Seule la vraie charité pourra triompher dans l’empire de l’égoïsme et de l’impureté 

Lettre du Supérieur Général aux amis et bien­fai­teurs de la Fraternité Saint Pie X.

Chers fidèles, amis et bienfaiteurs,

Il est arri­vé assez sou­vent dans l’histoire que le monde a eu l’impression sou­daine de se réveiller autre. Dans l’antiquité chré­tienne par exemple, à un moment don­né, le monde fut « stu­pé­fait de se réveiller arien », pour uti­li­ser la célèbre expres­sion de saint Jérôme. De même, au XVIème siècle, un tiers de l’Europe s’est réveillé pro­tes­tant. En réa­li­té, ces phé­no­mènes ne se sont pas pro­duits en l’espace d’une nuit, mais ils ont été pré­pa­rés par des faits pro­gres­sifs. Néanmoins, ils ont véri­ta­ble­ment lais­sé l’impression d’une sur­prise car les contem­po­rains ne sai­sis­saient pas la gra­vi­té des dif­fé­rents faits qui ont pré­pa­ré ces catas­trophes. Ils ne se ren­daient pas compte des consé­quences que ces faits impli­quaient. Dans ce sens, des peuples entiers se sont réveillés ariens ou pro­tes­tants et, lorsqu’ils se sont réveillés, il était trop tard.

Nous vivons mal­heu­reu­se­ment une situa­tion ana­logue. Nous consta­tons autour de nous des choses, des pro­pos, des ini­tia­tives qui nous scan­da­lisent, mais nous ris­quons de ne pas en sai­sir toute la por­tée. Souvent, ces élé­ments sont per­çus comme des faits divers qui concernent les autres, mais qui ne nous tou­che­ront jamais. On en prend connais­sance, on les déteste, mais de quelque manière, on les ignore dans la vie de tous les jours. Cela fait que nos yeux ne sont pas tou­jours com­plè­te­ment ouverts pour sai­sir l’influence et le dan­ger de ces réa­li­tés sur nous-​mêmes, et sur­tout sur nos enfants. Il faut le dire clai­re­ment : le monde est en train de se trans­for­mer en une Sodome et Gomorrhe uni­ver­selle. Nous ne pour­rons pas y échap­per en démé­na­geant ailleurs, car cette trans­for­ma­tion est uni­ver­selle. Il faut gar­der notre calme, mais s’y pré­pa­rer dès main­te­nant, avec tous les moyens à notre dis­po­si­tion, pour ne pas être sur­pris au réveil.

La Sodome et Gomorrhe universelle

Il est tou­jours dif­fi­cile de faire le pro­phète de mal­heur, mais par­fois il n’est pas pos­sible de s’y sous­traire. Une culture dia­bo­lique s’installe chaque jour davan­tage dans le monde. Après avoir refu­sé Dieu par l’apostasie et l’athéisme, l’humanité contem­po­raine veut inévi­ta­ble­ment se sub­sti­tuer à lui. Et les résul­tats sont sata­niques. C’est l’homme qui pré­tend déter­mi­ner le bien et le mal. C’est lui qui pré­tend choi­sir de vivre ou de mou­rir, d’être tel ou telle, d’accorder la vie ou de la sup­pri­mer… Bref, de déci­der tout ce que Dieu était cen­sé déci­der, et cela à une échelle universelle.

Mais le pire de tout cela, c’est la volon­té mani­feste d’initier les inno­cents à ces prin­cipes abo­mi­nables. Il y a une atten­tion toute par­ti­cu­lière por­tée sur l’enfance et la jeu­nesse, dans le but de les intro­duire dès leur plus jeune âge dans cette nou­velle vision de la réa­li­té, de les cor­rompre, et de leur apprendre ce que seuls les adultes sont cen­sés connaître, et aus­si ce que même les adultes ne devraient pas connaître dans une socié­té encore humaine et saine. Moralement par­lant, on constate une véri­table volon­té de détruire l’innocence là où elle est cen­sée se trou­ver natu­rel­le­ment. Nous en sommes là. Le pro­blème n’est pas seule­ment le péché qui enva­hit le monde et qui conta­mine tout sur son pas­sage, mais le fait que tout cela soit approu­vé et impo­sé. C’est le signe que Dieu, aban­don­né par l’homme, a à son tour aban­don­né l’homme à son sort.

Les conséquences du rejet de Dieu

Dans la nou­velle Sodome, la foi et l’amour ont défi­ni­ti­ve­ment lais­sé la place au men­songe et à l’égoïsme.

Saint Paul décri­vait déjà dans le détail le résul­tat ultime de l’apostasie, en des termes non équi­voques : « Puisque, ayant connu Dieu, [les hommes] ne l’ont pas glo­ri­fié comme Dieu et ne lui ont pas ren­du grâces ; mais ils sont deve­nus vains dans leurs pen­sées, et leur cœur sans intel­li­gence s’est enve­lop­pé de ténèbres… Aussi Dieu les a‑t-​il livrés, au milieu des convoi­tises de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils désho­norent entre eux leurs propres corps, eux qui ont échan­gé le Dieu véri­table pour le men­songe, et qui ont ado­ré et ser­vi la créa­ture de pré­fé­rence au Créateur… C’est pour­quoi Dieu les a livrés à des pas­sions d’ignominie… Et comme ils ne se sont pas sou­ciés de bien connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur sens per­vers pour faire ce qui ne convient pas, étant rem­plis de toute espèce d’iniquité, de malice, de for­ni­ca­tion, de cupi­di­té, de méchan­ce­té, pleins d’envie, de pen­sées homi­cides, de que­relle, de fraude, de mali­gni­té, semeurs de faux bruits, calom­nia­teurs, haïs de Dieu, arro­gants, hau­tains, fan­fa­rons, ingé­nieux au mal, rebelles à leurs parents, sans intel­li­gence, sans loyau­té, impla­cables, sans affec­tion, sans pitié. Et bien qu’ils connaissent le juge­ment de Dieu décla­rant dignes de mort ceux qui com­mettent de telles choses, non seule­ment ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les font. » (Rom. 1,21 ss)

La faiblesse des hommes d’Église

Devant cet état de fait, l’Église issue du Concile se trouve dans une impasse. Cela était inévi­table depuis le jour où le dia­logue a rem­pla­cé la pré­di­ca­tion de la véri­té. La volon­té de se confor­mer au monde, de l’accepter tel qu’il est, sans plus le condam­ner dans ses éga­re­ments, sans plus l’affronter, cette volon­té est en train de por­ter ses der­niers fruits. Il y a déjà des por­tions consi­dé­rables de l’Église qui prônent ouver­te­ment l’acceptation des abo­mi­na­tions évo­quées plus haut. D’autres por­tions de l’Église semblent ne plus savoir au nom de quoi on pour­rait s’y oppo­ser. Bref, tout est prêt pour une nou­velle Sodome et Gomorrhe.

La nécessité de remèdes appropriés

La condi­tion pre­mière de toute solu­tion pos­sible est d’abord d’ouvrir les yeux et de com­prendre que ce nou­veau para­digme nous touche tous autant que nous sommes. Se trou­vant dans la culture domi­nante, il est par consé­quent par­tout : dans le lan­gage, dans la mode, dans l’art, dans les spec­tacles, dans la rue. Il est dans les mes­sages que nous rece­vons sans cesse, car c’est le prisme propre à notre époque et à tra­vers lequel tout est fil­tré et pré­sen­té. Nous devons en être plus conscients : l’air que nous res­pi­rons est empoi­son­né, l’internet, avec lequel nous sommes de plus en plus for­cés de vivre et que nous consom­mons, est empoi­son­né et il véhi­cule la peste, même dans les coins les plus recu­lés. Tout cela nous touche néces­sai­re­ment. Et encore une fois, les plus dému­nis devant ce ter­rible poi­son, ce sont les enfants et les jeunes, à com­men­cer par ceux de nos propres familles.

L’héroïsme chrétien : ses deux caractéristiques essentielles

Mais alors que faire, une fois que nous avons ouvert les yeux ? Si Dieu per­met comme jamais cette uni­ver­sa­li­té du mal, ce nou­vel empire païen, c’est cer­tai­ne­ment dans le but de sus­ci­ter l’héroïsme chré­tien dans le monde entier. On ne peut pas vivre en dehors de cet empire, mais on peut y vivre sans être pour autant broyé par lui. Nous pou­vons y sur­vivre dans la mesure où nous-​mêmes, nous nous « dis­cri­mi­nons », c’est-à-dire nous nous tenons à l’écart.

Cet héroïsme, que les chré­tiens ont déjà démon­tré dans des empires païens, a deux traits carac­té­ris­tiques. Tout d’abord, il com­mence, s’alimente et se déve­loppe dans l’obscurité. Il a besoin du recul pour croître. Il a besoin de la prière pour gran­dir dans l’amour de Dieu et dans la haine la plus radi­cale du péché. On n’y par­vient pas en un jour. Les grands actes externes, expres­sion de cet héroïsme, ont tou­jours été, au fil des années, le résul­tat d’une constance cachée et d’une per­sé­vé­rance à toute épreuve. L’héroïsme de la Croix pré­sup­pose l’obscurité de la crèche et de la mai­son de Nazareth. La per­sé­vé­rance finale sera don­née seule­ment à ceux qui, dans la vie de tous les jours, dans leurs actions les plus com­munes, auront été capables de se pro­té­ger du mal et de s’abstenir du péché avec un héroïsme que seul Dieu – qui sonde les reins et les cœurs – connaî­tra et récom­pen­se­ra. Les décla­ra­tions et actions exté­rieures, sans un cœur pur, sans une véri­table conver­sion inté­rieure, ris­que­raient de nous lais­ser dans l’illusion, voire dans l’hypocrisie. C’est ce cœur pur, fixé en Dieu, que pos­sé­dait Abraham, et qui lui per­mit de se tenir à l’écart de tout ce que Sodome repré­sen­tait. Lot, bien qu’étant lui-​même un homme juste (2 Pierre 2,7–8), a pour­tant choi­si de s’établir à Sodome et d’y res­ter : ce milieu, mal­gré tout, lui plai­sait, et ses enfants n’ont mal­heu­reu­se­ment pas échap­pé à ses mau­vaises influences.

Le deuxième trait de cet héroïsme, qui lui aus­si doit se mani­fes­ter au fil des années, est le don radi­cal de soi. C’est le signe sans équi­voque de l’amour. La pro­fes­sion de foi est effi­cace seule­ment si elle est accom­pa­gnée d’une géné­ro­si­té véri­table dans le don de soi à Dieu, qui fait aimer tout ce qu’Il aime comme Il l’aime, et haïr tout ce qu’Il hait, comme Il le hait. Sans cet amour, on ne peut pas avoir cette haine. Et sans cette haine, on ne peut pas résis­ter à une séduc­tion qui va deve­nir de plus en plus fine, pro­fonde et uni­ver­selle, séduc­tion à laquelle la famille de Lot n’a pas com­plè­te­ment échappé.

Credidimus caritati : trois armes privilégiées

Ouvrons les yeux main­te­nant, ouvrons les yeux de nos enfants, avant de nous réveiller englou­tis dans la nou­velle Sodome. Donnons à nos enfants tout d’abord la leçon de notre exemple, de notre amour et de notre haine. N’attendons pas pour les pré­mu­nir. Éloignons de notre mai­son tout ce qui pour­rait contri­buer à pro­pa­ger l’esprit du monde, sans com­pro­mis­sion, avec une douce et saine intran­si­geance. Ne soyons ni naïfs, ni faibles : aucune famille, aucune per­sonne ne peut se croire à l’abri. La cor­rup­tion est déjà beau­coup plus pro­fonde qu’on ne pense, et sa pro­gres­sion est inarrêtable.

En même temps, n’oublions pas que cette bataille est fon­ciè­re­ment sur­na­tu­relle. On n’affronte pas des ruses dia­bo­liques avec des moyens pure­ment natu­rels. Ces moyens sur­na­tu­rels se réduisent à trois prin­ci­paux, et nous devons les redé­cou­vrir continuellement.

Le pre­mier est la sainte Messe : c’est par elle que Notre-​Seigneur conti­nue à vaincre le démon et le péché. Jamais nous n’apprécierons ce moyen dans toute sa valeur et jamais nous ne nous appuie­rons trop sur lui. C’est le pré­cieux Sang offert sur nos autels qui gar­de­ra jusqu’à la fin des temps le pou­voir de faire ger­mer la pure­té et la vir­gi­ni­té, même au milieu de la nou­velle Sodome. La Messe est le chef‑d’œuvre de l’amour de Notre-​Seigneur pour les âmes, et elle ali­mente en elles le même amour qui les for­ti­fie jusqu’au don de soi.

Le deuxième moyen est le saint Rosaire. Ce moyen si ordi­naire a par­ti­cu­liè­re­ment besoin d’être redé­cou­vert dans nos familles. Il s’agit d’y voir tou­jours davan­tage le moyen de nous plon­ger dans les grands mys­tères de la vie de Notre-​Seigneur et de Notre-​Dame. Par là, gui­dés par notre mère, nous deve­nons capables de les imi­ter dans l’offrande d’eux-mêmes à Dieu, dans leur esprit de sacri­fice et dans leur pure­té. Malheureusement, en cer­tains cas, on n’arrive plus à trou­ver le temps néces­saire pour prier ensemble. Le Rosaire doit res­ter la pre­mière de toutes les acti­vi­tés fami­liales quo­ti­diennes. C’est autour de lui qu’il faut orga­ni­ser sa jour­née. Dans les familles où cela est la règle, la grâce de la per­sé­vé­rance des enfants ne fera pas défaut.

Le troi­sième moyen est cer­tai­ne­ment le plus spé­ci­fique à la situa­tion actuelle pour obte­nir la per­sé­vé­rance : il s’agit du Cœur Immaculé de Marie. Dans sa Providence, Notre-​Seigneur a vou­lu nous offrir un refuge au milieu de Sodome et Gomorrhe. C’est dans ce refuge que nous devons entrer. C’est-à-dire qu’il faut éta­blir entre notre cœur et celui de la Vierge une telle inti­mi­té que nous puis­sions connaître et admi­rer la vie inté­rieure de la Vierge, par­ta­ger ses dési­rs, ses joies et ses peines, ses sou­cis. Partager aus­si et sur­tout sa volon­té de coopé­rer sans réserve à l’œuvre de la Rédemption.

Qu’allons-nous alors décou­vrir dans ce cœur, que nous ne sau­rions trou­ver ailleurs ? Nous y trou­ve­rons sur­tout cette cha­ri­té irré­sis­tible, qui rend les âmes invin­cibles. C’est là que se cache le secret de la vic­toire et c’est là qu’il faut aller la cher­cher. Lorsqu’une âme aime véri­ta­ble­ment, elle est prête à faire face à n’importe quelle épreuve. Toutes les craintes légi­times et com­pré­hen­sibles dis­pa­raissent ; toute fai­blesse s’évanouit ; tout héroïsme devient pos­sible. En effet, tout ce que nous venons d’évoquer dans les quelques réflexions qui pré­cèdent se résume à une ques­tion d’amour radi­cal. L’amour vrai, la cha­ri­té que Dieu répand dans nos cœurs, l’emporte tou­jours. Lorsque l’amour règne, il sub­jugue. L’amour dont nous par­lons n’est pas syno­nyme de fai­blesse mais de force. C’est l’arme à laquelle rien ne peut résis­ter. Seul l’amour d’âmes prêtes au mar­tyre pour­ra triom­pher dans l’empire de l’égoïsme et de l’impureté. Et c’est bien dans le cœur de la Vierge que nous trou­ve­rons l’exemple et la source de cet amour qui n’existe plus dans le monde mais qui doit être le nôtre. Credidimus Caritati.

Dieu vous bénisse !

Menzingen, le 3 sep­tembre 2022,
en la fête de de saint Pie X
Don Davide Pagliarani, Supérieur général

Source : MG – FSSPX.Actualités

Supérieur Général FSSPX

M. l’ab­bé Davide Pagliarani est l’ac­tuel Supérieur Général de la FSSPX élu en 2018 pour un man­dat de 12 ans. Il réside à la Maison Générale de Menzingen, en Suisse.