La veille de la toussaint 1517, le 31 octobre, l’hérésiarque Martin Luther placarde sur la collégiale de Wittemberg ses fameuses « 95 thèses » sur les indulgences. C’est à cette date funeste que les protestants vont désormais placer leur « fête de la [prétendue] réforme ». Cette date est en elle-même tout un symbole car à la vérité, l’exaltation des fameuses « 95 thèses » est une vaste tartuferie. En effet Luther les contredira presque aussi vite qu’il les avait écrites puisque dans ces thèses, il est encore fait mention du pouvoir du Pape [1], de l’existence du purgatoire [2], du prêtre et de la confession[3] et même de la légitimité des indulgences [4], bien que toutes ces choses soient déjà complètement tordues par le moine augustin. C’est donc à raison que cette date a été choisie, car elle marque le début d’un mouvement de rébellion non pas vraiment en raison d’une doctrine cohérente aux contours bien définis, mais plutôt en raison du caprice qui poussa Luther à se faire seul juge des vérités révélées. Il sera alors justement condamné par le Pape Léon X dans la bulle Exsurge Domine.
Près de cinq siècles plus tard, en 1999 sous le Pape Jean-Paul II, en ce même 31 octobre, à Augsbourg a été signée une Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification [5], dont Mgr Fellay disait qu’elle est un événement au moins aussi grave que la réunion d’Assise en 1986 [6]. Cette date – qui est, comme nous l’avons dit, un symbole pour les protestants, tout comme Augsbourg qui fut le lieu de la Confession de même nom en 1530 [7], résument bien à eux seuls ce qui s’est produit avec cette déclaration : une grande gifle contre la Sainte Église Catholique qui, comme toujours dans cet œcuménisme dévastateur, se trouve humiliée par l’union adultère avec les sectes.
En 2009, paraissait une brochure au titre évocateur « L’hérésie justifiée », reprenant une série de conférences données en 2000 par Mgr Fellay au sujet de cette déclaration : « Le problème majeur posé par cette déclaration est cette question de l’autorité. Un droit égal est donné à l’enseignement infaillible de l’Église gardienne de la foi et à la doctrine des hérétiques. » D’autant plus que si la partie catholique a une véritable autorité reconnue, la signature de la partie protestante n’a en revanche de valeur que pour le signataire qui ne représente que lui-même. En effet, les protestants professent le libre-examen et n’admettent pas d’autorité établie par Dieu. Au final, si l’hérésie ne se trouve pas professée de manière explicite par la partie catholique dans cette déclaration, elle y est au moins largement favorisée en laissant croire à un accord des deux parties. Il faut admirer le prodigieux jeu d’équilibrisme qu’ont joué les deux parties, laissant entendre qu’elles ont une même doctrine avec des « accents différents [8] », alors qu’il y a bel et bien une différence colossale. En fait d’accord, chacun est resté sur sa position et l’on a, ou bien trouvé des tournures de phrases équivoques convenants aux deux parties, ou bien escamoté les points de désaccord trop manifestes.
Si les autorités de l’Église avaient déjà fait à l’époque bien des cabrioles œcuméniques pour essayer d’arriver avec les protestants à une unité chimérique qui n’a plus la foi pour fondement, il faut remarquer qu’aujourd’hui, nous avançons toujours davantage dans cette voie mortifère. La Déclaration commune avait tenté de justifier la fausse doctrine protestante mais avait jeté un voile pudique sur les événements passés et ses protagonistes : « cette déclaration […] ne signifie pas que les séparations et les condamnations soient prises à la légère ou que le passé de chacune de nos traditions ecclésiales soit désavoué. [9] » Désormais avec le Pape François, c’est bel et bien l’hérésiarque lui-même, et non plus la doctrine que le Pape a tenté de justifier.
Sans doute, le mal le plus grand est d’avoir donné du crédit à cette fausse doctrine en premier lieu. Il ne faudrait pas pour autant minimiser l’impact que tout cela a dans l’esprit de tant de catholiques perplexes. Nous courons le risque de devenir blasés. Comme celui qui regarde sans cesse des films violents y devient insensible, nous pouvons nous habituer à voir nos dirigeants montrer un chemin de perdition. Nous ne devons pas nous habituer à l’horreur !
Si l’année 2017 qui vient de s’écouler a pu être marquée par ce magnifique centenaire des apparitions de Notre-Dame à Fatima, cela a été l’occasion pour les protestants tout comme pour le Pape François de commémorer le « jubilé » de la révolte de Luther de 1517 qui a ainsi débuté le 31 octobre 2016 [10].
Avant même le début du jubilé, dans l’avion qui le ramenait d’Arménie, le 27 juin 2016, le Pape avançait des propos bien téméraires à propos de Luther : « Je crois que les intentions de Luther n’étaient pas erronées. C’était un réformateur. Peut-être certaines de ses méthodes n’étaient pas justes, mais dans ce temps-là, […] nous voyons que l’Église n’était vraiment pas un modèle à imiter : corruption, mondanité, attache- ment à l’argent et au pouvoir. C’est pour cela qu’il a protesté, il était intelligent et il a fait un pas en avant en justifiant pourquoi il le faisait. Aujourd’hui protestants et catholiques, nous sommes d’accord sur la doctrine de la justification : sur ce point si important il ne s’était pas trompé. Il a fait un médicament pour l’Église, ensuite ce médicament s’est consolidé en un état de choses, en une discipline, en une manière de faire, de croire. Et puis il y avait Zwingli, Calvin […] ». Selon le Pape François, Luther a donc réformé l’Eglise pour mettre un terme aux mauvaises mœurs qui y sévissaient. Pourtant l’hérésiarque affirmait lui-même au rebours de cette vision : « Avec cette doctrine, plus on avance, plus le monde devient mauvais ; c’est l’œuvre et le travail de ce diable maudit. On voit assez combien le peuple est maintenant plus avare, plus cruel, plus impudique, plus effronté et plus méchant qu’il ne l’était sous le papisme. » [11]. Il disait encore « rien ne peut guérir de la libido, pas même le mariage, car la majeure partie des gens mariés vit dans l’adultère ». [12] Parole par laquelle il invitait les clercs à briser leur vœu de chasteté. Tout cela est dans la logique de la justification par la foi sans les œuvres et du fameux adage de Luther : « pèche fortement et crois plus fortement encore ». Les années qui ont suivi la rébellion de Luther ont été tout le contraire de ce que l’on peut appeler une réforme, et cela en raison même de sa doctrine.
De plus, quelques jours avant le début du jubilé et le jour de Fatima, le 13 octobre 2016, le Souverain Pontife a mis à l’honneur près de lui la statue de l’hérésiarque en personne dans la salle d’audience où il recevait une délégation de luthériens. Il affirmait alors que « le prosélytisme est le poison de l’œcuménisme. » Il renchérissait encore dans la revue des jésuites « Signum » : « Ce critère doit être bien clair : faire du prosélytisme est un péché ». Les saints auraient-ils péché ainsi ?
Le 31 octobre 2016, il se rendit à Lund, en Suède, pour fêter avec les protestants l’entrée dans le « jubilé » du 500e anniversaire de la réforme. C’est donc bien l’évènement lui-même, la rébellion de Luther que la Pape a fêté alors. Il s’est donc réjoui [13] d’un des pires malheurs que l’Eglise a dû subir dans son histoire. Pour mettre le comble à cet affront, il avait prévu initialement de ne pas célébrer de messe et de ne pas même aller rencontrer les catholiques du pays, pourtant longtemps durement persécutés par les protestants majoritaires. Selon lui « on ne peut être catholique et sectaire. Être catholique c’est aller vers les autres, « vivre au milieu des autres ». C’est pourquoi au début je ne prévoyais pas de célébrer une messe pour les catholiques durant ce voyage : je voulais insister sur ce témoignage œcuménique. » Ainsi, pour ne pas être « sectaire », il fallait rencontrer exclusivement les protestants majoritaires !
Dans un discours paru le 1er avril 2017 dans l’Osservatore Romano, le Pape n’hésite pas à attribuer cette simili-canonisation de Luther au Saint-Esprit : « Parler de Luther, catholiques et protestants ensemble, à l’initiative d’un organisme du Saint-Siège : nous touchons véritablement du doigt les fruits de l’action de l’Esprit Saint ».
Le clou de l’année aura été, pour la clôture du « jubilé », l’émission de ce fameux timbre par le Bureau philatélique du Vatican représentant l’hérésiarque et son ami, Melanchthon, au pied de la croix, à la place de saint Jean et de la Très Sainte Vierge Marie. Les deux personnages présentent respectivement la Sainte Ecriture [14] et la Confession d’Augsbourg. On peut y lire l’intitulé suivant « Ve centenaire de la réforme protestante ». Le même bureau éditait en même temps un timbre en l’honneur de Saint François de Sales de façon à mettre sur un pied d’égalité « réforme » protestante et contre-réforme. Pourtant le saint Évêque de Genève en exil s’est toujours farouchement opposé aux protestants et n’a pas craint d’appeler Luther un « misérable » [15] et de désigner l’expression « Eglise réformée » comme étant un « blasphème » [16].
Conclusion
Il n’est pas rare d’entendre ici où là des conciliaires dénigrer à tort la FSSPX sous prétexte qu’elle « fait comme les protestants : elle juge le Pape et se rebelle contre son autorité ». Ainsi l’on dénigre les premiers parce qu’ils feraient la même chose que les seconds que l’on applaudit pourtant. Y‑a-t-il une logique dans tout cela ? Pour être en accord avec Rome, faudrait-il accepter que l’on fasse l’éloge de ceux qui se révoltent contre son autorité légitime ?
En vérité, nous ne refusons pas l’autorité de Rome mais l’usage abusif qu’en font les hiérarques modernistes. Dans ces jugements, notre critère n’est pas le libre-examen protestant, une vue personnelle, mais le magistère des Papes, et les enseignements des saints docteurs, c’est-à-dire la Tradition, comme l’exprimait notre vénéré fondateur lors de la fameuse déclaration du 21 novembre 1974 :
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. »
Déclaration du 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre
Abbé Frédéric WEIL, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Petit Eudiste n° 205 /La Porte Latine du 8 janvier 2018
- N°38. « Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l’ai dit, une déclaration du pardon de Dieu. »[↩]
- N°19. « Il n’est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance ». Cette proposition sera condamnée par le Pape comme hérétique, car le purgatoire est temporaire et contient nécessairement l’assurance du salut, sans quoi il se confondrait avec l’enfer qui est éternel.[↩]
- N°7. « Dieu ne remet la coulpe à personne sans l’humilier, l’abaisser devant un prêtre, son représentant. »[↩]
- N°71. « Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques. »[↩]
- Le terme de justification désigne le fait de rendre juste, c’est-à-dire saint, donc de passer de l’état de péché à l’état de grâce. La doctrine protestante est entachée de biens des hérésies effrayantes sur la question, en particulier, le fait que l’homme est justifié par la foi seule, sans en accomplir les œuvres qui en découlent et tout en restant pécheur. Le péché mortel ne changerait jamais rien à l’état de l’homme.[↩]
- L’hérésie justifiée, Editions du Sel, 2009.[↩]
- Sorte de « Credo protestant ».[↩]
- Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, Préambule, n°1.[↩]
- Ibid., n°7.[↩]
- Les protestants semble-t-il, comptent les jours en nombres ordinaux dans ce cas-là : l’entrée dans le jubilé se fait donc au début de la 500e année, jour le plus solennel, et non au jour anniversaire des 500 ans (un an plus tard).[↩]
- Weimarer Ausgabe, XLIX, 584–585, cité par Jacques Maritain dans Trois réformateurs.[↩]
- Weimarer Ausgabe, XVI, 510–512, 5 novembre 1525.[↩]
- « Jubilé » vient du latin « Jubilare » qui signifie se réjouir.[↩]
- Ecriture d’ailleurs falsifiée par Luther qui rajouta le mot « seule » à l’épître aux Romains pour justifier sa doctrine du salut par la foi seule. Il nia également l’authenticité de l’épître de saint Jacques pour le seul motif qu’elle contrevenait à cette même doctrine.[↩]
- « Mais si, au contraire, ô Calvin et Luther, la vraie foi a toujours été publiée par l’antiquité, vous êtes misérables vous-mêmes qui, pour trouver quelque excuse à vos fantaisies, accusez tous les Anciens ou d’impiété s’ils ont mal cru, ou de lâcheté s’ils se sont tus. » Lettre ouverte aux protestants, art. 17.[↩]
- « le nom de réformée est un blasphème contre Notre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Église en son sang, qu’elle ne devait jamais subir autre forme que d’épouse toute belle (Cant., 4, 7) » Lettre ouverte aux protestants, art. 12.[↩]