Grégoire évêque, serviteur des serviteurs de Dieu à tous les archevêques, évêques, abbés, prieurs, archidiacres, prêtres, doyens et autres prélats de l’Eglise, à qui ces lettres parviendront, salut.
La majesté infinie du Fils de Dieu, Jésus-Christ, le doux Sauveur et Rédempteur de nos âmes, considérant du plus haut des cieux la noblesse et l’excellence de notre condition altérée et corrompue par le péché de notre premier père, puis par un vaste concours de misères, de vices et de crimes, touché de pitié pour sa plus chère créature, prit la résolution de lui faire ressentir les traits de sa toute-puissance miséricorde, de délivrer les hommes assis dans l’ombre de la mort, et de ramener les pauvres exilés dans la patrie de la bienheureuse liberté, jugeant très raisonnable pour sa divine et infinie sagesse que, comme par bienséance il appartient à l’ouvrier qui a commencé quelque chef‑d’œuvre de le perfectionner, et, si par malheur il vient à déchoir et perdre de son lustre, de le réparer et le rétablir en sa première forme ; ainsi qu’à lui seul convenait privativement à toute autre de racheter et de renouveler sa créature déchue de son ancienne dignité.
A ces desseins il entre dans les flancs étroits de la très sainte Vierge (Si pour autant on peut nommer étroit ce qui a eu assez d’amplitude pour contenir celui qui est infini), de son trône donc céleste il entre et se cache dans le palais virginal de sa mère très-sainte, s’y couvre des faiblesses de notre nature, se rend visible d’invisible qu’il était, et par l’adorable mystère de son incarnation abat et surmonte le prince des ténèbres, triomphe de sa malice par la glorieuse rédemption de sa nature humaine, en traçant à ses fidèles, par ses divines instructions, une route certaine pour assurer le retour dans la patrie.
La bienheureuse et gracieuse Elisabeth, de naissance royale, et, par alliance, duchesse de Thuringe, considérant avec maturité, et comprenant sagement cette admirable économie de notre salut, a courageusement entrepris de suivre les sacrées traces du Sauveur, et de travailler de touts ses forces à la pratique de la vertu ; et afin de se rendre digne d’être inondée de l’éternelle clarté, depuis le lever de sa vie jusqu’à son coucher, elle n’a jamais cessée de se délecter dans les embrassements de l’amour céleste, et, d’une ferveur toute naturelle, elle employa toutes les puissances de son cœur à aimer uniquement et souverainement Jésus-Christ, Notre Sauveur, qui, étant vrai Dieu et vrai Fils éternel de Dieu, s’est fait Fils de l’homme, et fils de la très sainte Vierge, reine des anges et des hommes : amour très pur et très fervent, qui l’a rendue digne de goûter à long traits les douceurs célestes, et de posséder les faveurs divine qui se communiquent aux noces de cet agneau adorable.
Puis, étant illuminée de ces mêmes clartés et se montrant vraie fille de l’Evangile, regardant en la personne de son prochain ce divin Jésus, objet unique de ses affections, elle l’a aimé d’une charité si admirable, que tous ses délices étaient de se voir environner de pauvres, de vivre et converser avec eux ; elle chérissait davantage ceux que la misère et les puantes maladies rendaient les plus horribles, et dont l’approche eut fait horreur et donné la fuite aux cœurs les plus forts du monde ; elle leur distribuait si charitablement tous ses biens, qu’elle s’est rendu pauvre et indigente pour les faire abondamment pourvoir de tout ce qui leur était nécessaire. Elle était encore enfant et avait besoin pour son jeune âge de gouvernante, et déjà elle était la bonne mère, la tutrice et la protectrice des pauvres, et son cœur restait plein de tendresse pour leur misère.
Ayant appris que le Juge universel devait surtout faire mention en sa dernière sentence des services qu’on lui rendaient, et que l’entrée de la gloire était aucunement à la disposition des pauvres, elle conçut une belle estime de leur condition, et entreprit avec tant d’assiduité de se concilier l’affection et la faveur de ceux que l’esprit ordinaire des sa condition méprise et à peine à supporter, que, non contente de leur faire l’aumône de ses abondantes richesses, de vider ses greniers, ses coffres et sa bourse pour les secourir, renonçant de plus aux plaisirs qui étaient préparés pour sa bouche, elle macérait rigoureusement son tendre corps par les jeûnes et par la douleur de la faim pour leur bien faire, gardait une parcimonie perpétuelle pour les rassasier, et pratiquait une austérité qui n’avait point de trêves pour les mettre à leur aise : vertu d’autant plus louable et de plus grand mérite que c’était de sa pure charité et de l’abondance de sa propre dévotion, sans y être contrainte ni obligée de personne.
Que voulez-vous que je vous dise davantage ? Cette noble princesse, renonçant à tous les droite que la nature et sa naissance lui donnaient, et plongeant tous ses désirs dans l’unique volonté de plaire et de servir Dieu., dès le vivant du prince son mari, par sa permission, et lui conservant tous les droits qui lui appartenaient, elle promit et garda une très fidèle obéissance à son confesseur. Mais, après le décès de son très honoré époux, estimant la sainte vie que jusqu’alors elle avait mené trop imparfaite, elle prit le saint habit de religion, et vécut le reste de sa vie en parfaite religieuse, honorant par son état et ses exercices continuels les sacrés et admirables mystères de la mort et passion douloureuse de notre Sauveur. Ô femme bienheureuse ! Ô dame admirable ! Ô douce Elisabeth ! Très justement ce beau nom vous convenait, qui signifie satiété et assouvissement de Dieu, puisque vous avez si charitablement sustenté les entrailles des pauvres faméliques, qui sont les images et les lieutenants de Dieu, voir qui sont les membres très chers de son divin Fils. Vous avez mérité très justement d’être repue du pain des anges, puisque vous avez donné avec tant de miséricorde le vôtre aux anges et messagers terrestres du Roi des cieux. Ô benoîte et très noble veuve, plus féconde en vertu que, durant votre honorable mariage, vous ne l’avez été en enfants, qui, cherchant dans la vertu ce que la nature semble dénier aux femmes, êtes devenue une magnifique guerrière contre les ennemis de notre salut : vous les avez vaincus avec le bouclier de la foi, comme parle l’Apôtre, la cuirasse de la justice, l’épée de l’esprit et de la ferveur, le casque du salut et la lance de la persévérance.
Aussi s’est-elle rendue aimable à son Epoux immortel, liée continuellement avec la Reine des vierges par la cordiale affection qu’elle avait à son service, et par l’alliance d’une très parfaite conformité ; abaissant à son exemple son Altesse aux exercices d’une très humble servante, elle a ainsi représentée sa bonne patronne Elisabeth, dont elle portait le nom, et le vénérable Zacharie ; marchant simplement et sans reproche dans la voie des commandements de Dieu conservant par affection la grâce de Dieu dans l’intérieur de son âme ; l’enfantant et le produisant à l’extérieur par ses saintes actions et continuelles bonnes œuvres, et la fomentant et nourrissant par l’accroissement continuel des vertus, elle a mérité à la fin de ses jours d’être reçue amoureusement par Celui auquel seul nous devons mettre toute notre espérance, qui se réserve comme un titre singulier le pouvoir et la charge d’exalter les innocents et les humbles, et qui la délivrée liens de la mort pour l’asseoir sur le trône éclatant de l’inaccessible lumière. Mais tandis qu’au sein des beautés et des richesses de l’empire éternel, triomphante en la compagnie des saints et des anges, son esprit jouit de la face de Dieu, et resplendit avec éclat l’abyme de la gloire suprême, sa charité la fait sortir comme hors de ce trône pour nous éclairer, nous qui vivons dans les entrailles de la terre, et nous consoler par un grand nombre de miracles, en vertu desquels les fidèles catholiques s’enracinent fortement et croissent glorieusement en la foi, en l’espérance et en la charité, les infidèles sont illuminés et informés de la véritable voie de salut, et les hérétiques endurcis demeurent la face couverte de honte et confusion.
Car les ennemis de l’Eglise voient dans leurs yeux, sans pouvoir apporter aucune résistance, que par les mérites de celle qui durant la prison de cette vie était amatrice de la pauvreté, pleine de douceur et de miséricorde ; qui pleurait abondamment, non tant ses péchés propres que par une très grande charité ceux des autres ; qui avait faim de la justice, menait une vie très pure et très innocente ; et qui, dans les persécutions continuelles et les opprobres dont elle a été battue et attaquée a conservé une âme nette et un cœur calme et pacifique. Ils voient que, par l’invocation de cette fidèle épouse de Jésus-Christ, la vie est divinement rendue aux morts, la lumière aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la parole aux muets et le marcher aux boiteux. Ainsi les misérables hérétiques, peins de rage et d’envie, malgré leur fureur et leur poison dont ils prétendaient infecter tout l’Allemagne, sont contraints de voir en cette même contrée la religion qu’ils voulaient étouffer s’élancer glorieusement et, avec une joie inénarrable, triompher de leur malice et de leur impiété.
Ces merveilles nous ayant été attestées par des preuves qui ne reçoivent point de contradiction, de l’avis de nos frères les vénérables patriarches, archevêques et évêques et tous les autres prélats qui se sont rencontrés en notre cour, selon le devoir de notre charge, qui nous oblige de veiller diligemment à ce qui tourne et contribue à l’augmentation de la gloire de Notre Seigneur, nous l’avons insérés au catalogue des saints, vous enjoignant étroitement de faire solennellement célébrer sa fête le treizième jour des calendes du mois de décembre, qui est celui où, ayant brisé les liens de la mort, elle est accourue à la fontaine de la suprême volonté : afin que par sa pieuse intercession nous puissions obtenir ce qu’elle a déjà obtenu du Christ, et dont elle se glorifie de jouir éternellement. En outre, afin d’user du pouvoir qui nous est donné d’en haut pour faire goûter à l’universalité des fidèles ces délices de la cour invisible, et afin d’exalter le nom du Très-Haut, en faisant honorer par leur concours la vénérable sépulture de son épouse, pleins de confiance en la miséricorde du Tout-puissant, par l’autorité de ses bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, nous relâchons miséricordieusement un an et quarante jours de pénitence, à tous ceux et celles qui, contrits et dignement confessés, y viendront le jour de sa fête et durant tout l’octave offrir leur prière et oraisons.
Donné à Pérouse, aux calendes de juin, l’an neuvième de notre pontificat.
Source : Site internet diligander.libero.it