Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

5 septembre 1895

Lettre encyclique Adjutricem Populi

Sur le retour des dissidents séparés de l'Église

Table des matières

À Nos Vénérables Frères les patriarches, pri­mats, arche­vêques,
évêques et autres Ordinaires, en paix et com­mu­nion avec le
Siège apos­to­lique.

LÉON X III, PAPE
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique

Éloges et confiance

Il convient de célé­brer par des éloges tou­jours plus magni­fiques et d’im­plo­rer avec une confiance tou­jours plus vive la Vierge Mère de Dieu, puis­sante et très misé­ri­cor­dieuse auxi­lia­trice du peuple chré­tien. En effet, les motifs de confiance et de louange se mul­ti­plient avec ce tré­sor varié de bien­faits tous les jours plus abon­dants, répan­dus de tous côtés par Marie pour le bien commun.

Progrès du culte marial

Et, en retour d’une telle muni­fi­cence, les catho­liques n’o­mettent certes pas les devoirs d’un très pro­fond dévoue­ment ; car, autant que jamais, mal­gré la grande rigueur de ce temps pour la reli­gion, il nous est don­né de voir l’a­mour et le culte de la bien­heu­reuse Vierge s’accroî­tre et s’en­flam­mer dans toute la socié­té. Un témoi­gnage écla­tant de ce fait se trouve dans le réta­blis­se­ment et la mul­ti­pli­ca­tion géné­rale des Confréries éta­blies sous son patro­nage ; dans la construc­tion de somp­tueux monu­ments dédiés à son auguste nom ; dans les pèleri­nages à ses temples les plus véné­rés, accom­plis par des foules très pieuses ; dans la tenue de Congrès dont les déli­bé­ra­tions ont pour objet d’ac­croître sa gloire ; dans plu­sieurs autres mani­fes­ta­tions de ce genre, excel­lentes en elles-​mêmes et d’un heu­reux augure pour l’avenir.

Rosaire plus estimé

Et, fait remar­quable qu’il Nous est bien doux de rap­pe­ler : par­mi les formes mul­tiples de cette pié­té envers Marie, déjà le Rosaire, ce mode de prière si excellent, est de plus en plus esti­mé et pra­ti­qué. C’est, disons-​Nous, une très grande joie pour Nous ; car, si Nous avons consa­cré une grande part de Nos sol­li­ci­tudes à pro­pa­ger la dévo­tion du Rosaire, Nous consta­tons mani­fes­te­ment avec quelle bien­veillance la Reine du ciel, ain­si invo­quée, a répon­du à Nos vœux ; et Nous espé­rons qu’elle vou­dra ain­si adou­cir les dou­leurs et les amer­tumes que doivent Nous appor­ter les jours prochains.

Intention spéciale
La réconciliation des peuples séparés de l’Église

I. — Une œuvre de Marie

Mais c’est sur­tout pour l’extension du royaume du Christ que Nous atten­dons de la puis­sance du Rosaire un secours plus effi­cace. Le but que Nous pour­sui­vons très ardem­ment à l’heure actuelle est la récon­ci­lia­tion des peuples sépa­rés de l’Église, Nous l’avons indi­qué à maintes reprises ; mais, en même temps, Nous avons décla­ré que le suc­cès doit être cher­ché sur­tout par les prières et les suppli­cations adres­sées à la Toute-​Puissance divine.

— Prières au Saint-Esprit

Cette convic­tion, Nous l’avons affir­mée récem­ment encore, à l’occasion des solen­ni­tés de la Pentecôte, en recom­man­dant d’adresser, à cette inten­tion, des prières spé­ciales au divin Esprit : à cette invi­tation, on a répon­du par­tout avec un grand empres­se­ment. Mais, étant don­née l’importance de ce pro­jet très dif­fi­cile et la per­sé­vé­rance néces­saire à toute ver­tu, le conseil de l’Apôtre : Persévérez dans la prière [1] est très à pro­pos ; d’autant plus que les heu­reux débuts de l’entreprise semblent un doux encou­ra­ge­ment à cette insis­tance dans la prière.

Prières à Marie

Aussi, Vénérables Frères, rien ne sera plus utile à cette entre­prise ni plus agréable pour Nous si, durant tout le mois d’octobre pro­chain, vous et vos peuples, vous invo­quez ins­tam­ment la Vierge Mère par la réci­ta­tion du Rosaire dans les formes pres­crites. Car Nous avons de puis­sants motifs pour confier avec la plus grande espé­rance à sa pro­tec­tion Nos pro­jets et Nos vœux.

A. Marie constituée mère du genre humain

  • Or, en la per­sonne de Jean, selon le sen­ti­ment constant de l’Église, le Christ a dési­gné le genre humain, et, plus spé­cia­le­ment, ceux qui s’attacheraient à Lui par la foi. C’est dans ce sens que saint Anselme de Cantorbéry a dit : Ô Vierge, quel pri­vi­lège peut être plus esti­mé que celui par lequel tu es la Mère de ceux dont le Christ daigne être le Père et le Frère ? [2]

B. Marie remplit cette laborieuse mission

1° En tout temps

a) Aux jours de sa vie terrestre

Marie a assu­ré et rem­pli géné­reu­se­ment cette grande fonc­tion et cette mis­sion labo­rieuse dont les débuts furent consa­crés au Cénacle. Elle a admi­ra­ble­ment sou­te­nu les com­men­ce­ments du peuple chré­tien, par la sain­te­té de son exemple, l’au­to­ri­té de ses conseils, la dou­ceur de ses encou­ra­ge­ments, l’ef­fi­ca­ci­té de ses saintes prières ; vrai­ment Mère de l’Église, Docteur et Reine des Apôtres, à qui Elle com­mu­ni­qua éga­le­ment une part des divins oracles qu’Elle conser­vait dans son cœur [3].

b) Depuis qu’elle est au ciel

Il serait impos­sible de dire tout ce qu’Elle a ajou­té d’é­ten­due et d’ef­fi­ca­ci­té à ces secours, lorsqu’Elle a été éle­vée, auprès de son Fils, à ce faîte de la gloire céleste qui conve­nait à sa digni­té et à l’é­clat de ses mérites. Car de là, selon les des­seins de Dieu, Elle a com­men­cé à veiller sur l’Église, à nous assis­ter et à nous pro­té­ger comme une Mère, de sorte qu’a­près avoir été coopé­ra­trice de la Rédemption des hommes, Elle est deve­nue aus­si, par le pou­voir presque immense qui lui a été accor­dé, la dis­pen­sa­trice de la grâce qui découle de cette Rédemption pour tous les temps.

Piété filiale

Aussi est-​ce avec rai­son que les âmes chré­tiennes se portent vers Marie, obéis­sant comme à une impul­sion ins­tinc­tive ; c’est pour cela qu’elles lui com­mu­niquent avec confiance leurs pen­sées et leurs œuvres, leurs angoisses et leurs joies, et qu’elles se recom­mandent elles-​mêmes, avec tout ce qui est à elles, à sa sol­li­ci­tude et à sa bon­té, avec un aban­don tout filial.

Louanges

C’est de là aus­si que s’é­lèvent à bon droit de nom­breuses louanges de tout pays et de tout rite, se mul­ti­pliant à tra­vers les siècles ; tels que les titres qui lui sont don­nés de notre Mère, notre Médiatrice », de Réparatrice du monde entier *, de Dispensatrice des dons de Dieu *.

2° Son rôle primordial dans le domaine de la foi

Et puisque le fon­de­ment et le prin­cipe des dons divins, par les­quels l’homme est éle­vé au-​dessus de l’ordre de la nature vers les biens éter­nels, est la foi, pour acqué­rir cette foi et pour la faire fruc­tifier, c’est à bon droit qu’on pro­clame l’ex­cel­lence de l’ac­tion secrète de Celle qui a engen­dré l’Auteur de la foi [4] et qui, en rai­son de sa foi, a été saluée Bienheureuse [5]. Personne, ô Vierge très sainte, n’est rem­pli de la connais­sance de Dieu que par vous ; per­sonne n’est sau­vé que par vous, ô Mère de Dieu ; per­sonne n’obtient un don de la Miséri­corde que par vous [6].

a) Diffusion

Et certes, il ne paraî­tra pas exa­gé­ré d’affirmer que c’est sur­tout sous sa conduite et avec son aide, que la sagesse et la doc­trine évan­gélique se sont répan­dues si rapi­de­ment à tra­vers des obs­tacles et des dif­fi­cul­tés immenses, dans l’u­ni­ver­sa­li­té des nations, fon­dant par­tout un nou­vel ordre de jus­tice et de paix. C’est ce qui a ins­pi­ré l’âme et la prière de saint Cyrille d’Alexandrie, lors­qu’il s’a­dresse en ces termes à la Vierge : Par vous les Apôtres ont prê­ché aux nations la doc­trine du salut ; par vous, la Croix bénie est célé­brée et ado­rée dans le monde entier ; par virus, les démons sont mis en fuite et l’homme lui- même est rap­pe­lé au ciel ; par vous, toute créa­ture rete­nue dans les erreurs de l’idolâtrie est rame­née à la connais­sance de la véri­té ; par vous, les fidèles sont par­ve­nus au saint bap­tême, et dans toutes les nations des Eglises ont été fon­dées [7].

b) Conservation

Bien plus, comme l’a pro­cla­mé le même doc­teur, c’est Elle qui a don­né et conso­li­dé le sceptre de la vraie foi [8], et Elle n’a ces­sé de s’em­ployer à main­te­nir, par­mi les peuples, ferme, intacte et féconde, la foi catho­lique. Il existe sur ce point des preuves nom­breuses et assez connues, et qui ont écla­té par­fois d’une manière admirable.

c) Défense

Ce fut sur­tout aux époques et dans les pays où il y avait à déplo­rer l’af­fai­blis­se­ment de la foi par suite de l’indifférence, ou son ébranle­ment par le fléau per­ni­cieux des erreurs, que le secours misé­ri­cor­dieux de l’auguste Vierge se fit sen­tir. Alors, grâce à son impul­sion et à son appui, des hommes émi­nents en sain­te­té et en zèle apos­to­lique se sont levés pour repous­ser les efforts des méchants, pour rame­ner et exci­ter les esprits à la pié­té de la vie chrétienne.

Saint Dominique

Puissant à lui seul comme un grand nombre, Dominique de Guzman se consa­cra à cette double tâche, ayant mis avec suc­cès sa confiance dans le Rosaire de Marie.

Les Pères et les Docteurs

Et per­sonne ne peut mettre en doute quelle grande part a la Mère de Dieu dans les ser­vices ren­dus par les véné­rables Pères et Docteurs de l’Église, qui ont tra­vaillé avec un zèle si remar­quable à la défense et à la mani­fes­ta­tion de la véri­té catho­lique. C’est à Celle, en effet, qui est le Siège de la divine sagesse [9] qu’ils rap­portent avec recon­nais­sance la féconde ins­pi­ra­tion de leurs écrits, et c’est par Elle, par consé­quent, et non par eux-​mêmes, que la malice des erreurs, comme ils le pro­clament, a été confondue.

Les Pontifes romains

Enfin les Princes et les Pontifes romains, gar­diens et défen­seurs de la foi, les uns dans la direc­tion de leurs guerres saintes, les autres dans la pro­mul­ga­tion de leurs décrets solen­nels ont tou­jours implo­ré le nom de la divine Mère, et n’ont jamais man­qué d’en éprou­ver la puis­sance et la faveur.

C’est pour­quoi, avec autant de véri­té que de magni­fi­cence, l’Église et les Pères rendent gloire à Marie : Salut, ô bouche tou­jours élo­quente des apôtres, ô solide fon­de­ment de la foi, rem­part inébran­lable de l’Église [10], salut, ô vous par qui nous avons été ins­crits au nombre des citoyens de l’Église une, sainte, catho­lique et apos­to­lique [11] : salut, source divine, grâce à laquelle les fleuves de la sagesse divine, rou­lant les eaux très pures et très lim­pides de l’orthodoxie, refoulent le flot des erreurs [12]. Réjouissez-​vous, parce que, seule, vous avez détruit toutes les héré­sies dans le monde entier [13].

3° Espoir en elle d’un retour des dissidents

Cette part consi­dé­rable qu’eut la très sainte Vierge dans l’expan­sion, les com­bats, les triomphes de la foi catho­lique, rend plus évident le plan divin à son égard, et doit éveiller chez tous les hommes de bien une grande espé­rance pour ce qui est aujourd’­hui dans les vœux de tous.

Confiance en Marie

Il faut se confier à Marie, il faut sup­plier Marie ! Que ne pourra-​t- Elle pas pour réa­li­ser par sa puis­sance ce relè­ve­ment si dési­rable de la reli­gion, qui met­trait les esprits d’ac­cord par la pro­fes­sion de la même foi dans toutes les nations chré­tiennes, et qui uni­rait les volon­tés par le lien de la cha­ri­té parfaite ?

Son amour de l’unité

Que ne voudra-​t-​Elle pas faire pour que les nations, dont son Fils unique a ins­tam­ment deman­dé à son Père l’u­nion la plus étroite, et qu’il a appe­lées par un seul bap­tême au même héri­tage de salut [14] acquis à un prix d’une valeur infi­nie, se dirigent toutes ensemble vers son admi­rable lumière ?

Fonction maternelle

Combien ne voudra-​t-​Elle pas déployer de ten­dresse et de pré­voyance soit pour allé­ger les longues fatigues que ce sou­ci impose à l’Eglise, l’é­pouse du Christ, soit pour réa­li­ser dans la famille chré­tienne ce bien­fait de l’u­ni­té qui est le fruit insigne de sa mater­ni­té ?

Espoir prochain

L’espoir de la pro­chaine réa­li­sa­tion de ces biens semble confir­mé par l’o­pi­nion et la confiance qui gran­dissent dans les âmes pieuses, que Marie sera l’heu­reux lien par la forte et douce éner­gie duquel tous ceux qui aiment le Christ, par­tout où ils se trouvent, for­me­ront un seul peuple de frères, obéis­sant, comme à un Père com­mun, à son Vicaire sur la terre, le Pontife romain.

a) L’unité chrétienne mariale au concile d’Éphèse

Ici la pen­sée se reporte, d’elle-​même, à tra­vers les fastes de l’Église, vers les magni­fiques exemples de l’an­tique uni­té, et s’ar­rête plus volon­tiers aux sou­ve­nirs du grand Concile d’Éphèse. La souve­raine com­mu­nau­té de foi, la par­ti­ci­pa­tion aux mêmes sacre­ments qui unis­sait alors l’Orient et l’Occident, parut en effet s’affirmer alors avec une fer­me­té sin­gu­lière, et briller d’une gloire plus pure, lorsque les Pères du Concile, ayant régu­liè­re­ment sanc­tion­né le dogme qui déclare la sainte Vierge Mère de Dieu, la nou­velle de cet évé­ne­ment, sor­tant de la très reli­gieuse cité trans­por­tée de joie, rem­plit tout l’univers chré­tien de la même allégresse.

Stimulant pour la prière

Toutes ces rai­sons, qui sou­tiennent et déve­loppent la confiance d’être exau­cé par la puis­sante et très bonne Vierge, doivent être comme autant de sti­mu­lants qui excitent le zèle que Nous deman­dons aux catho­liques pour la prier. Qu’ils réflé­chissent com­bien ce zèle est beau, com­bien il leur sera utile à eux-​mêmes, com­bien il sera doux et agréable à la sainte Vierge. Car, pos­sé­dant l’unité de la foi, ils mani­festent ain­si qu’ils estiment gran­de­ment, et à bon droit, la valeur de ce bien­fait, et qu’ils veulent le gar­der très précieusement.

Charité fraternelle

Or, ils ne peuvent mieux mani­fes­ter leur amour fra­ter­nel, à l’égard des dis­si­dents, que s’ils leur viennent puis­sam­ment en aide pour recou­vrer ce seul bien, le plus grand de tous. Cette affec­tion frater­nelle, vrai­ment chré­tienne, qui sur­vit dans toute l’histoire de l’Église, a tou­jours deman­dé sa prin­ci­pale force à la Mère de Dieu, qui est le meilleur arti­san de la paix et de l’unité.

Saint Germain de Constantinople l’invoquait en ces termes : Souvenez-​vous des chré­tiens qui sont vos ser­vi­teurs, recom­man­dez les prières de tous, aidez les espé­rances de tous ; affer­mis­sez la foi, unis­sez les Églises entre elles [15]. Les Grecs lui adressent encore cette prière : ô Vierge très pure, à qui il a été don­né d’ap­pro­cher sans crainte de votre Fils, priez-​le, ô Vierge très sainte, pour qu’il accorde la paix au monde, et qu’il ins­pire même esprit à toutes les Églises, et, tous ensemble, nous vous glo­ri­fie­rons [16].

b) Les nations dissidentes, jadis, ont bien mérité de Marie

Ici s’offre un motif spé­cial pour lequel la sainte Vierge doit écou­ter plus favo­ra­ble­ment nos prières en faveur des nations dis­sidentes : c’est que ces nations, et sur­tout les nations orien­tales, ont jadis bien méri­té d’Elle. C’est à elles qu’on doit pour beau­coup la pro­pa­ga­tion et l’accroissement de son culte ; c’est chez elles qu’ont vécu de remar­quables apo­lo­gistes et défen­seurs de sa digni­té ; des pané­gy­ristes illustres par l’ardeur et la sua­vi­té de leur élo­quence, des impé­ra­trices très agréables à Dieu [17] qui ont imi­té l’exemple de la Vierge très pure, l’ont célé­brée par leur muni­fi­cence, et ont éle­vé, en son hon­neur, des édi­fices et des basi­liques avec un luxe royal.

Les images d’Orient honorées en Occident

Il Nous plaît d’a­jou­ter quelque chose qui n’est pas étran­ger au sujet, et qui est glo­rieux pour la sainte Mère de Dieu. Personne n’i­gnore que beau­coup de ses images, à diverses époques, ont été appor­tées d’Orient en Occident, sur­tout en Italie et à Rome ; nos pères les ont recueillies avec un sou­ve­rain res­pect et les ont hono­rées magni­fi­que­ment, et leurs enfants s’ap­pliquent, à l’en­vi, à entou­rer de la même pié­té ces images très vénérables.

L’esprit aime à recon­naître dans ce lait comme un augure de bien­veillance et de laveur de la part d’une Mère si atten­tive. Car il semble signi­fier que ces images sont chez nous comme les témoins des temps où la famille chré­tienne était par­tout étroi­te­ment unie, et comme les pré­cieux gages d’un com­mun héri­tage ; c’est pour­quoi leur aspect, selon que la Vierge même nous en aver­tit, doit invi­ter les cœurs à se res­sou­ve­nir pieu­se­ment de ceux que l’Église catho­lique rap­pelle avec amour à l’an­cienne concorde et à la joie qu’ils goû­taient dans son sein.

II. — Un moyen : Le Rosaire

Ainsi donc, un grand secours a été divi­ne­ment don­né en Marie pour l’u­ni­té chré­tienne. Et ce secours, s’il n’y a pas un mode unique de prière qui puisse le méri­ter, Nous croyons qu’au­cun autre n’est meilleur ni plus salu­taire que celui du Rosaire.

1. Moyen facile de vivre de l’unité de foi

Précédemment déjà, Nous avons fait obser­ver que l’un de ces prin­ci­paux avan­tages est de four­nir au chré­tien un moyen court et facile d’a­li­men­ter sa foi et de la pré­ser­ver de l’i­gno­rance et du péril de l’er­reur : c’est ce qu’at­testent clai­re­ment les ori­gines mêmes du Rosaire. On voit, en outre, à l’é­vi­dence, com­bien une foi qui s’exerce ain­si, soit par la prière vocale réité­rée, soit par la médi­ta­tion des mys­tères, le rap­proche de Marie. Car, chaque fois que, en prière devant Elle, nous dérou­lons la sainte cou­ronne, selon le rite, nous nous remé­mo­rons l’œuvre admi­rable de notre salut, en sorte que nous repas­sons en esprit, comme si la réa­li­té était devant nos yeux, cha­cun des actes par la suite et l’ac­com­plis­se­ment des­quels la Mère de Dieu est deve­nue aus­si notre Mère.

Maternité de Marie

L’excellence de cette double digni­té, le fruit de ce double minis­tère appa­raissent dans une vive lumière, si l’on consi­dère pieu­se­ment la Vierge Marie asso­ciée à son Fils dans cha­cun des mys­tères joyeux, dou­lou­reux et glo­rieux. Il en résulte que l’âme s’embrase dans le sen­ti­ment d’une affec­tueuse recon­nais­sance pour Elle et, dédai­gnant toutes les choses péris­sables, s’ef­force par une ferme réso­lu­tion de se rendre digne d’une telle Mère et de ses bienfaits.

2. Moyen puissant d’obtenir le retour des dissidents

Et comme par cette fré­quente et pieuse com­mé­mo­ra­tion de ces mys­tères, cette Mère, la meilleure des mères, ne peut point n’être pas favo­ra­ble­ment tou­chée et se sen­tir émue de com­pas­sion pour les hommes, Nous avons conclu que la prière du Rosaire est particulière­ment oppor­tune pour plai­der auprès d’Elle la cause de nos frères dis­si­dents. Cela rentre tout à fait dans la mis­sion de sa mater­ni­té spi­ri­tuelle. Car ceux qui sont du Christ, Marie ne les a enfan­tés et Elle ne pou­vait les enfan­ter que dans une même foi et dans un même amour ; car, est-​ce que le Christ est divi­sé ? [18] Donc, tous, nous devons vivre en com­mun la vie du Christ, pour que nous pro­dui­sions des fruits pour Dieu [19] dans un seul et même corps.

3. Une seule famille en dépendance dune même Mère

Tous ceux donc que le triste mal­heur des temps a sépa­rés de cette uni­té, il faut que cette même Mère, qui n’a ces­sé d’être accrue par Dieu dans la per­pé­tuelle fécon­di­té d’une sainte pro­gé­ni­ture, les enfante en quelque sorte de nou­veau à Jésus-​Christ. Il est mani­feste qu’Elle le veut ardem­ment Elle-​même, et si nous lui don­nons les guir­landes de la prière la plus agréable à son cœur, Elle leur obtien­dra en abon­dance les secours de l’Esprit vivi­fiant. Plaise à Dieu qu’ils ne refusent pas de secon­der les dis­po­si­tions de leur misé­ri­cor­dieuse Mère, et que, son­geant à leur salut, ils écoutent cette douce invi­ta­tion : Mes petits enfants, vous que j’enfante de nou­veau, jusqu’à ce que le Christ soit for­mé en vous [20].

4. Diffusion du Rosaire chez les Orientaux

Ayant éprou­vé cette ver­tu du Rosaire de la sainte Vierge, plu­sieurs de Nos pré­dé­ces­seurs ont appli­qué leurs soins à le répandre par­mi les nations orien­tales. Et d’a­bord Eugène IV, par sa consti­tu­tion l’Advesparascente, don­née en 1439 ; puis, Innocent XII et Clément XI, par l’au­to­ri­té des­quels de grands pri­vi­lèges furent, à cet effet, accor­dés à l’Ordre des Frères Prêcheurs. Les fruits ne se firent pas attendre, grâce au zèle et à l’ac­ti­vi­té des reli­gieux de cet Ordre, et ils sont attes­tés par des docu­ments nom­breux et écla­tants, bien que la longue dif­fi­cul­té des temps ait été un obs­tacle aux pro­grès de cette œuvre.

À notre époque, la même ardeur pour la dévo­tion du Rosaire, que Nous avons louée au début de cette lettre, se fait sen­tir en ces régions dans beau­coup de cœurs, et Nous espé­rons que, dans l’a­ve­nir, ce fait, qui cor­res­pond à Nos des­seins, sera très utile à la réa­li­sa­tion de Nos vœux.

Église dédiée à Notre-​Dame du Rosaire

À cette espé­rance vient se joindre un heu­reux évé­ne­ment, qui concerne éga­le­ment l’Orient et l’Occident, et répond plei­ne­ment à Nos vœux. Nous vou­lons par­ler du pro­jet dont le célèbre Congrès eucha­ris­tique de Jérusalem a eu l’i­ni­tia­tive, visant la construc­tion d’un temple en l’hon­neur de la Reine du très saint Rosaire, à Patras, dans l’Achaïe, non loin des lieux où la pro­tec­tion de Marie fit écla­ter la gloire du nom chrétien.

Déjà un grand nombre d’entre vous, sol­li­ci­tés par le Comité fon­dé avec Notre appro­ba­tion, se sont empres­sés de contri­buer à cette entre­prise par des sous­crip­tions, y ajou­tant même la pro­messe de s’y inté­res­ser jus­qu’à son achè­ve­ment. Ces faits ont mon­tré qu’on pou­vait com­men­cer les tra­vaux avec la gran­deur qui convient à cette œuvre, et Nous avons don­né l’au­to­ri­sa­tion de poser prochaine­ment, en grande solen­ni­té, la pre­mière pierre de cet édifice.

Ce temple demeu­re­ra, au nom du peuple chré­tien, comme monu­ment d’une per­pé­tuelle recon­nais­sance à notre Avocate et à Notre Mère du ciel. On l’y invo­que­ra sans cesse dans les rites latin et grec, pour qu’Elle daigne mettre le comble à ses anciens bien­faits par de nou­velles faveurs.

Exhortation

Et main­te­nant, Vénérables Frères, Notre exhor­ta­tion revient à son point de départ. Oui, que tous, pas­teurs et trou­peaux, sur­tout ne renuant, suaeque consu­lentes salu­ti, boni audiant blan­dis­sime invi­tan­tem : Füioli mei, quos ite­rum par­tu­rio, donec for­me­tur Christus in vobis.

dans le mois pro­chain, se réfu­gient pleins de confiance sous l’é­gide de l’au­guste Vierge. En public et en par­ti­cu­lier, qu’ils ne cessent, par les chants, par la prière, par les vœux, de s’u­nir pour l’in­vo­quer et la sup­plier comme Mère de Dieu et notre Mère : Monstra te esse Matrem. Que sa mater­nelle clé­mence conserve à l’a­bri de tout péril sa famille uni­ver­selle, qu’Elle la conduise à une véri­table pros­pé­ri­té et sur­tout qu’Elle la fonde dans la sainte uni­té. Qu’Elle regarde avec bien­veillance les catho­liques de toute nation, et que, les unis­sant par les liens de la cha­ri­té, Elle les rende plus actifs et plus constants pour sou­te­nir l’hon­neur de la reli­gion, d’où découlent en même temps pour l’État les biens les plus précieux.

Qu’avec une très grande bien­veillance, Elle regarde aus­si les dis­si­dents, ces nations grandes et illustres, ces âmes éle­vées qui se sou­viennent du devoir chré­tien ; qu’Elle sus­cite en eux les plus salu­taires dési­rs, et qu’a­près les avoir fait naître, Elle les sou­tienne et en favo­rise l’accomplissement.

Pour les dis­si­dents d’Orient, qu’Elle les fasse béné­fi­cier de la dévo­tion si grande qu’ils ont envers Elle, et des hauts faits de leurs ancêtres, accom­plis en si grand nombre pour sa gloire. Pour les dis­si­dents d’Occident, qu’Elle les fasse béné­fi­cier du sou­ve­nir du bien­fai­sant patro­nage par lequel, pen­dant tant de siècles, Elle a éprou­vé et récom­pen­sé la grande pié­té envers Elle de toutes les classes de la société.

Qu’Elle inter­cède pour les uns et pour les autres, par­tout où ils sont, la voix una­nime et sup­pliante des nations catho­liques, et que Notre voix leur vienne en aide, criant jus­qu’au der­nier souffle : Monstra te esse Matrem.

Bénédiction

En atten­dant, comme pré­sage des dons célestes et en témoi­gnage de Notre bien­veillance, Nous vous accor­dons ten­dre­ment la Béné­diction apos­to­lique à cha­cun de vous, à votre cler­gé et à votre peuple.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 5 sep­tembre de l’an­née 1895, la dix-​huitième de Notre pontificat.

Léon XIII, pape

Notes de bas de page
  1. Aux Colossiens, iv, 2.[]
  2. Or. xlvii, olim. xlvi.[]
  3. Luc, ii, 19.[]
  4. Hébr., xii, 2.[]
  5. Luc, i, 45.[]
  6. S. Germanus constan­ti­nop., or. ii in dor­mit. B. M. V.[]
  7. Hom. contra Nestorium.[]
  8. Ib.[]
  9. Litanies de la sainte Vierge.[]
  10. Ex hym­mo Graecor. Αχατιστος.[]
  11. S. Joannes Damasc. or. in. annunc. Dei Genitricis. n. 9.[]
  12. S. Germanus contan­ti­vop, or. in. Deip. Præsentatione, n. 14.[]
  13. In off. B. M. V.[]
  14. Hébr., i, 14.[]
  15. Or. hist, in dor­mit. Deiparae.[]
  16. Ménologe (bré­viaire) de l’Église grecque, le 5 mai, Θεοτοχιον (antienne à la sainte Vierge) après l’hymne IX. Office de sainte Irène, vierge et mar­tyre.[]
  17. S. Cyrille d’Alexandrie. De fide ad Pulcheriam et sorores regi­nae.[]
  18. I aux Corinthiens, i, 13.[]
  19. Aux Romains, vu, 4.[]
  20. Aux Galates, vi, 19.[]