L’année 1790 voit les troubles de la Révolution qui ont agité jusqu’ici la France s’étendre à la population d’Avignon, Etat pontifical. Malgré des efforts d’apaisement de la part du souverain pontife Pie VI, les agitations s’accroissent et le Comtat Venaissain n’en est pas exempt. Le 11 juin, des « aristocrates » sont assassinés et une assemblée d’avignonnais vote la rupture avec Rome et le rattachement de la ville à la France gouvernée par les révolutionnaires.
Pie VI adresse alors une lettre ou « Bref » sur la révolte des peuples d’Avignon et du Comtat Venaissin, faisant partie des Etats du pape.
Le pape répond aux accusations dont son gouvernement est l’objet, révèle les exactions et les cruautés des agitateurs qui ont répandu le sang, annule tous les actes frauduleux et sanctionne les fautifs, tout en souhaitant leur conversion.
Surtout, ce texte contient une affirmation claire, jaillie de la bouche du successeur de Pierre, de ce que les droits de l’homme affirmés par la Déclaration de 1789 sont contraires à la religion et à la société. Un rappel on ne peut plus bienvenu à l’heure de confusion où nous sommes parvenus.
A nos vénérables frères l’archevêque d’Avignon, les évêques de Carpentras, de Cavaillon et de Vaison, et à nos chers fils, les chapitres, le clergé et le peuple de la ville d’Avignon et du Comtat Venaissin, en nos États
Pie VI, pape.
Vénérables frères et chers fils, salut et bénédiction apostolique.
Les attentats que l’on s’est permis contre la religion et contre les droits de la souveraineté dans nos États, tant d’Avignon que du comtat Venaissin, sont trop notoires, le bruit s en est trop répandu dans toute la terre, pour qu’il soit nécessaire de les rappeler ici en détail. Ces deux peuples, sans doute, se sont rendus bien coupables envers nous. Mais dans sa défection, le peuple d’Avignon est bien plus criminel encore que le peuple du Comtat.
2. En effet, les Avignonnais ne se sont pas contentés d’avoir, pour ainsi dire, arboré eux-mêmes l’étendard de la révolte, en s’attachant à un petit nombre d’hommes pervers, qui n’ont évité que par notre clémence les peines qu’ils avaient méritées par leurs forfaits ; mais ils en sont venus à ce point d’audace de forcer, à main armée, les Comtadins à se lier avec eux pour l’exécution de leurs coupables complots ; de les contraindre par ce moyen à entrer dans tous leurs projets et d’employer les menaces, les meurtres et les supplices contre les habitants, tant du Comtat que d’Avignon, qui ont cru devoir leur résister.
3. Nous pourrions établir, par un grand nombre de preuves, l’existence de ces abominables complots ; mais on ne saurait les révoquer en doute, quand on voit des citoyens recommandables, et même des ecclésiastiques cruellement massacrés [1], la ville de Cavaillon prise d’assaut et livrée au pillage [2], la ville de Carpentras attaquée comme une ville ennemie, enfin tous les autres excès d’une licence effrénée, qui dévouent pour toujours leurs infâmes auteurs à l’opprobre et à l’infamie. Semblables au cruel Jason que les saintes Écritures nous représentent comme l’ennemi de Dieu et de sa patrie [3] ils n’ont pas même épargné le sang de leurs concitoyens, pour rendre les habitants d’Avignon et du Comtat infidèles aux lois de Dieu et de leur pays. Ils ont oublié qu’un pareil succès contre ses proches est le plus grand de tous les maux, et puisqu’ils ont pu se glorifier d’une victoire remportée contre leurs concitoyens, comme si elle avait été obtenue contre des ennemis [4], ils méritent, ainsi que Jason, d’être chargés de la haine publique, et de devenir aux yeux de l’univers un objet d’exécration, comme traîtres aux lois et à leur patrie [5].
4. On commença par répandre que le motif de la révolte était le poids des charges dont le peuple était accablé. Ce n’était là qu’une grossière imposture, qu’une calomnie sensible à tous les yeux. On sait bien que l’on ne paie aucune espèce d’impôts à Avignon et dans tout le Comtat ; le gouvernement même y est si doux et si modéré, que tous les autres peuples enviaient le bonheur dont on y jouit. Il ne fut donc pas difficile de reconnaître que l’unique cause de tant de désordres était un amour effréné de la liberté. C’était pour l’obtenir qu’on disait hautement qu’il fallait à tout prix adopter dans son entier la constitution décrétée par l’Assemblée nationale de France, tant pour le gouvernement civil, que pour le gouvernement ecclésiastique et religieux ; et que le moyen d’assurer aux peuples d’Avignon et du Comtat un bonheur plus parfait et plus durable était de les soumettre à la domination de la France.
5. Durant le cours de ces coupables manœuvres, nous n’avons pas laissé de prouver à nos peuples, que nous conservions même pour les ingrats tous les sentiments de bienveillance dont un père et un bon prince doivent être animés. Car nous n’avons épargné ni soins ni dépenses pour les garantir de l’excessive cherté des grains dont ils étaient menacés [6]; et nous les avertîmes paternellement de se mettre en garde contre les embûches secrètes que, sous spécieux prétexte de liberté, on dressait à leur fidélité, à la religion et au bien public. Nous leur déclarâmes en même temps que, si par le laps du temps ou la faute des administrateurs, il s était introduit dans le gouvernement, des lois vicieuses ou des usages abusifs, nous étions prêts, sur les représentations des communautés, à donner les ordres les plus prompts, pour établir par de salutaires réformes, un ordre de choses plus juste et plus avantageux. Enfin, pour qu’on ne pût douter de notre empressement à concourir de toute notre autorité aux changements utiles qu on pourrait désirer, nous arrêtâmes d’envoyer aussitôt sur les lieux, notre cher fils Jean Celestini, que nous savions être avantageusement connu à Avignon, et qui était déjà chargé dans notre cour des affaires du Comtat Venaissin ; il avait ordre de se rendre le plus promptement possible à Avignon et à Carpentras, d’y discuter avec notre vice-légat et les citoyens les plus recommandables par leurs talents et leur prudence, les points auxquels on paraîtrait attacher le plus d’importance, et de se rapprocher, autant qu’il le pourrait, du vœu du plus grand nombre, en accordant tout ce qui serait jugé utile et convenable. Ces dispositions favorables de notre part sont consignées dans les lettres en forme de bref que nous avons écrites, l’une, le 2 mars de l’année dernière à notre vénérable frère l’évêque de Carpentras, et nos chers fils les députés à l’assemblée générale de la même ville, et l’autre, le 22 mai de la même année, à nos chers fils les nobles et le peuple de notre ville d’Avignon.
6. Mais nos bienfaits, nos avertissements paternels, l’envoi de notre envoyé, tout fut inutile. Fondés sur des ordonnances qu’ils avaient arrachées à notre vice-légat, quoique nous les eussions déjà déclarées nulles et de nul effet, les habitants d’Avignon, irrégulièrement assemblés, refusèrent de recevoir le commissaire que nous leur avions envoyé, et le menacèrent même de le traiter comme perturbateur du repos public, s’il mettait le pied dans la ville, ou dans son territoire. Ils prirent de plus la résolution de dépouiller de toute autorité notre cher fils Philippe Casoni notre vice-légat, ainsi que tous nos autres officiers, dont quelques-uns, pour se soustraire aux dangers dont ils étaient environnés [7], furent obligés de prendre la fuite ; enfin, ils arrêtèrent de se mettre sous l’obéissance de notre très cher fils en Jésus-Christ, le roi très chrétien ; et pour y parvenir, ils envoyèrent des députés, tant au roi lui-même, qu’à l’assemblée nationale de France. Ils firent alors signifier à notre vice-légat par la municipalité, l’ordre de sortir d’Avignon. Il en sortit en effet le 12 juin 1790. Mais auparavant, il fit les protestations convenables, tant de vive voix, en présence des officiers municipaux qui lui enjoignirent de se retirer, que par écrit, en présence de témoins ; aucun notaire d’Avignon n’ayant voulu consentir à recevoir ses protestations. Par cette raison, le vice-légat arrivé à Carpentras crut devoir les renouveler le 16 et le 21 du même mois, devant Olivier, notaire et chancelier du rectorat, et les fit inscrire dans les actes du secrétariat pour en conserver la mémoire.
7. Dans le même temps, l’assemblée d’Avignon proposa d’adopter la constitution entière de l’Assemblée nationale de France, tant en matières civiles qu’en matières religieuses et ecclésiastiques ; et pour exécuter ce projet, on se porta de tous côtés à des excès de fureur, dont l’assemblée nationale de France elle-même ne fournit aucun exemple.
8. De là, il est résulté que d’une part l’anarchie la plus déplorable a remplacé l’ancien et légitime gouvernement, et que d’autre part on a substitué aux lois canoniques, des lois purement humaines, dont le but était de détruire toute hiérarchie, l’autorité de l’Église et la religion catholique elle-même. En effet ; on a dépouillé les églises de leurs biens, on s’est emparé de leur argenterie, des mains sacrilèges se sont portées sur les vases sacrés, qui ont été transportés à l’hôtel des monnaies de Marseille ; l’asile des cloîtres a été violé, les vierges saintes y ont été maltraitées, et elles se sont vues forcées de se sauver dans d’autres monastères, ou de rentrer sous leurs toits paternels. On ordonna ensuite, par une proclamation publique du 30 novembre dernier, tant à l’archevêque d’Avignon, qui s’était retiré dans un autre lieu de son diocèse, à Villeneuve, qu’à tous les curés et autres ecclésiastiques, de se rendre dans un court délai à Avignon pour y prêter ce serment civique, qui est la cause principale de tous les maux ; on déclara en même temps que ceux qui s’y refuseraient, seraient réputés avoir renoncé à leurs places, et que leurs églises seraient regardées comme vacantes. Cette proclamation nous rappelle ledit criminel que l’empereur Constance rendit à la sollicitation des Ariens contre les légitimes pasteurs fidèles à leur foi, et qui a excité contre lui la juste indignation de tous les historiens. Cet édit en effet était à peu près le même, tant pour les obligations auxquelles il assujettissait les ecclésiastiques, que pour les peines dont ils étaient menacés ; car il était conçu en ces termes : signez, ou sortez de vos églises [8].
9. Les faits répondirent aux menaces. Le crime et le sacrilège ne furent plus épargnés. Le 26 du mois de février de cette année, un officier municipal, nommé Duprat, vint à l’église cathédrale, accompagné d’un grand nombre de soldats. Il était lui-même armé, et tenait une épée nue à la main. Les chanoines sortaient du chœur ; il les força d’entrer dans la salle du chapitre, et eut l’audace de leur enjoindre de la part de la municipalité, de procéder à la nomination d’un vicaire général du chapitre. Le prétexte qu’il mit en avant fut que, d’après les décrets de l’assemblée nationale de France et que les Avignonnais avaient adoptés, l’archevêque, pour avoir refusé de se rendre à Avignon dans le temps qui lui avait été prescrit pour venir y prêter le serment civique, devait être regardé comme mort civilement, et son église comme vacante.
10. Les chanoines se refusèrent à l’exécution de cet ordre, comme contraire à toutes les lois de l’Église ; mais l’officier municipal leur annonça qu’il les empêcherait de sortir jusqu’à ce qu’ils eussent obéi. Les chanoines demandèrent alors qu’on appelât un notaire pour dresser procès-verbal de la violence qui leur était faite. Leur demande fut rejetée par l’officier municipal, qui leur présenta une liste sur laquelle on avait écrit les noms de huit personnes, parmi lesquelles il leur déclara qu’ils seraient obligés de choisir le vicaire général qu’ils allaient nommer ; et en même temps il envoya chercher le nommé Poncet, notaire, et le nommé l’Escuyer, greffier de la municipalité, et les fit entrer pour qu’ils assistassent à l’élection. Les chanoines eurent beau persister dans leur refus, on les força enfin de donner leurs suffrages, mais les choses s’arrangèrent de manière qu’il n’y ait véritablement personne d’élu ; car sur dix chanoines qui se trouvèrent au chapitre, Maillières, chanoine de la cathédrale, n’eut que quatre voix, de Prat, autre chanoine de la cathédrale, n’en eut que deux. Messangean, chanoine de l’église collégiale de Saint-Genest n’en eut également que deux, et les cinq autres qui étaient sur la liste, n’en eurent aucune. Duprat prétendit cependant que l’élection de Maillières, qui, au heu de la majorité des voix, comme il était de droit, n’en avait eu que quatre, devait être regardée comme canonique. Il fit plus ; quelqu’effort que les chanoines eussent tenté pour s’y soustraire, il les força de signer l’acte d’élection, et défendit, sous les peines les plus graves, tant aux notaires qui étaient présents, qu’à tous les autres notaires de la ville qui ne s’étaient pas trouvés à l’élection, de leur donner acte de leurs protestations.
11. Dès que l’officier municipal, pour répondre aux vœux et au désir de la municipalité, eut extorqué aux chanoines cette prétendue élection, il fit semblant de se rappeler que ces mêmes chanoines n avaient pas prêté le serment civique ; il fit en conséquence tout ce qui dépendit de lui pour les y déterminer. Les chanoines s’y refusèrent encore constamment. Alors, comme s’il eut d’avance prévu ce qui devait arriver, il déclara sur-le-champ, au nom de la municipalité, que le chapitre était supprimé, et que les chanoines ne pourraient plus à l’avenir dans leurs églises remplir aucunes de leurs fonctions, ni se rassembler en corps de quelque manière que ce pût être.
12. Benoît-François Maillières était presqu’aussi âgé que le célèbre Éléazar dont il est parlé dans l’histoire sainte [9]. S’il eût suivi l’exemple de ce respectable vieillard, il aurait pu, comme lui, se couvrir de gloire, et laisser un grand exemple aux jeunes gens et à tous ses concitoyens, par sa fidélité et son respect pour la sainteté des lois [10]. Mais combien il s’est écarté d’un si beau modèle : Éléazar, en effet, déployant toute la dignité qui convenait à son grand âge, et se rappelant ce qu’il devait à la noblesse de son origine et à ses cheveux blancs, préféra une mort glorieuse à une vie traînée dans l’opprobre et le mépris, et aima mieux sacrifier le reste dune misérable vie, que de se rendre coupable en désobéissant à la loi [11].
13. Maillières au contraire, non seulement accepta au milieu des soldats dont la salle du chapitre était remplie, la place de vicaire général du chapitre, que, du vivant de l’archevêque, les lois divines et ecclésiastiques ne permettaient à personne d’occuper, mais, rendu à sa liberté, il fit un remerciement public à la municipalité.
Le 6 mars, après que la messe eut été célébrée par Mouvans, prêtre de l’Oratoire, qui portait l’écharpe municipale sur ses habits sacerdotaux, il eut la hardiesse de prendre possession dans la cathédrale avec une grande solennité et au milieu d’une troupe de soldats, de l’emploi qui lui avait été conféré.
Il n’eut pas honte d’accepter, avec une complaisance affectée, les compliments, tant de Richard, maire de la ville, que de Vinay, substitut du procureur de la commune, qui le louèrent comme l’un des principaux appuis de la révolte.
14. Enfin, il ne tarda pas à couronner par un dernier crime tous ceux dont il s’était déjà rendu coupable, car il prononça de nouveau devant tout le monde un serment civique, par lequel il s’obligeait d’obéir à la nation, à la loi et au roi de France. Il ajouta même à ce serment des expressions dont les plus ardents révolutionnaires ne s’étaient pas même servis en France, puisqu’il promit de se conformer particulièrement à la Constitution civile du clergé, quelqu’obstacle qu’il pût y rencontrer, et quoique pussent dire les ennemis de la révolution et ses propres amis, dont il se voyait abandonné.
15. Pour soutenir ses premières démarches par toute sa conduite, il envoya chez tous les curés une espèce de mandement, dans lequel il parlait de la vacance du siège, et prenait sur lui de dispenser les fidèles d’une partie de la loi du carême.
16. Ensuite, le 9 du même mois, par un nouveau mandement, il interdit de toutes leurs fonctions tous les supérieurs des séminaires qui avaient refusé le serment. De plus, il supprima deux séminaires, et porta enfin la témérité à un point qu’on aurait peine à croire en nous écrivant une lettre en date du 5 du même mois, par laquelle il nous faisait part à nous-mêmes de son élection, et nous priait de vouloir bien l’approuver.
Qui peut douter après cela n’ait souillé sa vieillesse et qu’il ne se soit rendu lui-même un objet d’exécration [12] ?
17. Voilà en détail comment on s est conduit envers nous dans la ville d’Avignon. Pour la ville de Carpentras et les autres communautés du Comtat, elles nous avaient donné lieu d’espérer qu’elles ne tarderaient pas à rentrer dans le devoir. Quoiqu’elles eussent en effet formé une assemblée représentative, non seulement elles accueillirent le vice-légat que les Avignonnais avaient chassé, et Jean Celestini que nous avions envoyé de Rome, mais elles déclarèrent encore solennellement, le 27 mai de l’année dernière, quelles n’adopteraient de la Constitution française que ce qui conviendrait à leurs intérêts, à leur pays et aux circonstances, et qui pourrait se concilier avec l’obéissance qui nous est due comme à leur souverain, et dont elles assuraient en même temps ne vouloir jamais s’écarter.
18. Mais bientôt après, par l’effet de la violence, des caresses ou des embûches des révoltés d’Avignon, elles prouvèrent que le respect qu’elles affectaient de témoigner pour nous et pour nos ministres était peu sincère, puisque tous leurs efforts ne tendirent qu’à faire approuver, sanctionner et exécuter par nous et par nos ministres la constitution française dans tous ses points, tant en matière civile qu’ecclésiastique.
19. Il est inutile de parler ici en détail de toutes les délibérations qui ont été prises par l’assemblée du Comtat. Il nous suffit de rappeler :
- 1°. Les dix-sept articles sur les droits de l’homme, qui ne sont qu’une fidèle répétition de la Déclaration faite par l’assemblée nationale de France de ces mêmes droits, si contraires à la religion et à la société, et que l’assemblée du Comtat n’a adoptés que pour en faire la base et le fondement de sa nouvelle constitution [13] ;
- 2°. Dix-neuf autres articles qui étaient les premiers éléments de cette nouvelle constitution, et qui avaient encore été puisés dans la Constitution même de la France.
20. Or, comme il était impossible que nous consentissions à sanctionner de pareilles délibérations, et que nos ministres, quels qu’ils fussent, les mettent à exécution, l’assemblée représentative du Comtat ne pensa plus dès lors à se contraindre. Elle se livra ouvertement à cette passion insensée pour la révolte dont elle était depuis longtemps animée, et que jusqu’alors elle avait cru devoir dissimuler.
21. N’écoutant donc plus que la haine que notre vice-légat leur avait inspirée parce qu’il n’avait voulu ni se rendre à leurs demandes, ni prêter le serment civique, ils le dépouillèrent de toute autorité, et déclarèrent qu’on ne devait plus le reconnaître pour notre ministre. Ils se conduisirent de la même manière à l’égard de Christophe Pieracchi, recteur de Carpentras, et de tous nos autres officiers. Ils instituèrent aussitôt un nouveau tribunal pour remplacer l’autorité de notre vice-légat, nommèrent trois conservateurs d’État et nous envoyèrent deux députés avec des instructions pleines d’injures et de hauteur, si manifestement dictées par l’esprit de révolte que nous crûmes devoir refuser d’admettre à notre audience de pareils députés.
22. Nos ministres, se trouvant ainsi dépouillés de toute autorité, Jean Celestini se vit forcé de retourner à Rome sans avoir pu remplir la mission dont nous l’avions chargé. Tous nos autres officiers, également obligés de s’éloigner, se retirèrent d’abord à Aubignan, tout près de Carpentras, ensuite à Bouschet sur les frontières du Comtat Venaissin. Les troubles s’étant encore accrus, ils passèrent à Montélimar en Dauphiné, enfin à Chambéry où, le 5 mars de la même année, ils renouvelèrent les protestations qu’ils avaient déjà cru devoir faire, et les déposèrent au greffe de la chancellerie épiscopale.
23. Aurait-on jamais cru que le départ de nos officiers, rendu nécessaire par le refus qu’on faisait de reconnaître leur autorité, par les dangers qu’ils courraient eux-mêmes pour leur vie (ainsi qu’il résulte des protestations qu’ils ont souvent réitérées), put donner occasion au conseil de la municipalité de Carpentras et à quelques autres communautés, de dire et de répandre que les peuples du Comtat avaient été abandonnés par leur souverain, qu’ils avaient en conséquence été déliés de leur serment de fidélité, et libres, s’ils le voulaient, de se donner au roi très chrétien de France, ainsi qu’ils prirent la résolution de le faire ?
24. Les peuples d’Avignon et du Comtat, au mépris des lois divines et humaines, ont en effet osé se soustraire à notre domination. Mais nous déclarons que jamais nous n’avons pensé à les abandonner. Au contraire, nous sommes résolus à leur donner par la suite, comme nous l’avons toujours fait jusqu’à présent, tous les secours et tous les soins qui seront en notre pouvoir, aussitôt qu’ils reviendront à nous. Pour leur prouver à quel point ces dispositions étaient sincères de notre part, nous offrîmes de nous-même à ceux qui s’étaient rendus coupables de défection, le pardon le plus absolu du passé. Un acte de clémence aussi marqué fut reçu à Avignon et à Carpentras avec l’audace la plus effrénée. Les délibérations qui furent prises dans ces deux villes à cette occasion sont tellement révoltantes, que loin de chercher à les faire connaître, nous voudrions pouvoir les ensevelir dans un éternel oubli.
25. L’affection intime que nous leur portons n’en a cependant point été altérée. Nous n’ignorons pas, nos vénérables frères, qu’il n’est aucun de vous que ces divers attentats n’aient pénétré de l’horreur la plus profonde, et que vous n’avez rien négligé pour remplir, autant qu’il était en vous, vos devoirs de pasteurs.
26. Nous savons aussi que parmi nos chers fils les chanoines, les curés et les autres ecclésiastiques d’Avignon et du Comtat, on en compte un grand nombre qui, distingués par leur vertu, brûlent de l’amour le plus ardent pour la religion, et sont par là même disposés à tout souffrir pour la cause de Dieu, de l’Église et de la patrie.
27. Nous sommes assurés aussi que, soit dans l’ordre de la noblesse, soit dans les autres classes des citoyens, il en est beaucoup qui soient animés d’un grand zèle pour l’Église, et d’un véritable attachement pour notre personne, non seulement à Avignon, mais plus encore dans le Comtat, où l’on voit un grand nombre de communautés entières dont la fidélité pour leur Dieu et pour leur souverain est demeurée pure et inviolable.
28. Instruits par la divine sagesse, et à son exemple, nous supportons les méchants avec patience, en considération des hommes justes et vertueux qui vivent au milieu d’eux. Malgré l’affliction profonde dont nous sommes pénétrés à la vue des crimes affreux qui ont été commis, nous parlerons aux bons comme aux méchants le langage d’un père, pour soutenir les premiers dans le bien, rappeler les autres de leur égarement et leur inspirer un repentir salutaire qui leur fasse abjurer leur erreur. D’autant plus qu’aux jours où je vous écris, c’est le temps le plus saint de l’année, qui porte avec lui les temps de paix et de réconciliation.
29. Aussi, nous sommes bien loin de regarder les malheurs qui désolent le Comtat, ainsi que tout le royaume de France, comme une preuve d’abandon de la part de Dieu. Persuadés que ce sont nos propres péchés et ceux des peuples qui nous les ont attirés, nous croyons que si Dieu nous punit, c’est moins pour nous perdre que pour nous corriger [14]. Pleins de confiance dans sa miséricorde, nous espérons que, touché des prières que nous lui adressons pour nous-mêmes et les peuples confiés à nos soins, il laissera désarmer son bras et nous fera trouver grâce à ses yeux. L’Écriture nous apprend en effet que la miséricorde de Dieu est inépuisable, qu’il ne nous abandonne jamais lors même qu’il nous châtie avec la plus grande rigueur, et que celui que le Dieu tout-puissant paraît abandonner dans sa colère [15] peut encore se relever par la grâce et obtenir de lui son pardon [16].
30. Écoutez, vénérables frères, et vous aussi, chers fils, les paroles affectueuses et paternelles que, d’après le conseil de nos vénérables frères, les cardinaux de la sainte Église romaine, nous vous adressons en qualité de pasteur de tous les fidèles pour les objets qui sont du ressort de l’Église, et comme votre souverain pour tout ce qui intéresse l’ordre civil et politique. Quant au gouvernement ecclésiastique, nous vous prévenons que nous sommes résolus à traiter ceux qui ont prêté et exécuté (ou qui pourront par la suite prêter et exécuter) le serment sur la Constitution civile du clergé avec la même douceur que nous avons montrée à l’égard de ceux qui l’ont prêté en France, où a pris naissance cette constitution en partie hérétique, en partie schismatique, et en tout point contraire aux règles, et à la discipline ecclésiastique. Notre intention est donc de ne prononcer contre eux que les peines canoniques énoncées dans notre lettre du 13 de ce mois, à nos chers fils les cardinaux de la sainte Église romaine, à nos vénérables frères les archevêques et évêques, et à nos chers fils les chapitres, le clergé, et le peuple du royaume de France. Nous vous en envoyons donc plusieurs exemplaires, pour que vous les fassiez connaître avec le présent bref aux chapitres, au clergé et aux peuples de nos États d’Avignon et du Comtat.
31. C est pourquoi, en vertu de l’autorité apostolique dont nous sommes revêtus, nous déclarons nuis, illégitimes et sacrilèges, tous les actes de quelque nature qu’ils soient, qui ont eu pour but, soit à Avignon, soit à Carpentras, soit partout ailleurs, d’admettre et d’exécuter tacitement ou expressément la susdite Constitution civile du clergé, en totalité ou en partie. Nous condamnons, cassons et annulons tous les susdits actes, comme si nous les avions expressément dénommés.
32. Nous cassons et annulons par-dessus tout, l’ordonnance du conseil de la municipalité d’Avignon, du 8 octobre 1790, par laquelle on a osé avec autant de témérité que d’impiété, enjoindre à notre vénérable frère l’archevêque d’Avignon, aux chanoines, aux curés et aux autres ecclésiastiques de la même ville, de prêter un serment civique, indigne de tout catholique, en déclarant que, faute par eux de prêter ledit serment, le siège archiépiscopal, les cures et tous les autres bénéfices, seraient regardés comme vacants. Nous déclarons en conséquence ladite ordonnance nulle, sacrilège, et destinée par sa nature à établir le schisme.
33. Nous blâmons également, et cassons, l’élection faite du susdit Maillières à la place du vicaire général du chapitre, la déclarant impie, tortionnaire, nulle et sacrilège, tant parce qu’elle est sans exemple dans l’Église de Dieu, qui ne permet de dépouiller du gouvernement de son troupeau aucun pasteur légitime de son vivant que pour des causes canoniques (et par un jugement de l’Église elle-même ou du Saint-Siège), que parce que cette élection n’a point été le résultat du nombre nécessaire de suffrages, et que la liberté y a été entièrement violée. C’est pourquoi on doit la regarder moins comme une élection canonique et ecclésiastique, que comme un acte militaire et hostile. C’est en effet par la force militaire qu’on a extorqué les suffrages, c’est par elle qu’on a rendu publique cette élection irrégulière, au mépris des protestations que les chanoines avaient faites, soit avant, soit après un acte aussi irréligieux. C’est enfin par elle qu’on est parvenu à mettre l’élu en possession.
34. On peut donc appliquer à la circonstance présente ce qu’on lit dans la lettre des pères du concile d’Alexandrie à tous les évêques catholiques, lorsque saint Athanase fut déposé dans le conciliabule de Tyr. C’était le Comte [17] qui nous présidait, disaient les pères du concile, c’était lui qui prenait la parole, et tous les autres qui étaient présents gardaient le silence, ou plutôt obéissaient à ses ordres. Il s’opposait à tout ce que les évêques délibéraient ensemble. Il n’avait qu’à commander, et on voyait les prélats traînés par une soldatesque impudente [18]. Aussi le concile déclara-t-il avec raison qu’une pareille déposition devait plutôt être regardée comme un acte de l’autorité impériale que comme le jugement d’un concile [19].
35. On pourrait également dire ici ce que disait le pape saint Jules, au moment où les évêques ariens placèrent un nommé Georges [20] sur le siège du même saint Athanase et le conduisirent à Alexandrie avec tout l’appareil militaire. Georges, écrivait ce saint pontife, entra dans l’église, non au milieu des prêtres et des diacres de la ville, mais environné de soldats (…) Croyez-moi, ajoutait-il, car je vous parle comme si j’étais devant Dieu, une pareille conduite est contraire à la piété, aux règles, et à l’esprit de l’Église [21].
36. La nullité de l’élection dudit Maillières emporte avec elle la nullité de tous les actes de la prétendue juridiction qu’il a exercée, dès les premiers moments, contre les supérieurs de séminaires, les curés vertueux, et les prêtres religieux, qu’il a privés de leurs emplois, uniquement pour avoir refusé de prêter le serment anticatholique qu’on exigeait d’eux, relativement à la constitution civile du clergé. C’est donc encore le cas de lui appliquer ces paroles du même pape saint Jules : ce qu’on rapporte, disait-il, de la conduite de Georges dès le début, apprend ce qu’on doit penser de son ordination. Les prêtres (…) ont été indignement traités, les saints mystères profanés. On a employé contre plusieurs la violence pour les forcer à approuver la constitution que Georges avait établie. D’après ces faits, on peut voir quels sont ceux qui enfreignaient l’autorité des canons ; car (…) Georges n’aurait pas violé les lois pour forcer à l’obéissance s’il avait eu le droit de la commander [22].
37. Quoique Maillières ait certainement un grand nombre de crimes très graves à se reprocher, nous voulons cependant lui laisser encore le temps et les moyens de se reconnaître, et de réparer ses fautes par une satisfaction publique et convenable. C’est pourquoi nous nous abstenons, pour le moment, de prononcer contre lui les peines rigoureuses que les canons nous autoriseraient à lui infliger. Nous contentant de le soumettre à la moins rigoureuse de toutes les peines, nous le déclarons suspens de toutes fonctions sacerdotales, et soumis à l’irrégularité, s’il ose en exercer aucune.
38. Nous défendons encore audit Maillières, sous la même peine de suspense, de prendre par la suite le titre de vicaire général du chapitre, et de remplir aucune des fonctions attachées à cette dignité, dont il n’a été ni régulièrement, ni canoniquement pourvu. Nous lui défendons principalement de donner aucun dimissoire pour recevoir les ordres, ni aucune institution quelconque aux curés, vicaires, directeurs de séminaires, fonctionnaires et autres ministres de l’Église, même élus par le peuple. Déclarant nulles et sans effet les institutions et commissions qu’il a pu donner, et tout ce qui en a été la suite, ainsi que tous les autres actes de quelqu’espèce qu’ils soient, qu’il oserait faire en cette qualité à l’avenir.
39. Nous suspendons également de toutes les fonctions de son ordre le susdit Mouvans, prêtre de l’Oratoire, pour avoir célébré la messe lors de la prise de possession du prétendu vicaire général Maillières, et pour avoir eu l’audace d’ajouter l’écharpe municipale aux habits sacerdotaux dont il était revêtu.
40. Pour vous, nos chers fils, les chanoines, les ecclésiastiques, et les citoyens de toutes les classes de la ville d’Avignon, nous vous défendons, dans le Seigneur, de reconnaître le susdit vicaire général du chapitre, ainsi que tous autres prêtres, qui tenteraient par toutes sortes de moyens de s’emparer des paroisses et des autres places ecclésiastiques. Nous vous ordonnons au contraire de rendre d abord à votre archevêque, et ensuite à vos curés légitimes, l’obéissance que vous leur devez. Car ils ne cesseront pas d’être vos pasteurs, quand ils seraient obligés par la force de s’éloigner, et quand même on aurait élu et consacré, par un horrible sacrilège, un nouvel archevêque et institué de nouveaux curés. Nous avons assez fait connaître toute l’horreur que nous inspire une pareille profanation, dans nos brefs adressés aux évêques de France, que nous vous avons fait communiquer.
41. Le devoir de votre archevêque sera donc de gouverner son troupeau, et celui des curés fidèles d’administrer aux peuples qui leur sont confiés, tous les secours spirituels, autant qu’il sera en leur pouvoir. Souvenez-vous qu’il ne vous est pas permis, même sous prétexte de violence ou de nécessité, de briser ou de méconnaître les liens de l’obéissance qui vous attachent à votre archevêque et à vos curés. La célèbre faculté de théologie de Paris, assemblée extraordinairement en Sorbonne, le 1er du mois d’avril [23] dernier, l’a ainsi expressément reconnu et déclaré.
42. Il nous paraît convenable de venger ici votre archevêque et les autres fonctionnaires ecclésiastiques des accusations dont ils ont été injustement chargés par l’ordonnance du conseil de la municipalité, qui leur a reproché d’avoir enfreint les lois canoniques en s’éloignant d’Avignon. D’après l’autorité des canons ; un archevêque, ainsi que les bénéficiers obligés par leurs fonctions à résidence, sont coupables sans doute lorsque, sans motif juste et raisonnable, le premier s’absente de son diocèse, et en reste éloigné au-delà du temps fixé par les lois, et que les autres cessent par leur retraite de desservir les églises auxquelles ils sont attachés. Mais dans ces circonstances elles-mêmes, les auteurs de l’ordonnance ne peuvent pas ignorer que les canons défendent aux laïcs de rendre aucune sentence contre les ecclésiastiques, et surtout de prononcer contre eux la dernière de toutes les peines, en les privant de leur bénéfice. C’est à l’Église qu’il appartient de rendre un jugement en pareil cas. Les canons lui laissent à elle seule le droit de graduer, pour ainsi dire, les peines qu’elle peut infliger, en privant d’abord les coupables de leurs revenus, en y ajoutant ensuite les peines spirituelles, en les dépouillant enfin de leurs bénéfices eux-mêmes s’ils se montrent incorrigibles. En conséquence, s’il s’agit de l’absence d’un métropolitain, le plus ancien des évêques résidents, sous peine de se voir, par le seul fait, interdire l’entrée de l’église, est tenu de dénoncer au bout de trois mois les absents au souverain pontife, ou par lettre, ou par un député. Le pape alors, en vertu de l’autorité suprême attachée à son siège, sévit contre les coupables, ou par des peines ordinaires, ou en nommant pour les églises ainsi délaissées des pasteurs qui leur soient plus utiles, selon que la contumace est plus ou moins grande, et que devant Dieu, il le juge lui-même plus convenable. Telle est, en propres termes, la loi décrétée sur ce point par le concile de Trente [24].
43. Or, personne n’ignore que les troubles excités à Avignon ont été portés à un tel point, que les nobles et les ecclésiastiques se sont vus forcés d’abandonner leur maison et leur patrie pour se soustraire au parjure, ou aux dangers certains dont plusieurs citoyens irréprochables ont malheureusement été les victimes. Ces dangers menaçaient non seulement les personnes, mais encore les biens. Les ravages commis dans la maison ainsi que dans les autres possessions de l’archevêque ne permettent pas d’en douter.
44. Cependant, l’archevêque n’est même pas sorti de son diocèse, car Villeneuve où il s’est retiré, et où il est encore, est du diocèse d’Avignon. On n’a donc aucun prétexte pour l’accuser d’avoir enfreint la loi du concile de Trente, puisqu’elle porte expressément que les métropolitains demeureront dans leur ville épiscopale ou dans leur diocèse [25]. Au reste, nous, à qui seul appartient de le juger sur ce point, avons la certitude que son vœu le plus ardent est de revenir à Avignon, et qu’il s’y serait déjà rendu malgré le danger auquel il serait exposé, s’il n’avait craint, dans ces déplorables circonstances, que le sacrifice de sa vie, au lieu d’être utile à son troupeau, ne devînt pour lui une nouvelle source de malheurs.
45. Ce que nous venons de dire au clergé et au peuple d’Avignon, relativement à l’obéissance qu’ils doivent à leur archevêque et à leurs légitimes pasteurs, nous vous le disons également, mes chers fils, les chanoines, les ecclésiastiques et autres habitants du Comtat. Éloignez-vous de ces hommes coupables qui ont déjà envahi, ou qui se disposent à envahir par la suite, des églises sur lesquelles ils n’ont aucun droit. Fuyez-les, ne les voyez qu’avec horreur. Chérissez au contraire vos évêques et vos curés légitimes. Faites-vous un devoir de leur obéir et de les écouter.
46. Et vous, peuples d’Avignon et du Comtat ; que la religion enfin unisse vos cœurs et vos esprits. Ne perdez jamais de vue les lois que Dieu ; l’Église et le Saint-Siège vous ont données. Car c’est l’esprit de Dieu qui conduit l’Église universelle ; et cette Église de Rome qui a été fondée par les apôtres. Si ; comme votre piété nous donne lieu de l’espérer ; vous vous montrez dociles à notre voix. Dieu cessera de vous livrer à sa colère pour ne plus écouter que sa miséricorde. Vous triompherez des ennemis de votre religion ; et vous forcerez à dire de vous-mêmes ce que les ennemis du peuple juif disait de lui au temps des Machabées : qu’il avait le Très-Haut pour protecteur, et que sa fidélité aux lois que Dieu lui avaient données le rendait invincible [26].
47. Après nous être occupés du gouvernement ecclésiastique ; il nous reste maintenant à vous parler du gouvernement civil. Nous ne nous conduirons pas avec vous à cet égard comme nous l’avons fait avec les Français. Quand nous avons écrit à ces derniers ; nous avons évité à dessein de leur parler des nouvelles lois civiles ; décrétées par l’assemblée nationale ; et sanctionnées par le roi ; parce que cet objet ne doit regarder que le roi de France lui-même. Nous ne pouvons au contraire garder le silence lorsque vous, qui êtes depuis plusieurs siècles les sujets du Saint-Siège et des souverains pontifes ; osez, sans le concours de notre autorité souveraine ; changer la forme de votre gouvernement temporel. Il est de notre devoir de nous élever contre une violation aussi manifeste des lois divines et humaines.
48. C’est pourquoi ; en vertu de l’autorité suprême et légitime qui nous appartient comme souverain ; nous annulons en général et en particulier tout ce qui a été fait ; tant à Avignon qu’à Carpentras et dans toutes les autres parties du Comtat, contre les droits de notre souveraineté. Nous réprouvons notamment, et nous cassons comme nulles, les délibérations violentes et séditieuses qui ont été prises pour se soustraire à notre autorité et passer sous la domination de la France, délibérations que le roi très-chrétien, ainsi que la nation généreuse qu’il commande, non seulement ne peuvent approuver, mais sur lesquelles ils ne peuvent même pas se permettre de délibérer sans blesser les droits des gens les plus sacrés, ainsi que nous l’avons écrit plusieurs fois au roi lui-même.
49. Nous improuvons de même, et annulons les délibérations absurdes et séditieuses dont l’objet était d’introduire dans cette partie de nos états une administration républicaine. Nous réprouvons également, et nous cassons ces délibérations extravagantes par lesquelles on a prétendu adopter des lois étrangères, tant celles qui sont déjà faites que celles qui restent encore à faire, et par lesquelles on a eu la démence de préférer une législation nouvelle, dangereuse et incertaine, à une constitution ancienne, légitime et appropriée au pays, et dont vous ainsi que vos ancêtres, connaissiez les avantages par la tranquillité et la paix dont vous jouissiez depuis tant de siècles.
50. Sans parler des innovations qui ont été faites sans notre consentement, au plus fort du trouble et de l’agitation des esprits dans la chaleur même de la sédition, innovations que nous voulons regarder comme nulles, quoique nous ne les rappelions pas ici en détail, nous cassons en particulier les actes coupables de violence par lesquels notre vice-légat, notre recteur et nos autres officiers, ont été d’abord dépouillés de toute autorité, puis forcés de s’éloigner lorsque de nouveaux officiers et de nouveaux tribunaux ont été établis.
51. Et pour que personne ne puisse douter de la volonté ferme où nous sommes de conserver dans leur entier toutes nos antiques possessions, et de défendre contre toute espèce d’entreprise tous les autres droits légitimes dont nous jouissons depuis si longtemps, nous confirmons par ces présentes, et même de la manière la plus solennelle, non seulement les susdites protestations que notre vice-légat a souvent réitérées et que nous renouvelons ici, comme si nous les transcrivions mot à mot, mais encore les réclamations qu a l’exemple de nos prédécesseurs, et pour nous conformer à l’usage reçu parmi les souverains, nous avons fait remettre au roi de France et à toutes les autres cours catholiques, nous réservant dans les cas où ces moyens de douceur seraient insuffisants, d’employer s’il est nécessaire pour triompher de l’injustice et de l’acharnement de nos ennemis, les moyens plus efficaces qui sont en notre pouvoir.
52. Pour vous, vénérables frères et chers fils, qui avez eu le bonheur de rester fidèles, nous vous avertissons, nous vous exhortons avec toute la tendresse d’un père, de contribuer non seulement par vos exemples, mais encore par vos discours, à retirer du parti des séditieux ceux qui, ayant eu le malheur de s’y laisser engager, se sont par là rendus si coupables. Engagez-les à revenir à nous. Notre cœur leur est toujours ouvert, nous tendons les bras pour les recevoir et les presser contre notre sein.
53. Qu’ils se rappellent que presque à chaque page des saintes Écritures, Dieu ordonne aux peuples d’être soumis à leur souverain et d’obéir aux lois qu’il a faites pour leur pays. Qu’ils se gardent avec soin de cet amour des nouveautés qui, quelquefois utiles en apparence, sont toujours si dangereuses. Si dans vos lois il s’est introduit quelques abus, nous avons déjà déclaré et nous déclarons encore que nous sommes prêts à les déraciner et à les détruire. Nous ne négligerons rien pour répondre à vos vœux.
54. Que les factions, les haines et les inimitiés ne divisent donc plus les citoyens. Que l’ordre se rétablisse, que les cœurs jouissent encore des douceurs de la charité, de la justice et de la paix. Il ne vous restera rien à désirer pour votre bonheur si cette paix précieuse est le fruit de votre fidélité aux lois de Dieu, de l’Église et de votre souverain, car selon la promesse de l’apôtre saint Paul [27], le Dieu de paix et d’amour sera avec vous. Pour vous offrir un gage de cette paix que nous prions le Seigneur de vous accorder à tous, nous vous donnons, vénérables frères et chers fils, avec la plus tendre affection, notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 23 avril de l’année 1791, la dix-septième de notre pontificat.
Signé : Pie.
- L’abbé de Montaran avait pensé périr : la Providence seule l’avait sauvé des mains de ses bourreaux. M. de Rochegude, depuis huit jours malade de la goutte, est arraché de son lit, de sa maison, pour être conduit au gibet L’abbé Offray, un nommé Aubert et le vertueux M. d’Aulan meurent du même supplice. C’était par ces horribles exécutions que la municipalité d’Avignon préludait aux massacres de la Glacière, et Jourdan « coupe-tête » aux scènes des 5 et 6 octobre (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- Cavaillon dépourvue d’artillerie et de munition ne pouvait tenir longtemps contre l’armée des brigands qui l’assiégeaient. Elle demanda à capituler et l’obtint. A peine ses portes s’étaient-elles ouvertes sur la foi du traité conclu, que la horde commandée par le général Patrix se répand dans tous les quartiers de la ville, fait main basse sur tout ce quelle rencontre, égorgeant sans distinction d’âge ni de sexe, et livre pendant plusieurs heures cette malheureuse ville au pillage (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- 2M, 5.[↩]
- 2M, 6et 13.[↩]
- 2M, 8et 14.[↩]
- Ce que Sa Sainteté ne dit pas, il faut l’apprendre à la postérité. Non seulement le pape fournit en 1789 à la ville d’Avignon le blé nécessaire pour éloigner le fléau de la famine ; mais encore, en 1790, il le livra à un prix beaucoup moindre qu’il ne lui avait coûté, et l’on n’a jamais parlé de le lui rembourser (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- Entre autres, M. Passeri, avocat-général du pape, qui exerçait à Avignon depuis plusieurs années l’ascendant de la raison et des talents. Sa présence inquiétant les mécontents, on vint bientôt à bout de le faire sortir de la ville, emportant avec lui l’estime publique et le témoignage de ses concitoyens (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- S. Athanase dans sa Lettre aux solitaires, édition de Cologne, t.1, p. 829, lettre C.[↩]
- 2M6.[↩]
- 2M28et31.[↩]
- 2M6,19,20,23 et 25.[↩]
- 2 M 6,25.[↩]
- Même si le souverain pontife, dans la lettre présente, ne s’adresse pas à l’Église universelle directement, on ne saurait minimiser la portée de ce que le pape présente ici comme un simple “rappel” : les droits de l’homme et du citoyen, tels qu’ils ont été déterminés par la Déclaration de l’Assemblée nationale de France en 1789, sont “si contraires à la religion et la société”… (note de l’éditeur).[↩]
- 2M6,12.[↩]
- 2M6,16.[↩]
- 2M5,20. [↩]
- Le Comte Flavius Denys, et non pas le gouverneur, comme ont traduit quelques interprètes. Il l’avait été de Phénicie en 328, mais ne l’était plus. Les autres gouverneurs, celui de la Palestine, et Archélaus qui l’était de l’Orient, ne paraissent pas avoir été ennemis de Saint Athanase (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- Trad. Par Tillemont, Hist. Ecclés., t. VIII, p. 36, édit. in‑4°, Paris, 1702.[↩]
- S. Athanase dans sa Deuxième apologie sur sa fuite, t.1, p. 728, lettre D, et p. 370, lettre C.[↩]
- Le pape, citant un document ancien, devait citer littéralement le texte, et en marquer l’édition, ce qu’il a fait. Il ne pouvait pas s’arrêter aux difficultés que le texte propose aux savants lorsqu’elles sont étrangères à son objet. Aussi ne l’a‑t-il pas fait. Mais nous, pour porter l’exactitude aussi loin qu’elle puisse aller, nous croyons devoir observer qu’il y a ici une erreur de nom. Comment le pape saint Jules, mort en 352, a‑t-il pu parler de Georges, dont l’intrusion au siège d’Alexandrie ne date que de l’année 356, c’est-à-dire quatre ans après ? C’est que, dans sa lettre aux Eusébiens Daniel, Placille, Narcisse etc., celle que le pape cite en cet endroit, comme dans celle de saint Athanase aux évêques orthodoxes, les copistes ont écrit Georges au lieu de Grégoire, alors intrus au siège de saint Athanase. C’est à ce dernier qu’il faut rendre le reproche que le vénérable prédécesseur de Pie VI faisait à son usurpation et à tous les crimes qui l’avaient accompagnée. Baronius a relevé cette erreur (ad ann. 342, n. 19), et ses corrections ont été suivies par MM. de Tillemont et Herman, le premier dans ses savants mémoires où il explique et éclaircit cette confusion d’une manière satisfaisante, mais trop longue pour être rapportée ici, l’autre (Vie de saint Athanase, t.1, p. 714, n. 2) en recherche les causes avec sagacité, et résout le problème par l’autorité même de saint Athanase. Au reste, les manuscrits mêmes, consultés par les bénédictins, en rétablissant la vérité des faits, ont prouvé que l’erreur venait uniquement des copistes (note du premier éditeur, 1796).[↩]
- Réponse à Danius (ou Dianée, ou Daniel, selon les divers interprètes) et autres, qui lui avaient écrit d’Antioche, dans Saint Athanase, t.1, p. 748, lettre C, et p. 749, lettres A et B.[↩]
- Même vol. p. 749, lettre B.[↩]
- C’est par erreur que quelques éditions portent la date du 23 février. L’édition d’Augsbourg est seule exacte en fixant cette assemblée au prima mensis d’avril. Le témoignage de la faculté de théologie dont parle sa sainteté consiste dans sa lettre à M. l’archevêque de Paris, dont voici la copie :
Révérendissime père en Jésus-Christ,
Toujours sincère et constante dans son attachement aux évêques de l’Église de France, aux successeurs de saint Denis, envoyé par le siège apostolique, la faculté de théologie n’a pu néanmoins se défendre de sentiments plus vifs et plus affectueux pour les prélats qu’elle a élevés et nourris dans son sein.
Quelle joie n’a‑t-elle pas éprouvé lorsque vous fûtes appelé par le Seigneur au gouvernement du diocèse de Paris ? Témoin de vos travaux, pleine d’admiration pour vos vertus, avec quel empressement n’a‑t-elle pas applaudi à votre élévation ?
A présent que la tristesse a succédé à la joie, à présent que des revers lamentables vous ont éloigné de nous, elle se hâte de vous offrir, dans l’excès de l’affliction qui lui est commune avec vous, une faible consolation. Pénétrée de votre douleur, elle vous fait part de la sienne.
Attachée à la foi antique, liée à la chaire de Pierre, ferme dans la tradition des pères, la faculté de théologie ne reconnaît et ne reconnaîtra que vous pour son légitime pasteur.
Fait en l’assemblée générale tenue en Sorbonne, ce 1er avril 1791.
Signé Gayet de Sansale, syndic.[↩] - Sess. 6 de la réforme, ch. 1 et 2, et sess. 23, ch. 1.[↩]
- Sess. 23 de la réforme, ch. 1[↩]
- 2M8, 36.[↩]
- 2 Col 3,11.[↩]