Messe du dimanche 15 octobre 2006 à Villepreux (78450)
Monsieur le Supérieur de District,
Mes bien chers fidèles,
Dans un sermon mémorable, pour son jubilé sacerdotal, notre cher et vénéré fondateur, Mgr Lefebvre, nous a décrit la puissance de la messe. Nous avons l’habitude d’appeler ce sermon celui de la croisade de la messe. Il y décrivait sa propre expérience : comment missionnaire il était allé en Afrique dans des pays qui n’avaient pas connu le vrai Dieu. Il nous décrivait comment, une fois la messe plantée sur ces terres, il y avait une force du Saint Sacrifice qui non seulement sauvait les âmes, mais qui aussi petit à petit construisait la société, transformait la société en société chrétienne. Cette description, cette expérience nous la vivons maintenant, ici. Les circonstances ne sont pas tout à fait les mêmes, la messe n’est pas plantée dans un pays qui n’a pas connu Dieu. Elle est plantée dans un pays déchristianisé, dans un pays qui ne veut plus connaître Dieu, ravagé par la révolution, par les sans-Dieu, où la société chrétienne est complètement décomposée, et où la messe elle-même est balayée, transformée, changée au goût du monde. Sur ce terrain-là, cette même messe qui transformait l’Afrique produit les mêmes fruits.
Petit à petit la sainte messe, la messe de toujours, la messe catholique continue avec une efficacité extraordinaire à conduire non seulement les âmes à Dieu, à les sanctifier, à les arracher au péché, mais en même temps elle impose à l’âme chrétienne ce devoir de reconstituer le tissu social chrétien. L’homme, qui est un animal social, n’est pas fait pour vivre tout seul. Il appartient à sa nature de vivre en société. Une fois chrétien, cet homme tout naturellement va devoir chercher à christianiser la société dans laquelle il vit. C’est simple, c’est logique, c’est normal.
Et lorsqu’on regarde toute l’histoire de l’humanité, on voit que toute société laisse une place pour Dieu. Très souvent les hommes se sont trompés de Dieu, effectivement, mais il y a toujours eu une place sociale donnée à la religion. L’Etat se conçoit alors lui-même comme obligé de rendre un culte à Dieu, non pas comme personne privée mais bien précisément comme Etat. Les païens ont compris cela. Les Grecs, les Romains avant Notre Seigneur disaient qu’un Etat qui n’aurait pas de Dieu se suiciderait. Et lorsqu’après un certain temps de combats, de conflits, de persécutions, la vraie religion arrive à Rome, elle réussit à convaincre et à transformer l’Etat en Etat chrétien.
Mais que fait la révolution ? Va-t-elle essayer d’éteindre totalement la religion ? Non, ce n’est pas possible ! Qu’il s’agisse de la Révolution française, qu’il s’agisse du communisme, ils ont essayé en vain. La marque du Bon Dieu est trop profonde dans l’âme pour y arriver. Alors qu’ont-ils fait ? Ils ont essayé de réduire la religion à une affaire privée : renvoyer l’Eglise à la sacristie. Et, depuis maintenant deux siècles, cette pensée semble s’imposer. C’est l’Etat laïc, l’Etat sans Dieu, on dit l’Etat neutre, pensez donc !
Et voilà qu’arrive un concile, Vatican II, qui va faire sienne cette pensée : l’Eglise doit se mêler uniquement de ses affaires, elle n’a plus rien à dire à l’Etat. L’Etat est indépendant, autonome par rapport à l’Eglise. C’est ce qu’on appelle la liberté religieuse.
Il y a plusieurs aspects dans ce mot “liberté religieuse”. Il y a d’abord la liberté de conscience, la liberté individuelle. Et, il y a surtout cette affirmation d’une séparation pratiquement radicale entre l’Etat d’un côté et la religion de l’autre. Cette pensée a toujours cours et le pape régnant maintient et affirme des choses étonnantes à ce sujet. Il nous dit que lorsque Vatican II fait sien l’un des principes fondamentaux de l’Etat moderne – c’est à dire l’Etat laïc -, l’Eglise alors retrouve son patrimoine, autrement dit que l’Eglise se retrouve en harmonie avec l’enseignement de Notre Seigneur. C’est renversant !
Ce langage, le cardinal Ratzinger le tenait à Mgr Lefebvre. Et notre fondateur de lui dire :
« Mais, Eminence, vous ne pouvez pas rayer 1500 ans de l’histoire de l’Eglise, l’Eglise a toujours dit le contraire ».
Et le cardinal de répondre :
« Ce n’était pas un état normal » .
Que l’Etat vive en soumission aux principes, aux commandements de Dieu, aux principes de la religion chrétienne, catholique, ce n’était donc pas un état normal ! Vous comprenez, bien chers frères, que nous n’avons pas fini d’en découdre. Ne pensez pas que la crise soit terminée. Pourtant Notre Seigneur nous a enseigné une prière, la prière des enfants de Dieu, la prière que les enfants doivent élever vers Dieu qui est leur Père. Les apôtres lui demandaient « Apprenez-nous à prier ». Et Notre Seigneur nous a donné cette prière si belle du Notre Père. Et que dit-on ? « Que Votre Règne arrive, que Votre Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel ».
Cette volonté de Dieu, de la même manière qu’elle est réalisée au Ciel dans l’absolu, qu’elle soit faite sur la terre ! Que ce doux joug de Notre Seigneur soit vraiment la règle non seulement de l’individu, mais de la société !
Je crois trouver la raison de cet acharnement du pape actuel en faveur de l’Etat laïc, j’ai l’impression qu’il retourne la question. Nous disons : « l’Etat doit se soumettre à Dieu », et c’est en ce sens-là que nous parlons d’une religion d’Etat, c’est-à-dire que l’Etat, l’organisation civile, reconnaît qu’il doit le vrai culte au vrai Dieu, et qu’il doit par conséquent favoriser la seule vraie religion. Certes, l’Etat a son domaine qui est le domaine temporel, de la même manière que l’Eglise a son domaine qui est le domaine surnaturel, mais ces deux sociétés ont les mêmes membres, et ces mêmes membres ne peuvent être rendus schizophrènes. Il y a un but final pour le chrétien, pour l’homme qui est d’aller au ciel, et si telle est la fin qui doit guider toute sa vie, à l’évidence sa vie en société ne peut être qu’en harmonie avec sa vie chrétienne.
Devant cette logique, il nous apparaît que l’Etat doit tout faire dans l’organisation de la cité – qui est le domaine temporel – pour que par ses lois et ses ordonnances il favorise ce chemin vers le ciel. Ainsi nécessairement, il doit y avoir une harmonie entre l’Etat et l’Eglise et s’il y a des domaines qui sont mixtes, c’est-à-dire où tous deux ont quelque chose à dire, alors c’est l’Eglise, c’est le Bon Dieu qui a le dernier mot avec ses commandements. L’Etat doit absolument se soumettre aux commandements de Dieu. Il n’a pas le droit d’affirmer là une autonomie, une indépendance.Voilà comment l’Eglise a toujours enseigné. Alors que le pape actuel voit les choses de l’autre côté. Il voit un Etat absolutiste qui veut se servir de la religion comme d’un instrument, qui fait de la religion son esclave.
C’est, je pense, ce qu’il conçoit lorsqu’il parle de la « religion d’Etat ». L’Etat à la Napoléon va certes utiliser la religion à ses fins, comme aujourd’hui en Chine l’Eglise patriotique est soumise aux décisions de l’Etat. Aussi pour protéger, pour défendre la religion contre ce véritable abus de la part de l’Etat, il est normal que l’on combatte, – abus que l’on voit également sous le règne du communisme en Russie. Mais alors, au lieu de revenir aux vrais principes, le pape va essayer de résoudre le problème avec la philosophie moderne, avec l’attitude moderne.
Au lieu d’affirmer ces principes que nous avons rappelés, il va affirmer les principes de l’individu, il va rendre suprême la liberté de conscience. Personne ne peut être empêché de professer sa religion. C’est vrai et c’est faux. C’est vrai dans le domaine privé, dans le secret de l’âme, mais dès qu’il s’agit de l’organisation de la société ce n’est plus vrai. Les fausses religions n’ont pas le droit de s’organiser. Cela conduit au chaos, car si vous appliquez littéralement ce principe, dès que vous trouvez deux musulmans, vous devez leur donner la permission d’avoir leurs quatre femmes. Cela démolit la société, c’est évident. Nous avons vraiment l’impression que nous n’arrivons pas à détourner les autorités romaines, l’Eglise officielle, de cette conception nouvelle qui a un fondement juste, celui de libérer l’Eglise d’un joug abusif de l’Etat, mais qui prend les mauvais moyens pour cela, et qui fait exactement le contraire de ce qu’elle devrait faire.
Rome donne ainsi son placet, son accord, pour la démolition de l’Etat chrétien ! Et le pape, nous dit-on, est en train aujourd’hui d’essayer de donner une liberté plus grande à cette messe dont nous venons de vous décrire les effets ? Nous sommes en pleine contradiction, assurément ! Aussi demandons d’abord au Ciel que le pape pose cet acte courageux de donner la liberté de la messe, mais demandons comme deuxième grâce qu’il obtienne aussi de comprendre l’illogisme de vouloir un bien pour l’âme chrétienne et même un certain tissu social chrétien, tout en se privant de l’Etat chrétien. Comme je vous l’ai dit, la crise de l’Eglise n’est pas terminée.
Nous avons parlé hier de la messe(1), permettez moi d’y revenir et d’insister.
Si, dans les mois qui viennent, une liberté et même la liberté totale de l’ancienne messe est donnée – ce qui se chuchote, ce qui semble arriver -, eh bien ! ne pensons pas que tout est terminé. Il peut y avoir là un piège.
Ce sont les sirènes de Bordeaux : « Tout va bien, c’est parfait, nous avons le droit exclusif de l’ancienne messe ».
Chers frères, au moment même, dans le même mois où l’on donne ce droit exclusif à l’ancienne messe à un nouvel institut à Bordeaux, on répond à la Fraternité Saint Pierre qui vient se plaindre du malheur de se voir ravir ses centres les plus importants en France, on lui répond à Rome : « Débrouillez-vous avec les évêques ». Dans le même temps ! Et si cela ne suffisait pas, nous connaissons une abbaye dans le Sud de la France, au siècle dernier très proche de nous, où le nouvel Abbé déclare avec insistance qu’il faut de temps à autre célébrer la nouvelle messe pour montrer qu’on est en communion avec le pape. Ce qui cause dans cette abbaye un certain trouble, car d’autres pères aimeraient un peu plus de tradition, aimeraient garder d’avantage l’ancienne messe et ne pas penser à ouvrir les portes à la nouvelle. Le trouble est tel qu’une fois encore on fait appel à Rome. Un Monsignore est venu de Rome tout récemment, et il a laissé dans cette abbaye une perle : il a grondé les religieux qui résistaient à la nouvelle messe. Il faut qu’ils acceptent la nouvelle messe . Et c’est le même Monsignore qui a co-signé le décret de fondation de l’Institut de Bordeaux qui donne le droit exclusif à l’ancienne messe . Voilà ce qu’on appelle la logique ! Est-ce cohérent ?
Ainsi, mes bien chers frères, la Rome d’aujourd’hui d’un côté donne la messe traditionnelle ou semble la donner. jusqu’à un droit exclusif , et de l’autre côté insiste pour qu’on célèbre la nouvelle ! La Rome qui est prête à donner cette messe qui d’elle-même, naturellement, va recréer ce tissu chrétien que vous essayez de reconstituer ici !
Cette journée est une journée où l’on voit, comme après la tempête les petits brins d’herbe repousser, la reconstitution d’un terrain chrétien avec une multitude d’associations qui montrent l’aspect social du christianisme. Comme je vous le dis, cela découle de la messe. Et cette même Rome qui d’un côté semble vouloir nous donner cette reconstruction d’un tissu chrétien, d’un autre côté affirme péremptoirement que c’est en l’abandonnant que l’on est en harmonie avec l’Evangile et que l’on retrouve le patrimoine de l’Eglise. Tout est sens dessus dessous, mes bien chers frères. Il est évident que dans un tel état des choses il est vraiment prescrit de s’abstenir. Ce n’est pas le moment de courir dans une espèce de fuite en avant. Non ! Si cette messe est donnée, c’est une victoire. Saluons-la comme une victoire. Mais ce n’est pas la fin de la guerre. Elle continue.
Je bénis la Divine Providence qui, à chaque fois qu’un acte est posé qui pourrait nous procurer quelque trouble, quelque doute – Est-ce le moment ? Faudrait-il maintenant faire un pas en avant ? -, dans le même temps cette Providence permet d’autres événements qui donnent la lumière dont nous avons besoin pour voir, à l’évidence, où est le chemin. Depuis des années que nous sommes en discussion avec Rome, nous avons constaté cela de bien nombreuses fois. Ce qui nous montre combien Dieu est avec nous, permettez cette image, comme Il était avec le peuple hébreu lorsqu’il quitta l’Egypte pour aller dans le désert : une nuée pendant le jour, une colonne de feu la nuit qui guide ce pauvre peuple dans le désert. Ce n’est pas drôle le désert. Mais Il est là et Il les soutient.
L’Introït d’aujourd’hui commence par ces mots « Salus populi ego sum, dicit Dominus. Je suis le salut de mon peuple ». Ce mot “salut” peut avoir plusieurs sens.
Lorsque nous parlons de salut aujourd’hui nous pensons bien sûr à être sauvés. Mais il a aussi le sens de “santé” comme dans le mot “salutaire”. Celui donc qui donne sa consistance, sa vie, sa force non pas seulement à chaque âme mais au peuple chrétien, c’est Dieu. Dieu est avec son peuple. Il l’accompagne, Il ne l’abandonne pas. Cela, il ne faut jamais l’oublier. Si quelqu’un cherche Dieu, si quelqu’un veut plaire à Dieu, Dieu ne l’abandonnera jamais. Quelles que soient les circonstances dans lesquelles nous puissions nous trouver, quelles que soient les épreuves, l’âme qui veut Dieu et qui est prête à y mettre le prix trouvera Dieu. Et Dieu sera son salut. Prenons pour nous cette réalité qui se trouve dans cette phrase.
Encore une fois notre guerre n’est pas terminée. Combien de temps durera-telle ? Je n’en sais rien. Et pour cela, bien sûr, nous avons besoin de courage et ce courage nous le trouvons dans le Bon Dieu et dans les moyens qu’Il nous donne.
Je termine en vous rappelant qu’à la fin de ce mois nous avons l’intention de remettre au Saint Père, au pape Benoît XVI, un bouquet spirituel de chapelets. Des chapelets qui ont été priés pour lui, pour que le Ciel lui donne la force de poser cet acte qu’il semble maintenant vouloir poser, de donner cette messe à nouveau à toute l’Eglise, sans entrave, sans méchanceté, sans limitation, sans condition. Et tandis que nous prions à cette intention directement pour le pape, nous prions aussi pour la Royauté Sociale de Notre Seigneur. Il n’y a aucune contradiction, c’est intimement lié.
Et enfin, puisque le Ciel lui-même nous dit à Fatima que la Royauté de Notre Seigneur viendra à travers un autre triomphe, celui de sa Mère, nous prions pour le triomphe de la Vierge Immaculée.
Ainsi je vous invite, bien chers frères, en ces derniers jours du mois d’octobre, à prier quelques chapelets et quelques rosaires supplémentaires pour que ce bouquet soit beau, soit plein, soit débordant jusqu’à impressionner Rome ! – pourquoi pas ?-. Il faut montrer, et Dieu a plaisir à cela, que nous voulons y mettre le prix. Il faut que nous montrions au Bon Dieu que nous estimons vraiment ses dons, que nous reconnaissons qu’ils sont grands, que nous demandons quelque chose de grand au Bon Dieu. Ce n’est pas une petite chose que nous demandons. Il faut donc y mettre le prix. Et cette preuve que nous donnons au Bon Dieu, évidemment, nous la donnons aussi aux hommes. C’est pourquoi je vous invite pendant ces derniers jours à prier, à redoubler – qui sait ?-, à en faire encore un peu plus : quelques chapelets supplémentaires pour ces grandes intentions, pour le bien de l’Eglise, pour le bien de nos familles, pour le bien de toute la société que nous voulons chrétienne.
Ainsi soit-il !
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