Mitte operarios in messem tuam.
Matthieu 9, 37–38
Chers fidèles, amis et bienfaiteurs,
Dans quelques jours s’ouvrira une nouvelle année jubilaire pour l’Eglise. Nombreux, je l’espère, nous nous retrouverons à Rome le 20 août prochain. Là, bien sûr, nous porterons un témoignage de foi : une foi reçue de l’Eglise par sa Tradition, une foi vive que nous avons le devoir de transmettre à notre tour telle que nous l’avons reçue, pure de toute compromission avec l’esprit du monde.
Puisse ce jubilé être également un témoignage d’espérance, tout spécialement concernant l’avenir de l’Eglise et son indéfectibilité. En effet, si nous sommes profondément attachés à la Rome de toujours, nous devons avoir intimement le souci de l’Eglise de demain. Certes, nous connaissons la promesse du Christ d’être avec elle jusqu’à la fin des temps, malgré les assauts de l’enfer. Mais nous devons comprendre que cette promesse implique nécessairement notre participation : Notre-Seigneur compte sur nos efforts, suscités et fécondés par sa grâce, pour garantir à l’Eglise son indéfectibilité.
Quels sont concrètement ces efforts que Notre-Seigneur attend de nous pour assurer l’avenir de l’Eglise ? On peut les résumer dans notre labeur commun à faire éclore de nombreuses et saintes vocations, tant religieuses que sacerdotales. Les saints et les papes n’ont cessé de le rappeler : un peuple n’est saint que grâce à un clergé saint, et une civilisation ne redevient chrétienne que dans la mesure où elle est fécondée par de saints religieux. Avoir le souci de l’Eglise de demain, c’est donc œuvrer de tout notre pouvoir à l’éclosion, à la formation et à la persévérance de ces vocations.
Des témoins héroïques du Christ
Qui dira suffisamment ce que sont appelés à être les prêtres, les religieux et religieuses de demain ? Mgr Lefebvre l’exprimait d’un trait, tandis qu’il s’adressait à ses séminaristes :
Le temps actuel est le temps des héros. Au moment où tout semble disparaître dans la structure de la société, et même dans la structure de l’Eglise, le moment n’est pas aux âmes tièdes qui s’abandonnent aux troubles ou aux doutes qui circulent à travers le monde, même sur la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, et cela même à travers l’Eglise catholique. Le moment est à ceux qui croient à Notre Seigneur Jésus-Christ, qui croient que Notre Seigneur Jésus-Christ, par sa Croix, a donné la solution de tous les problèmes personnels de notre vie.
Homélie, Ecône, 7 janvier 1973.
Ce qu’en effet la situation de notre monde réclame, c’est une génération de prêtres, de religieux et de religieuses, qui témoigne de Notre Seigneur Jésus-Christ, souvent contre vents et marées ; une génération qui, pour notre monde laissé à demi-mort, témoigne de la toute-puissance rédemptrice qui se trouve dans le Christ Jésus, et seulement en lui ; qui en témoigne par des paroles sans peur ni détours, et plus encore par une vie vécue à son école et dans son amour ; une génération où chacun, à sa manière, sera une « image vivante du Sauveur », selon l’expression de Pie XII[1].
Une lumière pour le monde
Certains peuvent s’effrayer parfois des tempêtes qui ébranlent le monde, et qui le secouent d’autant plus que ce monde s’éloigne davantage de Dieu. Avec Notre-Seigneur, apaisant le cœur de ses apôtres avant même d’apaiser les flots, nous voudrions leur dire : Ne craignez pas[2]. La puissance de la tempête ne manifeste-t-elle pas la puissance plus grande encore du phare, qui ne cesse d’éclairer, de guider jusqu’au port ?
Je suis la lumière du monde[3]. A la suite du Christ, telle est aussi l’Eglise. Tels aussi seront ses ministres et religieux, s’ils restent fondés et enracinés dans la charité, si le Christ habite dans leur cœur par la foi[4]. Avec saint Paul, ils pourront dire : Je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures… ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur[5].
Alors, loin d’être effrayés par les ténèbres, ils les vaincront par la lumière dont ils seront porteurs. Depuis l’humble salle de classe où la religieuse enseigne, jusqu’à la chaire où prêche le prêtre, l’Eglise continuera par eux à fortifier les âmes, à redresser les cœurs, à éclairer le monde. Du cloître silencieux à l’obscurité du confessionnal, l’Eglise déversera en abondance la paix du Christ sur les âmes, et bientôt sur les Cités. Car n’en doutons pas : notre monde, chaque jour plus empêtré dans sa logique autodestructrice, a soif de cette lumière, faite tout à la fois de vérité et de charité.
« Va, et rebâtis mon Eglise en ruine » : ainsi s’adressait le Christ crucifié au jeune François d’Assise. Pour répandre cette divine lumière sur un monde enténébré, pour communiquer la vie de Notre-Seigneur aux âmes, il faudra donc des âmes prêtes à rendre témoignage à la vérité[6], que ce soit devant le grand-prêtre ou devant Pilate. Certes, les fumées de Satan ont pénétré l’Eglise, où le diable diviseur se déguise en ange de lumière[7]. Mais ne nous y trompons pas : les graves dérives doctrinales et morales des hommes d’Eglise, en pleine déliquescence, annoncent, tôt ou tard, la mort de l’utopie moderniste.
Une milice embrasée
La victoire du Christ et du Cœur immaculé de Marie passera donc par le rayonnement de la vie consacrée, vécue pleinement et intégralement, et donc par une sainte milice de vocations sacerdotales et religieuses, choisissant de renoncer à tout pour suivre Notre-Seigneur.
A ces témoins héroïques et lumineux, il faudra bien sûr une grande force d’âme et de grandes vertus : animés d’un esprit de foi aussi ferme que profond, ils devront être à la fois incapables de compromission avec le mal et l’erreur, et tout emplis de douceur et de charité.
Ces conquérants n’y parviendront que dans la mesure où ils seront enflammés de l’amour du Christ, embrasés de zèle, et entièrement donnés pour le bien de l’Eglise. Mgr Lefebvre le rappelait à ses séminaristes :
Vous aurez à être des héros, des saints et des martyrs ; martyrs au sens de témoins de la foi catholique. On vous en voudra de toutes parts mais, appuyés sur l’exemple de ceux qui ont donné leur vie et leur sang pour leur foi, appuyés sur l’exemple de la très sainte Vierge Marie et par son secours, vous accomplirez cette œuvre pour votre sanctification et la sanctification des âmes.
Homélie, Ecône, 21 mai 1983.
C’est cette nouvelle génération de prêtres, de religieux et de religieuses qu’il faut faire apparaître, et sans laquelle la Providence manquera d’instruments pour réaliser son œuvre de salut. Comment y parvenir ?
Un don de Dieu à réclamer
Nous le savons, le mot lui-même l’indique, une vocation est un don de Dieu. Dieu seul appelle : Nul ne s’arroge cette dignité, il faut y être appelé de Dieu[8]. Dieu seul en effet insuffle sa grâce dans les âmes, et une vocation religieuse ou sacerdotale est une grâce bien particulière, une grâce de choix.
Une telle grâce néanmoins se demande. Un tel don dépend de notre prière. Notre-Seigneur nous le rappelle : La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson, afin qu’il envoie des ouvriers à sa moisson [9]. Plus un don est insigne, plus la prière doit se faire insistante. En est-il ainsi de la nôtre, au sujet des vocations ? Il est à craindre que, quelquefois, nous passions plus de temps à déplorer le mal qu’à implorer de Dieu les remèdes… Si vraiment nous sommes persuadés que seules de saintes vocations restaureront l’Eglise, et par là le monde, si vraiment nous voulons que l’œuvre de la Rédemption de Notre-Seigneur triomphe à nouveau en notre époque, alors nous ne pouvons que demander avec toujours plus d’insistance et de persévérance de saintes vocations, démultipliant notre supplication.
Comme les justes de l’Ancien Testament qui aspiraient, pleins d’ardeur, à la venue du Sauveur, ainsi devons-nous prier le Ciel pour qu’il envoie à notre temps des « reflets de l’amour de Dieu », des « images vivantes du Christ », autrement dit de nouveaux François d’Assise ou Padre Pio, de nouvelles Thérèse d’Avila ou Catherine de Sienne, et de nombreux saints prêtres pour dispenser aux âmes « la perle la plus précieuse, à savoir les richesses inépuisables du Sang de Jésus-Christ[10] ».
C’est là, très certainement, la demande la plus urgente pour notre temps. Nous savons que Dieu n’abandonnera pas son Eglise, et qu’il veut donner à notre époque les saints dont elle a besoin : il ne le fera cependant que dans la seule mesure où nous le demanderons avec autant d’insistance que d’humilité. Voici précisément l’espérance et la prière que nous voulons porter à Rome à l’occasion du Jubilé, et c’est pourquoi nous avons choisi pour thème de notre pèlerinage : « Mitte operarios in messem tuam. Envoyez des ouvriers à votre moisson[11]. »
Une légion à enfanter
Cependant, nous ne voulons pas confiner une telle cause à ces seules heures de prière jubilaire. Nous voudrions au contraire que ce souci des vocations nous habite tous pendant les années à venir : dans notre prière bien sûr, en tout premier lieu, mais aussi dans le zèle que chacun de nous déploiera à cette fin. Car tous, nous avons à œuvrer pour cette cause : les prêtres bien sûr, par leur exemple et leur enthousiasme surnaturel ; mais aussi les pères et mères de famille : car c’est du zèle qu’ils mettront à l’épanouissement et à la sanctification de leur foyer que dépendent les vocations de demain, tant il est vrai que la famille profondément chrétienne est, selon l’expression de Pie XI, « le premier jardin, et le mieux adapté, où doivent comme spontanément germer et éclore les vocations[12] ». Nous reviendrons plus en détail sur ces quelques réflexions dans les prochaines lettres que nous vous adresserons.
Ne nous y trompons pas : nous lançons là un chantier qui s’étalera sur des années. Aussi désirons-nous le placer tout particulièrement sous la protection de Notre-Dame des Sept Douleurs. Déjà, par le Fiat de l’Annonciation, son sein virginal devenait la première cathédrale où le Verbe, en prenant notre nature, reçut l’onction qui faisait de lui le Consacré de Dieu et instaurait le sacerdoce nouveau… Puis au pied de la Croix, Jésus confia au Cœur douloureux et immaculé de Marie le sacerdoce de saint Jean, l’établissant Mère, à travers l’Apôtre bien-aimé, de tous les prêtres. Ainsi, par sa compassion, dans les douleurs du Calvaire qu’elle unissait intimement aux souffrances de son divin Fils, Notre-Dame enfanta l’Eglise d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
C’est donc vers elle que nos prières instantes doivent se diriger. Implorons-la avec confiance de nous accorder ces vocations dont nous avons tant besoin. Et très concrètement, recourons inlassablement à l’arme du saint rosaire. Durant toute cette année jubilaire, qui s’ouvrira le 24 décembre et s’achèvera le 6 janvier 2026, faisons monter au Ciel une supplication continuelle de chapelets fervents pour les vocations. Nous n’en tiendrons pas le compte, nous ne voulons pas en limiter le nombre ; mais nous comptons sur l’engagement de tous et de chacun pour consacrer cette année sainte à la récitation féconde du rosaire. Nous comptons en particulier sur la prière des enfants de nos familles et de nos écoles, ainsi que sur leurs sacrifices ; et nous prions instamment leurs éducateurs de tout mettre en œuvre pour aider ces enfants à s’y montrer généreux.
Nous déposerons alors solennellement aux pieds de Notre-Dame, le 20 août prochain, cette multitude incalculable de chapelets et de sacrifices, comme un hommage de reconnaissance et d’humble confiance dans la puissance de son intercession maternelle. Puissions-nous ainsi, sous sa conduite, œuvrer à l’éclosion des saintes vocations qui feront la sainteté de l’Église de demain.
Je vous souhaite à tous, ainsi qu’à vos familles, une sainte fête de Noël.
Que Dieu vous bénisse.
Menzingen, le 20 décembre 2024
Don Davide Pagliarani, Supérieur général
Source : Lettre du Supérieur général aux amis et bienfaiteurs n°93 | FSSPX Actualités
- Encyclique Menti Nostræ.[↩]
- Jean 6, 20.[↩]
- Jean 8, 12.[↩]
- Cf. Cf. Ephésiens 3, 17.[↩]
- Romains 8, 38–39.[↩]
- Jean 18, 37.[↩]
- 2 Corinthiens 11, 14.[↩]
- Hébreux 5, 4[↩]
- Matthieu 9, 37–38.[↩]
- Pie XII, encyclique Menti Nostræ.[↩]
- Missale Romanum, Messe pour demander des vocations sacerdotales.[↩]
- Enc. Ad Catholici sacerdotii.[↩]