Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

25 septembre 1865

Allocution consistoriale Multiplices Inter

Sur la condamnation de la franc-maconnerie

Donné à Rome, le 25 sep­tembre 1865

Vénérables Frères, Parmi les nom­breuses machi­na­tions et les moyens par les­quels les enne­mis du nom chré­tien ont osé s’at­ta­quer à l’Église de Dieu et ont essayé, quoi­qu’en vain, de l’a­battre et de la détruire, il faut sans doute comp­ter cette socié­té per­verse d’hommes, vul­gai­re­ment appe­lée « maçon­nique », qui, conte­nue d’a­bord dans les ténèbres et l’obs­cu­ri­té, a fini par se faire jour ensuite, pour la ruine com­mune de la reli­gion et de la Société humaine. Dès que Nos pré­dé­ces­seurs les Pontifes Romains, fidèles à leur office pas­to­ral, eurent décou­vert ses embûches et ses fraudes, ils ont jugé qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour répri­mer par leur auto­ri­té, frap­per de condam­na­tion et exter­mi­ner comme d’un glaive cette secte res­pi­rant le crime et s’at­ta­quant aux choses saintes comme aux choses publiques.

C’est pour­quoi Notre pré­dé­ces­seur Clément XII, par ses Lettres apos­to­liques, pros­cri­vit et réprou­va cette secte, et détour­na tous les fidèles non seule­ment de s’y asso­cier, mais encore de la pro­pa­ger et de l’en­cou­ra­ger de quelque manière que ce fût, sous peine d’en­cou­rir ipso fac­to l’excommunication.

Benoît XIV confir­ma par sa consti­tu­tion cette juste et légi­time sen­tence de condam­na­tion, et il ne man­qua pas d’ex­hor­ter les sou­ve­rains catho­liques à consa­crer toutes leurs forces et toute leur sol­li­ci­tude à répri­mer cette secte pro­fon­dé­ment per­verse et à défendre la socié­té contre le péril com­mun. Plût au Ciel que les monarques eussent prê­té l’o­reille aux paroles de Notre pré­dé­ces­seur ! Plût au Ciel que, dans une affaire aus­si grave, ils eussent agi avec moins de mol­lesse ! Certes, Nous n’eus­sions alors jamais eu (ni nos pères non plus) à déplo­rer tant de mou­ve­ments sédi­tieux, tant de guerres incen­diaires qui mirent l’Europe entière en feu, ni tant de maux amers qui ont affli­gé et affligent encore l’Église. Mais la fureur des méchants ayant été loin de s’a­pai­ser, Pie VII, Notre pré­dé­ces­seur, frap­pa d’a­na­thème une secte d’o­ri­gine récente, le Carbonarisme, qui s’é­tait pro­pa­gée sur­tout en Italie où elle avait fait un grand nombre d’a­deptes ; et, enflam­mé du même zèle pour les âmes, Léon XII condam­na par ses Lettres Apostoliques, non seule­ment les socié­tés secrètes que Nous venons de men­tion­ner, mais encore toutes les autres, de quelque nom qu’elles fussent appe­lées, conspi­rant contre l’Église et le pou­voir civil, et il les inter­dit sévè­re­ment à tous les fidèles sous peine d’ex­com­mu­ni­ca­tion. Toutefois, ces efforts du Siège Apostolique n’ont pas eu le suc­cès que l’on eût dû espérer.

La secte maçon­nique dont Nous par­lons n’a été ni vain­cue ni ter­ras­sée : au contraire, elle s’est tel­le­ment déve­lop­pée, qu’en ces jours dif­fi­ciles elle se montre par­tout avec impu­ni­té, et lève le front plus auda­cieu­se­ment que jamais. Nous avons dès lors jugé néces­saire de reve­nir sur ce sujet, atten­du que par suite de l’i­gno­rance où l’on est peut être des cou­pables des­seins qui s’a­gitent dans ces réunions clan­des­tines, on pour­rait croire faus­se­ment que la nature de cette socié­té est inof­fen­sive, que cette ins­ti­tu­tion n’a d’autre but que de secou­rir les hommes et de leur venir en aide dans l’ad­ver­si­té, qu’en­fin il n’y a rien à en craindre pour l’Église de Dieu. Qui cepen­dant ne voit com­bien une telle idée s’é­loigne de la véri­té ? Que pré­tend donc cette asso­cia­tion d’hommes de toute reli­gion et de toute croyance ? Pourquoi ces réunions clan­des­tines et ce ser­ment si rigou­reux exi­gé des ini­tiés, qui s’en­gagent à ne rien dévoi­ler de ce qui peut y avoir trait ? Et pour­quoi cette effrayante sévé­ri­té des châ­ti­ments aux­quels se vouent les ini­tiés, pour le cas où ils vien­draient à man­quer à la foi du ser­ment ? À coup sûr elle doit être impie et cri­mi­nelle, une socié­té qui fuit ain­si le jour et la lumière ; car celui qui fait le mal, dit l’a­pôtre, hait la lumière. Combien dif­fèrent d’une telle asso­cia­tion les pieuses socié­tés des fidèles qui fleu­rissent dans l’Église catho­lique ! Chez elles, rien de caché, pas de secret. Les règles qui les régissent sont sous les yeux de tous, et tous peuvent voir aus­si les œuvres de cha­ri­té pra­ti­quées selon la doc­trine de l’Évangile.Aussi n’avons-​Nous pas vu sans dou­leur des socié­tés catho­liques de ce genre, si salu­taires, si bien faites pour exci­ter la pié­té et venir en aide aux pauvres, être atta­quées et même détruites en cer­tains lieux, tan­dis qu’au contraire on encou­rage ou tout au moins on tolère la téné­breuse socié­té maçon­nique, si enne­mie de Dieu et de l’Église, si dan­ge­reuse même pour la sûre­té des royaumes.

Nous éprou­vons, Vénérables Frères, de l’a­mer­tume et de la dou­leur en voyant que lors­qu’il s’a­git de réprou­ver cette secte confor­mé­ment aux consti­tu­tions de Nos pré­dé­ces­seurs, plu­sieurs de ceux que leur fonc­tion et le devoir de leur charge devraient rendre pleins de vigi­lance et d’ar­deur en un sujet si grave, se montrent indif­fé­rents et en quelque sorte endor­mis. Si quelques-​uns pensent que les consti­tu­tions apos­to­liques publiées sous peine d’a­na­thème contre les sectes occultes et leurs adeptes et leurs fau­teurs n’ont aucune force dans les pays où ces sectes sont tolé­rées par l’au­to­ri­té civile, assu­ré­ment ils sont dans une bien grande erreur.

Ainsi que vous le savez, Vénérables Frères, Nous avons déjà réprou­vé cette fausse et mau­vaise doc­trine, et aujourd’­hui Nous la réprou­vons et condam­nons de nou­veau. Ce pou­voir suprême de paître tout le trou­peau du Seigneur, que les Pontifes Romains ont reçu du Christ en la per­sonne du bien­heu­reux apôtre Pierre, et par consé­quent le magis­tère suprême qu’ils doivent exer­cer dans l’Église dépendent-​ils du pou­voir civil et peuvent-​ils être empê­chés sans rai­son et res­treint par ce der­nier ? Dans cette situa­tion, de peur que des hommes impru­dents, et sur­tout la jeu­nesse, ne se laissent éga­rer, et pour que Notre silence ne donne lieu à per­sonne de pro­té­ger l’er­reur, Nous avons réso­lu, Vénérables Frères, d’é­le­ver Notre voix apos­to­lique ; et, confir­mant ici, devant vous, les consti­tu­tions de Nos pré­dé­ces­seurs, de Notre auto­ri­té apos­to­lique, Nous réprou­vons et condam­nons cette socié­té maçon­nique et les autres du même genre, qui, tout en dif­fé­rant en appa­rence, se forment tous les jours dans le même but, et conspirent soit ouver­te­ment, soit clan­des­ti­ne­ment, contre l’Église et les pou­voirs légi­times ; et Nous ordon­nons sous les mêmes peines que celles qui sont spé­ci­fiées dans les consti­tu­tions anté­rieures de Nos pré­dé­ces­seurs à tous les chré­tiens de toute condi­tion, de tout rang, de toute digni­té et de tout pays, de tenir ces mêmes socié­tés comme pros­crites et réprou­vées par Nous.

Maintenant il ne Nous reste plus, pour satis­faire aux vœux et à la sol­li­ci­tude de Notre cœur pater­nel, qu’à aver­tir et à exhor­ter les fidèles qui se seraient asso­ciés à des sectes de ce genre, d’a­voir à obéir à de plus sages ins­pi­ra­tions et à aban­don­ner ces funestes conci­lia­bules, afin qu’ils ne soient pas entraî­nés dans les abîmes de la ruine éter­nelle. Quant à tous les autres fidèles, plein de sol­li­ci­tude pour les âmes, Nous les exhor­tons for­te­ment à se tenir en garde contre les dis­cours per­fides des sec­taires qui, sous un exté­rieur hon­nête, sont enflam­més d’une haine ardente contre la reli­gion du Christ et l’au­to­ri­té légi­time, et qui n’ont qu’une pen­sée unique comme un but unique, à savoir d’a­néan­tir tous les droits divins et humains. Qu’ils sachent bien que les affi­liés de ces sectes sont comme ces loups que le Christ Notre Seigneur a pré­dit devoir venir, cou­verts de peaux de bre­bis, pour dévo­rer le trou­peau ! Qu’ils sachent qu’il faut les mettre au nombre de ceux dont l’a­pôtre nous a tel­le­ment inter­dit la socié­té et l’ac­cès, qu’il a expres­sé­ment défen­du de leur dire même : ave (salut)! Que Dieu qui est riche en misé­ri­corde, exau­çant les prières de nous tous, fasse qu’a­vec le secours de Sa Grâce, les insen­sés reviennent à la rai­son et que les hommes éga­rés rentrent dans le sen­tier de la jus­tice ! Que Dieu répri­mande la fureur des hommes dépra­vés qui, à l’aide des socié­tés ci-​dessus men­tion­nées, pré­parent des actes impies et cri­mi­nels, et que l’Église et la socié­té humaine puissent se repo­ser un peu de tant de maux si nom­breux et si invétérés !

Et afin que Nos vœux soient exau­cés, prions aus­si notre avo­cate auprès du Dieu très clé­ment, la Très Sainte Vierge, Sa Mère imma­cu­lée dés son ori­gine, à qui il a été don­né de ter­ras­ser les enne­mis de l’Église et les monstres d’er­reurs ! Implorons éga­le­ment la pro­tec­tion des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul, par le glo­rieux sang des­quels cette noble ville a été consa­crée ! Nous avons la confiance qu’a­vec leur aide et assis­tance, Nous obtien­drons plus faci­le­ment ce que Nous deman­dons à la bon­té divine.

PIE IX, Pape