L’Eglise n’ouvre pas sa porte qu’aux « parfaits », par André Vingt-Trois

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la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

En 1988, Mgr Marcel Lefebvre, fon­da­teur de la Fraternité Saint-​Pie‑X, pas­sant outre à l’in­ter­dic­tion et aux aver­tis­se­ments que lui avait adres­sés le pape Jean Paul II, consa­crait évêques quatre de ses prêtres, au mépris de la tra­di­tion la plus ancienne de l’Eglise. Ce fai­sant, il entrait dans une rup­ture for­melle avec l’Eglise qu’il pré­ten­dait défendre et l’ex­com­mu­ni­ca­tion était pro­non­cée contre lui et les quatre intéressés.

Le pape a la mis­sion de veiller à l’u­ni­té de l’Eglise. Ni Jean Paul II ni Benoît XVI ne pou­vaient prendre leur par­ti de cette dérive schis­ma­tique qui entraîne dans la déviance des gens de bonne volon­té. Ils ont ten­té de réta­blir cette uni­té avant que les situa­tions se cristallisent.

Lors de la rup­ture entre l’Orient et l’Occident comme au moment de la Réforme, de chaque côté, des esprits avi­sés et moti­vés par l’a­mour de l’Eglise ont ten­té d’é­vi­ter la frac­ture. Ils n’ont pas pu réus­sir. Tirant les leçons des siècles pas­sés et conscients de leur charge par­ti­cu­lière, Jean Paul II et Benoît XVI, pour évi­ter un schisme durable, ont ouvert des portes les unes après les autres. A ce jour, bien peu ont pris sur eux de les fran­chir. La déci­sion de Benoît XVI est une nou­velle chance don­née à la force de la com­mu­nion sur les forces de la division.

Cette déci­sion a sus­ci­té beau­coup de réac­tions : comme si l’ou­ver­ture de la porte était l’ap­pro­ba­tion de toutes les erreurs ! L’émotion a don­né à entendre des pro­pos sur­pre­nants appe­lant l’Eglise à condam­ner et à exclure… Je ne me sen­ti­rais pas bien à ma place dans une Eglise qui n’ou­vri­rait ses portes qu’aux « par­faits ». Je pense que beau­coup des hommes et des femmes qui ont été appe­lés par le Christ à mener une vie nou­velle n’é­taient pas très recom­man­dables. Je suis heu­reux que mon Eglise soit assez forte pour appe­ler à la conver­sion. Cette ouver­ture de l’Eglise n’est jamais une appro­ba­tion du mal com­mis. Elle est tou­jours un appel à se convertir.

La peur n’est pas bonne conseillère. Tout au long de ces jours, je me suis deman­dé qui avait peur de qui et de quoi. Les fan­tasmes du « retour en arrière », ceux d’une tra­hi­son du concile Vatican II, qui ont été agi­tés comme des périls immé­diats, sont-​ils vrai­ment capables de nous aider à com­prendre la situa­tion et à la vivre ? J’en doute. Il y a plus de qua­rante ans, ce concile a recueilli les fruits du dyna­misme et de la vita­li­té de l’Eglise et leur a don­né leur effi­ca­ci­té institutionnelle.

Le mou­ve­ment litur­gique, le mou­ve­ment oecu­mé­nique, les recherches bibliques et patris­tiques, sont sor­tis des cercles des pion­niers et des spé­cia­listes pour enri­chir la vie chré­tienne de tous. Ce qui a sur­gi du concile, ce n’est pas une autre Eglise, c’est l’Eglise catho­lique avec toute sa tra­di­tion, rajeu­nie et revi­go­rée. Interpréter le concile comme une frac­ture engen­drant une autre Eglise, n’est-​ce pas pré­ci­sé­ment faire le jeu de ceux qui dénient à l’Eglise conci­liaire le droit d’as­su­mer la tra­di­tion et qui s’en réservent la défense exclu­sive contre tous ?

Il n’y a pas plus de nou­velle Eglise qu’il n’y a de nou­velle messe. Il y a l’é­vo­lu­tion vivante de la tra­di­tion ecclé­siale qui se déve­loppe sous la conduite des pas­teurs légi­times de l’Eglise.

Si nous devons craindre quelque chose, ce ne sont pas les risques qu’une mino­ri­té de catho­liques feraient cou­rir à la vie de l’Eglise, à son dyna­misme et à sa mis­sion. C’est bien plu­tôt que notre timi­di­té et nos len­teurs ne laissent s’af­fa­dir le dyna­misme de la foi. Nous avons suf­fi­sam­ment de signes de la vigueur de l’Evangile en ce temps pour ne pas trem­bler devant des risques hypo­thé­tiques. La peur engendre la méfiance et l’in­to­lé­rance, sinon la jalousie.

A ceux qui récri­minent contre sa géné­ro­si­té, le maître de la vigne répond : « Ton oeil est-​il mau­vais parce que je suis bon ? » (Matthieu XX, 15). Aujourd’hui, à qui pro­fite la hargne qui se donne libre cours ?

Et main­te­nant ? La porte a été géné­reu­se­ment ouverte. Qui va se pré­sen­ter pour sai­sir la main ten­due et à quelles condi­tions ? Si j’en crois cer­tains dis­cours lar­ge­ment dif­fu­sés sur Internet, un cer­tain nombre des membres de la Fraternité Saint-​Pie‑X ne se disent pas prêts à recon­naître la tra­di­tion ecclé­siale dans le concile Vatican II ni la messe que célèbrent le pape et la tota­li­té des évêques catho­liques. On attend aus­si de savoir si ceux d’entre eux qui prônent le néga­tion­nisme sont déci­dés à y renon­cer, non seule­ment par des pro­pos de cir­cons­tance, mais réel­le­ment et profondément.

Depuis main­te­nant un demi-​siècle, nos rela­tions avec les juifs, « nos frères aînés », ont pris un tour nou­veau. Elles sont faites non seule­ment de res­pect et d’es­time, mais d’une réelle ami­tié, tant entre les res­pon­sables de nos com­mu­nau­tés que dans les rela­tions habi­tuelles entre juifs et chré­tiens. Cette évo­lu­tion n’est pas une pos­ture stra­té­gique ou politique.

Elle s’en­ra­cine dans une véri­table convic­tion théo­lo­gique. Elle est appe­lée à durer et à se déve­lop­per, et nous ne ména­geons rien pour répondre à ce que nous consi­dé­rons comme un signe des temps et un appel. Sur tout cela, le pape Benoît XVI s’est enga­gé for­te­ment et encore mer­cre­di 28 jan­vier. Nous n’en sommes pas sur­pris et nous nous en réjouissons.

+ André Vingt-​Trois, car­di­nal, A arche­vêque de Paris, pré­sident de la Conférence des évêques de France.

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