Il n’est pas permis d’ajouter du chaos au chaos.
Il n’est pas rare qu’un travail trop prolongé ou trop pénible, et un salaire jugé trop faible, donnent lieu à ces chômages voulus et concertés qu’on appelle des grèves.
(Léon XIII, Encyclique Rerum Novarum)
La grève semble donc parfois licite, c’est-à-dire moralement permise. Il faut cependant prendre en compte tous les dommages qu’elle peut engendrer, et qui rendraient alors l’action illicite, ou moralement interdite.
« Ces chômages, continue Léon XIII, non seulement tournent au détriment des ouvriers et des patrons eux-mêmes, mais ils entravent le commerce et nuisent aux intérêts généraux de la société. Comme ils dégénèrent facilement en violence et en troubles, la tranquillité publique s’en trouve souvent compromise (ibid). »
Outre les dommages évidents, perte de salaire pour l’employé gréviste, perte de bénéfices pour l’employeur et l’entreprise, instabilité que la grève engendre, il faut considérer l’atteinte au bien public ; or celui-ci prévaut sur le bien privé des employés, sauf en cas d’injustice intolérable : une maltraitance grave, morale ou physique, un salaire qui ne permet pas de sortir de la misère et d’élever sainement sa famille. Le bien public est très vite touché dans le cas d’une grève des transports par exemple, ou d’un service public. Un abus de grève peut conduire à la paralysie de toute la vie socio-économique. Enfin, on ne peut passer sous silence les haines, ou encore les violences sur les personnes et sur les biens que trop souvent ces grèves entraînent.
Compte tenu de tous ces dommages matériels et moraux, il est très rare que la grève soit opportune. Concrètement, il faudra réunir quatre conditions.
Tout d’abord, le but recherché doit être légitime et il faut avoir un espoir fondé d’obtenir ce qu’on souhaite : si manque l’espoir d’être entendu, on ne peut nuire pour nuire.
Ensuite, il faut une cause juste, proportionnellement grave : comme on peut craindre d’une grève des maux importants, il faut que la raison invoquée soit importante.
La grève enfin est un dernier recours. Si donc n’ont pas été essayées d’autres voies (discussions, conventions, intercessions d’un tiers, recours à un arbitre…), meilleures et plus douce, elle n’est pas nécessaire.
Dans l’acte même de la grève, on ne peut recourir à des moyens injustes, car il n’est jamais permis de faire du mal pour qu’arrive un bien. La violence ou la fraude ne sont jamais des moyens licites.
Sur ce sujet, l’enseignement de l’Église ne varie pas : elle rappelle que le critère ultime de décision est le bien commun à poursuivre, quels que soient les intérêts particuliers et légitimes des syndicats.
Léon XIII précise que dans les cas extrêmes, c’est à l’autorité publique de trouver le remède approprié, à l’exemple de Dieu dont la paternelle sollicitude s’étend à chacune des créatures aussi bien qu’à l’ensemble de la création :
Il importe au salut public et privé que l’ordre et la paix règne partout […] C’est pourquoi, s’il arrive que les ouvriers, abandonnant le travail ou le suspendant par les grèves menacent la tranquillité publique ; que les liens naturels de la famille se relâchent parmi les travailleurs ; qu’on foule aux pieds la religion des ouvriers en ne leur facilitant point l’accomplissement de leurs devoirs envers Dieu ; que la promiscuité des sexes ou d’autres excitations au vice constituent, dans les usines, un péril pour la moralité ; que les patrons écrasent les travailleurs sous le poids de fardeaux iniques ou déshonorent en eux la personne humaine par des conditions indignes et dégradantes ; qu’ils attentent à leur santé par un travail excessif et hors de proportion avec leur âge et leur sexe ; dans tous les cas, il faut absolument appliquer dans de certaines limites la force et l’autorité des lois. La raison qui motive l’intervention des lois en détermine les limites : c’est-à-dire que celles-ci ne doivent pas s’avancer ni rien entreprendre au-delà de ce qui est nécessaire pour remédier aux maux et écarter les dangers (ibid).
En cas d’incompétence manifeste des pouvoirs publics, les critères restent les mêmes : il n’est pas permis d’ajouter du chaos au chaos. Comme nous ne pouvons nous désintéresser totalement du bien commun, il nous revient de faire ce qui est en notre pouvoir pour que ceux qui en ont la charge exercent leur autorité conformément à ces sages paroles du prédécesseur immédiat de saint Pie X.
source : Apostol n°200 – Octobre 2025







