Une des plus importantes manifestations provoquées par le XXVe anniversaire de la consécration épiscopale de Pie XII fut le pèlerinage de 20 000 ouvriers venus de toute l’Italie à Rome le jour de la Pentecôte. C’est à cette foule que le Saint-Père a adressé ce discours où il rappelle que l’Eglise a toujours protégé et encouragé les réformes sociales et les justes aspirations des travailleurs.
Votre agréable présence, chers fils et chères filles qui passez au travail les heures et les journées pour gagner votre vie et celle de vos familles, Nous suggère une pensée profonde et un grand mystère : la pensée qu’après la chute le travail fut imposé par Dieu au premier homme pour qu’il demandât à la terre son pain à la sueur de son front ; et le mystère que le Fils de Dieu descendu du ciel pour sauver le monde et fait homme s’est soumis à cette loi du travail et a passé sa jeunesse en besognant à Nazareth avec son Père putatif, en sorte qu’il fut cru et appelé « le fils du charpentier » (Matth., xiii, 55). Mystère sublime que le Christ ait commencé par travailler avant d’enseigner, qu’il ait été un humble ouvrier avant de devenir maître de tous les peuples ! (cf. Actes, i, 1).
Vous êtes venus à Nous comme au Père qui aime d’autant plus à s’entretenir avec ses fils que leur peine quotidienne est plus dure et continuelle, leur vie plus difficile et plus remplie de gêne et d’angoisses. Vous êtes venus à Nous comme au Vicaire du Christ qui éprouve en soi-même, perpétué par l’ineffable participation de la puissance divine, ce sentiment de tendresse et de compassion pour le peuple, sentiment qui, un jour, poussa notre Rédempteur à s’écrier : Misereor super turbam, « j’ai pitié de ce peuple » (Marc, viii, 2). Vous êtes venus à Nous comme au Pasteur qui, sur vous et plus loin que vous, étend son regard sur la portion bien plus nombreuse du troupeau qui lui a été confié par l’amour de Dieu et qui, dans votre attachement et dans votre dévouement, recueille comme d’une fidèle représentation les sentiments, les vœux et l’affection de tant de ses fils éloignés.
De grand cœur, Nous vous remercions pour une joie si vive qui Nous offre aussi l’occasion de vous dire une parole de bienveillance intime et d’encouragement, une parole qui vous serve de guide, de soutien et de réconfort en ces jours troublés par les soucis et les deuils.
Sages réformes sociales.
La masse des ouvriers, plus que toute autre accablée et tourmentée par les dures conditions présentes, n’est pourtant pas seule à en ressentir le poids ; toutes les classes doivent porter leur fardeau plus ou moins pénible et pesant ; ce n’est pas non plus uniquement la situation sociale des ouvriers et des ouvrières qui demande des retouches et des réformes, mais c’est la structure complexe de la société qui, tout entière, a besoin de redressements et d’améliorations, ébranlée profondément comme elle l’est dans son ensemble. Qui ne voit cependant que, par la difficulté et la variété des problèmes qu’elle implique, par le nombre considérable des membres qui y sont intéressés, la question ouvrière est d’une telle nécessité et importance qu’elle mérite un soin plus attentif, plus vigilant et plus prévoyant ? Question délicate entre toutes ; point névralgique, pourrait-on dire, du corps social, mais parfois aussi terrain mouvant et perfide, ouvert à des illusions faciles et à des espérances vaines et irréalisables, pour celui qui ne tient pas fixée devant les yeux de l’intelligence et face à l’impulsion du cœur la doctrine de justice, d’équité, d’amour, de considération réciproque et de vie en commun inculquée par la loi divine et par la voix de l’Eglise.
L’Eglise protège les justes aspirations des travailleurs.
Vous n’ignorez certes pas, chers fils et chères filles, que l’Eglise vous aime intensément et qu’elle n’a pas attendu aujourd’hui pour considérer avec ardeur et maternelle affection, avec un vif sentiment de la réalité des choses, les questions qui vous touchent plus particulièrement. Nos prédécesseurs et Nous-même, par un enseignement réitéré, n’avons négligé aucune occasion de faire comprendre à tous vos besoins et vos nécessités personnelles et familiales ; proclamant comme des exigences fondamentales de concorde sociale ces aspirations qui vous tiennent tant à cœur : un salaire qui assure l’existence de votre famille, qui rende possible aux parents l’accomplissement de leur devoir naturel de faire croître une famille sainement nourrie et vêtue ; une habitation digne de personnes humaines ; la possibilité de procurer à vos fils une instruction suffisante et une éducation convenable, de prévoir les jours de gêne, de maladie et de vieillesse et d’y pourvoir. Ces conditions de prévoyance sociale doivent devenir des réalités si l’on veut que, à chaque saison, la société ne soit pas ébranlée par des ferments troubles et par des secousses dangereuses, mais qu’elle se tranquillise et progresse harmonieusement dans la paix et l’amour mutuel.
Or, tout louables que soient diverses mesures et concessions des pouvoirs publics et le sentiment humain et généreux qui anime un grand nombre de patrons, qui pourrait affirmer et soutenir que de tels objectifs ont été partout atteints ? En tout cas, les ouvriers et les ouvrières, conscients de leur grande responsabilité pour le bien commun, sentent et mesurent le devoir de ne pas alourdir le poids des difficultés extraordinaires dont les différents peuples se trouvent accablés, en présentant à grand bruit et avec des manifestations inconsidérées leurs revendications en ce temps d’universelle et impérieuse nécessité. Mais ils continuent à travailler et ils y persévèrent avec discipline et avec calme, donnant ainsi un inestimable appui à la tranquillité pour le plus grand profit de la vie sociale commune. A cette concorde pacifique des esprits, Nous donnons Notre éloge et Nous vous invitons et exhortons paternellement à y persévérer avec fermeté et dignité ; ce qui ne doit pousser personne à croire, comme Nous l’avons déjà fait observer dans Notre dernier message de Noël, que toute question doive être considérée comme résolue.
Les faux prophètes.
L’Eglise, gardienne et maîtresse de la vérité, quand elle affirme et défend courageusement les droits des travailleurs, a dû, à plusieurs reprises, en combattant l’erreur, avertir de ne pas se laisser illusionner par le mirage de théories spécieuses et folles, des visions de bien-être futur et par les séductions trompeuses et les incitations de faux maîtres de prospérité sociale qui appellent bien ce qui est mal et mal ce qui est bien, qui, se vantant d’être les amis du peuple, n’acceptent pas entre le capital et le travail, entre les patrons et les ouvriers, ces ententes mutuelles qui maintiennent et favorisent la concorde sociale pour le progrès et l’utilité commune. De pareils amis du peuple, vous les avez déjà entendus sur les places publiques, dans les cercles, dans les congrès ; vous en avez connu les promesses imprimées sur des feuilles volantes ; vous avez écouté leurs chants et leurs hymnes ; mais quand donc les faits ont-ils répondu à leurs paroles, les espérances ont-elles souri à la réalité ? Ce sont des tromperies et des désillusions qu’ont éprouvées et éprouvent les individus et les peuples qui ont ajouté foi à leurs dires et qui les ont suivis sur des routes qui, loin de les améliorer, ont empiré et aggravé les conditions de vie et de progrès matériel et moral. Pareils faux pasteurs donnent à croire que le salut doit venir d’une révolution qui change la structure sociale ou qui revêt un caractère national.
Le salut n’est pas dans la révolution sociale…
La révolution sociale se vante de hisser au pouvoir la classe ouvrière : parole vaine, pur mirage d’une impossible réalité ! Vous voyez bien, du reste, que le peuple ouvrier demeure lié, asservi, rivé à la force du capitalisme d’Etat, qui opprime et assujettit tout le monde, la famille aussi bien que les consciences, et transforme les ouvriers en une gigantesque machine de travail. A l’égal des autres formes et organisations sociales qu’il prétend combattre, il assemble, ordonne et réduit tout à un effroyable instrument de guerre qui réclame pour lui non seulement le sang et la santé, mais encore les biens et la prospérité du peuple. Et si les dirigeants se font gloire de tel ou tel avantage ou progrès réalisé dans le domaine du travail à grand renfort de réclame tapageuse, le profit matériel n’est jamais tel qu’il compense les sacrifices imposés à chacun, au détriment des droits de la personne, de l’indépendance dans le gouvernement de la famille, dans l’exercice de la profession, dans la condition du citoyen, tout particulièrement dans la pratique de la religion et jusque dans la vie de la conscience.
Non ce n’est pas dans la révolution, chers fils et chères filles, que vous trouverez votre salut ; et il est contraire à l’authentique et sincère profession chrétienne de tendre – préoccupé du seul avantage personnel, exclusif et matériel, au reste bien précaire – à une révolution qui procède de l’injustice et de l’insubordination civile en se chargeant la conscience du sang des concitoyens et de la destruction des biens communs. Malheur à qui oublie qu’une véritable société nationale comporte la justice sociale, exige une juste et convenable participation de tous aux biens du pays ! Autrement, vous le comprenez, la nation finirait par n’être plus qu’une fiction sentimentale, une vague excuse servant d’alibi à certains milieux pour se dérober aux sacrifices indispensables à l’établissement de l’équilibre et de la tranquillité publics. Vous verriez alors comment, une fois disparue du concept de société nationale la noblesse que celle-ci tient de Dieu, les rivalités et les luttes intestines deviendraient pour tous une menace redoutable.
… mais dans une bienfaisante évolution.
Ce n’est pas dans la révolution, mais dans une évolution harmonieuse que résident le salut et la justice. La violence n’a jamais fait que détruire, jamais construire ; exaspérer les passions, jamais les calmer ; accumuler les haines et les ruines, jamais unir fraternellement les adversaires. Elle a précipité hommes et partis dans la dure nécessité de reconstruire lentement, après des épreuves douloureuses, sur les ruines amoncelées par la discorde. Seule une évolution progressive et prudente, courageuse et conforme à la nature, éclairée et guidée par les saintes lois chrétiennes de la justice et de l’équité, peut conduire à la satisfaction des désirs et des besoins légitimes de l’ouvrier.
Donc, ne pas détruire, mais bâtir et consolider ; ne pas abolir la propriété privée, fondement de la stabilité de la famille, mais en promouvoir la diffusion, comme fruit du labeur conscient de tout ouvrier ou ouvrière de telle sorte que disparaîtront progressivement ces masses populaires agitées et audacieuses qui, tantôt par l’effet d’un sombre désespoir, tantôt sous l’impulsion d’instincts aveugles, se laissent emporter à tout vent de doctrines illusoires ou entraîner par les habiles manœuvres de meneurs dégagés de toute morale.
Ne pas dilapider le capital privé, mais en promouvoir la gestion sagement surveillée, comme moyen et comme point d’appui pour procurer et pour étendre le vrai bien matériel de tout le peuple.
N’user à l’égard de l’industrie ni de moyens de compression ni de préférences exclusives, mais en procurer l’harmonieuse coordination avec l’artisanat et avec l’agriculture qui fait fructifier la production variée et nécessaire du sol national.
Ne pas viser uniquement, dans l’usage des progrès de la technique, au maximum possible de gain, mais aux fruits qu’on en peut tirer ; s’en servir pour améliorer les conditions personnelles de l’ouvrier, pour rendre sa tâche moins difficile et moins dure, pour renforcer les liens de sa famille avec le sol où il habite, avec le travail dont il vit.
Ne pas viser à faire dépendre totalement la vie des individus de l’arbitraire de l’Etat, mais plutôt faire en sorte que l’Etat, dont le devoir est de promouvoir le bien commun au moyen d’institutions sociales telles que les sociétés d’assurances et de prévoyance sociales, supplée, aide et complète ce qui sert à appuyer dans leur action les associations ouvrières et spécialement les pères et mères de famille dont le travail assure la vie et celle des leurs.
La foi au Christ et la fidélité à l’Eglise, racines profondes de la vraie fraternité.
Vous direz peut-être que c’est là voir la réalité en beau ; mais comment pourrait-on faire passer cet idéal dans les faits et lui donner la vie au milieu du peuple ? Il y faut avant tout une grande droiture de volonté, une parfaite loyauté d’intention et d’action dans la marche et dans la conduite de la vie publique de la part des citoyens aussi bien que de la part des autorités. Il faut que tous soient animés d’un esprit de véritable concorde et de fraternité : supérieurs et inférieurs, dirigeants et ouvriers, grands et petits ; en un mot, toutes les classes du peuple.
Votre rassemblement autour de Nous, chers fils et chères filles, souligné par le fait que vous êtes venus des divers champs de votre activité dans la maison du Père commun, comme représentants de tous les groupes, est pour Nous la preuve et le témoignage que vous savez, que vous sentez, que vous comprenez où plongent les racines profondes du sens social divinement pur de « frères liés par un contrat », « tous faits à la ressemblance d’un Seul, tous fils d’une seule Rédemption » : c’est-à-dire dans la communauté de la sainte religion, dans la même profession de foi au Rédempteur de tous, Jésus-Christ, dans l’égale fidélité à la sainte Eglise et à son Vicaire. Et Nous, Nous élevons vers Dieu Notre fervente prière pour que tout le vaste, l’immense peuple des travailleurs participe à votre foi ; en sorte que le Seigneur Nous accorde de voir, même à travers les différences d’opinions et de moyens, s’ouvrir dans la justice et dans la charité la voie vers ce progrès bienfaisant et pacifique, tant désiré par Nous, qui rende l’Italie prospère et forte d’une inébranlable et chrétienne unité.
Monstrueuse calomnie.
Mais Nous n’ignorons pas – et vous-mêmes avez pu le savoir par expérience – comment, en ces temps pénibles et difficiles pour la vie familiale et civique, les passions humaines saisissent l’occasion de relever la tête, d’éveiller les soupçons et de dénaturer les paroles et les faits. C’est ainsi qu’une propagande d’esprit antireligieux s’en va semant parmi le peuple, et surtout dans les milieux ouvriers, le bruit que le pape a voulu la guerre, que le pape entretient la guerre et fournit l’argent pour la continuer, que le pape ne fait rien pour la paix. Jamais peut-être ne fut lancée calomnie plus monstrueuse et plus absurde que celle-là ! Qui ne voit, qui ne sait, qui n’est à même de vérifier que personne plus que Nous ne s’est constamment opposé par tous les moyens à Notre portée au déchaînement, puis à la poursuite et à l’extension de la guerre ; que personne plus que Nous n’a continuellement supplié et averti : la paix, la paix, la paix ; que personne plus que Nous n’a cherché à en atténuer les horreurs ? Les sommes d’argent que la charité des fidèles met à Notre disposition ne sont pas destinées et ne sont pas appliquées à alimenter la guerre, mais bien à essuyer les larmes des veuves et des orphelins, à consoler les familles dans leur anxieuse inquiétude pour leurs chers absents ou disparus, à venir en aide à ceux qui sont dans la souffrance, dans la pauvreté, dans le besoin. Nous en avons pour témoins Notre cœur et Nos lèvres qui ne se contredisent pas : car Nos actes à Nous ne démentent pas Nos paroles et Nous avons conscience de la fausseté de tout ce que les ennemis de Dieu débitent perfidement pour troubler les ouvriers et le peuple, et pour tirer des peines de la vie dont ils souffrent argument contre la foi et contre la religion, qui sont pourtant l’unique réconfort et l’unique espoir capables de soutenir l’homme ici-bas dans la douleur et dans la détresse.
Non ! Pour Nos discours, pour Nos messages, il n’est au pouvoir de personne d’en supprimer ou d’en dénaturer l’esprit et la substance. Tout le monde a pu les écouter comme parole de vérité et de paix, comme autant d’élans de Notre cœur pour la tranquillité du monde et pour la gouverne des puissants. Ils sont des témoignages irrécusables des immenses désirs qui jaillissent de Notre cœur sur cette terre, qui fut donnée pour demeure à l’homme durant son passage à une vie meilleure et impérissable, pour que règne la concorde ordonnée de tout le genre humain. L’Eglise ne craint la lumière de la vérité ni pour le passé, ni pour le présent, ni pour l’avenir. Quand les circonstances des temps et les passions humaines permettront ou postuleront la publication de documents encore inédits relatifs à la constante action pacificatrice du Saint-Siège durant cette affreuse guerre [1] que ne déconcertent ni les refus ni les résistances, alors on verra, plus clair que le jour en plein midi, la sottise de telles accusations qui émanent moins de l’ignorance que de cette irréligion et de ce mépris de l’Eglise qui n’a de prise que sur certains cœurs humains plus inclinés, hélas ! et plus disposés à défigurer les intentions loyales et bienveillantes dont est animée l’Epouse du Christ qu’à pourvoir au bien du peuple, à atténuer et adoucir les difficultés de la vie, à soutenir les esprits au sein des pénibles conditions de l’heure présente. Dites aux diffamateurs de l’Eglise que la vérité brillera comme elle brille aujourd’hui dans vos cœurs, dans les cœurs de tous ceux qui rendent un juste hommage à tout ce qu’ils découvrent de bien et qui ne croient ni au mensonge ni à la calomnie. Et devant l’évidente réalité des faits et de Notre œuvre, tous ceux-là demeureront confondus qui s’efforcent par leur parole trompeuse de rejeter sur la papauté la responsabilité de tout le sang des batailles sur terre et des ruines des cités, des luttes de l’air et des profonds abîmes de la mer.
Le réconfort de la prière.
Elevez votre foi, ouvriers et ouvrières chrétiens, par les pensées de votre intelligence et par les sentiments de votre cœur ; fortifiez-vous, renouvelez-vous chaque jour par le réconfort d’une prière qui commence, sanctifie et termine votre journée de travail. Que ces pensées et ces sentiments éclairent et réchauffent votre âme, spécialement durant le repos du dimanche et des fêtes ; qu’ils vous accompagnent et vous guident dans l’assistance à la sainte messe. Sur l’autel, ce calvaire non sanglant, Notre Rédempteur, qui dans sa vie terrestre s’est fait ouvrier comme vous, obéissant à son Père jusqu’à la mort, renouvelle perpétuellement le sacrifice de lui-même au profit du monde, distribue les grâces et le Pain de vie aux âmes qui l’aiment et recourent à lui dans leurs soucis pour être réconfortées. Qu’à l’église, devant l’autel, chaque travailleur chrétien renouvelle sa volonté de respecter dans son labeur la loi divine du travail quel qu’il soit, celui de l’esprit ou celui des bras, de procurer au prix de ses fatigues et de ses renoncements le pain à ses êtres chers, de tendre à la fin morale de la vie d’ici-bas et à la béatitude éternelle, en conformant ses intentions avec celles du Sauveur et en faisant de sa besogne comme un hymne de louange à Dieu.
Observation de la loi de Dieu dans la vie des usines.
Partout et toujours, chers fils et chères filles, protégez, gardez votre dignité personnelle. La matière que vous travaillez a été créée par Dieu au commencement du monde, et depuis, à travers le brassement des siècles, elle a été modifiée par lui dans les entrailles et à la surface de la terre par des cataclysmes, des fermentations, des éruptions et des transformations pour préparer à l’homme et à son travail la meilleure demeure possible. Qu’elle vous rappelle donc sans cesse la main créatrice de Dieu ; qu’elle élève votre esprit vers lui, Législateur souverain, dont les lois doivent aussi s’observer dans la vie des usines. Peut-être aurez-vous à vos côtés pour travailler avec vous des jeunes gens et des jeunes filles. Souvenez-vous que les petits et les innocents ont droit à un grand respect, et qu’à celui qui les scandalise il vaudrait mieux, comme le Christ le déclare, qu’on lui suspendît au cou une meule de moulin pour le précipiter au fond de la mer (cf. Matth., xviii, 6).
Pères et mères, quelles angoisses, quelles craintes accompagnent les pas de vos fils et de vos filles vers les usines ! C’est votre rôle à vous, travailleurs, de tenir leur place en gardant, en surveillant l’innocence et la pureté de ce jeune âge, quand la profession et les nécessités de famille l’obligent à s’éloigner du regard affectueux des parents. C’est des aînés et de leur exemple comme de la volonté énergique et décidée de la direction de l’usine d’exiger une discipline honnête que dépend la conservation d’une jeunesse physiquement et spirituellement saine dans les usines, ou au contraire sa corruption par l’immoralité, par la soif des plaisirs et par la prodigalité, avec le risque de compromettre les générations futures. Qu’aucune parole, aucune plaisanterie, aucun conte ne sorte de vos lèvres qui offense l’oreille des jeunes qui vous écoutent. Puisse la jeunesse ouvrière trouver dans le clergé, dans les congrégations religieuses de femmes, dans les membres de l’Action catholique des personnes qui se dépensent en sa faveur avec toute leur énergie physique et morale en union avec les dirigeants jusque dans la vie quotidienne de l’usine.
Que pourtant ne cessent jamais l’affection mutuelle et le respect, le bon exemple, la bonne parole qui avertit et encourage, l’aide même modeste entre les ouvriers eux-mêmes.
Imploration des grâces divines.
Enfin, laissez Notre parole revenir là d’où elle est partie et vous indiquer de nouveau le divin Modèle de l’ouvrier chrétien, le Christ charpentier (Marc, vi, 3) dans l’atelier de Nazareth ; Fils de Dieu et restaurateur de la grâce perdue par Adam, il répand sur vous cette force, cette patience, ce courage qui vous grandissent à ses yeux, et il est la plus sublime image de l’ouvrier que vous puissiez contempler et adorer. Dans vos usines, dans vos ateliers, au soleil des champs, à l’ombre des mines, dans la chaleur des fournaises, dans le froid des glacières, partout où vous appellent la parole de vos chefs, votre métier, le besoin de vos frères, de la patrie ou de la paix, que descende sur vous l’abondance des faveurs de Celui qui est votre secours, votre salut, votre réconfort, et qu’il transforme en mérite pour un bonheur dans l’autre vie le dur labeur pour lequel ici-bas vous dépensez et sacrifiez votre vie. N’en doutez pas : le Christ est toujours avec vous ! Imaginez-vous le voir sur les lieux de votre travail, allant ça et là au milieu de vous, remarquant votre fatigue, écoutant vos conversations, consolant vos cœurs, apaisant vos différends ; et vous verrez alors l’usine se transformer en un sanctuaire de Nazareth, vous verrez aussi régner entre vous cette confiance, cet ordre, cet accord qui sont un reflet de la bénédiction du ciel, laquelle répand ici-bas et soutient la justice et la bonne volonté des hommes fermes dans la foi, dans l’espérance, dans l’amour de Dieu.
Et tout en invoquant la protection divine sur vous, chers ouvriers et chères ouvrières, sur vos familles, sur tous ceux qui vous dirigent et vous guident dans votre travail, sur vos usines elles-mêmes pour que le Seigneur les garde de tout danger et dommage, Nous vous accordons de tout cœur, en gage des grâces les meilleures, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXV, 1943, p. 171 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 80. Les sous-titres sont ceux du texte original.
- Ces documents ont été publiés en 1962 par Mgr Alberto Giovannetti, de la Secrétairerie d’Etat, dans son nouveau livre : Roma, città aperta, 312 pages. Ed. Ancora, Milan.
« Les documents inédits publiés par Mgr Giovannetti révèlent les efforts obstinés de Pie XII et de ses collaborateurs, La figure de Pie XII domine, hiératique, sereine, inébranlable dans la défense du droit, même lorsque humainement parlant, les efforts déployés paraissaient voués à l’échec ; à côté du pape se dresse le cardinal Maglione, secrétaire d’Etat, esprit lucide et courageux ; de temps en temps paraît Mgr Tardini, perspicace, prompt aux réparties. Leurs interlocuteurs à Rome sont M. Myron C. Taylor, envoyé personnel du président Rooselvelt, et M. Tittman, chargé d’affaires, M. Osborne, ministre de Grande-Bretagne, le baron de Weizsaccker, ambassadeur du Reich, MM. Attolico et Ciano, qui représentèrent successivement l’Italie. A l’arrière-plan surgissent parfois Churchill, Roosevelt, Mussolini et Hitler.
L’auteur retrace les événements par ordre chronologique, en les groupant autour de quelques dates-jalons. Il laisse parler les faits. Peu de commentaires. Parfois quelques épisodes pour animer le récit ». (Georges Huber).[↩]