Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

29 décembre 1943

Discours à la garde noble pontificale

Comme à l’accoutumée, le Saint-​Père a remer­cié les membres de sa Garde Noble de la fidé­li­té de leur service.

Le tra­di­tion­nel hom­mage que, par la voix de votre illustre capi­taine com­man­dant, vous Nous avez adres­sé, chers fils, à l’occasion des fêtes de Noël et du Nouvel An, bien que pré­vu et atten­du, con­serve pour Nous, même dans sa répé­ti­tion usuelle, le vrai charme et l’agréable réso­nance qui émanent d’un can­ti­cum novum. Dans les pro­pos affec­tueux, on ne manque jamais de trou­ver la grâce de la dou­ceur native ; car l’amour du père pour ses enfants et des enfants pour leur père ne perd pas, avec le dérou­le­ment des années, la fran­che viva­ci­té de la jeu­nesse, et les vicis­si­tudes du temps, loin de le refroi­dir, ins­pirent à l’amour, tou­jours le même, de nou­veaux motifs de se mani­fes­ter et de nou­velles expres­sions d’affection.

Or, quelles cir­cons­tances ont plus de pou­voir pour res­ser­rer davan­tage les liens des cœurs que les épreuves com­munes ? Vous avez jeté un regard sur les évé­ne­ments qui de toutes parts nous har­cèlent et nous pressent ; vous avez com­pris que l’heure pré­sente nous place dans des condi­tions igno­rées en d’autres temps ; c’est pour­quoi vous avez pro­fi­té de cette occa­sion de Noël pour Nous témoi­gner, par une démons­tra­tion plus concrète et plus sen­sible qu’aux heures sereines et tran­quilles, votre hom­mage et votre atta­chement au Saint-​Siège apos­to­lique, tra­di­tion­nels dans vos familles et ino­cu­lés dans vos cœurs dès les pre­mières années.

Nous n’en dou­tions pas, chers fils ; Nous connais­sions vos nobles et loyaux sen­ti­ments ; Nous vous en avions don­né l’assurance l’an der­nier en cette même cir­cons­tance, lorsque, répon­dant à vos vœux et vous mon­trant l’horizon du monde qui se trou­blait et s’obscurcis­sait tou­jours davan­tage, Nous expri­mions Notre confiance en vous au cas où, au cours des évé­ne­ments, vien­draient à sur­gir des jours par­ti­cu­liè­re­ment char­gés de dif­fi­cul­tés et de conflits. Ces jours ne tar­dèrent pas à venir. Rome elle-​même, ville sacrée, Notre dio­cèse, fut, par deux fois, le but de fortes attaques aériennes, et le ter­ri­toire de Notre Etat de la Cité du Vatican, des­ti­né à pro­té­ger, mal­gré ses limites étroites, la liber­té et l’indépendance de Notre minis­tère spi­rituel, fut auda­cieu­se­ment vio­lé par une incur­sion, que leurs auteurs avaient pen­sé pou­voir cou­vrir de l’anonymat, et qui sou­le­va la stu­peur indi­gnée du monde civilisé.

Quant à vous, au fur et à mesure qu’ils se dérou­laient, vous sui­viez la suc­ces­sion d’aussi tra­giques évé­ne­ments et, sans attendre le signal d’alarme, vous étiez prêts et vaillants à votre poste. Aussi Nous ne Nous éton­nâmes pas lorsque, de votre propre ini­tia­tive, sur vos ins­tances et sui­vant vos vœux, vous obtîntes d’étendre et de mul­ti­plier votre acti­vi­té pro­fes­sion­nelle tout en expri­mant par ail­leurs le désir ardent d’ajouter au ser­vice hono­ri­fique celui de la Garde du corps d’une façon plus effec­tive, de sorte que Nous vous avons ren­con­trés et vus, dis­crè­te­ment pré­sents et avec un regard vigi­lant, par­tout où Nous por­tions Nos pas. Nous savions déjà que Nous pou­vions comp­ter sur vous ; mais l’expérience faite Nous en a encore davan­tage convain­cu en Nous mon­trant dans leur pleine lumière votre vigi­lance pru­dente et atten­tive ain­si que la fer­veur de votre dévoue­ment au Pontife romain.

Même cette guerre ter­rible et si éten­due aura une fin. Quand le soleil se lève­ra de nou­veau sur un monde régé­né­ré dans la paix, dans la concorde et dans la cha­ri­té ; lorsque res­plen­di­ront les rayons qui récon­fortent et consolent de toutes les souf­frances endu­rées, Nous n’oublierons pas tout ce que vous avez fait, Nous Nous rap­pel­le­rons cette garde et cette pro­tec­tion que vous avez été pour Nous. Et Nous gar­dons dans l’âme l’assurance que si l’on devait tra­ver­ser – puisse Dieu ne pas le vou­loir –des jours encore plus sombres et plus trou­blés, Nous trou­ve­rions encore en vous ce solide et filial secours qu’un père trouve tou­jours au milieu de ses enfants.

Mais si Notre cœur vous est recon­nais­sant de tout ce que vous avez fait et faites encore, il Nous dit pareille­ment et for­te­ment que l’obligation du devoir pro­cède chez vous de la forte pous­sée ou impul­sion de la foi qui anime, élève, enno­blit toute votre acti­vi­té, la rend méri­toire devant Dieu et devant les hommes, ins­pire vos sen­ti­ments et votre conduite à Notre égard. N’est-ce pas votre foi qui vous fait voir le Christ lui-​même dans le Vicaire du Christ et consa­crer à lui votre constance et votre géné­ro­si­té pour le ser­vir et le glorifier ?

Oui, le Christ invite les cœurs géné­reux à le défendre, comme lorsqu’il était petit enfant il vou­lut, lui, le Tout-​Puissant, avoir besoin d’une pro­tec­tion contre les dan­gers ou embûches qui le mena­çaient. Nous n’entendons pas par­ler ici, seule­ment ou prin­ci­pa­le­ment des dan­gers maté­riels aux­quels le Christ per­met que soient expo­sées quel­que­fois les Saintes Espèces sous les­quelles il se cache, ain­si qu’il arrive lorsqu’au milieu des flammes de l’incendie ou sous les bombar­dements, des fidèles héroïques mettent en sûre­té, au risque de leur vie, le ciboire demeu­ré dans le taber­nacle brû­lant ou ense­ve­li sous les décombres. Moins visibles sont d’autres dan­gers per­ma­nents : le Christ, vie de l’âme, est mena­cé et pour­sui­vi dans les âmes. Les illu­sions, les pré­ju­gés de l’ignorance, la fausse science, les calom­nies, les insi­nua­tions mal­veillantes contre l’Eglise et la doc­trine du Christ, contre la pié­té des fidèles et la fré­quen­ta­tion des sacre­ments, troublent et bou­le­versent l’esprit et l’âme et conduisent à l’infidélité. Les pas­sions, les ten­ta­tions, les séduc­tions qui, en per­ver­tis­sant les cœurs, en chassent le Christ, concourent à pro­cu­rer un dom­mage aus­si grave. Que devez-​vous faire, chers fils ? Défendez le Christ par la parole, par l’exemple, par la pra­tique de la ver­tu vers laquelle la fer­veur de votre foi vous guide et vous pousse ; mais défendez-​le et gardez-​le avant tout en vous-​mêmes, parce que per­sonne ne peut se flat­ter ou bien pré­su­mer d’être à l’abri de tout dan­ger. Quel triomphe obtien­draient les enne­mis du Christ si jamais ils réus­sis­saient, grâce à l’erreur et au péché, à ban­nir le Christ du cœur et de l’âme de ses plus valeu­reux défen­seurs ! Défendre le Christ en vous vous ren­dra plus forts et plus fermes ‑à conti­nuer sa défense dans les autres par la noble digni­té de votre vie per­son­nelle, par la cha­ri­té bien­fai­sante et par la bon­té édi­fiante de votre conduite sociale.

Garde Noble, vous l’êtes, du Vicaire du Christ ; que ce soit de même votre gloire d’être au pre­mier rang dans le ser­vice du divin Maî­tre, le Roi de vos cœurs, et de renon­cer géné­reu­se­ment à vos goûts, à vos plai­sirs, à votre amour-​propre, en vue d’accomplir entiè­re­ment et avec per­fec­tion le devoir d’âmes chré­tiennes et de corps d’élite.

Garde d’honneur qui concourt à conser­ver et à défendre l’intégrité et l’indépendance de Notre petit Etat, le res­pect de Notre sou­ve­rai­ne­té morale, spi­ri­tuelle et sur­na­tu­relle sur les fidèles du monde entier, quelle ne doit pas être votre ardeur à vous faire les dignes cham­pions et pro­pa­ga­teurs du règne uni­ver­sel du Christ ? Le Christ, Seigneur et Maître de l’univers, pos­sède une royau­té qui ne vient ni des armes ni d’un pou­voir ter­restre ; son règne est un règne de véri­té et de grâce qu’il veut éta­blir dans l’esprit et dans le cœur des hommes pour y éle­ver son trône de salut et de paix ; tan­dis que le monde vou­lant détrô­ner le Christ dans la vie pri­vée comme dans la vie sociale, n’a pas fait autre chose que semer la cause pro­fonde des maux actuels et s’exposer lui-​même au trouble et au désordre qui le conduisent à la ruine.

L’adve­niat regnum tuum qui Jaillit de vos cœurs pour reten­tir sur vos lèvres doit être pour vous non seule­ment une prière fer­vente et un vœu ardent, mais aus­si le mot d’ordre de cha­cune de vos jour­nées et de toute votre vie.

C’est dans ce sou­hait et avec une affec­tion spé­ciale que Nous vous accor­dons à vous, chers fils, à toutes vos familles qui vous sont si chères, Notre pater­nelle Bénédiction apos­to­lique, comme un gage des grâces célestes les meilleures.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien de Discorsi e Radiomessaggi, t. V, p. 167 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 304.