Grégoire IX

178ᵉ pape ; de 1227 à 1241

1er juin 1235

Bulle Gloriosus in majestate

Canonisation de sainte Elisabeth de Hongrie

Grégoire évêque, ser­vi­teur des ser­vi­teurs de Dieu à tous les arche­vêques, évêques, abbés, prieurs, archi­diacres, prêtres, doyens et autres pré­lats de l’Eglise, à qui ces lettres par­vien­dront, salut.

La majes­té infi­nie du Fils de Dieu, Jésus-​Christ, le doux Sauveur et Rédempteur de nos âmes, consi­dé­rant du plus haut des cieux la noblesse et l’excellence de notre condi­tion alté­rée et cor­rom­pue par le péché de notre pre­mier père, puis par un vaste concours de misères, de vices et de crimes, tou­ché de pitié pour sa plus chère créa­ture, prit la réso­lu­tion de lui faire res­sen­tir les traits de sa toute-​puissance misé­ri­corde, de déli­vrer les hommes assis dans l’ombre de la mort, et de rame­ner les pauvres exi­lés dans la patrie de la bien­heu­reuse liber­té, jugeant très rai­son­nable pour sa divine et infi­nie sagesse que, comme par bien­séance il appar­tient à l’ouvrier qui a com­men­cé quelque chef‑d’œuvre de le per­fec­tion­ner, et, si par mal­heur il vient à déchoir et perdre de son lustre, de le répa­rer et le réta­blir en sa pre­mière forme ; ain­si qu’à lui seul conve­nait pri­va­ti­ve­ment à toute autre de rache­ter et de renou­ve­ler sa créa­ture déchue de son ancienne dignité.

A ces des­seins il entre dans les flancs étroits de la très sainte Vierge (Si pour autant on peut nom­mer étroit ce qui a eu assez d’amplitude pour conte­nir celui qui est infi­ni), de son trône donc céleste il entre et se cache dans le palais vir­gi­nal de sa mère très-​sainte, s’y couvre des fai­blesses de notre nature, se rend visible d’invisible qu’il était, et par l’adorable mys­tère de son incar­na­tion abat et sur­monte le prince des ténèbres, triomphe de sa malice par la glo­rieuse rédemp­tion de sa nature humaine, en tra­çant à ses fidèles, par ses divines ins­truc­tions, une route cer­taine pour assu­rer le retour dans la patrie.

La bien­heu­reuse et gra­cieuse Elisabeth, de nais­sance royale, et, par alliance, duchesse de Thuringe, consi­dé­rant avec matu­ri­té, et com­pre­nant sage­ment cette admi­rable éco­no­mie de notre salut, a cou­ra­geu­se­ment entre­pris de suivre les sacrées traces du Sauveur, et de tra­vailler de touts ses forces à la pra­tique de la ver­tu ; et afin de se rendre digne d’être inon­dée de l’éternelle clar­té, depuis le lever de sa vie jusqu’à son cou­cher, elle n’a jamais ces­sée de se délec­ter dans les embras­se­ments de l’amour céleste, et, d’une fer­veur toute natu­relle, elle employa toutes les puis­sances de son cœur à aimer uni­que­ment et sou­ve­rai­ne­ment Jésus-​Christ, Notre Sauveur, qui, étant vrai Dieu et vrai Fils éter­nel de Dieu, s’est fait Fils de l’homme, et fils de la très sainte Vierge, reine des anges et des hommes : amour très pur et très fervent, qui l’a ren­due digne de goû­ter à long traits les dou­ceurs célestes, et de pos­sé­der les faveurs divine qui se com­mu­niquent aux noces de cet agneau adorable.

Puis, étant illu­mi­née de ces mêmes clar­tés et se mon­trant vraie fille de l’Evangile, regar­dant en la per­sonne de son pro­chain ce divin Jésus, objet unique de ses affec­tions, elle l’a aimé d’une cha­ri­té si admi­rable, que tous ses délices étaient de se voir envi­ron­ner de pauvres, de vivre et conver­ser avec eux ; elle ché­ris­sait davan­tage ceux que la misère et les puantes mala­dies ren­daient les plus hor­ribles, et dont l’approche eut fait hor­reur et don­né la fuite aux cœurs les plus forts du monde ; elle leur dis­tri­buait si cha­ri­ta­ble­ment tous ses biens, qu’elle s’est ren­du pauvre et indi­gente pour les faire abon­dam­ment pour­voir de tout ce qui leur était néces­saire. Elle était encore enfant et avait besoin pour son jeune âge de gou­ver­nante, et déjà elle était la bonne mère, la tutrice et la pro­tec­trice des pauvres, et son cœur res­tait plein de ten­dresse pour leur misère.

Ayant appris que le Juge uni­ver­sel devait sur­tout faire men­tion en sa der­nière sen­tence des ser­vices qu’on lui ren­daient, et que l’entrée de la gloire était aucu­ne­ment à la dis­po­si­tion des pauvres, elle conçut une belle estime de leur condi­tion, et entre­prit avec tant d’assiduité de se conci­lier l’affection et la faveur de ceux que l’esprit ordi­naire des sa condi­tion méprise et à peine à sup­por­ter, que, non contente de leur faire l’aumône de ses abon­dantes richesses, de vider ses gre­niers, ses coffres et sa bourse pour les secou­rir, renon­çant de plus aux plai­sirs qui étaient pré­pa­rés pour sa bouche, elle macé­rait rigou­reu­se­ment son tendre corps par les jeûnes et par la dou­leur de la faim pour leur bien faire, gar­dait une par­ci­mo­nie per­pé­tuelle pour les ras­sa­sier, et pra­ti­quait une aus­té­ri­té qui n’avait point de trêves pour les mettre à leur aise : ver­tu d’autant plus louable et de plus grand mérite que c’était de sa pure cha­ri­té et de l’abondance de sa propre dévo­tion, sans y être contrainte ni obli­gée de personne.

Que voulez-​vous que je vous dise davan­tage ? Cette noble prin­cesse, renon­çant à tous les droite que la nature et sa nais­sance lui don­naient, et plon­geant tous ses dési­rs dans l’unique volon­té de plaire et de ser­vir Dieu., dès le vivant du prince son mari, par sa per­mis­sion, et lui conser­vant tous les droits qui lui appar­te­naient, elle pro­mit et gar­da une très fidèle obéis­sance à son confes­seur. Mais, après le décès de son très hono­ré époux, esti­mant la sainte vie que jusqu’alors elle avait mené trop impar­faite, elle prit le saint habit de reli­gion, et vécut le reste de sa vie en par­faite reli­gieuse, hono­rant par son état et ses exer­cices conti­nuels les sacrés et admi­rables mys­tères de la mort et pas­sion dou­lou­reuse de notre Sauveur. Ô femme bien­heu­reuse ! Ô dame admi­rable ! Ô douce Elisabeth ! Très jus­te­ment ce beau nom vous conve­nait, qui signi­fie satié­té et assou­vis­se­ment de Dieu, puisque vous avez si cha­ri­ta­ble­ment sus­ten­té les entrailles des pauvres famé­liques, qui sont les images et les lieu­te­nants de Dieu, voir qui sont les membres très chers de son divin Fils. Vous avez méri­té très jus­te­ment d’être repue du pain des anges, puisque vous avez don­né avec tant de misé­ri­corde le vôtre aux anges et mes­sa­gers ter­restres du Roi des cieux. Ô benoîte et très noble veuve, plus féconde en ver­tu que, durant votre hono­rable mariage, vous ne l’avez été en enfants, qui, cher­chant dans la ver­tu ce que la nature semble dénier aux femmes, êtes deve­nue une magni­fique guer­rière contre les enne­mis de notre salut : vous les avez vain­cus avec le bou­clier de la foi, comme parle l’Apôtre, la cui­rasse de la jus­tice, l’épée de l’esprit et de la fer­veur, le casque du salut et la lance de la persévérance.

Aussi s’est-elle ren­due aimable à son Epoux immor­tel, liée conti­nuel­le­ment avec la Reine des vierges par la cor­diale affec­tion qu’elle avait à son ser­vice, et par l’alliance d’une très par­faite confor­mi­té ; abais­sant à son exemple son Altesse aux exer­cices d’une très humble ser­vante, elle a ain­si repré­sen­tée sa bonne patronne Elisabeth, dont elle por­tait le nom, et le véné­rable Zacharie ; mar­chant sim­ple­ment et sans reproche dans la voie des com­man­de­ments de Dieu conser­vant par affec­tion la grâce de Dieu dans l’intérieur de son âme ; l’enfantant et le pro­dui­sant à l’extérieur par ses saintes actions et conti­nuelles bonnes œuvres, et la fomen­tant et nour­ris­sant par l’accroissement conti­nuel des ver­tus, elle a méri­té à la fin de ses jours d’être reçue amou­reu­se­ment par Celui auquel seul nous devons mettre toute notre espé­rance, qui se réserve comme un titre sin­gu­lier le pou­voir et la charge d’exalter les inno­cents et les humbles, et qui la déli­vrée liens de la mort pour l’asseoir sur le trône écla­tant de l’inaccessible lumière. Mais tan­dis qu’au sein des beau­tés et des richesses de l’empire éter­nel, triom­phante en la com­pa­gnie des saints et des anges, son esprit jouit de la face de Dieu, et res­plen­dit avec éclat l’abyme de la gloire suprême, sa cha­ri­té la fait sor­tir comme hors de ce trône pour nous éclai­rer, nous qui vivons dans les entrailles de la terre, et nous conso­ler par un grand nombre de miracles, en ver­tu des­quels les fidèles catho­liques s’enracinent for­te­ment et croissent glo­rieu­se­ment en la foi, en l’espérance et en la cha­ri­té, les infi­dèles sont illu­mi­nés et infor­més de la véri­table voie de salut, et les héré­tiques endur­cis demeurent la face cou­verte de honte et confusion.

Car les enne­mis de l’Eglise voient dans leurs yeux, sans pou­voir appor­ter aucune résis­tance, que par les mérites de celle qui durant la pri­son de cette vie était ama­trice de la pau­vre­té, pleine de dou­ceur et de misé­ri­corde ; qui pleu­rait abon­dam­ment, non tant ses péchés propres que par une très grande cha­ri­té ceux des autres ; qui avait faim de la jus­tice, menait une vie très pure et très inno­cente ; et qui, dans les per­sé­cu­tions conti­nuelles et les opprobres dont elle a été bat­tue et atta­quée a conser­vé une âme nette et un cœur calme et paci­fique. Ils voient que, par l’invocation de cette fidèle épouse de Jésus-​Christ, la vie est divi­ne­ment ren­due aux morts, la lumière aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la parole aux muets et le mar­cher aux boi­teux. Ainsi les misé­rables héré­tiques, peins de rage et d’envie, mal­gré leur fureur et leur poi­son dont ils pré­ten­daient infec­ter tout l’Allemagne, sont contraints de voir en cette même contrée la reli­gion qu’ils vou­laient étouf­fer s’élancer glo­rieu­se­ment et, avec une joie iné­nar­rable, triom­pher de leur malice et de leur impiété.

Ces mer­veilles nous ayant été attes­tées par des preuves qui ne reçoivent point de contra­dic­tion, de l’avis de nos frères les véné­rables patriarches, arche­vêques et évêques et tous les autres pré­lats qui se sont ren­con­trés en notre cour, selon le devoir de notre charge, qui nous oblige de veiller dili­gem­ment à ce qui tourne et contri­bue à l’augmentation de la gloire de Notre Seigneur, nous l’avons insé­rés au cata­logue des saints, vous enjoi­gnant étroi­te­ment de faire solen­nel­le­ment célé­brer sa fête le trei­zième jour des calendes du mois de décembre, qui est celui où, ayant bri­sé les liens de la mort, elle est accou­rue à la fon­taine de la suprême volon­té : afin que par sa pieuse inter­ces­sion nous puis­sions obte­nir ce qu’elle a déjà obte­nu du Christ, et dont elle se glo­ri­fie de jouir éter­nel­le­ment. En outre, afin d’user du pou­voir qui nous est don­né d’en haut pour faire goû­ter à l’universalité des fidèles ces délices de la cour invi­sible, et afin d’exalter le nom du Très-​Haut, en fai­sant hono­rer par leur concours la véné­rable sépul­ture de son épouse, pleins de confiance en la misé­ri­corde du Tout-​puissant, par l’autorité de ses bien­heu­reux apôtres saint Pierre et saint Paul, nous relâ­chons misé­ri­cor­dieu­se­ment un an et qua­rante jours de péni­tence, à tous ceux et celles qui, contrits et digne­ment confes­sés, y vien­dront le jour de sa fête et durant tout l’octave offrir leur prière et oraisons.

Donné à Pérouse, aux calendes de juin, l’an neu­vième de notre pontificat.

Source : Site inter­net dili​gan​der​.libe​ro​.it