Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

22 mai 1994

Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis

Sur l'ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes

Cette lettre rap­pelle que l’Eglise n’a pas en son pou­voir de modi­fier l’es­sence des sacre­ments et en consé­quence, ne pour­ra jamais ordon­ner des femmes prêtres. Le carac­tère tra­di­tion­nel et irré­for­mable de cette conclu­sion ne fait aucun doute. S’agit-​il pour autant d’une décla­ra­tion ex cathe­dra infaillible en tant que telle ? Les termes employés auraient sem­blé l’af­fir­mer net­te­ment, mais le car­di­nal Ratzinger a étran­ge­ment affir­mé le contraire dans un com­men­taire [1], puis dans une réponse de la CDF en 1995 où il qua­li­fie cette lettre d” »acte du Magistère pon­ti­fi­cal ordi­naire, en soi non infaillible » [2]. Le même car­di­nal admet que la doc­trine expo­sée ici soit irré­for­mable mais pas au titre de l’in­failli­bi­li­té du pape.

Du Vatican, le 22 mai 1994, solen­ni­té de la Pentecôte, en la sei­zième année de mon pontificat.

Vénérables Frères dans l’épiscopat,

1. L’ordination sacer­do­tale, par laquelle est trans­mise la charge, confiée par le Christ à ses Apôtres, d’en­sei­gner, de sanc­ti­fier et de gou­ver­ner les fidèles, a tou­jours été, dans l’Église catho­lique depuis l’o­ri­gine, exclu­si­ve­ment réser­vée à des hommes. Les Églises d’Orient ont, elles aus­si, fidè­le­ment conser­vé cette tradition.

Lorsque, dans la Communion angli­cane, fut sou­le­vée la ques­tion de l’or­di­na­tion des femmes, le Pape Paul VI, fidèle à sa charge de gar­dien de la Tradition apos­to­lique et dési­reux de lever un nou­vel obs­tacle pla­cé sur le che­min qui mène à l’u­ni­té des chré­tiens, rap­pe­la à ses frères angli­cans la posi­tion de l’Église catho­lique : « Celle-​ci tient que l’or­di­na­tion sacer­do­tale des femmes ne sau­rait être accep­tée, pour des rai­sons tout à fait fon­da­men­tales. Ces rai­sons sont notam­ment : l’exemple, rap­por­té par la Sainte Écriture, du Christ qui a choi­si ses Apôtres uni­que­ment par­mi les hommes ; la pra­tique constante de l’Église qui a imi­té le Christ en ne choi­sis­sant que des hommes ; et son magis­tère vivant qui, de manière conti­nue, a sou­te­nu que l’ex­clu­sion des femmes du sacer­doce est en accord avec le plan de Dieu sur l’Église »[3].

Mais, la ques­tion ayant été débat­tue même par­mi les théo­lo­giens et dans cer­tains milieux catho­liques, le Pape Paul VI deman­da à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’ex­po­ser et de cla­ri­fier la doc­trine de l’Église sur ce point. Ce fut l’ob­jet de la Déclaration Inter insi­gniores, que le Pape lui-​même approu­va et ordon­na de publier[4].

2. La Déclaration reprend et déve­loppe les fon­de­ments de cette doc­trine, expo­sés par Paul VI, et conclut que l’Église « ne se consi­dère pas auto­ri­sée à admettre les femmes à l’or­di­na­tion sacer­do­tale »[5]. À ces rai­sons fon­da­men­tales, le même docu­ment ajoute d’autres rai­sons théo­lo­giques qui mettent en lumière la conve­nance de cette dis­po­si­tion divine et il montre clai­re­ment que la pra­tique sui­vie par le Christ n’o­béis­sait pas à des moti­va­tions socio­lo­giques ou cultu­relles propres à son temps. Comme le pré­ci­sa plus tard le Pape Paul VI, « la véri­table rai­son est que le Christ en a dis­po­sé ain­si lors­qu’il a don­né à l’Église sa consti­tu­tion fon­da­men­tale et l’an­thro­po­lo­gie théo­lo­gique qui a tou­jours été obser­vée ensuite par la Tradition de cette même Église »[6].

Dans la Lettre apos­to­lique Mulieris digni­ta­tem, j’ai moi-​même écrit à ce sujet : « En n’ap­pe­lant que des hommes à être ses Apôtres, le Christ a agi d’une manière tota­le­ment libre et sou­ve­raine. Il l’a fait dans la liber­té même avec laquelle il a mis en valeur la digni­té et la voca­tion de la femme par tout son com­por­te­ment, sans se confor­mer aux usages qui pré­va­laient ni aux tra­di­tions que sanc­tion­nait la légis­la­tion de son époque »[7].

En effet, les Évangiles et les Actes des Apôtres montrent bien que cet appel s’est fait selon le des­sein éter­nel de Dieu : le Christ a choi­si ceux qu’il vou­lait (cf. Mc 3,13–14 ; Jn 6,70) et il l’a fait en union avec le Père, « par l’Esprit Saint » (Ac 1,2), après avoir pas­sé la nuit en prière (cf. Lc 6,12). C’est pour­quoi, pour l’ad­mis­sion au sacer­doce minis­té­riel[8], l’Église a tou­jours recon­nu comme norme constante la manière d’a­gir de son Seigneur dans le choix des douze hommes dont il a fait le fon­de­ment de son Église (cf. Ap 21,14). Et ceux-​ci n’ont pas seule­ment reçu une fonc­tion qui aurait pu ensuite être exer­cée par n’im­porte quel membre de l’Église, mais ils ont été spé­cia­le­ment et inti­me­ment asso­ciés à la mis­sion du Verbe incar­né lui-​même (cf. Mt 10,1.7–8 ; 28,16–20 ; Mc 3,13–16 ; 16,14–15). Les Apôtres ont fait de même lors­qu’ils ont choi­si leurs col­la­bo­ra­teurs[9], qui devaient leur suc­cé­der dans le minis­tère[10]. Dans ce choix se trou­vaient inclus ceux qui, dans le temps de l’Église, conti­nue­raient la mis­sion confiée aux Apôtres de repré­sen­ter le Christ Seigneur et Rédempteur[11].

3. D’autre part, le fait que la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Église, n’ait reçu ni la mis­sion spé­ci­fique des Apôtres ni le sacer­doce minis­té­riel montre clai­re­ment que la non-​admission des femmes à l’or­di­na­tion sacer­do­tale ne peut pas signi­fier qu’elles auraient une digni­té moindre ni qu’elles seraient l’ob­jet d’une dis­cri­mi­na­tion ; mais c’est l’ob­ser­vance fidèle d’une dis­po­si­tion qu’il faut attri­buer à la sagesse du Seigneur de l’univers.

La pré­sence et le rôle de la femme dans la vie et dans la mis­sion de l’Église, bien que non liés au sacer­doce minis­té­riel, demeurent abso­lu­ment néces­saires et irrem­pla­çables. Comme l’a obser­vé la Déclaration Inter insi­gniores, « l’Église sou­haite que les femmes chré­tiennes prennent plei­ne­ment conscience de la gran­deur de leur mis­sion : leur rôle sera capi­tal aujourd’­hui, aus­si bien pour le renou­vel­le­ment et l’hu­ma­ni­sa­tion de la socié­té que pour la redé­cou­verte, par­mi les croyants, du vrai visage de l’Église »[12]. Le Nouveau Testament et l’en­semble de l’his­toire de l’Église montre abon­dam­ment la pré­sence, dans l’Église, de femmes qui furent de véri­tables dis­ciples et témoins du Christ, dans leurs familles et dans leurs pro­fes­sions civiles, ain­si que dans la consé­cra­tion totale au ser­vice de Dieu et de l’Évangile. « L’Église, en effet, en défen­dant la digni­té de la femme et sa voca­tion, a mani­fes­té de la gra­ti­tude à celles qui, fidèles à l’Évangile, ont par­ti­ci­pé en tout temps à la mis­sion apos­to­lique de tout le Peuple de Dieu, et elle les a hono­rées. Il s’a­git de saintes mar­tyres, de vierges, de mères de famille qui ont témoi­gné de leur foi avec cou­rage et qui, par l’é­du­ca­tion de leurs enfants dans l’es­prit de l’Évangile, ont trans­mis la foi et la tra­di­tion de l’Église »[13].

D’autre part, c’est à la sain­te­té des fidèles que se trouve tota­le­ment ordon­née la struc­ture hié­rar­chique de l’Église. Voilà pour­quoi, rap­pelle la Déclaration Inter insi­gniores, « le seul cha­risme supé­rieur, qui peut et doit être dési­ré, c’est la cha­ri­té (cf. 1 Co 12–13). Les plus grands dans le Royaume des Cieux, ce ne sont pas les ministres, mais les saints »[14].

4. Bien que la doc­trine sur l’or­di­na­tion sacer­do­tale exclu­si­ve­ment réser­vée aux hommes ait été conser­vée par la Tradition constante et uni­ver­selle de l’Église et qu’elle soit fer­me­ment ensei­gnée par le Magistère dans les docu­ments les plus récents, de nos jours, elle est tou­te­fois consi­dé­rée de dif­fé­rents côtés comme ouverte au débat, ou même on attri­bue une valeur pure­ment dis­ci­pli­naire à la posi­tion prise par l’Église de ne pas admettre les femmes à l’or­di­na­tion sacerdotale.

C’est pour­quoi, afin qu’il ne sub­siste aucun doute sur une ques­tion de grande impor­tance qui concerne la consti­tu­tion divine elle-​même de l’Église, je déclare, en ver­tu de ma mis­sion de confir­mer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pou­voir de confé­rer l’or­di­na­tion sacer­do­tale à des femmes et que cette posi­tion doit être défi­ni­ti­ve­ment tenue par tous les fidèles de l’Église.

Priant pour vous, Vénérables Frères, et pour tout le peuple chré­tien, afin que vous rece­viez constam­ment l’aide divine, j’ac­corde à tous la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 22 mai 1994, solen­ni­té de la Pentecôte, en la sei­zième année de mon pontificat.

Jean-​Paul II

Notes de bas de page
  1. « En pré­sence d’un texte magis­té­riel du poids de cette Lettre apos­to­lique se pose aus­si inévi­ta­ble­ment la ques­tion : quel est le carac­tère obli­ga­toire de ce Document ? Il est dit expres­sé­ment que ce qu’il affirme doit être tenu d’une manière défi­ni­tive dans l’Église et que cette ques­tion est désor­mais sous­traite au jeu des opi­nions fluc­tuantes. Cet acte est-​il donc un acte de « dog­ma­ti­sa­tion » ? À cet égard, il faut répondre que le Pape ne pro­pose aucune nou­velle for­mule dog­ma­tique, mais confirme une cer­ti­tude qui a été constam­ment vécue et affir­mée dans l’Église. En lan­gage tech­nique, on devrait dire : il s’agit d’un acte du Magistère authen­tique ordi­naire du Souverain Pontife, donc d’un acte qui n’entend pas défi­nir quelque chose, ni d’un texte solen­nel « ex cathe­dra », même si l’objet de cet acte est la décla­ra­tion d’une doc­trine ensei­gnée comme défi­ni­tive et donc non réfor­mable. Cela veut dire – comme le sou­ligne la Note de pré­sen­ta­tion du Document – qu’elle est pro­po­sée non comme un ensei­gne­ment pru­den­tiel ni comme une hypo­thèse la plus pro­bable, ni comme un conseil pour l’action, ni comme une simple dis­po­si­tion dis­ci­pli­naire, mais bien comme une doc­trine cer­tai­ne­ment vraie. Le « pro­prium » de la nou­velle inter­ven­tion magis­té­rielle ne concerne donc pas l’explicitation du conte­nu de la doc­trine pro­po­sée, mais seule­ment sa struc­ture for­melle et gno­séo­lo­gique, en ce sens que l’autorité apos­to­lique du Saint-​Père rend expli­cite une cer­ti­tude qui a tou­jours exis­té dans l’Église et qui est main­te­nant mise en doute par cer­tains ; on lui donne une forme concrète, qui intègre sous une forme contrai­gnante ce qui a tou­jours été vécu aupa­ra­vant, tout comme l’on cap­ture l’eau d’une source qui, de cette manière, n’est pas alté­rée mais pro­té­gée contre une éven­tuelle dis­per­sion ou un ensa­ble­ment. » (Documentation catho­lique n° 2097 du 3 juillet 1994, pp. 614) []
  2. Réponse à un doute sur la doc­trine de la lettre apos­to­lique « Ordinatio Sacerdotalis »[]
  3. Cf. PAUL VI, Réponse à la lettre de Sa Grâce le Très Révérend Dr Frederick Donald Coggan, Archevêque de Cantorbery, sur le minis­tère sacer­do­tal des femmes, 30 novembre 1975 : AAS 68 (1976), pp. 599–600 : « Your Grace is of course well aware of the Catholic Church’s posi­tion on this ques­tion. She holds that it is not admis­sible to ordain women to the pries­thood, for very fun­da­men­tal rea­sons. These rea­sons include : the example recor­ded in the Sacred Scriptures of Christ choo­sing his Apostles only from among men ; the constant prac­tice of the Church, which has imi­ta­ted Christ in choo­sing only men ; and her living tea­ching autho­ri­ty which has consis­tent­ly held that the exclu­sion of women from the pries­thood is in accor­dance with God’s plan for his Church » (p. 599).[]
  4. Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insi­gniores sur la ques­tion de l’ad­mis­sion des femmes au sacer­doce minis­té­riel, 15 octobre 1976 : AAS 69 (1977), pp. 98–116.[]
  5. Ibid., p. 100.[]
  6. PAUL VI, Allocution Il ruo­lo del­la don­na nel dise­gno di Dio, 30 jan­vier 1977 : Insegnamenti, vol. XV, 1977, p. 111. Cf. aus­si JEAN-​PAUL II, Exhortation apos­to­lique Christifideles lai­ci, 30 décembre 1988, n. 51 : AAS 81 (1989), pp. 393–521 ; Catéchisme de l’Église catho­lique, n. 1577.[]
  7. Lettre apos­to­lique Mulieris digni­ta­tem, 15 août 1988, n. 26 : AAS 80 (1988), p. 1715[]
  8. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 28 ; Décret Presbyterorum ordi­nis, n. 2.[]
  9. Cf. 1 Tm 3,1–13 ; 2 Tm 1,6 ; Tt 1,5–9.[]
  10. Cf. Catéchisme de l’Église catho­lique, n. 1577.[]
  11. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, nn. 20–21.[]
  12. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insi­gniores, n. 6 : AAS 69 (1977), pp. 115–116[]
  13. Lettre apos­to­lique Mulieris digni­ta­tem, n. 27 : AAS 80 (1988), p. 1719[]
  14. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insi­gniores, n. 6 : AAS 69 (1977), p. 115[]