoudre le pro­blème en 1988. Maintenant qu’il est pape il veut le résoudre, c’est certain.

Ensuite, il y a la vision du Pape ; il l’a dit dans le motu pro­prio, il veut faire tout ce qu’il peut pour essayer d’éviter qu’une dis­pute se rai­disse et finisse en schisme.

Et je n’hésite pas à inclure un troi­sième élé­ment qui est en dehors de nos per­cep­tions. Le Pape sait beau­coup de choses sur l’Eglise, peut-​être même sur son ave­nir, qui ont pro­ba­ble­ment quelque chose à voir avec cette nou­velle situa­tion… Mais là, on sort du domaine ration­nel, et on ne peut donc pas dire grand-chose.

– La situa­tion, c’est assez net de part et d’autre, est celle d’un accord pour com­men­cer des discussions.

– C’est plus que ça. C’est vrai­ment un pas. Je crois vrai­ment qu’il y a une ligne qui est déjà tra­cée avec le motu pro­prio, et qui est confir­mée ici. Je crois qu’on peut dire que le Pape estime le tra­vail que nous fai­sons, et qu’il veut mettre le prix pour que ces valeurs servent à toute l’Eglise.

– N’y a‑t-​il pas une contra­dic­tion entre la levée de l’excommunication et le fait de ne pas être en pleine communion ?

– Le pro­blème vient d’un péché de lan­gage qui accom­pagne et qui suit Vatican II, où on donne dans l’imprécision. Que veut dire com­mu­nion ? Pleine com­mu­nion ? Autrefois, avant le Concile, on en avait une idée très claire, et si on suit le concept pré-​Vatican II il ne fait abso­lu­ment aucun doute que nous sommes en pleine com­mu­nion. Parce que cela signi­fie appar­te­nir à l’Eglise, et qu’on est soit dedans, soit dehors. Il n’y a pas de milieu. Il y a donc effec­ti­ve­ment quelque chose de contra­dic­toire dans cette his­toire, mais, sous ce terme ambi­gu, on veut dire que nous ne nous enten­dons pas sur tous les points avec le Pape actuel. Après, cer­tains vont dra­ma­ti­ser, vont essayer de jouer sur les mots. C’est une situa­tion floue, où on ne sait plus qui fait quoi, qui dit quoi… D’où une pagaille, dont cha­cun essaye de sor­tir comme il peut. Ça finit dans le sen­ti­men­ta­lisme, dans l’affectif : j’aime bien le Pape, donc je suis en pleine com­mu­nion avec lui, et après je fais ce que je veux chez moi ; ça ne veut plus rien dire.

– Envisagez-​vous des désac­cords sur cette situa­tion nou­velle au sein de la Fraternité ?

– S’il y en a, ils seront minimes. Je ne peux pas tout exclure dans une grande famille comme la nôtre. Il peut tou­jours y avoir un mal­heur, mais ce ne sera rien de significatif.

– Pensez-​vous que votre situa­tion va se régler d’abord sur un point pratique ?

– Jusqu’ici, nous nous sommes don­né une ligne de route selon laquelle il faut d’abord éclair­cir les pro­blèmes doc­tri­naux, car s’il n’y a pas suf­fi­sam­ment de clar­té dans ces ques­tions, et que l’on parte dans des ques­tions juri­diques, on risque de finir en fra­cas. Il faut d’abord éclair­cir les prin­cipes – ce qui ne veut pas dire tout régler, mais qu’il faut réus­sir à obte­nir une cla­ri­fi­ca­tion suf­fi­sante des pro­blèmes fon­da­men­taux de la situa­tion actuelle – sinon on risque de faire les choses soit à moi­tié, soit mal.

– Et pensez-​vous, d’une façon géné­rale, que vos contacts vont s’élargir ?

– Absolument ! C’est le but, comme je l’ai expli­qué à Rome, en sou­li­gnant que nous pro­po­sions une situa­tion certes ban­cale, pro­vi­soire, mais sus­cep­tible d’apporter la paix, de renouer avec toutes les âmes de bonne volon­té. Cela se fera évi­dem­ment graduellement.

– Pratiquement, vous venez pro­cé­der à des confir­ma­tions à Saint-​Nicolas, vous allez appe­ler le car­di­nal Vingt-Trois…

– Tout cela sera de l’ordre de la pru­dence. Il fau­dra voir com­ment va se dérou­ler ce pro­ces­sus. Cela dépen­dra aus­si des réac­tions en face. Pour tout ce qui concerne ces nou­veaux rap­ports, en prin­cipe, ce qui vient de se pas­ser, nous met dans une situa­tion nou­velle. Il est un peu trop tôt pour l’évaluer. On ne peut pas tout pré­voir. C’est donc le grand domaine de la pru­dence. Il n’y a pas d’a prio­ri, le seul a prio­ri c’est celui de la Vérité et de la Charité.

Propos recueillis par Olivier Figueras

Article extrait du n° 6770 du same­di 31 jan­vier 2009 -