L’abbé Xavier Beauvais à Saint-​Nicolas le 21 janvier 2009


Sermon pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI

[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations ]

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.

Mes bien cher Frères,

Pourquoi célé­brer une messe plus de deux cents ans après la mort du Roi Louis XVI ? Parce que tout vrai Français et tout vrai chré­tien com­prend qu’une répa­ra­tion doit être offerte à Dieu pour l’outrage qui lui a été fait en ce jour, et qu’une prière doit Lui être pré­sen­tée pour qu’Il lui plaise enfin de reti­rer la France du gouffre où elle s’est jetée en com­met­tant ce régi­cide. C’est donc un acte expia­toire, en répa­ra­tion, une prière pour le roi mais aus­si pour le salut de la France.

« On vou­drait effa­cer cette page de l’histoire, chas­ser cette date du sou­ve­nir des hommes, faire ren­trer dans le néant cette pro­cé­dure. Mais non ! Le fait est irré­pa­rable. Longtemps, chez les autres peuples, la France sera la nation régi­cide et impie, et jusqu’à l’achèvement de sa des­ti­née, elle por­te­ra au front la tache du sang ver­sé sur la place de la Révolution ».

Voilà pour­quoi, deux cent seize ans après, le sou­ve­nir du roi guillo­ti­né ne s’est pas effa­cé de la mémoire de cer­tains Français.

On a sou­vent trou­vé sous la plume d’historiens et d’écrivains pas­sion­nés un plai­sir quel­que­fois même méchant à exa­gé­rer la fai­blesse de Louis XVI dans son gou­ver­ne­ment. A quoi nous servirait-​il ce soir de par­ler d’un roi faible ou d’un roi sans carac­tère, toutes choses qui res­tent à prou­ver. le Pape Pie VI a fait remar­quer à ce sujet qu’on a confon­du sa man­sué­tude avec la fai­blesse sans savoir que la man­sué­tude est l’état d’une âme pleine de fer­me­té que rien ne peut abattre et qui en face des troubles, des insur­rec­tions, des fureurs popu­laire fait dire à Louis XVI cette parole qui l’honore à un si haut degré : « L’homme qui a la conscience pure ne tremble pas ». Livré à la souf­france d’ailleurs, bien loin de témoi­gner de la fai­blesse, il déploya au Temple et à l’échafaud la force, le cou­rage et la gran­deur d’âme qui méri­ta l’adieu du prêtre : « Fils de saint Louis, mon­tez au ciel ».

Qu’importe donc le juge­ment humain por­té sur Louis XVI. Mauvais ou grand roi, bon­té et fai­blesse du roi ? ce qui compte c’est l’âme de ce prince pro­fon­dé­ment dési­reux de don­ner le bon­heur à son peuple, mais qui rou­gis­sait à l’idée d’avoir à le com­man­der et plus encore à le rudoyer parce que son édu­ca­tion rous­seauiste lui avait appris que l’homme était bon par nature. A ses dépens, il fera l’expérience cruelle du contraire. Qui ne par­don­ne­rait à Louis XVI para­ly­sé dans son action par un choc jusque là incon­nu, celui de la monar­chie et de la sub­ver­sion moderne ?

Comme l’écrivit Jean de Viguerie :

« On a beau­coup par­lé d’un roi faible, irré­so­lu, mais on oublie qu’un cer­tain sens de la res­pon­sa­bi­li­té, et un cer­tain sou­ci de la jus­tice étaient son apa­nage. Que Louis XVI ait sem­blé par­fois lent à se déci­der ne signi­fie pour­tant pas que le roi fut un homme indé­cis ou irré­so­lu. Combien de choix a‑t-​il fait qui ne furent jamais déci­dés à la légère. Une par­tie du public était d’ailleurs moins pré­oc­cu­pée par la fai­blesse que par la répu­ta­tion de dure­té du jeune roi.

Sans être un homme auto­ri­taire, le roi avait conscience de sa digni­té de sou­ve­rain parce qu’il se fai­sait une très haute idée de sa dynas­tie et de la place du monarque qu’il regar­dait comme celle d’un inter­ces­seur entre les hommes et le divin ».

Daudet écri­vit dans Les lys san­glants :

« Il était loin d’être le « gros Louis » que disaient les révo­lu­tion­naires. Il conce­vait rai­son­na­ble­ment, mais il y avait en lui un goût du ralen­ti qu’il essayait en vain de sur­mon­ter. Enfin il ne vou­lait pas croire à l’infamie de la nature humaine, quand une mau­vaise poli­tique et l’irréligion ont lâché la bride à ses pires ins­tincts ».

Quel éton­nant mélange que Louis XVI ! On isole trop sys­té­ma­ti­que­ment 1793 de 1789. 

Or, cet inex­piable for­fait de 93, remonte à la guerre faite par ces phi­lo­sophes des ténèbres un siècle durant, à tout ce qui fut reli­gion et morale. Voir dans le mou­ve­ment de 89 une simple insur­rec­tion de l’opinion publique contre des abus into­lé­rables n’est fran­che­ment pas hon­nête, ni sérieux. Ce n’était pas à cer­tains excès – tou­jours pos­sibles quant il s’agit des hommes – mais à l’autorité dans ce qu’elle avait de plus invio­lable et de plus sacré que les fau­teurs du mou­ve­ment de 89 vou­laient por­ter le coup mor­tel. C’était bien à l’assaut du trône et de l’autel, que sur l’ordre des socié­té secrètes mar­chaient les prin­ci­paux cory­phées des idées nouvelles.

Après la vente des biens du cler­gé, le pape Pie VI ne put gar­der le silence :

« L’autorité royale, dira-​t-​il, a été enle­vée au roi très chré­tien pour le mettre sous la dépen­dance de l’Assemblée et l’obliger à sanc­tion­ner tous ses décrets. La nation presque entière est séduite par l’apparence d’une vaine liber­té, au lieu de recon­naître que le salut de l’Etat repose prin­ci­pa­le­ment sur l’autorité de Jésus-​Christ, et que l’on n’est heu­reux selon l’expression de saint Augustin, que quand d’une plein consen­te­ment, on obéit aux rois : car ils sont les ministres de Dieu pour le bien, les enfants et les défen­seurs de l’Eglise qu’ils doivent aimer comme leur mère, et défendre contre ceux qui l’attaquent ».

Coup bas contre l’autorité qui fit dire à Balzac :

« Le jour où la France tran­cha la tête à son roi, elle la tran­cha du même coup à tous les pères de famille ».

Louis XVI sera ain­si le pre­mier sou­ve­rain à avoir affron­té le cata­clysme révo­lu­tion­naire, sans avoir pu bien com­prendre que le désordre était dans les esprits et qu’il ne suf­fi­sait pas d’être un roi bon, pour être un bon roi. Ce fut la pre­mière ren­contre entre l’ordre et la sub­ver­sion. Comme l’écrivit Maurras : « la psy­cho­lo­gie de l’autorité, ses bases les plus géné­rales et les plus pro­fondes se trou­vaient ron­gées, minées, réduites en pous­sière dans toutes les têtes et dans tous les cœurs de ces sin­gu­lières géné­ra­tions (celles de la fin du XVIIIe siècle).

Le crime du 21 jan­vier était en germe dans la sépa­ra­tion de la tête et du corps de la nation.

Ne l’oublions pas, la révo­lu­tion, est d’abord une guerre de reli­gion, la guerre de l’athéisme maté­ria­liste contre l’Eglise romaine à laquelle pré­si­da et pré­lu­da l’Encyclopédie de Voltaire avec son « Ecrasons l’infâme » de Diderot qui dira « Avec les der­niers boyaux des prêtres, nous ser­re­rons le cou du der­nier des rois » jointe au natu­risme de Jean-​Jacques Rousseau, aux débuts de la maçon­ne­rie mon­daine et des socié­tés de pen­sée où se croisent et se mêlent toutes les formes de l’antichristianisme et de l’irréligion dans son ensemble. Clubs phi­lo­so­phiques et poli­tiques qui l’emporteront au sein des assem­blées et accé­lè­re­ront le pas­sage de la dis­cus­sion à l’action, du prin­cipe de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire à la tyran­nie des masses et aux hor­reurs des mas­sacres et de la guillotine. 

Pour s’attaquer effi­ca­ce­ment à la reli­gion, les révo­lu­tion­naires com­prirent d’instinct qu’ils devaient s’attaquer aux per­sonnes du roi et de la reine. On ne peut rien contre les idées si on ne s’en prend d’abord aux per­sonnes qui les repré­sentent. De plus le roi s’identifiait avec la patrie, la famille royale avec la famille fran­çaise ; c’était donc cette patrie, c’était cette famille qu’il fal­lait égor­ger, selon le mot célèbre de Danton pro­non­cé au pro­cès de Louis XVI « Nous ne vou­lons pas juger le roi, nous vou­lons le tuer ». A ce pro­cès du roi se don­nèrent rendez-​vous toutes les calom­nies, tous les faux témoi­gnages, tous les men­songes d’une époque bar­bare et souillée pour ter­mi­ner en cette exé­cu­tion mons­trueuse de Louis XVI opé­rée sans aucune espèce de rai­son, ser­vant seule­ment de pierre de touche pour la sin­cé­ri­té de la foi répu­bli­caine, deve­nue le nou­veau dogme.

La déca­tho­li­ci­sa­tion de la France, pré­sen­tée par Mirabeau comme une condi­tion néces­saire au triomphe des idées nou­velles pas­sait par le régi­cide. Le trône de Louis XVI dont on avait sapé les bases ne devait plus s’appuyer sur l’autel.

Il n’y a donc aucun doute, la révo­lu­tion qui fit tom­ber la tête de Louis XVI a vou­lu abattre le prin­cipe de l’autorité divine. Et c’est bien dans l’esprit de Robespierre qui disait « Tant qu’il y aura des rois par la grâce de Dieu, la révo­lu­tion ne sera pas en sûre­té ». On voit là que l’essence même de la révo­lu­tion com­men­cée en 1789 est l’esprit de révolte : il s’agissait de don­ner à chaque indi­vi­du une âme d’insurgé, en lutte contre toutes les lois natu­relles et divine. Louis XVI a été guillo­ti­né parce qu’il était roi et roi très chré­tien. Les deux ne font qu’un car la révo­lu­tion est d’un même mou­ve­ment : la haine de Dieu et la haine de l’ordre natu­rel éta­bli par Dieu dans sa créa­tion et révé­lé aux hommes. 

Pour la révo­lu­tion, Louis XVI devait mou­rir parce que sa seule pré­sence, même après avoir été savam­ment mis hors d’état de gou­ver­ner, était un obs­tacle aux pré­ten­tions philosophiques.

Comme l’écrira Léon Daudet, « ce qui reste de cette révo­lu­tion de 1789, tant célé­brée, tant van­tée, en prose et en vers, c’est un char­nier, c’est un spec­tacle d’épouvante et de bêtise dont l’humanité offre peu d’exemples ».

Qu’est-ce que le 21 jan­vier 1793 sinon « le fait de brutes enivrées d’une idéo­lo­gie liber­taire, éga­li­taire et sui­ci­daire qui pré­ten­daient cou­per à jamais la France de Dieu lui-​même pour recom­men­cer l’histoire avec les seules forces de la rai­son humaine ».

« Le mau­vais des­tin ser­vi par la méchan­ce­té humaine, j’ai nom­mé l’esprit révo­lu­tion­naire, va s’acharner sans mer­ci ».

Louis XVI, « Roi mar­tyr », tel est le nom qu’il a gar­dé comme vic­time de la Révolution anti­chré­tienne, et tel est le nom que l’histoire lui ren­dant jus­tice, lui a décer­né. Et Louis XVI avait pour ain­si dire consa­cré d’avance cette appel­la­tion de Roi mar­tyr en disant :

« Je suis prêt à m’immoler pour mon peuple. Puisse le sacri­fice de ma vie faire le bon­heur de la France ».

C’est par les saints et les mar­tyrs que furent appe­lés alors à don­ner au monde le témoi­gnage de Notre Seigneur Jésus-​Christ que l’on juge la révo­lu­tion. C’est à la lumière de leur mort que l’on juge les prin­cipes de 1789.

« La reli­gion devait comp­ter cet infor­tu­né monarque au nombre de ses mar­tyrs ». Ainsi s’exprimait le pape Pie VI, ce qui fit dire au car­di­nal Maury : « Le pape a conçu une idée aus­si grande que juste, lorsqu’il a fait entre­voir dans son dis­cours au Consistoire que Louis XVI méri­tait et qu’il obtien­drait un jour les hon­neurs de la canonisation.

C’est la plus belle répa­ra­tion que la reli­gion puisse faire à la royau­té au moment où les scé­lé­rats se sont ligués pour l’avilir, que de trans­for­mer ain­si en autel, l’échafaud de Louis XVI ».

En lisant les actes du mar­tyre de Louis XVI on com­prend que la ver­tu peut faire des­cendre le ciel sur la terre. On com­prend aus­si que la per­ver­si­té humaine peut y faire mon­ter l’enfer, lorsqu’on lit les crimes, les fureurs, les joies hideuses de ses meurtriers.

Nous prions ce soir pour le repos de son âme, certes, sans oublier ce que le pape Pie VI expri­ma en ter­mi­nant son éloge funèbre de Louis XVI.

« Nous avons la confiance qu’il a heu­reu­se­ment échan­gé une cou­ronne royale et des lys qui se seraient bien­tôt flé­tris contre cet autre dia­dème impé­ris­sable que les anges ont tis­sé de lys immor­tels ».

« Ils me feront mou­rir, décla­ra Louis XVI à son avo­cat, Monsieur de Malesherbes, mais qu’importe ! Ce sera gagner une cause que de lais­ser une mémoire intacte et sans tache ».

Louis XVI n’a sau­vé ni sa vie, ni son royaume, mais il a sau­vé l’honneur de Dieu, l’honneur de la France et son hon­neur. Il a ajou­té à la cou­ronne des rois tous les fleu­rons les plus glo­rieux, les plus rares, ceux de la sain­te­té et du mar­tyre, son écha­faud est sa plus grande gloire.

Que Louis XVI demeure pour la pos­té­ri­té celui que Léon Daudet appe­lait « le lys san­glant inef­fable offert en holo­causte aux furies infernales ».

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. 

Ainsi soit-​il

Abbé Xavier Beauvais