Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

13 juin 1943

Discours aux travailleurs d’Italie

Table des matières

Une des plus impor­tantes mani­fes­ta­tions pro­vo­quées par le XXVe anni­ver­saire de la consé­cra­tion épis­co­pale de Pie XII fut le pèle­ri­nage de 20 000 ouvriers venus de toute l’Italie à Rome le jour de la Pente­côte. C’est à cette foule que le Saint-​Père a adres­sé ce dis­cours où il rap­pelle que l’Eglise a tou­jours pro­té­gé et encou­ra­gé les réformes sociales et les justes aspi­ra­tions des travailleurs.

Votre agréable pré­sence, chers fils et chères filles qui pas­sez au tra­vail les heures et les jour­nées pour gagner votre vie et celle de vos familles, Nous sug­gère une pen­sée pro­fonde et un grand mys­tère : la pen­sée qu’après la chute le tra­vail fut impo­sé par Dieu au pre­mier homme pour qu’il deman­dât à la terre son pain à la sueur de son front ; et le mys­tère que le Fils de Dieu des­cen­du du ciel pour sau­ver le monde et fait homme s’est sou­mis à cette loi du tra­vail et a pas­sé sa jeu­nesse en beso­gnant à Nazareth avec son Père puta­tif, en sorte qu’il fut cru et appe­lé « le fils du char­pen­tier » (Matth., xiii, 55). Mystère sublime que le Christ ait com­men­cé par tra­vailler avant d’enseigner, qu’il ait été un humble ouvrier avant de deve­nir maître de tous les peuples ! (cf. Actes, i, 1).

Vous êtes venus à Nous comme au Père qui aime d’autant plus à s’entretenir avec ses fils que leur peine quo­ti­dienne est plus dure et conti­nuelle, leur vie plus dif­fi­cile et plus rem­plie de gêne et d’an­goisses. Vous êtes venus à Nous comme au Vicaire du Christ qui éprouve en soi-​même, per­pé­tué par l’ineffable par­ti­ci­pa­tion de la puis­sance divine, ce sen­ti­ment de ten­dresse et de com­pas­sion pour le peuple, sen­ti­ment qui, un jour, pous­sa notre Rédempteur à s’écrier : Misereor super tur­bam, « j’ai pitié de ce peuple » (Marc, viii, 2). Vous êtes venus à Nous comme au Pasteur qui, sur vous et plus loin que vous, étend son regard sur la por­tion bien plus nom­breuse du trou­peau qui lui a été confié par l’amour de Dieu et qui, dans votre atta­che­ment et dans votre dévoue­ment, recueille comme d’une fidèle repré­sen­ta­tion les sen­ti­ments, les vœux et l’affection de tant de ses fils éloignés.

De grand cœur, Nous vous remer­cions pour une joie si vive qui Nous offre aus­si l’occasion de vous dire une parole de bien­veillance intime et d’encouragement, une parole qui vous serve de guide, de sou­tien et de récon­fort en ces jours trou­blés par les sou­cis et les deuils.

Sages réformes sociales.

La masse des ouvriers, plus que toute autre acca­blée et tour­mentée par les dures condi­tions pré­sentes, n’est pour­tant pas seule à en res­sen­tir le poids ; toutes les classes doivent por­ter leur far­deau plus ou moins pénible et pesant ; ce n’est pas non plus uni­quement la situa­tion sociale des ouvriers et des ouvrières qui demande des retouches et des réformes, mais c’est la struc­ture com­plexe de la socié­té qui, tout entière, a besoin de redres­se­ments et d’améliora­tions, ébran­lée pro­fon­dé­ment comme elle l’est dans son ensemble. Qui ne voit cepen­dant que, par la dif­fi­cul­té et la varié­té des pro­blèmes qu’elle implique, par le nombre consi­dé­rable des membres qui y sont inté­res­sés, la ques­tion ouvrière est d’une telle néces­si­té et impor­tance qu’elle mérite un soin plus atten­tif, plus vigi­lant et plus pré­voyant ? Question déli­cate entre toutes ; point névral­gique, pour­rait-​on dire, du corps social, mais par­fois aus­si ter­rain mou­vant et per­fide, ouvert à des illu­sions faciles et à des espé­rances vaines et irréa­li­sables, pour celui qui ne tient pas fixée devant les yeux de l’intelligence et face à l’impulsion du cœur la doc­trine de jus­tice, d’équité, d’amour, de consi­dé­ra­tion réci­proque et de vie en com­mun incul­quée par la loi divine et par la voix de l’Eglise.

L’Eglise protège les justes aspirations des travailleurs.

Vous n’ignorez certes pas, chers fils et chères filles, que l’Eglise vous aime inten­sé­ment et qu’elle n’a pas atten­du aujourd’hui pour consi­dé­rer avec ardeur et mater­nelle affec­tion, avec un vif sen­ti­ment de la réa­li­té des choses, les ques­tions qui vous touchent plus par­ti­cu­liè­re­ment. Nos pré­dé­ces­seurs et Nous-​même, par un ensei­gne­ment réité­ré, n’avons négli­gé aucune occa­sion de faire com­prendre à tous vos besoins et vos néces­si­tés per­son­nelles et fami­liales ; pro­cla­mant comme des exi­gences fon­da­men­tales de concorde sociale ces aspi­ra­tions qui vous tiennent tant à cœur : un salaire qui assure l’existence de votre famille, qui rende pos­sible aux parents l’accomplissement de leur devoir natu­rel de faire croître une famille sai­ne­ment nour­rie et vêtue ; une habi­ta­tion digne de per­sonnes humaines ; la pos­si­bi­li­té de pro­cu­rer à vos fils une ins­truction suf­fi­sante et une édu­ca­tion conve­nable, de pré­voir les jours de gêne, de mala­die et de vieillesse et d’y pour­voir. Ces condi­tions de pré­voyance sociale doivent deve­nir des réa­li­tés si l’on veut que, à chaque sai­son, la socié­té ne soit pas ébran­lée par des fer­ments troubles et par des secousses dan­ge­reuses, mais qu’elle se tran­quillise et pro­gresse har­mo­nieu­se­ment dans la paix et l’amour mutuel.

Or, tout louables que soient diverses mesures et conces­sions des pou­voirs publics et le sen­ti­ment humain et géné­reux qui anime un grand nombre de patrons, qui pour­rait affir­mer et sou­te­nir que de tels objec­tifs ont été par­tout atteints ? En tout cas, les ouvriers et les ouvrières, conscients de leur grande res­pon­sa­bi­li­té pour le bien com­mun, sentent et mesurent le devoir de ne pas alour­dir le poids des dif­fi­cul­tés extra­or­di­naires dont les dif­fé­rents peuples se trouvent acca­blés, en pré­sen­tant à grand bruit et avec des mani­fes­ta­tions incon­si­dé­rées leurs reven­di­ca­tions en ce temps d’universelle et impé­rieuse néces­si­té. Mais ils conti­nuent à tra­vailler et ils y persé­vèrent avec dis­ci­pline et avec calme, don­nant ain­si un ines­ti­mable appui à la tran­quilli­té pour le plus grand pro­fit de la vie sociale com­mune. A cette concorde paci­fique des esprits, Nous don­nons Notre éloge et Nous vous invi­tons et exhor­tons pater­nel­le­ment à y per­sé­vé­rer avec fer­me­té et digni­té ; ce qui ne doit pous­ser per­sonne à croire, comme Nous l’avons déjà fait obser­ver dans Notre der­nier mes­sage de Noël, que toute ques­tion doive être consi­dé­rée comme résolue.

Les faux prophètes.

L’Eglise, gar­dienne et maî­tresse de la véri­té, quand elle affirme et défend cou­ra­geu­se­ment les droits des tra­vailleurs, a dû, à plu­sieurs reprises, en com­bat­tant l’erreur, aver­tir de ne pas se lais­ser illu­sion­ner par le mirage de théo­ries spé­cieuses et folles, des visions de bien-​être futur et par les séduc­tions trom­peuses et les incita­tions de faux maîtres de pros­pé­ri­té sociale qui appellent bien ce qui est mal et mal ce qui est bien, qui, se van­tant d’être les amis du peuple, n’acceptent pas entre le capi­tal et le tra­vail, entre les patrons et les ouvriers, ces ententes mutuelles qui main­tiennent et favo­risent la concorde sociale pour le pro­grès et l’utilité com­mune. De pareils amis du peuple, vous les avez déjà enten­dus sur les places publiques, dans les cercles, dans les congrès ; vous en avez connu les pro­messes impri­mées sur des feuilles volantes ; vous avez écou­té leurs chants et leurs hymnes ; mais quand donc les faits ont-​ils répon­du à leurs paroles, les espé­rances ont-​elles sou­ri à la réa­li­té ? Ce sont des trom­pe­ries et des dés­illu­sions qu’ont éprou­vées et éprouvent les indi­vi­dus et les peuples qui ont ajou­té foi à leurs dires et qui les ont sui­vis sur des routes qui, loin de les amé­lio­rer, ont empi­ré et aggra­vé les condi­tions de vie et de pro­grès maté­riel et moral. Pareils faux pas­teurs donnent à croire que le salut doit venir d’une révo­lu­tion qui change la struc­ture sociale ou qui revêt un carac­tère national.

Le salut n’est pas dans la révolution sociale…

La révo­lu­tion sociale se vante de his­ser au pou­voir la classe ouvrière : parole vaine, pur mirage d’une impos­sible réa­li­té ! Vous voyez bien, du reste, que le peuple ouvrier demeure lié, asser­vi, rivé à la force du capi­ta­lisme d’Etat, qui opprime et assu­jet­tit tout le monde, la famille aus­si bien que les consciences, et trans­forme les ouvriers en une gigan­tesque machine de tra­vail. A l’égal des autres formes et orga­ni­sa­tions sociales qu’il pré­tend com­battre, il assemble, ordonne et réduit tout à un effroyable ins­tru­ment de guerre qui réclame pour lui non seule­ment le sang et la san­té, mais encore les biens et la pros­pé­ri­té du peuple. Et si les diri­geants se font gloire de tel ou tel avan­tage ou pro­grès réa­li­sé dans le domaine du tra­vail à grand ren­fort de réclame tapa­geuse, le pro­fit maté­riel n’est jamais tel qu’il com­pense les sacri­fices impo­sés à cha­cun, au détri­ment des droits de la per­sonne, de l’indépendance dans le gou­ver­ne­ment de la famille, dans l’exercice de la pro­fes­sion, dans la condi­tion du citoyen, tout par­ti­cu­liè­re­ment dans la pra­tique de la reli­gion et jusque dans la vie de la conscience.

Non ce n’est pas dans la révo­lu­tion, chers fils et chères filles, que vous trou­ve­rez votre salut ; et il est contraire à l’authentique et sin­cère pro­fes­sion chré­tienne de tendre – pré­oc­cu­pé du seul avan­tage per­son­nel, exclu­sif et maté­riel, au reste bien pré­caire – à une révo­lu­tion qui pro­cède de l’injustice et de l’insubordination civile en se char­geant la conscience du sang des conci­toyens et de la des­truc­tion des biens com­muns. Malheur à qui oublie qu’une véri­table socié­té natio­nale com­porte la jus­tice sociale, exige une juste et conve­nable par­ti­ci­pa­tion de tous aux biens du pays ! Autrement, vous le com­pre­nez, la nation fini­rait par n’être plus qu’une fic­tion sen­ti­men­tale, une vague excuse ser­vant d’alibi à cer­tains milieux pour se déro­ber aux sacri­fices indis­pen­sables à l’établissement de l’équilibre et de la tran­quilli­té publics. Vous ver­riez alors com­ment, une fois dis­pa­rue du concept de socié­té natio­nale la noblesse que celle-​ci tient de Dieu, les riva­li­tés et les luttes intes­tines devien­draient pour tous une menace redoutable.

… mais dans une bienfaisante évolution.

Ce n’est pas dans la révo­lu­tion, mais dans une évo­lu­tion har­monieuse que résident le salut et la jus­tice. La vio­lence n’a jamais fait que détruire, jamais construire ; exas­pé­rer les pas­sions, jamais les cal­mer ; accu­mu­ler les haines et les ruines, jamais unir frater­nellement les adver­saires. Elle a pré­ci­pi­té hommes et par­tis dans la dure néces­si­té de recons­truire len­te­ment, après des épreuves dou­loureuses, sur les ruines amon­ce­lées par la dis­corde. Seule une évo­lution pro­gres­sive et pru­dente, cou­ra­geuse et conforme à la nature, éclai­rée et gui­dée par les saintes lois chré­tiennes de la jus­tice et de l’équité, peut conduire à la satis­fac­tion des dési­rs et des besoins légi­times de l’ouvrier.

Donc, ne pas détruire, mais bâtir et conso­li­der ; ne pas abo­lir la pro­prié­té pri­vée, fon­de­ment de la sta­bi­li­té de la famille, mais en pro­mou­voir la dif­fu­sion, comme fruit du labeur conscient de tout ouvrier ou ouvrière de telle sorte que dis­pa­raî­tront pro­gres­si­ve­ment ces masses popu­laires agi­tées et auda­cieuses qui, tan­tôt par l’effet d’un sombre déses­poir, tan­tôt sous l’impulsion d’instincts aveugles, se laissent empor­ter à tout vent de doc­trines illu­soires ou entraî­ner par les habiles manœuvres de meneurs déga­gés de toute morale.

Ne pas dila­pi­der le capi­tal pri­vé, mais en pro­mou­voir la ges­tion sage­ment sur­veillée, comme moyen et comme point d’appui pour pro­cu­rer et pour étendre le vrai bien maté­riel de tout le peuple.

N’user à l’égard de l’industrie ni de moyens de com­pres­sion ni de pré­fé­rences exclu­sives, mais en pro­cu­rer l’harmonieuse coordina­tion avec l’artisanat et avec l’agriculture qui fait fruc­ti­fier la pro­duction variée et néces­saire du sol national.

Ne pas viser uni­que­ment, dans l’usage des pro­grès de la tech­nique, au maxi­mum pos­sible de gain, mais aux fruits qu’on en peut tirer ; s’en ser­vir pour amé­lio­rer les condi­tions per­son­nelles de l’ouvrier, pour rendre sa tâche moins dif­fi­cile et moins dure, pour ren­for­cer les liens de sa famille avec le sol où il habite, avec le tra­vail dont il vit.

Ne pas viser à faire dépendre tota­le­ment la vie des indi­vi­dus de l’arbitraire de l’Etat, mais plu­tôt faire en sorte que l’Etat, dont le devoir est de pro­mou­voir le bien com­mun au moyen d’institutions sociales telles que les socié­tés d’assurances et de pré­voyance sociales, sup­plée, aide et com­plète ce qui sert à appuyer dans leur action les asso­cia­tions ouvrières et spé­cia­le­ment les pères et mères de famille dont le tra­vail assure la vie et celle des leurs.

La foi au Christ et la fidélité à l’Eglise, racines profondes de la vraie fraternité.

Vous direz peut-​être que c’est là voir la réa­li­té en beau ; mais com­ment pourrait-​on faire pas­ser cet idéal dans les faits et lui don­ner la vie au milieu du peuple ? Il y faut avant tout une grande droi­ture de volon­té, une par­faite loyau­té d’intention et d’action dans la marche et dans la conduite de la vie publique de la part des citoyens aus­si bien que de la part des auto­ri­tés. Il faut que tous soient ani­més d’un esprit de véri­table concorde et de fra­ter­ni­té : supé­rieurs et infé­rieurs, diri­geants et ouvriers, grands et petits ; en un mot, toutes les classes du peuple.

Votre ras­sem­ble­ment autour de Nous, chers fils et chères filles, sou­li­gné par le fait que vous êtes venus des divers champs de votre acti­vi­té dans la mai­son du Père com­mun, comme repré­sen­tants de tous les groupes, est pour Nous la preuve et le témoi­gnage que vous savez, que vous sen­tez, que vous com­pre­nez où plongent les racines pro­fondes du sens social divi­ne­ment pur de « frères liés par un contrat », « tous faits à la res­sem­blance d’un Seul, tous fils d’une seule Rédemption » : c’est-à-dire dans la com­mu­nau­té de la sainte reli­gion, dans la même pro­fes­sion de foi au Rédempteur de tous, Jésus-​Christ, dans l’égale fidé­li­té à la sainte Eglise et à son Vicaire. Et Nous, Nous éle­vons vers Dieu Notre fer­vente prière pour que tout le vaste, l’immense peuple des tra­vailleurs par­ti­cipe à votre foi ; en sorte que le Seigneur Nous accorde de voir, même à tra­vers les dif­fé­rences d’opinions et de moyens, s’ouvrir dans la jus­tice et dans la cha­ri­té la voie vers ce pro­grès bien­fai­sant et paci­fique, tant dési­ré par Nous, qui rende l’Italie pros­père et forte d’une iné­branlable et chré­tienne unité.

Monstrueuse calomnie.

Mais Nous n’ignorons pas – et vous-​mêmes avez pu le savoir par expé­rience – com­ment, en ces temps pénibles et dif­fi­ciles pour la vie fami­liale et civique, les pas­sions humaines sai­sissent l’occa­sion de rele­ver la tête, d’éveiller les soup­çons et de déna­tu­rer les paroles et les faits. C’est ain­si qu’une pro­pa­gande d’esprit anti­religieux s’en va semant par­mi le peuple, et sur­tout dans les milieux ouvriers, le bruit que le pape a vou­lu la guerre, que le pape entre­tient la guerre et four­nit l’argent pour la conti­nuer, que le pape ne fait rien pour la paix. Jamais peut-​être ne fut lan­cée calom­nie plus mons­trueuse et plus absurde que celle-​là ! Qui ne voit, qui ne sait, qui n’est à même de véri­fier que per­sonne plus que Nous ne s’est constam­ment oppo­sé par tous les moyens à Notre por­tée au déchaî­nement, puis à la pour­suite et à l’extension de la guerre ; que per­sonne plus que Nous n’a conti­nuel­le­ment sup­plié et aver­ti : la paix, la paix, la paix ; que per­sonne plus que Nous n’a cher­ché à en atté­nuer les hor­reurs ? Les sommes d’argent que la cha­ri­té des fidèles met à Notre dis­po­si­tion ne sont pas des­ti­nées et ne sont pas appli­quées à ali­men­ter la guerre, mais bien à essuyer les larmes des veuves et des orphe­lins, à conso­ler les familles dans leur anxieuse inquié­tude pour leurs chers absents ou dis­pa­rus, à venir en aide à ceux qui sont dans la souf­france, dans la pau­vre­té, dans le besoin. Nous en avons pour témoins Notre cœur et Nos lèvres qui ne se con­tredisent pas : car Nos actes à Nous ne démentent pas Nos paroles et Nous avons conscience de la faus­se­té de tout ce que les enne­mis de Dieu débitent per­fi­de­ment pour trou­bler les ouvriers et le peuple, et pour tirer des peines de la vie dont ils souffrent argu­ment contre la foi et contre la reli­gion, qui sont pour­tant l’unique récon­fort et l’unique espoir capables de sou­te­nir l’homme ici-​bas dans la dou­leur et dans la détresse.

Non ! Pour Nos dis­cours, pour Nos mes­sages, il n’est au pou­voir de per­sonne d’en sup­pri­mer ou d’en déna­tu­rer l’esprit et la sub­stance. Tout le monde a pu les écou­ter comme parole de véri­té et de paix, comme autant d’élans de Notre cœur pour la tran­quilli­té du monde et pour la gou­verne des puis­sants. Ils sont des témoi­gnages irrécu­sables des immenses dési­rs qui jaillissent de Notre cœur sur cette terre, qui fut don­née pour demeure à l’homme durant son pas­sage à une vie meilleure et impé­ris­sable, pour que règne la concorde ordon­née de tout le genre humain. L’Eglise ne craint la lumière de la véri­té ni pour le pas­sé, ni pour le pré­sent, ni pour l’avenir. Quand les cir­cons­tances des temps et les pas­sions humaines per­mettront ou pos­tu­le­ront la publi­ca­tion de docu­ments encore inédits rela­tifs à la constante action paci­fi­ca­trice du Saint-​Siège durant cette affreuse guerre [1] que ne décon­certent ni les refus ni les résis­tances, alors on ver­ra, plus clair que le jour en plein midi, la sot­tise de telles accu­sa­tions qui émanent moins de l’ignorance que de cette irré­li­gion et de ce mépris de l’Eglise qui n’a de prise que sur cer­tains cœurs humains plus incli­nés, hélas ! et plus dis­po­sés à défi­gu­rer les inten­tions loyales et bien­veillantes dont est ani­mée l’Epouse du Christ qu’à pour­voir au bien du peuple, à atté­nuer et adou­cir les diffi­cultés de la vie, à sou­te­nir les esprits au sein des pénibles condi­tions de l’heure pré­sente. Dites aux dif­fa­ma­teurs de l’Eglise que la véri­té brille­ra comme elle brille aujourd’hui dans vos cœurs, dans les cœurs de tous ceux qui rendent un juste hom­mage à tout ce qu’ils découvrent de bien et qui ne croient ni au men­songe ni à la calom­nie. Et devant l’évidente réa­li­té des faits et de Notre œuvre, tous ceux-​là demeu­re­ront confon­dus qui s’efforcent par leur parole trom­peuse de reje­ter sur la papau­té la res­pon­sa­bi­li­té de tout le sang des batailles sur terre et des ruines des cités, des luttes de l’air et des pro­fonds abîmes de la mer.

Le réconfort de la prière.

Elevez votre foi, ouvriers et ouvrières chré­tiens, par les pen­sées de votre intel­li­gence et par les sen­ti­ments de votre cœur ; fortifiez-​vous, renouvelez-​vous chaque jour par le récon­fort d’une prière qui com­mence, sanc­ti­fie et ter­mine votre jour­née de tra­vail. Que ces pen­sées et ces sen­ti­ments éclairent et réchauffent votre âme, spé­cia­le­ment durant le repos du dimanche et des fêtes ; qu’ils vous accom­pagnent et vous guident dans l’assistance à la sainte messe. Sur l’autel, ce cal­vaire non san­glant, Notre Rédempteur, qui dans sa vie ter­restre s’est fait ouvrier comme vous, obéis­sant à son Père jusqu’à la mort, renou­velle per­pé­tuel­le­ment le sacri­fice de lui-​même au pro­fit du monde, dis­tri­bue les grâces et le Pain de vie aux âmes qui l’aiment et recourent à lui dans leurs sou­cis pour être récon­for­tées. Qu’à l’église, devant l’autel, chaque tra­vailleur chré­tien renou­velle sa volon­té de res­pec­ter dans son labeur la loi divine du tra­vail quel qu’il soit, celui de l’esprit ou celui des bras, de pro­cu­rer au prix de ses fatigues et de ses renon­ce­ments le pain à ses êtres chers, de tendre à la fin morale de la vie d’ici-bas et à la béa­ti­tude éter­nelle, en confor­mant ses inten­tions avec celles du Sauveur et en fai­sant de sa besogne comme un hymne de louange à Dieu.

Observation de la loi de Dieu dans la vie des usines.

Partout et tou­jours, chers fils et chères filles, pro­té­gez, gar­dez votre digni­té per­son­nelle. La matière que vous tra­vaillez a été créée par Dieu au com­men­ce­ment du monde, et depuis, à tra­vers le bras­se­ment des siècles, elle a été modi­fiée par lui dans les entrailles et à la sur­face de la terre par des cata­clysmes, des fer­men­ta­tions, des érup­tions et des trans­for­ma­tions pour pré­pa­rer à l’homme et à son tra­vail la meilleure demeure pos­sible. Qu’elle vous rap­pelle donc sans cesse la main créa­trice de Dieu ; qu’elle élève votre esprit vers lui, Législateur sou­ve­rain, dont les lois doivent aus­si s’observer dans la vie des usines. Peut-​être aurez-​vous à vos côtés pour tra­vailler avec vous des jeunes gens et des jeunes filles. Souvenez-​vous que les petits et les inno­cents ont droit à un grand res­pect, et qu’à celui qui les scan­da­lise il vau­drait mieux, comme le Christ le déclare, qu’on lui sus­pen­dît au cou une meule de mou­lin pour le pré­ci­pi­ter au fond de la mer (cf. Matth., xviii, 6).

Pères et mères, quelles angoisses, quelles craintes accom­pagnent les pas de vos fils et de vos filles vers les usines ! C’est votre rôle à vous, tra­vailleurs, de tenir leur place en gar­dant, en sur­veillant l’innocence et la pure­té de ce jeune âge, quand la pro­fes­sion et les néces­si­tés de famille l’obligent à s’éloigner du regard affec­tueux des parents. C’est des aînés et de leur exemple comme de la volon­té éner­gique et déci­dée de la direc­tion de l’usine d’exiger une dis­ci­pline hon­nête que dépend la conser­va­tion d’une jeu­nesse phy­si­que­ment et spi­ri­tuel­le­ment saine dans les usines, ou au contraire sa cor­rup­tion par l’immoralité, par la soif des plai­sirs et par la pro­di­ga­li­té, avec le risque de com­pro­mettre les géné­ra­tions futures. Qu’aucune parole, aucune plai­san­te­rie, aucun conte ne sorte de vos lèvres qui offense l’oreille des jeunes qui vous écoutent. Puisse la jeu­nesse ouvrière trou­ver dans le cler­gé, dans les congré­ga­tions reli­gieuses de femmes, dans les membres de l’Action catho­lique des per­sonnes qui se dépen­sent en sa faveur avec toute leur éner­gie phy­sique et morale en union avec les diri­geants jusque dans la vie quo­ti­dienne de l’usine.

Que pour­tant ne cessent jamais l’affection mutuelle et le res­pect, le bon exemple, la bonne parole qui aver­tit et encou­rage, l’aide même modeste entre les ouvriers eux-mêmes.

Imploration des grâces divines.

Enfin, lais­sez Notre parole reve­nir là d’où elle est par­tie et vous indi­quer de nou­veau le divin Modèle de l’ouvrier chré­tien, le Christ char­pen­tier (Marc, vi, 3) dans l’atelier de Nazareth ; Fils de Dieu et res­tau­ra­teur de la grâce per­due par Adam, il répand sur vous cette force, cette patience, ce cou­rage qui vous gran­dissent à ses yeux, et il est la plus sublime image de l’ouvrier que vous puis­siez contem­pler et ado­rer. Dans vos usines, dans vos ate­liers, au soleil des champs, à l’ombre des mines, dans la cha­leur des four­naises, dans le froid des gla­cières, par­tout où vous appellent la parole de vos chefs, votre métier, le besoin de vos frères, de la patrie ou de la paix, que des­cende sur vous l’abondance des faveurs de Celui qui est votre secours, votre salut, votre récon­fort, et qu’il trans­forme en mérite pour un bon­heur dans l’autre vie le dur labeur pour lequel ici-​bas vous dépen­sez et sacri­fiez votre vie. N’en dou­tez pas : le Christ est tou­jours avec vous ! Imaginez-​vous le voir sur les lieux de votre tra­vail, allant ça et là au milieu de vous, remar­quant votre fatigue, écou­tant vos conver­sa­tions, conso­lant vos cœurs, apai­sant vos dif­fé­rends ; et vous ver­rez alors l’usine se trans­for­mer en un sanc­tuaire de Nazareth, vous ver­rez aus­si régner entre vous cette confiance, cet ordre, cet accord qui sont un reflet de la béné­dic­tion du ciel, laquelle répand ici-​bas et sou­tient la jus­tice et la bonne volon­té des hommes fermes dans la foi, dans l’espérance, dans l’amour de Dieu.

Et tout en invo­quant la pro­tec­tion divine sur vous, chers ouvriers et chères ouvrières, sur vos familles, sur tous ceux qui vous dirigent et vous guident dans votre tra­vail, sur vos usines elles-​mêmes pour que le Seigneur les garde de tout dan­ger et dom­mage, Nous vous accor­dons de tout cœur, en gage des grâces les meilleures, Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXV, 1943, p. 171 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 80. Les sous-​titres sont ceux du texte original.

Notes de bas de page
  1. Ces docu­ments ont été publiés en 1962 par Mgr Alberto Giovannetti, de la Secrétairerie d’Etat, dans son nou­veau livre : Roma, cit­tà aper­ta, 312 pages. Ed. Ancora, Milan.

    « Les docu­ments inédits publiés par Mgr Giovannetti révèlent les efforts obs­ti­nés de Pie XII et de ses col­la­bo­ra­teurs, La figure de Pie XII domine, hié­ra­tique, sereine, inébran­lable dans la défense du droit, même lorsque humai­ne­ment par­lant, les efforts déployés parais­saient voués à l’échec ; à côté du pape se dresse le car­di­nal Maglione, secré­taire d’Etat, esprit lucide et coura­geux ; de temps en temps paraît Mgr Tardini, pers­pi­cace, prompt aux répar­ties. Leurs interlocu­teurs à Rome sont M. Myron C. Taylor, envoyé per­son­nel du pré­sident Rooselvelt, et M. Tittman, char­gé d’affaires, M. Osborne, ministre de Grande-​Bretagne, le baron de Weizsaccker, ambas­sa­deur du Reich, MM. Attolico et Ciano, qui repré­sen­tèrent suc­ces­si­ve­ment l’Italie. A l’arrière-plan sur­gissent par­fois Churchill, Roosevelt, Mussolini et Hitler.

    L’auteur retrace les évé­ne­ments par ordre chro­no­lo­gique, en les grou­pant autour de quel­ques dates-​jalons. Il laisse par­ler les faits. Peu de com­men­taires. Parfois quelques épi­sodes pour ani­mer le récit ». (Georges Huber).[]