Chers amis et bienfaiteurs,
Le Motu Proprio Summorum Pontificum qui a reconnu que la messe tridentine n’avait jamais été abrogée pose un certain nombre de questions en ce qui concerne le futur des relations de la Fraternité Saint-Pie X avec Rome. Plusieurs personnes, dans les milieux conservateurs et à Rome même, ont fait entendre leurs voix arguant que, le Souverain Pontife ayant posé un acte d’une si grande générosité, et donné par là même un signe évident de bonne volonté à notre égard, il ne resterait à notre Société qu’une seule chose à faire : « signer un accord avec Rome ». Malheureusement quelques-uns de nos amis se sont laissés prendre à ce jeu d’illusions.
Nous voudrions saisir l’occasion de cette lettre du temps pascal pour rappeler une fois de plus les principes qui gouvernent notre action en ces temps troublés et signaler quelques événements récents qui indiquent bien clairement que, au fond, à part l’ouverture liturgique du Motu Proprio, rien n’a vraiment changé, afin de tirer les conclusions qui s’imposent
Le principe fondamental qui dicte notre action est la conservation de la foi, sans laquelle nul ne peut être sauvé, nul ne peut recevoir la grâce, nul ne peut être agréable à Dieu, comme le dit le Concile Vatican I. La question liturgique n’est pas première, elle ne le devient que comme expression d’une altération de la foi et corrélativement du culte dû à Dieu.
Il y a un changement notable d’orientation dans le Concile Vatican II par rapport à la vision de l’Eglise, surtout par rapport au monde, aux autres religions, aux Etats, mais aussi par rapport à elle-même. Ces changements sont reconnus par tous, mais ne sont pas évalués de la même manière par tous. Jusqu’ici, ils étaient présentés comme très profonds, révolutionnaires : « la Révolution de 89 dans l’Eglise » a pu dire un des cardinaux du Concile.
Benoît XVI encore cardinal présentait la question ainsi : « Le problème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs exprimées de deux siècles de culture « libérale ». Ce sont en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l’Eglise, peuvent trouver leur place – épurées et corrigées – dans sa vision du monde. C’est ce qui a été fait [1] ». Et au nom de cette assimilation, une nouvelle vision du monde et de ses composants a été imposée : une vision fondamentalement positive, qui a dicté non seulement un nouveau rite liturgique, mais aussi un nouveau mode de présence de l’Eglise dans le monde, beaucoup plus horizontal, plus présente aux problèmes humains et terrestres que surnaturels et éternels…
En même temps, la relation aux autres religions se transformait : depuis Vatican II, Rome évite tout jugement négatif ou dépréciateur de ces autres religions. Par exemple, la dénomination classique de « fausses religions » a complètement disparu du vocabulaire ecclésiastique. Les termes « hérétiques » et « schismatiques », qui qualifiaient les religions plus proches de la religion catholique, ont eux aussi disparu ; ils sont éventuellement utilisés, surtout celui de schismatique, pour nous désigner. Ainsi en est-il du terme « excommunication ». La nouvelle approche se nomme œcuménisme, et contrairement à ce que tous croyaient, ce n’est pas d’un retour à l’unité catholique qu’il s’agit, mais de l’établissement d’une nouvelle sorte d’unité qui ne requiert plus de conversion.
Envers les confessions chrétiennes s’est établie une nouvelle perspective, et cela est encore plus clair avec les orthodoxes : dans l’accord de Balamand, l’Eglise catholique s’engage officiellement à ne pas convertir les orthodoxes et à collaborer avec eux. Le dogme « hors de l’Eglise pas de salut » rappelé dans le document Dominus Jesus a connu une réinterprétation nécessaire à la nouvelle vision des choses : on n’a pu maintenir ce dogme sans élargir les limites de l’Eglise, ce qui a été réalisé par la nouvelle définition de l’Eglise donnée dans Lumen Gentium. L’Eglise du Christ n’est plus l’Eglise catholique, elle subsiste en elle. On a beau dire qu’elle ne subsiste qu’en elle, il reste que l’on prétend à une action du Saint Esprit et de cette « Eglise du Christ » hors de l’Eglise catholique. Les autres religions ne sont pas privées d’éléments de salut… Les « églises orthodoxes » deviennent d’authentiques églises particulières dans lesquelles s’édifie « l’Eglise du Christ. »
Ces nouvelles perspectives ont évidemment bouleversé les rapports avec les autres religions. Il est impossible de parler d’un changement superficiel, c’est bien une nouvelle et très profonde mutation que l’on prétend imposer à l’Eglise de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce qui fait que Jean-Paul II a pu parler de « nouvelle ecclésiologie », admettant un changement essentiel dans cette partie de la théologie qui traite de l’Eglise. Nous ne comprenons tout simplement pas comment l’on peut prétendre que cette nouvelle compréhension de l’Eglise serait encore en harmonie avec la définition traditionnelle de l’Eglise. Elle est nouvelle, elle est radicalement autre et elle oblige le catholique à avoir un comportement foncièrement différent avec les hérétiques et schismatiques qui ont tragiquement abandonné l’Eglise et bafoué la foi de leur baptême. Ils ne sont désormais plus des « frères séparés », mais des frères qui « ne sont pas en pleine communion »… et nous sont « profondément unis » par le baptême dans le Christ, d’une union inamissible… La dernière mise au point de la Congrégation de la Doctrine de la Foi sur le mot subsistit est à ce propos très éclairante. Tout en affirmant que l’Eglise ne peut pas enseigner de nouveauté, elle confirme la nouveauté introduite au Concile…
De même pour l’évangélisation : le devoir sacré de tout chrétien de répondre à l’appel de Notre Seigneur Jésus-Christ est d’abord affirmé, « Allez par tout le monde, et prêchez l’Evangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. [2] » Mais il est ensuite allégué que cette évangélisation ne concerne que les païens, et ainsi, ni les chrétiens, ni les juifs ne sont concernés… Tout récemment les cardinaux Kasper et Bertone, au sujet de la controverse sur la nouvelle prière pour les Juifs, ont affirmé que l’Eglise ne les convertirait pas.
Ajoutons à cela les positions papales au sujet de la liberté religieuse et nous pouvons aisément conclure que le combat de la foi n’a en rien diminué ces dernières années. Le Motu Proprio qui introduit une espérance de changement vers le mieux au niveau liturgique, n’est pas accompagné par des mesures logiquement corrélatives dans les autres domaines de la vie de l’Eglise. Tous les changements introduits au Concile et dans les réformes post-conciliaires que nous dénonçons, parce que l’Eglise les a précisément déjà condamnés, sont confirmés. Avec la différence que désormais, on affirme en même temps que l’Eglise ne change pas… ce qui revient à dire que ces changements seraient parfaitement dans la ligne de la Tradition catholique. Le bouleversement au niveau des termes joint au rappel que l’Eglise doit rester fidèle à sa Tradition peuvent en troubler plus d’un. Tant que les faits ne corroborent pas l’affirmation nouvelle, il faut conclure que rien n’a changé dans la volonté de Rome de poursuivre les orientations conciliaires, malgré quarante années de crise, malgré les couvents dépeuplés, les presbytères abandonnés, les églises vides. Les universités catholiques persistent dans leurs divagations, l’enseignement du catéchisme reste une inconnue alors que l’école catholique n’existe plus comme spécifiquement catholique : c’est devenu une espèce éteinte…
Voici pourquoi la Fraternité Saint-Pie X ne peut pas « signer d’accord ». Elle se réjouit franchement de la volonté papale de réintroduire le rite ancien et vénérable de la sainte Messe, mais découvre aussi la résistance parfois farouche d’épiscopats entiers. Sans désespérer, sans impatience, nous constatons que le temps d’un accord n’est pas encore venu. Cela ne nous empêche pas de continuer d’espérer, de continuer le chemin défini dès l’an 2000. Nous continuons de demander au Saint-Père l’annulation du décret d’excommunication de 1988, car nous sommes persuadés que cela ferait le plus grand bien à l’Eglise et nous vous encourageons à prier pour que cela se réalise. Mais il serait très imprudent et précipité de se lancer inconsidérément dans la poursuite d’un accord pratique qui ne serait pas fondé sur les principes fondamentaux de l’Eglise, tout spécialement sur la foi.
La nouvelle croisade du Rosaire à laquelle nous vous appelons, pour que l’Eglise retrouve et reprenne sa Tradition bimillénaire, appelle aussi quelques précisions. Voici comment nous la concevons : que chacun s’engage à réciter un chapelet à une heure assez régulière du jour. Vu le nombre de nos fidèles et leur répartition dans le monde entier, nous pouvons être assurés que toutes les heures du jour et de la nuit auront leurs voix vigilantes et orantes, de ces voix qui veulent le triomphe de leur Mère céleste, l’avènement du Règne de Notre Seigneur, « sur la terre comme au ciel ».
+ Bernard Fellay
Menzingen, le 14 avril 2008