Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

8 octobre 1941

Discours aux jeunes époux

Le rosaire dans la famille

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 octobre 1941

Venus à Rome pour deman­der la béné­dic­tion du Père com­mun des fidèles sur vos nou­veaux foyers, il fau­drait, bien-​aimés fils et filles, que vous en rem­por­tiez éga­le­ment une dévo­tion accrue envers le rosaire de la Vierge Marie, à laquelle est consa­cré ce mois d’oc­tobre : tant de sou­ve­nirs rat­tachent cette dévo­tion à la pié­té des Romains et elle s’har­mo­nise si bien avec toutes les cir­cons­tances de la vie domes­tique, avec tous les besoins et les dis­po­si­tions par­ti­cu­lières de cha­cun des membres de la famille !

Au cours de vos visites aux sanc­tuaires de cette Ville éter­nelle, il vous est arri­vé dans quel­qu’une de ces antiques basi­liques ou près de la tombe glo­rieuse d’un saint, de vous sen­tir plus vive­ment émus, et, non contents d’un pas­sage rapide, vous vous êtes arrê­tés pour une fer­vente prière à vos inten­tions com­munes : la prière qui mon­tait alors spon­ta­né­ment à vos lèvres, n’était-​ce pas sou­vent la réci­ta­tion de quelque dizaine de votre rosaire ?

Rosaire des jeunes époux, que vous réci­tez côte à côte à l’au­rore de votre nou­velle famille, en face de la vie qui s’ouvre avec ses joyeux pré­sages, mais aus­si avec ses mys­tères et ses res­pon­sa­bi­li­tés. Il est si doux, dans la joie de ces pre­miers jours de pleine inti­mi­té, de mettre ain­si ses espé­rances et ses pro­jets d’a­ve­nir sous la pro­tec­tion de la Vierge toute pure et toute-​puissante, de la Mère d’a­mour et de misé­ri­corde, dont les joies, les dou­leurs et les gloires repassent devant les yeux de votre âme au rythme des dizaines d’Ave Maria, évo­ca­tion des exemples de la plus sainte des familles.

Rosaire des enfants. Rosaire des petits qui tiennent les grains du cha­pe­let entre leurs doigts mignons encore mal­ha­biles et qui len­te­ment répètent, avec appli­ca­tion et effort, mais déjà avec amour, les Pater et Ave que la patience de leur mère leur a ensei­gnés ; ils se trompent, il est vrai, et par­fois ils hésitent, ils confondent ; mais il y a dans le regard qu’ils attachent sur l’i­mage de Marie, de Celle en qui ils savent déjà recon­naître leur Mère du ciel, une can­deur si pleine de confiance ! Ce sera ensuite le cha­pe­let de la pre­mière com­mu­nion, qui aura sa place bien à lui dans les sou­ve­nirs de ce grand jour ; beau sou­ve­nir, à condi­tion cepen­dant de res­ter ce qu’il doit être, non pas un vain objet de luxe, mais un ins­tru­ment qui aide à prier et qui évoque la pen­sée de Marie.

Rosaire de la jeune fille déjà grande, joyeuse et sereine, mais sérieuse en même temps et sou­cieuse de l’a­ve­nir. Elle confie à Marie, la Vierge Immaculée pru­dente et douce, les aspi­ra­tions de dévoue­ment qu’elle éprouve en son cœur ; elle prie pour celui qu’elle ne connaît pas encore, mais que Dieu connaît et que la Providence lui des­tine et qu’elle vou­drait savoir pareil à elle-​même, chré­tien fervent et géné­reux. Ce cha­pe­let qu’elle aime tant à réci­ter le dimanche avec ses com­pagnes, elle devra peut-​être la semaine le dire durant les tra­vaux du ménage, aux côtés de sa mère, ou entre les heures de tra­vail au bureau où à la cam­pagne, lors­qu’elle aura le loi­sir de se rendre à la cha­pelle voisine.

Rosaire du jeune homme, appren­ti, étu­diant ou agri­cul­teur, qui se pré­pare par un tra­vail cou­ra­geux à gagner un jour son pain et celui des siens ; cha­pe­let qu’il garde pré­cieu­se­ment sur soi, comme une pro­tec­tion de cette pure­té qu’il veut por­ter intacte à l’au­tel de ses noces ; cha­pe­let qu’il récite sans res­pect humain dans les loi­sirs favo­rables au recueille­ment et à la prière ; rosaire qui l’ac­com­pagne sous l’u­ni­forme du sol­dat, au milieu des fatigues et des périls de la guerre ; rosaire qu’il ser­re­ra une der­nière fois le jour où peut-​être la patrie lui deman­de­ra le suprême sacri­fice, et que ses com­pa­gnons d’armes décou­vri­ront avec émo­tion entre ses doigts gla­cés et cou­verts de sang.

Rosaire de la mère de famille. Chapelet de l’ou­vrière ou de la pay­sanne, simple et solide, usé par les ans, qu’elle ne pour­ra prendre en main que le soir peut-​être, alors que, bien fati­guée de sa jour­née, elle trou­ve­ra encore dans sa foi et son amour la force de le réci­ter en lut­tant contre le som­meil, pour tous les siens, pour ceux surtout

qui sont le plus expo­sés aux dan­gers de l’âme ou du corps, peut-​être ten­tés ou affli­gés, ou qu’a­vec tris­tesse elle voit s’é­loi­gner de Dieu. Rosaire de la grande dame, plus riche peut-​être, mais sou­vent acca­blée de pré­oc­cu­pa­tions et d’an­goisses plus lourdes encore.

Rosaire du père de famille, de l’homme de tra­vail et d’éner­gie qui ne manque jamais d’emporter son cha­pe­let avec son sty­lo et son cale­pin ; qui, grand pro­fes­seur, ingé­nieur renom­mé, cli­ni­cien célèbre, avo­cat élo­quent, artiste de génie, agro­nome expert, ne rou­git point de réci­ter son cha­pe­let avec une dévote sim­pli­ci­té durant les brefs ins­tants qu’il arrache à la tyran­nie du tra­vail pro­fes­sion­nel pour aller retrem­per son âme de chré­tien dans la paix d’une église, au pied du tabernacle.

Rosaire des vieux. Vieille grand-​mère qui égrène, infa­ti­gable, son cha­pe­let dans ses doigts engour­dis, au fond de l’é­glise, aus­si long­temps qu’elle s’y peut traî­ner sur ses jambes rai­dies, ou durant les longues heures d’im­mo­bi­li­té for­cée dans le fau­teuil, au coin du feu. Vieille tante qui a consa­cré toutes ses forces au bien de la famille et qui, main­te­nant qu’ap­proche le terme d’une vie toute dépen­sée en bonnes œuvres, fait alter­ner, inépui­sable de dévoue­ment, les petits ser­vices qu’elle trouve encore le moyen de rendre, avec des dizaines et des dizaines d’Ave qu’elle dit sans relâche sur son chapelet.

Rosaire du mou­rant, ser­ré aux heures suprêmes comme un der­nier appui entre ses mains trem­blantes, alors qu’au­tour de lui les siens le récitent à voix basse ; cha­pe­let qui res­te­ra sur sa poi­trine avec le cru­ci­fix, témoin de sa confiance en la misé­ri­corde de Dieu et en l’in­ter­ces­sion de la Vierge, de cette confiance dont était rem­pli ce cœur qui a fini de battre.

Rosaire, enfin, de la famille tout entière. Rosaire que tous récitent en com­mun, petits et grands ; qui réunit le soir aux pieds de Marie ceux que le tra­vail de la jour­née avait sépa­rés et dis­per­sés ; qui les unit, ravi­vant les sou­ve­nirs dans une fer­vente prière, aux absents et aux dis­pa­rus ; qui consacre ain­si le lien qui les ras­semble tous sous l’é­gide mater­nelle de la Vierge Immaculée, Reine du Saint Rosaire.

A Lourdes comme à Pompéi, Marie a vou­lu mon­trer par d’in­nom­brables faveurs à quel point cette prière lui est chère. Elle y invi­tait sa confi­dente Bernadette, elle accom­pa­gnait les Ave de l’en­fant, elle égre­nait avec elle len­te­ment son cha­pe­let, brillant comme les roses d’or qui écla­taient à ses pieds. Répondez, chers jeunes époux, répon­dez à ces invites de votre Mère du ciel : assu­rez à son rosaire une place d’hon­neur dans les prières de vos nou­velles familles. Familles que Nous sommes heu­reux de bénir pater­nel­le­ment, et avec elles tous nos autres bien aimés fils et filles ici pré­sents, au nom du Seigneur.

PIE XII, Pape.