Le nom de Dieu est miséricorde – Le livre entretien du pape François : incohérences et ambiguïtés

L’abbé Matthias Gaudron, FSSPX, a diri­gé durant douze ans le Séminaire inter­na­tio­nal du Sacré-​Cœur à Zaitzkofen (Bavière). Il est actuel­le­ment pro­fes­seur à l’Institut Sainte-​Marie, dans le can­ton de Saint-​Gall (Suisse). Auteur du Catéchisme catho­lique de la crise dans l’Eglise (éd. du Sel), il ana­lyse le livre du pape François, Le nom de Dieu est misé­ri­corde, dans un article paru sur le site Internet du dis­trict d’Allemagne. .

Dans la tra­duc­tion fran­çaise de cet article par DICI, les cita­tions ren­voient aux pages de l’édition fran­çaise parue chez Robert Laffont/​Presses de la Renaissance.

Dans le cadre de l’Année de la misé­ri­corde, le pape François fait paraître un petit livre, à par­tir d’un entre­tien avec le jour­na­liste vati­ca­niste Andrea Tornelli. A le lire, la misé­ri­corde, serait pour lui « le mes­sage le plus impor­tant de Jésus » (p. 26). « Le Seigneur ne se lasse jamais de nous par­don­ner : jamais ! Alors, nous devons deman­der la grâce de ne jamais nous las­ser de deman­der par­don. » (p. 11).

Il ne s’agit pas pour le pape de mini­mi­ser le péché. La connais­sance de notre état de pécheur est même la condi­tion pour pou­voir rece­voir la misé­ri­corde de Dieu : « Le péché est bien plus qu’une tache. Le péché est une bles­sure qui doit être soi­gnée, pan­sée » (p. 48). A la ques­tion de savoir pour­quoi nous sommes des pécheurs, le pape François répond : « A cause du péché ori­gi­nel… Notre huma­ni­té est bles­sée » (p. 64). « Quand on res­sent la misé­ri­corde de Dieu, on a vrai­ment honte de soi-​même, de son propre péché… La honte est l’une des grâces que saint Ignace fait deman­der dans la confes­sion des péchés devant le Christ cru­ci­fié » (p. 31). « La honte est… un fac­teur posi­tif, parce qu’elle nous rend humbles » (p. 49). Au sujet de l’évangile de la femme adul­tère (Jn 8), il déclare : « Il (Jésus) ne lui dit pas : l’adultère n’est pas un péché, mais il ne la condamne pas au nom de la loi » (p. 15).

Le pape accorde une grande valeur au sacre­ment de la péni­tence. Le deuxième cha­pitre de son livre est inti­tu­lé : « Le don de la confes­sion ». Les évêques et les prêtres « deviennent… des ins­tru­ments de la misé­ri­corde divine. Ils agissent in per­so­na Christi. » (p. 43). Aux confes­seurs, il demande de ne pas rendre la confes­sion pénible aux péni­tents en posant par curio­si­té des ques­tions super­flues (p. 49) et, aus­si, de pen­ser à leurs propres péchés en écou­tant les confes­sions (p. 50).

Ce sont là sans aucun doute des consi­dé­ra­tions impor­tantes et belles, aux­quelles nous ne pou­vons qu’adhérer de grand cœur. Cependant, à la lec­ture de l’ouvrage, quelques inter­ro­ga­tions sur­gissent et cer­taines inco­hé­rences sautent à l’esprit.

Incohérences

Le pape recon­naît abso­lu­ment qu’il y a des cas où le confes­seur doit refu­ser au péni­tent l’absolution, par exemple lorsque que ce der­nier entre­tient une rela­tion pec­ca­mi­neuse à laquelle il ne veut pas mettre fin. Certes François pense que l’on doit vrai­ment « cher­cher le moindre rai de lumière » (titre du cha­pitre III) pour confé­rer l’absolution, mais par­fois, le refus de l’absolution est jus­te­ment un devoir. A ce sujet il dit : « Si le confes­seur ne peut pas absoudre, qu’il explique pour­quoi, mais qu’il donne une béné­dic­tion, quoi qu’il en soit, même sans abso­lu­tion sacra­men­telle » (p. 39). Il est exact que le prêtre peut don­ner une béné­dic­tion à une per­sonne en état de péché grave ; cela n’implique nul­le­ment l’approbation du péché, mais cela peut lui don­ner des grâces qui l’aideront à se conver­tir. Cependant, en avril 2014, le témoi­gnage d’une femme, Jakelin Lisboa, ayant épou­sé civi­le­ment un homme divor­cé, et qui par consé­quent ne rece­vait pas la com­mu­nion de son curé, n’a‑t-il pas été ren­du public ? Le pape François l’aurait appe­lée au télé­phone et lui aurait conseillé de s’approcher de la com­mu­nion « sans pro­blème ». Ce témoi­gnage n’est pas dénué de fon­de­ment, bien que le Vatican – en la per­sonne de son porte-​parole, le P. Federico Lombardi très embar­ras­sé -, n’ait pas osé confir­mer ni démen­tir les pro­pos de François, se conten­tant de décla­rer que l’on « ne sau­rait tirer par­ti » des « conver­sa­tions télé­pho­niques pri­vées » du pape « concer­nant l’enseignement de l’Eglise ». N’y a‑t-​il pas là une contra­dic­tion, si en théo­rie le pape enseigne la doc­trine exacte alors qu’ensuite, en pra­tique, il exerce une fausse misé­ri­corde qui ne prend pas le péché au sérieux ?

On est aus­si éton­né en lisant com­ment le sou­ve­rain pon­tife juge le rela­ti­visme moderne : « Le rela­ti­visme aus­si blesse les per­sonnes : tout semble avoir la même impor­tance, tout se vaut, en appa­rence. » (p. 37). Mais lui-​même n’applique-t-il pas ce rela­ti­visme ? La vidéo inter­re­li­gieuse publiée le 6 jan­vier der­nier ne donne-​t-​elle pas l’impression que le chris­tia­nisme, le judaïsme, l’islam et le boud­dhisme ne sont fina­le­ment que des che­mins dif­fé­rents pour par­ve­nir au même but ? Lors de sa visite à l’église luthé­rienne de Rome, en novembre 2015, ne parlait-​il pas exac­te­ment comme si les dif­fé­rences entre la foi catho­lique et la croyance pro­tes­tante étaient fina­le­ment insignifiantes ?

Ambiguïtés

Tornielli s’adresse direc­te­ment au pape sur sa fameuse décla­ra­tion au sujet des homo­sexuels : « Qui suis-​je pour juger ? ». L’explication du pape sur ce point n’est pas très claire. Il affirme qu’il a seule­ment vou­lu dire que l’on doit trai­ter ces per­sonnes avec beau­coup de déli­ca­tesse et ne pas les mar­gi­na­li­ser. Textuellement il dit : « Je pré­fère que les per­sonnes homo­sexuelles viennent se confes­ser, qu’elles res­tent proches du Seigneur, que nous puis­sions prier ensemble. On peut leur conseiller la prière, la bonne volon­té, leur indi­quer le che­min, les accom­pa­gner » (p. 82). Une réponse catho­lique n’était pour­tant pas dif­fi­cile à don­ner : un homo­sexuel qui lutte contre son incli­na­tion et qui n’a pas contrac­té de « mariage homo­sexuel » ou de rela­tion sem­blable, peut natu­rel­le­ment venir se confes­ser et être absout, quand bien même il retom­be­rait de temps à autre dans ce péché. Par contre, s’il ne veut pas renon­cer à ses pen­chants homo­sexuels, mais conti­nuer à vivre ain­si, on peut seule­ment lui conseiller de prier quand même, et d’aller à la messe pour ne pas perdre com­plè­te­ment la rela­tion avec Dieu. On peut com­prendre la décla­ra­tion du pape en ce sens, mais on a l’impression qu’il a peur d’indiquer clai­re­ment que l’homosexualité est un péché.

Dans l’introduction, Tornelli cite un ser­mon de François qu’il a don­né, le 7 avril 2014, sur l’évangile de la femme adul­tère. Il y décla­rait que la misé­ri­corde « est quelque chose de dif­fi­cile à com­prendre : elle n’efface pas les péchés », car ce qui efface les péchés « c’est le par­don de Dieu », pour­tant « la misé­ri­corde va plus loin » que le par­don (p. 15–16). Il devient dif­fi­cile de com­prendre ce que François veut dire par là. Que la misé­ri­corde nous épargne de la peine due en jus­tice devant Dieu ? Peut-être.

Qu’est-ce qui est nécessaire à notre époque ?

Le pape François fus­tige l’attitude des per­sonnes soi-​disant justes, qui cachent leurs propres péchés der­rière une façade pieuse et regardent avec mépris ceux dont les péchés leur sont connus. Cela semble être un sujet qui lui tient à cœur (cf. par ex. pp. 65–66 et 88–90). Il y a cer­tai­ne­ment tou­jours eu de tels chrétiens-​pharisiens, et il y en a encore aujourd’hui. On peut tou­te­fois se deman­der si c’est vrai­ment un pro­blème cru­cial pour notre temps. N’est-ce pas plu­tôt le fait que de nos jours, beau­coup de chré­tiens ont même per­du la conscience du péché ? Les fidèles ne sont-​ils pas aujourd’hui trai­tés d’hypocrites et de pha­ri­siens sim­ple­ment parce qu’ils main­tiennent que le péché reste un péché, même s’il ne s’agit abso­lu­ment pas pour eux de condam­ner ni de mépri­ser les pécheurs ?

François cite bien le pape Pie XII qui disait que le drame de notre temps est que nous avions per­du le sen­ti­ment du péché (p. 37). Mais sur ce point il ne va pas plus loin, si ce n’est en men­tion­nant l’obstacle que repré­sentent le manque de foi dans la rédemp­tion et la rémis­sion des péchés. C’est tout à fait exact, mais le pro­blème fon­da­men­tal est jus­te­ment que l’on ne veut plus par­ler du péché. En Argentine la situa­tion est peut-​être dif­fé­rente, mais en Europe, en tout cas, une grande par­tie des pécheurs ne dési­rent pas la misé­ri­corde, ils veulent plu­tôt que l’Eglise cesse de par­ler du péché. Les homo­sexuels, ceux qui vivent en concu­bi­nage, ceux qui ne pra­tiquent pas, etc. ne veulent pas entendre par­ler du mes­sage de la misé­ri­corde, mais que l’Eglise recon­naisse et bénisse leur situation.

Le pape sou­haite que nous sor­tions « des églises et des paroisses » pour aller cher­cher les gens « là où ils vivent, où ils souffrent, où ils espèrent », pour soi­gner leurs bles­sures et leur faire voir « le visage d’une Eglise qui redé­couvre le ventre mater­nel de la misé­ri­corde » (p. 74), mais ce désir reste comme une parole en l’air. Sans la foi, l’homme est insen­sible à la misé­ri­corde de Dieu. Le pape devrait donc d’abord appe­ler à pro­cla­mer de nou­veau la foi aux hommes, car même la plu­part des catho­liques ne connaissent presque rien des grandes véri­tés de la foi, de la Sainte Trinité, de l’Incarnation, du Sacrifice de Notre Seigneur pour les hommes, et des sacre­ments. C’est seule­ment à la lumière de la foi que l’homme prend conscience de ses péchés et com­prend qu’il a besoin de la misé­ri­corde de Dieu. Malheureusement, tant que cette annonce de la foi ne se fera pas, des ini­tia­tives comme « l’Année de la misé­ri­corde » res­te­ront en défi­ni­tive sans effet.

Abbé Matthias GAUDRON

Pape François, Le nom de Dieu est misé­ri­corde – Conversation avec Andrea Tornielli, Edition fran­çaise : Robert Laffont/​Presses de la Renaissance, 2016, 171 p.

Sources : FSSPX/​Allemagne – Traduction fran­çaise DICI du 02/​02/​16