Peut-on admettre les divorcés civilement remariés à la communion eucharistique ? Contre la doctrine de l’Eglise catholique, le cardinal Kasper pense que cela est possible à certaines conditions. L’abbé Matthias Gaudron, professeur à l’Institut Sainte-Marie, dans le canton de Saint-Gall (Suisse) montre avec précision sur quels arguments sophistiques repose cette proposition prétendument pastorale, et il les réfute avec vigueur.
Le discours du cardinal Kasper au consistoire du 20 février 2014 a été l’occasion de revendiquer pour les « divorcés remariés », au moins sous certaines conditions, l’accès à la sainte communion. Dans ce discours, il déclarait la nécessité d’une pastorale de la famille adaptée à notre époque, et ce dans le cadre officiel de l’Eglise catholique.
En soi cet exposé du cardinal Kasper n’a pour nous rien de surprenant. En 1993 déjà, alors qu’il était évêque de Rottenburg-Stuttgart, il avait voulu, dans une lettre écrite en accord avec l’évêque de Mayence, Karl Lehmann, et l’archevêque de Fribourg-en-Brisgau, Oskar Saier, autoriser la réception de la communion pour les divorcés civilement remariés en raison « d’une décision responsable de la conscience ». Mais à l’époque, la Sacrée Congrégation de la Foi opposa un refus catégorique.
En revanche, ce qui est aujourd’hui surprenant, c’est le grand éloge que le pape François a adressé à l’exposé du cardinal Kasper. Le Saint Père affirma notamment qu’il avait lu et relu « avant d’aller dormir, mais non pour s’endormir » le discours du cardinal, et qu’il y avait trouvé une « théologie profonde », une « pensée claire », l’exposé du cardinal allemand étant pour lui un modèle de « théologie (faite) à genoux ».
Dans son discours, le cardinal Kasper, avec un style typiquement moderniste, joue entre le « d’une part » et le « d’autre part », obtenant ainsi le résultat qu’il souhaite, tout en se donnant bonne conscience par une apparence d’orthodoxie.
D’une part, « on ne peut proposer de solution qui se différencie ou qui aille contre les paroles de Jésus ». « L’indissolubilité du mariage sacramentel » est « partie intégrante de la foi de l’Eglise ».
D’autre part, pour le bien des enfants, on ne saurait séparer des couples mariés seulement civilement, sans les charger « d’une nouvelle faute ». D’autant que certains considèrent même cette deuxième union civile comme un « cadeau du Ciel »[1].
On ne peut établir, aux dires du cardinal, de solution générale pour tous les cas mais il faut plutôt examiner chaque situation individuelle. A partir de faits concrets, il met en lumière les aspects suivants :
1) Beaucoup de pasteurs d’âmes sont « convaincus que bien des mariages religieux ne sont pas contractés de manière valide[2]».
Il est possible en effet qu’aujourd’hui beaucoup de mariages religieux ne soient pas valides, ce qui est, à vrai dire, un signe de l’état désastreux de la préparation au mariage religieux. A propos de celle-ci, un auteur a écrit qu’elle varie généralement « entre un minimum bureaucratique » et un enseignement « condescendant » et « non-instructif »[3]. Pour de tels cas, il y a les tribunaux ecclésiastiques, où l’on peut intenter un procès en nullité de mariage. Cela ne mène pas à un « divorce catholique », mais au contraire à étudier si, dans le cas en question, le mariage a été contracté validement ou non.
2) Le bien-être des enfants qui sont nés de ce lien uniquement civil rend difficile la séparation des biens entre les deux partenaires.
Si les deux parties s’engagent à vivre ensemble dans l’abstinence complète, « comme frère et sœur », et qu’il n’y a pas de risque de scandale, alors en vertu de ces deux conditions, l’autorisation de recevoir la sainte communion peut effectivement leur être donnée.[4]
3) L’interdiction de l’accès aux sacrements pour des croyants qui désireraient les recevoir met en question la base structurelle des sacrements de l’Eglise. A quoi bon l’Eglise et ses sacrements [5]?
Cet argument est un pitoyable sophisme bien indigne d’un théologien catholique. Les divorcés remariés vivent dans un état opposé à la volonté de Dieu, et de plus ils refusent de mettre fin à cette situation. Ainsi, ils se rendent eux-mêmes incapables du pardon de Dieu. Car ce dernier suppose toujours la repentance, celle-là même dont le cardinal Kasper tente de les dispenser. On ne tolère pas qu’un cambrioleur de banque puisse conserver son butin, même s’il est allé un certain temps en prison.
Plus concrètement, le cardinal énumère cinq conditions qui, à son avis, permettraient à un divorcé-remarié « après une période de réorientation » (metanoïa), d’obtenir l’absolution de ses péchés par le sacrement de pénitence, puis de recevoir la sainte communion : 1) s’il se repent de l’échec de son premier mariage ; 2) s’il a mis au clair les responsabilités liées au premier mariage et si le retour à cette première union est absolument exclu ; 3) s’il ne peut, sans faute de sa part, s’affranchir des responsabilités contractées au cours des secondes noces civiles ; 4) s’il s’efforce de vivre ce second mariage civil dans la foi et d’éduquer ses enfants dans la foi ; 5) s’il attend des sacrements une force particulière pour l’aider dans sa situation actuelle ». [6]
Même si l’on applique strictement ces conditions – ce qui est probablement assez illusoire vu l’état actuel de la pastorale – il s’ensuit que la proposition du cardinal Kasper permettrait à celui qui vit dans l’adultère et qui veut le rester, d’être absous de ses fautes et de recevoir la communion eucharistique. Ce qui peut s’interpréter de deux façons : soit il est maintenant permis de communier en état de péché grave, soit il n’est plus considéré comme gravement peccamineux de vivre maritalement hors d’un véritable mariage.
De fait, les considérations du cardinal Kasper semblent tendre vers la deuxième solution. Dans un entretien avec le journaliste Andrea Tornielli du 18 septembre 2014, il déclarait en effet : « Ne pourrait-on pas dans certains cas, envisager que des éléments du sacrement de mariage se trouvent dans une union civile ? Par exemple, un engagement tout au long de la vie, l’amour et le soin mutuels, une vie chrétienne, l’engagement public, autant de points qui n’existent pas dans un mariage civil. »
Cela veut dire que dans un bon mariage civil – notamment lorsqu’il est conclu entre personnes croyantes – on peut trouver certains éléments du mariage chrétien sacramentel. Non pas que les deux doivent être mis sur un pied d’égalité ; cependant l’union civile n’est pas mauvaise en soi, mais simplement moins bonne ! Jusqu’ici on parlait d’actions bonnes ou mauvaises, de vie dans la grâce ou dans le péché mortel. Maintenant il ne reste plus que des actions bonnes ou moins bonnes. Des formes de vie épousant totalement l’idéal chrétien et d’autres qui ne lui correspondent que partiellement !
Le cardinal Kasper étaye ses conceptions par un parallèle avec la nouvelle ecclésiologie de Vatican II : « La doctrine de l’Eglise n’est pas un système fermé. Le concile Vatican II nous enseigne qu’il y a un développement vers l’enrichissement. Je me demande si une compréhension plus profonde, semblable à celle que nous avons vue dans l’ecclésiologie, ne serait pas envisageable dans ce cas : bien que l’Eglise catholique soit la véritable Eglise du Christ, il se trouve des éléments ecclésiaux hors des limites institutionnelles de l’Eglise. » Avant le concile Vatican II, l’Eglise enseignait que les confessions chrétiennes non-catholiques étaient hors du giron de la véritable Eglise, et ne faisaient donc pas partie de l’Eglise de Jésus-Christ. Le « subsitit in » de Lumen Gentium 8 ouvre une voie pour les reconnaître comme des réalisations partielles de l’Eglise du Christ. Les confessions non catholiques, ne possédant pas sa richesse, sont donc moins bonnes que l’Eglise catholique, mais elles ne sont pas en soi mauvaises : vous ne vous y séparez pas du Christ, mais vous lui êtes moins bien uni !
C’est exactement ce qu’a publié le rapporteur général du Synode extraordinaire des évêques, le cardinal Peter Erdö, dans son rapport intermédiaire, le 13 octobre 2014 :
« Une clef herméneutique significative provient de l’enseignement du concile Vatican II, qui, s’il affirme que « l’unique Eglise du Christ subsiste dans l’Eglise catholique », reconnaît également que « bien des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Eglise du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique » (Lumen gentium 8). Dans cette perspective, doivent tout d’abord être réaffirmées la valeur et la consistance propres du mariage naturel. Certains se demandent s’il est possible que la plénitude sacramentelle du mariage n’exclut pas la possibilité de reconnaître des éléments positifs également dans les formes imparfaites qui se trouvent en dehors de cette réalité nuptiale mais dans tous les cas ordonnées à celle-ci. La doctrine des degrés de communion, formulée par le concile Vatican II, confirme la vision d’une manière articulée de participer au Mysterium Ecclesiæ de la part des baptisés. Dans cette même perspective, que nous pourrons qualifier d’inclusive, le Concile ouvre également l’horizon dans lequel s’apprécient les éléments positifs présents dans les autres religions (cf. Nostra ætate, 2) et cultures, malgré leurs limites et leurs insuffisances (cf. Redemptoris Missio, 55). » [7]
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Même les communautés homosexuelles peuvent posséder des « éléments de bien », comme le déclara le 22 mai 2014 le cardinal Kasper en défendant le référendum sur le « mariage » homosexuel en Irlande. Dans un entretien à la chaîne de télévision allemande ARD, le 15 octobre 2014, il ajouta qu’on pouvait reconnaître des éléments positifs dans un mariage entre homosexuels, même si cela n’a jamais été le modèle suivi par l’Eglise catholique.
De cette manière, Jésus-Christ et son Eglise deviennent une offre facultative parmi les différentes religions et modes de vie. Comme dans toutes les religions, on peut percevoir quelque chose de bon dans chaque personne et dans chaque forme de vie ; tout devient un chemin ou une voie de salut.
En réalité, celui qui a reconnu la vérité de la foi catholique et qui ne veut pas entrer dans l’Eglise catholique, ne sera pas sauvé. Cela, même le concile Vatican II l’affirme : « C’est pourquoi ceux qui refuseraient soit d’entrer dans l’Eglise catholique, soit d’y persévérer, alors qu’ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient pas être sauvés. » (Lumen gentium, 14). Les croyants des autres religions ne peuvent donc être sauvés, que s’ils vivent dans l’erreur sans faute de leur part et s’ils accomplissent ce que leur conscience leur dicte. De manière analogue, ceux qui défient sciemment les commandements de Dieu ne sont pas dans la grâce de Dieu. Ce qui reste de naturellement bon et de bien chez eux, fait que leur vie est moins mauvaise que s’ils étaient dans un total dévoiement de la vérité et de l’amour, mais il n’en reste pas moins que ce n’est pas bien en soi !
On ne saurait nier que l’exposé du cardinal Kasper manifeste une certaine cohérence dans l’application de l’œcuménisme conciliaire à l’enseignement moral [de l’Eglise]. Il fait bien voir où cela mène, lorsque le faux n’est plus appelé faux, mais seulement moins vrai, et lorsque le mauvais n’est plus vraiment mauvais mais seulement moins bon.
Abbé Matthias Gaudron, professeur à l’Institut Sainte-Marie, dans le canton de Saint-Gall (Suisse), prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : DICI du 16 octobre 2015
- Cardinal Walter Kasper, L’Evangile de la famille, le discours devant le consistoire, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 2014, p. 55 (édition allemande).[↩]
- Id., p. 58.[↩]
- J. M. Rist, « Divorce et remariage dans l’Eglise primitive : quelques réflexions historiques et culturelles » in Robert Dodaro (Dir.), Demeurer dans la vérité du Christ : mariage et communion dans l’Eglise catholique, Artège, Paris, 2014, p. 63.[↩]
- Cf. Cardinal Velasio de Paolis, « Les divorcés remariés et les sacrements de l’eucharistie et de la pénitence », in Robert Dodaro, Demeurer dans la vérité du Christ, p. 181–182.[↩]
- Cardinal Kasper, L’Evangile de la famille, p. 62.[↩]
- Id. p. 65.[↩]
- Relatio post disceptationem, numéros 17–19.[↩]