Eminence,
L’abbé Emmanuel du Chalard, supérieur de notre maison d’Albano, m’a fait part de votre intervention auprès du Saint-Père pour parvenir à une solution au problème des « traditionalistes » dans l’Eglise, dont la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X est un des éléments les plus actifs.
Cette situation survenue à l’occasion des réformes post-conciliaires, loin de s’atténuer, se développe toujours davantage devant la confusion des idées et des vérités de la foi causée par l’application de ces réformes. Les ruines sont partout sous nos yeux.
Le salut des âmes est en jeu. Une saine réaction des catholiques fervents et fidèles était normale. Ils ont recherché les prêtres demeurés fidèles à la Tradition et leur ont demandé l’enseignement de la foi et la transmission assurée de la grâce par les sacrements et le saint sacrifice de la Messe selon la meilleure et la plus sûre tradition de l’Eglise.
Or, chose bien stupéfiante, ces prêtres, ces fidèles et moi-même nous trouvons considérés par les autorités de l’Eglise comme rebelles, désobéissants, alors que les apôtres, les pères de l’Eglise, tous les papes jusqu’au Concile Vatican II nous donnent raison et nous obligent à agir de cette manière.
Les sondages auprès des populations catholiques manifestent que la majorité des catholiques nous soutiennent et nous approuvent.
Que faire pour éviter une mésentente continuelle entre les évêques et ces personnes ?
Les feuilles ci-jointes vous indiquent les efforts récents qui ont été réalisés. Mais si le climat des entretiens entre le Vatican et moi-même s’est nettement amélioré, le résultat effectif est nul.
Le cardinal Seper, intermédiaire désigné par le pape lui-même, m’a promis au cours des derniers entretiens qu’un acte du Saint-Père aurait lieu prochainement, laissant aux prêtres la liberté de choix entre les nouveaux et les anciens rites.
Mais je n’ai jamais vu ce décret et je l’ai attendu vainement depuis bientôt deux ans.
Afin de faciliter sa parution, j’ai retardé des ordinations, j’ai suspendu les confirmations, je suis venu à Rome tous les deux mois voir le cardinal Seper, sans résultat.
Vous acceptez, Eminence, de prendre le relais du cardinal Seper. J’en suis heureux et espère que le succès couronnera vos efforts. Vous m’avez demandé une déclaration, il y a un mois, je l’ai faite et l’ai signée conformément à votre désir.
Je joins à cette lettre quelques pages « pro memoria » ; et désormais il me reste à prier et à attendre. Je ne puis rien faire de plus.
La question urgente à régler n’est pas celle d’Ecône et de son fondateur, mais celle de la Liturgie. Elle intéresse au plus haut point toute l’Eglise : « Qu’on ne persécute plus ceux qui gardent la Liturgie traditionnelle ! » Voilà ce que nous supplions le Saint-Père de dire et de donner comme consigne à tout l’épiscopat.
Ensuite l’affaire d’Ecône et toutes les initiatives religieuses traditionnelles, trouveront aisément leur solution, pour le bien de l’Eglise et des âmes.
Le cardinal Seper avait approuvé cette manière de procéder. C’est celle qui aidera à tout résoudre. Le climat est actuellement favorable dans tous les milieux. La déclaration au sujet de la Sainte Messe sera bien accueillie, dans l’ensemble.
Eminence, permettez-moi de considérer la dernière déclaration que vous m’avez demandée et que je vous ai fait remettre par l’abbé du Chalard comme l’ultime. Des millions d’âmes, des millions de prêtres attendent désormais un mot du pape, un geste de sa part concernant l’ancienne Liturgie, lui rendant une place qu’elle n’aurait jamais dû perdre ! Ce sera le salut et la vraie rénovation de l’Eglise.
En terminant je vous invite instamment, Eminence, à venir visiter Albano et Ecône, en octobre par exemple, lorsque les séminaristes sont présents. Vous comprendrez peut-être mieux l’urgence d’une heureuse solution.
Nous prions de tout cœur à cette intention ; et je vous prie, Eminence, d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux et fraternels in Christo et Maria.
+ Marcel Lefebvre
Source : Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II