Emotion ou réflexion

RéseauxFacebook : 70.7 mili­lards de dol­las de chiffres d’af­faire, ce qui laisse son­geur : l’ap­pli­ca­tion est gratuite

Février 2004, Massachusetts : lan­cée par Mark Zuckerberg, l’application Facebook, pre­mier réseau social, voit le jour. Etablir la liste de ceux qui sui­vront serait trop longue mais en voi­ci quelques-​uns : WhatsApp, Instagram, YouTube, Messenger, Twitter, Linkedin, Snapchat, Tik Tok (pour les ado­les­cents), Habouki (deve­nu Xooloo, pour les enfants de 5 à 13 ans), et j’en passe.

Etat des lieux

Tous ces réseaux sociaux sont deve­nus presque incon­tour­nables pour « com­mu­ni­quer ». Les chiffres sur l’usage de ces appli­ca­tions donnent le tour­nis : 49% du monde uti­lise les réseaux sociaux et ce nombre aug­mente de presque 10% chaque année ; FaceBook c’est 2,6 mil­liards d’utilisateurs actifs par mois, 1,734 mil­liard d’utilisateurs chaque jour, avec 70,7 mil­liards de dol­lars de chiffre d’affaire ce qui laisse son­geur vu la gra­tui­té de l’application ; YouTube compte plus de 2 mil­liards d’utilisateurs par mois et envi­ron 1 mil­liard d’heures de vidéos vues chaque jour ; WhatsApp c’est éga­le­ment plus de 2 mil­liards d’utilisateurs par mois…

Rétrécissons cela à la France : 67% des Français est sur les réseaux sociaux. Ils y pas­saient 1h17 par jour en 2019, 2h22 par jour début 2020 (forte aug­men­ta­tion dûe au coro­na­vi­rus). Sur 67 mil­lions de Français, 28,1 mil­lions vont sur Facebook tous les jours, 17 mil­lions sur YouTube, 9,6 mil­lions sur WhatsApp. Et pour don­ner une idée du niveau d’intérêt de ces consul­ta­tions, les trois comptes FaceBook les plus consul­tés sont ceux de trois foot­bal­leurs… Nous nous arrê­te­rons là pour les chiffres qui parlent d’eux-mêmes et qui sont de sources offi­cielles, four­nis par les déve­lop­peurs des appli­ca­tions eux-​mêmes. Il est évident que tout cela n’est pas sans danger.

Malheureusement, lorsque nous met­tons en garde contre ces réseaux sociaux, nous pas­sons pour des rétro­grades, « l’Eglise enne­mie du pro­grès »… En 2005, un an à peine après la sor­tie de Facebook, une asso­cia­tion (e‑enfance) recon­nue d’utilité publique et sou­te­nue par le minis­tère de l’Education Nationale aver­tis­sait les parents (76% d’entre eux ignorent com­plè­te­ment ce que font leurs enfants sur les réseaux sociaux) non seule­ment sur les dan­gers d’internet et des jeux vidéo, mais aus­si sur les dan­gers inhé­rents aux réseaux sociaux. Depuis long­temps des psy­chiatres essaient de faire prendre conscience aux parents de ces dan­gers. Et pas seule­ment des psy­chiatres, mais aus­si la police, les ensei­gnants, et bien d’autres. Les enfants sont en dan­ger ! Les adultes également…

Les réseaux sociaux ont des consé­quences émo­tion­nelles, finan­cières, juri­diques, sans par­ler des consé­quences morales :

Conséquences émotionnelles

Les « likes » (appro­ba­tion don­née par une tierce per­sonne à un conte­nu publié par soi-​même) rendent addic­tifs. Les jeunes sont par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rables à la dépen­dance des réseaux sociaux car ils recherchent ces appro­ba­tions, ils recherchent de nou­veaux amis per­pé­tuel­le­ment, pro­po­sés même par­fois par l’application elle-​même en fonc­tion de centres d’intérêts com­muns (Instagram : 4,2 mil­liards de likes par jour).

« Si un ado­les­cent est agres­sif c’est peut-​être qu’il passe trop de temps… sur les réseaux sociaux ! » C’est ce que vient de conclure une étude d’une ampleur inédite publiée dans le JAMA psy­chia­try (Revue de recherche psy­chia­trique amé­ri­caine). Cette étude a été menée pen­dant 3 ans sur plus de 6500 ado­les­cents entre 12 et 15 ans. Une consom­ma­tion mas­sive de plus de 3 heures pour­rait déve­lop­per chez les ados du mal-​être, un sen­ti­ment d’insatisfaction, de culpa­bi­li­té et même des dépres­sions. Pour Stéphane Clerget, pédo­psy­chiatre, les ado­les­cents qui consomment beau­coup de réseaux sociaux sont sou­vent des ado­les­cents qui, dans la vie réelle, ne sont pas satis­faits de leurs rela­tions sociales. « Ils attendent des réseaux sociaux une satis­fac­tion, une recon­nais­sance et notam­ment beau­coup de likes. Donc évi­de­ment quand il n’y a pas suf­fi­sam­ment de likes, on est déçu, on est mal. C’est source de stress, de frus­tra­tion, par­fois de tris­tesse », analyse-​t-​il. Ce mal-​être peut aus­si se trans­for­mer en agres­si­vi­té. Les plus grands consom­ma­teurs de réseaux sociaux sont aus­si les plus enclins à se mon­trer mal­veillants ou bles­sants dans des publi­ca­tions ou des commentaires.

Autre phé­no­mène : lorsqu’une noti­fi­ca­tion de réac­tion arrive sur le télé­phone, le corps libère des endor­phines qui peuvent rendre dépen­dant. Ce n’est ni plus, ni moins que le réflexe de Pavlov adap­té à la moder­ni­té. Cette dépen­dance peut entraî­ner des crises d’angoisse cau­sées par un éloi­gne­ment tem­po­raire du smart­phone. Un cer­tain Thierry Crouzet a racon­té son expé­rience dans un livre J’ai débran­ché, com­ment revivre sans inter­net. Une jour­na­liste aus­si, Susan MAUSHART, dans un livre appe­lé Pause.

Chose incroyable, Twitter est en train de tes­ter une nou­velle fonc­tion­na­li­té pour sug­gé­rer aux uti­li­sa­teurs de lire un article, détec­té comme non-​ouvert, avant de le « ret­wee­ter », c’est-à-dire de le faire suivre à d’autres per­sonnes… Non, on veut réagir immé­dia­te­ment, sans réflexion, celle-​ci est absente sur les réseaux sociaux, il n’y a que l’émotion qui compte, ce qu’on ressent.

Petite his­toire pour illus­trer : un jour­na­liste vint un jour deman­der à un phi­lo­sophe dont j’ai oublié le nom ce qu’il pen­sait de la guerre dans un pays loin­tain. Le phi­lo­sophe de lui répondre : « Laissez-​moi cinq ans pour ter­mi­ner l’étude que je suis en train de faire, puis cinq autres années pour étu­dier le pro­blème dont vous me par­lez ». Inutile de dire que le jour­na­liste n’est jamais reve­nu. Ne don­nons pas d’avis sur des sujets que nous ne maî­tri­sons pas, le silence est d’or.

Conséquences financières

Il est rare qu’un réseau social ne mette pas à votre por­tée une publi­ci­té allé­chante por­tant sur toutes sortes de pro­duits ciblés par des mots-​clés que vous pou­vez taper. Des ana­lyses de vos conver­sa­tions, ou autres conte­nus échan­gés, détectent vos prin­ci­paux centres d’intérêts et vous vous ver­rez pro­po­ser des offres cor­res­pon­dantes. Avec l’enregistrement des don­nées de paie­ment en ligne il devient très facile de céder à la ten­ta­tion et des dépenses incon­si­dé­rées sont faites en quelques clics.

Conséquences juridiques

Les réseaux sociaux son rem­plis de pirates, de cyber­cri­mi­nels, de ven­deurs de don­nées. Sans que vous vous en ren­diez compte, vos don­nées sont col­lec­tées et uti­li­sées contre vous. Prenons l’exemple de WhatsApp, appli­ca­tion tant uti­li­sée qui, semble-​t-​il, garan­tit une sécu­ri­té maxi­male puisque les don­nées sont chif­frées. En appa­rence seulement…

Il est pos­sible, en enre­gis­trant sim­ple­ment un numé­ro de télé­phone dans ses contacts, de voir si la per­sonne est sur WhatsApp, donc d’accéder à son sta­tut, son image de pro­fil et les infor­ma­tions qu’elle a elle-​même ren­dues publiques.

Tout cela peut donc tom­ber dans le domaine public à cause de per­sonnes mal inten­tion­nées et don­ner suite à du cyber-​harcèlement, des menaces, des insultes… ce qui est allé jusqu’à entraî­ner des jeunes au sui­cide. Il faut savoir chaque chose publiée sur inter­net est inef­fa­çable. Nous en avons la preuve par les scan­dales qui écla­boussent régu­liè­re­ment les hommes poli­tiques pour qui des pho­tos com­pro­met­tantes sont res­sor­ties quand le besoin se fait sentir.

Conséquences morales

Chiffre à nou­veau édi­fiant, 13 ans est l’âge mini­mum pour s’inscrire sur Facebook, or 48% des enfants entre 8 et 17 ans y sont ins­crits. Mensonge sur l’âge donc à l’inscription pour bon nombre d’entre eux. Ensuite, beau­coup de jeunes enfants sont la cible de conte­nus por­no­gra­phiques, et seule­ment 55% des enfants parlent à leurs parents de leur acti­vi­té sur Facebook. Un grand nombre d’entre eux peut donc avoir un dés­équi­libre affec­tif qui pour­ra les pous­ser aux pires péchés. L’accès à YouTube donne à tout le monde accès à des scènes por­no­gra­phiques… Sur le top 10 des vidéos vues sur YouTube, 9 sont des clips de « musique ». Et je vous prie de croire que ce n’est pas du Beethoven avec robe longue et jaquette.

Il y a péril en la demeure, chers fidèles. Enlevons nos œillères et pre­nons des mesures dras­tiques pour notre bien et celui des enfants. Les recom­man­da­tions qui vont suivre sont celles don­nées par le site www.e‑enfance.org. On pour­rait les croire sor­ties direc­te­ment de l’un de nos bulletins.

Tout d’abord il faut savoir que l’âge de 13 ans est requis pour avoir un compte sur les réseaux sociaux, que pour les 13–14 ans l’autorisation paren­tale est obli­ga­toire (ne pas la don­ner à la légère et sans néces­si­té, juste parce que l’enfant la demande).

Ensuite, ne jamais lais­ser un enfant seul dans sa chambre avec un ordi­na­teur ou un smart­phone, il doit l’utiliser dans une salle com­mune. Le temps de connexion doit être éta­bli à l’avance en fonc­tion des réelles nécessités.

Expliquer aux enfants les dan­gers des réseaux sociaux (ce qui implique pour les adultes de les connaître…). Vérifier les para­mètres de confi­den­tia­li­té sur le compte de votre enfant et uti­li­ser un logi­ciel de contrôle paren­tal, regar­der régu­liè­re­ment l’historique des sites visités.

Parler avec les enfants de ce qu’ils font sur inter­net, s’ils se sont sen­tis mal à l’aise, en dan­ger d’une façon ou d’une autre.

Ne pas hési­ter à sup­pri­mer les comptes si jamais l’enfant ne res­pecte pas les règles.

Et il y aurait encore tant de choses à dire. Alors émo­tion ou réflexion ? Vous avez com­pris que le plus impor­tant reste tou­jours la réflexion. Réfléchissons avant d’ouvrir un compte sur un réseau social, à la néces­si­té, à l’utilité et la per­ti­nence de la chose. Et réflé­chis­sons aus­si avant de réagir sur ces réseaux sociaux car peu de choses en ce monde demandent vrai­ment une réac­tion, hor­mis le péché.

Abbé François Brunet de Courssou, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X (Prieuré de Fort-de-France).

Sources : Apôtres aux Antilles de juillet 2020 /​La Porte Latine du 9 juillet 2020