En recevant ce matin, lundi 4 juin, une délégation de l’Église luthérienne allemande, le pape François a mis en garde contre la « fuite en avant » et a tenu à dire que « certains thèmes, je pense à l’Église, à l’eucharistie et au ministère ecclésial, méritent des réflexions précises et bien partagées. »
On peut voir dans ces déclarations une allusion voilée à la controverse qui a éclaté entre les évêques catholiques d’Allemagne sur la question de savoir s’il fallait ou pas admettre aussi le conjoint protestant à la communion eucharistique. Mais ce n’est pas tout. Ce matin, une lettre du nouveau cardinal Francisco Ladaria Ferrer (photo ci-dessus), le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, est parvenue aux évêques allemands pour fournir des éléments de réponse fermes justement sur cette question.
La lettre est traduite de l’original allemand et porte la date du 25 mai. Or, le jour précédent, le 24 mai, François avait reçu Ladaria pour s’accorder avec lui sur la version définitive. Ce qui a donné lieu à cette lettre, c’est le document voté à la majorité en février dernier par la Conférence épiscopale allemande présidée par le cardinal Reinhard Marx, l’archevêque de Munich, qui précise comment et quand autoriser la communion au conjoint protestant. Sept évêques, dont l’évêque de Cologne Rainer Maria Woelki, avaient alors fait appel à Rome, à la Congrégation pour la doctrine de la foi, contre ce document.
Ce qui avait donné lieu le 3 mai à un sommet à Rome convoqué par le pape entre les autorités vaticanes compétentes en matière de doctrine et d’œcuménisme et les représentants allemands des deux factions en désaccord.
Le sommet s’était conclu par un communiqué déclarant que Mgr Ladaria avait transmis aux évêques allemands la demande du Pape François de « trouver, dans un esprit de communion ecclésiale, un résultat si possible unanime ». Mais, comme on peut le lire ici, cela n’avait fait qu’attiser la controverse, non seulement en Allemagne mais dans le monde entier.
À présent, cette lettre du Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, rédigée et envoyée « avec l’accord explicite du Pape », bloque la publication du document des évêques allemands qui avait déclenché la controverse et renvoie cette question à une réflexion plus approfondi au niveau de l’Église « universelle » et des rapports œcuméniques avec les Églises autres que protestantes.
Voici donc la lettre, ci-dessous, sur laquelle le Pape François a même apposé à la main son paraphe sur le premier des deux feuillets : « F. 25.5.18 ».
Si on peut dire que le Pape « bloque la publication de la lettre », on ne peut pas dire qu’il en dénonce la teneur : il renvoie simplement la « question à une réflexion plus approfondie » pour que « l’esprit de collégialité épiscopale reste vivant au sein de la Conférence épiscopale allemande » selon ce que le Concile Vatican II demande…Pire, il dit explicitement que « ce document n’est pas mûr pour être publié ».
La dérive n’est donc pas stoppée, elle est suspendue eu égard premièrement au respect de la « collégialité épiscopale » et secondement à cause des « impacts sur les rapports œcuméniques avec d’autres Églises et d’autres communautés ecclésiales ».
Lettre du cardinal Ladaria
Congrégation pour la Doctrine de la Foi
Prot. N. 212/2018 – 64727
Cité du Vatican
Palais du Saint-Office
Le 25 mai 2018
À son Éminence révérendissime
Monsieur le Cardinal Reinhard Marx
Archevêque de Munich et de Freising
Président de la Conférence Épiscopale Allemande
Kardinal-Faulhaber Stre. 77
D‑80333 Munich
Bundesrepublik Deutschland
Éminence et cher Président,
Au terme de notre entretien fraternel du 3 mai 2018 sur le document « Mit Christus gehen… » [« Cheminer avec le Christ. Sur le chemin de l’unité. Mariages interconfessionnels et participation commune à l’eucharistie. Un guide pastoral de la Conférence épiscopale allemande »] nous avions convenu ensemble que j’aurais informé le Saint-Père de notre rencontre.
Au cours de l’audience du 18 mai 2018, j’avais déjà parlé avec le Pape François de notre rencontre et je lui avais remis une synthèse de l’entretien. Le 24 mai 2018, j’ai à nouveau discuté de cette question avec le Saint-Père. A la suite de ces rencontres, je voudrais porter les points suivants à votre connaissance, avec l’accord explicite du Pape.
1. Les nombreux efforts œcuméniques de la Conférence épiscopale allemande et en particulier l’intense collaboration avec le conseil de l’Église évangélique d’Allemagne méritent d’être reconnus et appréciés. La commémoration commune de la Réforme de 2018 a montré qu’au cours des années et décennies, on a trouvé une base susceptible de témoigner ensemble de Jésus Christ, le sauveur de tous les hommes, et de travailler ensemble de façon constructive et décisive dans de nombreux domaines de la vie publique. Tout cela nous encourage à aller de l’avant avec confiance sur le chemin d’une unité toujours plus profonde.
2. Notre entretien du 3 mai 2018 a montré que le texte du guide soulève une série de problèmes de grande importance. Le Saint-Père est donc parvenu à la conclusion que ce document n’est pas mûr pour être publié. Les raisons essentielles de cette décision peuvent être résumées comme suit :
a. La question de l’admission à la communion de chrétiens évangéliques dans des mariages interconfessionnels est un thème qui touche à la foi de l’Église et qui concerne l’Église universelle.
b. Une telle question a des impacts sur les rapports œcuméniques avec d’autres Églises et d’autres communautés ecclésiales qu’il convient de ne pas sous-estimer.
c. Cette thématique concerne le droit de l’Église, principalement l’interprétation du canon 844 CIC. Étant donné que dans certains secteurs de l’Église, il y a des questions ouvertes sur ce sujet, les dicastères compétentes du Saint-Siège ont déjà été chargés de fournir une clarification convenable sur ces questions au niveau de l’Église universelle. Il semble en particulier opportun de laisser l’évêque diocésain juger de l’existence d’une « grave nécessité ».
3. Il est très important pour le Saint-Père que l’esprit de collégialité épiscopale reste vivant au sein de la Conférence épiscopale allemande. Comme le Concile Vatican II l’a souligné, « les Conférences épiscopales peuvent, aujourd’hui, contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement. » (Constitution dogmatique « Lumen gentium », n°23).
Ayant porté cela à votre connaissance, je vous adresse mes salutations fraternelles et mes meilleurs vœux de bénédiction.
Vôtre dans le Seigneur,
Luis F. Ladaria, S.I.
Évêque titulaire de Thibica
Préfet
Copie à :
Son Éminence révérendissime
Monsieur le Cardinal Rainer Maria Woelki
Archevêque de Cologne
Son Éminence révérendissime
Felix Genns
Évêque de Münster
Son Éminence révérendissime
Karl-Heinz Wieseman
Évêque de Spire
Son Éminence révérendissime
Rudolf Voderholzer
Évêque de Ratisbonne
Son Éminence révérendissime
Gerhard Feige
Évêque de Magdebourg
Sources : Cité du Vatican /Espresso-Sandro Magister /La Porte Latine du 4 juin 2018