La mission de l’Église

Les œuvres d’Église, qui font suite à celles du Fils, ont pour but de don­ner la grâce aux âmes. « Comme mon Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie » (Jn XX, 21) et disant cela, Notre-​Seigneur souffle sur ses apôtres, ajou­tant : « Recevez l’Esprit-Saint. »

Les missions en Dieu

Mission vient du latin qui signi­fie être envoyé. Le terme revient sou­vent dans l’évangile. « Jésus envoya ses apôtres en mis­sion. » (Mt X,5). Mais pour bien com­prendre ce que signi­fie cet envoi en mis­sion, il faut se rap­pe­ler que Jésus a dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie. » 

L’Église envoie des mis­sion­naires parce que Jésus a envoyé ses apôtres dans le monde. Mais Jésus envoie ses apôtres parce qu’il a lui-​même été envoyé, tout en leur pro­met­tant de leur envoyer le Saint-​Esprit. L’Église est donc mis­sion­naire parce que le Fils et le Saint-​Esprit ont été envoyés. Les mis­sions ecclé­sias­tiques conti­nuent les mis­sions des per­sonnes tri­ni­taires. Or qu’est-ce qu’une mis­sion pour le Fils et le Saint-​Esprit ? C’est un nou­veau mode de pré­sence. Par exemple le diplo­mate envoyé en mis­sion dans un pays quel­conque ne se trouve pas dans ce pays sim­ple­ment comme un indi­vi­du ou un tou­riste. Il y est pré­sent selon un nou­veau mode : celui de repré­sen­ter son gou­ver­ne­ment. L’incarnation pour le Fils est une mis­sion (envoyé par le Père) et par­tant un nou­veau mode de pré­sence du Fils dans le monde. Mission que l’on qua­li­fie de visible, tout comme les langues de feu lors de la Pentecôte qui sont la mani­fes­ta­tion visible de la mis­sion invi­sible du Saint-​Esprit dans les âmes. Cependant, ces mis­sions visibles du Fils et du Saint-​Esprit sont au ser­vice d’une mis­sion invi­sible qui se réa­lise dans les âmes et n’est pas autre chose que la pré­sence de la Trinité Sainte par la grâce sanctifiante.C’est pour­quoi les mis­sions visibles et invi­sibles du Fils et du Saint-​Esprit ter­minent à la vie de la grâce sanc­ti­fiante, qui est une vie de foi et de charité. 

« Comme le Père m’a envoyé, voi­ci que je vous envoie. » La mis­sion de l’Église conti­nue celle du Fils. Elle a pour but d’aboutir à la pré­sence de la grâce sanc­ti­fiante dans les âmes.

La mission de l’Église

De cet épi­sode évan­gé­lique, il est clair d’une part que les apôtres doivent conti­nuer l’œuvre de Jésus, d’autre part que cela ne peut se faire sans le Saint-​Esprit, autre­ment dit sans la grâce sanc­ti­fiante. Le but des mis­sion­naires est en effet d’annoncer l’évangile. C’est-à-dire la bonne nou­velle de notre rachat par la croix et de notre adop­tion filiale par la grâce. Le salut est désor­mais pos­sible ; l’enfer et le péché sont vain­cus par la résur­rec­tion du Christ. 

Le mis­sion­naire est très clai­re­ment ins­tru­ment de Dieu, vec­teur de la grâce qu’il doit répandre dans les âmes. Or la grâce n’appartient pas au prêtre. Elle est une par­ti­ci­pa­tion à la vie divine. Elle vient de la croix et du sacri­fice de Notre-​Seigneur. La mis­sion est donc le vaste champ du Christ : C’est moi qui vous ai envoyés… Je vous envoie… Baptisez-​les au nom du Père… J’ai d’autres bre­bis. Le rôle du mis­sion­naire est bien défi­ni en ce sens qu’il doit être l’instrument le plus docile pos­sible à son maître et ne pas sub­sti­tuer son impro­vi­sa­tion per­son­nelle à l’action de la grâce. 

Seul le Christ est vrai média­teur. « Je suis sor­ti du Père ; je retourne au Père. » Le prêtre mis­sion­naire est insé­ré par Jésus-​Christ dans ce mou­ve­ment qui part de Dieu et revient à Dieu. Et son rôle est d’y faire ren­trer les âmes pour qu’elles par­viennent au Ciel. Le mis­sion­naire est donc envoyé par l’Église pour accom­plir une œuvre d’Église, essen­tiel­le­ment sur­na­tu­relle. Partant, les moyens sont aus­si essen­tiel­le­ment sur­na­tu­rels, parce que le prin­cipe et la fin sont sur­na­tu­rels. La messe tout par­ti­cu­liè­re­ment est le grand moyen de la mis­sion. La prière du prêtre (le bré­viaire et le rosaire notam­ment) et son inti­mi­té avec Notre-​Seigneur (l’esprit d’oraison) sont de ce fait les excel­lents moyens qui en tou­chant le cœur du maître de la mois­son, vont per­mettre l’essor de la grâce dans les âmes à conver­tir. C’est pour­quoi l’Église, en for­mant ses mis­sion­naires, a tou­jours tenu à ce qu’ils soient pleins d’un zèle sur­na­tu­rel, rem­plis d’amour de Dieu et des âmes, et prêts à vivre une vie de sacri­fices et souf­frances dont l’issue peut s’avérer être le martyre.

Vatican II et les missions : le décret Ad Gentes

Il y eut un véri­table essor des mis­sions entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle. Il n’est donc pas éton­nant que les pères conci­liaires aient vou­lu que le deuxième concile du Vatican se pré­oc­cu­pât de ce sujet, en rédi­geant le décret Ad Gentes. C’était d’ailleurs la pre­mière fois qu’un concile pro­dui­sait un docu­ment sur les missions.

De bons aspects

Heureuse ini­tia­tive qui com­porte d’excellents pas­sages. Les mis­sions sont bien remises dans leur cadre tri­ni­taire. Conséquence théo­lo­gique, le rôle mis­sion­naire d’apporter le salut aux hommes est réaf­fir­mé dans la dépen­dance de l’œuvre de Notre-​Seigneur. L’importance de la vie contem­pla­tive, œuvre d’union inté­rieure avec Dieu, est for­te­ment sou­li­gnée. On trou­ve­ra aus­si dans les der­niers cha­pitres d’excellentes idées se rap­por­tant à la for­ma­tion des mis­sion­naires. Des détails concrets et par­fois de bon sens sont pré­sents dans le texte et bien­ve­nus afin d’apporter un véri­table sou­tien à la dif­fi­cile per­sé­vé­rance des missionnaires.

Un problème lexical

Ces heu­reux points ne doivent hélas pas mas­quer la réa­li­té d’un texte impré­gné de prin­cipes mau­vais. Du reste, l’échec des résul­tats, le peu de voca­tions et de conver­sions pose un véri­table pro­blème. La réponse se trouve dans l’esprit du texte conciliaire.

D’un point de vue pure­ment lexi­cal, des lacunes graves per­sistent. Pas une fois on ne retrouve les mots rédemp­tion, rachat, messe. Le mot croix est presque absent, de même pour le sacri­fice. Le concept de Ciel n’apparaît que deux fois mais en cita­tion. Cette absence laisse le malaise désa­gréable que les moyens (la croix) et la fin ultime (la patrie céleste) des mis­sions sont évacués.

Confusion des ordres

Pourquoi donc ces mots si impor­tants sont-​ils absents ? La cause d’une telle lacune se trouve mal­heu­reu­se­ment dans l’erreur fon­da­men­tale de tout le concile Vatican II : la confu­sion des ordres natu­rel et surnaturel. 

L’ordre natu­rel est celui qui est com­mun à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Il est propre à ce qui nous défi­nit en tant qu’homme. L’ordre sur­na­tu­rel est une par­ti­ci­pa­tion à la vie divine. Il est sur­ajou­té par Dieu et relève uni­que­ment de la grâce. Il est ain­si propre à ceux qui appar­tiennent à l’Église par le bap­tême et vivent en état de grâce. En ne fai­sant plus la dis­tinc­tion de ces deux ordres, on confond ce qui appar­tient à la nature de tous les hommes comme un dû et ce qui est gra­tui­te­ment don­né par Dieu pour éle­ver la nature humaine à une vie plus haute. Dans l’ordre natu­rel, l’homme peut poser des actes humains ; dans l’ordre sur­na­tu­rel, les actes propres sont prin­ci­pa­le­ment les actes de foi, d’espérance et de cha­ri­té. Dans l’ordre natu­rel, la vie est celle de l’intelligence et de la volon­té livrées à elles-​mêmes ; dans l’ordre sur­na­tu­rel, la vie est celle même de Dieu qui est com­mu­ni­quée par sa libéralité.

En confon­dant les deux ordres, la pre­mière erreur consiste à consi­dé­rer les dons gra­tuits de Dieu comme des dus. La seconde erreur lui est cor­ré­la­tive : comme tout est dû, l’ordre sur­na­tu­rel est rabais­sé à quelque chose de nor­mal et donc natu­rel. Par consé­quent, les ver­tus théo­lo­gales et tout ce qui relève de la grâce sont estom­pés au pro­fit de la nature humaine. C’est alors l’homme lui-​même qui est exal­té. La rédemp­tion et le Christ deviennent alors inutiles.

Quelle unité de l’Église ?

Selon la doc­trine catho­lique, la mis­sion de l’Église fait suite à la mis­sion du Christ et n’a pas d’autre but que d’amener dans l’Église, seule et unique voie de salut éter­nel, les âmes errantes. C’est là ce que l’on appelle tra­vailler à l’unité de l’Église, non pour réa­li­ser cette uni­té (qui existe déjà) mais pour la per­fec­tion­ner en y ame­nant les âmes.

La confu­sion moderne des ordres natu­rel et sur­na­tu­rel a engen­dré une confu­sion des réa­li­sa­tions. L’unité du genre humain (ordre natu­rel) a pris la place de l’unité de l’Église (ordre sur­na­tu­rel). Ainsi, au nom de l’humanité qui nous est com­mune, nous sommes tous frères. Par consé­quent, nous avons tous le même Père, tous le même Dieu. La mis­sion est tout au plus un révé­la­teur de conscience, qui per­met à cha­cun d’entrevoir les par­celles de reli­gio­si­té qui se trouvent en chaque âme. C’est la doc­trine même de l’œcuménisme.

Par-​là, c’est toute la notion d’Église qui s’en trouve modi­fiée, de sorte qu’elle est désor­mais mise au ser­vice du genre humain. Avec la consti­tu­tion Lumen Gentium, l’Église est défi­nie comme le peuple de Dieu. « Ce Peuple mes­sia­nique a pour condi­tion la digni­té et la liber­té des fils de Dieu… Il a pour loi le com­man­de­ment nou­veau d’aimer… Il a pour fin le Royaume de Dieu com­men­cé sur la terre par Dieu lui-​même et qui doit se dila­ter par la suite, jusqu’à ce que, à la fin des temps, il soit ache­vé par Dieu lui-​même. » [1] Aucune men­tion sur­na­tu­relle, mais une confu­sion sourde et grave entre les réa­li­tés tem­po­relles et surnaturelles.

L’Église semble donc au ser­vice d’un royaume temporel.

Le salut du monde

Le pro­blème de fond qui vient d’être sou­li­gné nous fait com­prendre la rai­son pour laquelle la croix, la rédemp­tion et le sacri­fice sont absents du texte conci­liaire sur les mis­sions. La confu­sion des ordres natu­rel et sur­na­tu­rel, le nivel­le­ment par le bas au niveau de la digni­té pure­ment humaine et natu­relle ont ache­vé de rem­pla­cer la vie théo­lo­gale de foi, d’espérance et de cha­ri­té, la vie des sacre­ments et du sacri­fice, par un huma­ni­ta­risme com­plè­te­ment dévoyé.

Dès lors que faut-​il attendre des mis­sions selon l’esprit de Vatican II ? Non pas la recherche du Ciel et de la vie éter­nelle (notions absentes du texte), mais le désir d’une fra­ter­ni­té uni­ver­selle qui n’est autre que l’instauration d’un gou­ver­ne­ment mon­dial. Le texte du décret est expli­cite : « Avec les autres chré­tiens, avec les non-​chrétiens, par­ti­cu­liè­re­ment avec les membres des asso­cia­tions inter­na­tio­nales, ils doivent col­la­bo­rer fra­ter­nel­le­ment, ayant tou­jours devant les yeux que “la construc­tion de la cité ter­restre doit être fon­dée sur le Seigneur et orien­tée vers lui”. »[2]

Cinquante ans plus tard, rien n’a chan­gé hélas… En 2015 le pape François appe­lait à un nou­vel ordre éco­no­mique mon­dial[3]. En 2020, c’est un pacte édu­ca­tif mon­dial qui est signé au Vatican. Quant à la nou­velle reli­gion mon­diale, on peut bien esti­mer qu’elle se trouve déjà à l’œuvre dans la décla­ra­tion d’Abou Dhabi signée par le pape en février 2019.

Plus que jamais, ren­dons grâce à Monseigneur Lefebvre de nous avoir trans­mis le zèle missionnaire !

Abbé Gabriel Billecocq

Source : Le Chardonnet n°368

Notes de bas de page
  1. Lumen Gentium, n° 9[]
  2. Texte Ad Gentes, n°41[]
  3. À ce sujet le pape a très récem­ment écrit une lettre adres­sée au FMI et à la banque mon­diale.[]