Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 et 16 mai 1947

Homélie & discours à l'occasion de la canonisation de saint Nicolas de Flüe

Table des matières

Le jour de l’Ascension de Notre-​Seigneur, le Souverain Pontife entou­ra du nimbe des saints l’hé­roïque ermite, père et paci­fi­ca­teur de la Suisse, Nicolas de Flue. Voici le texte de l’ho­mé­lie pro­non­cée par Sa Sainteté immé­dia­te­ment après la pro­cla­ma­tion solennelle :

Homélie du 15 mai

Aujourd’hui, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ triom­phant de la mort mon­ta vic­to­rieu­se­ment au ciel, nous mon­trant par son exemple la voie par laquelle nous pou­vons tous atteindre un jour la bienheu­reuse éter­ni­té. Ce che­min que nous devons par­cou­rir, vous le savez bien, avant d’arriver aux splen­deurs de la vie sur­na­tu­relle, est âpre et dif­fi­cile. Mais si nous consi­dé­rons la réponse qui nous attend quand nous aurons atteint le but éle­vé, si nous levons avec véné­ra­tion le regard vers le divin Rédempteur et vers la foule innom­brable de ses dis­ciples qui nous ont pré­cé­dés dans la patrie céleste, la mon­tée nous sem­ble­ra cer­tai­ne­ment plus facile et même joyeuse ; nous expé­rimenterons alors la véri­té de cette maxime divine : « Mon joug est doux et mon far­deau léger » (Matth., XI, 30).

Sa vie.

A cette troupe glo­rieuse des saints, Nous avons aujourd’hui agré­gé Nicolas de Flue. Tous doivent éprou­ver envers lui un senti­ment de pro­fonde admi­ra­tion, lorsqu’ils consi­dèrent ses nom­breuses ver­tus, et sur­tout lorsqu’ils tournent le regard vers cet idéal très éle­vé d’ascèse qu’il attei­gnit à la der­nière période de son exis­tence mor­telle, en menant la vie d’un ange plu­tôt que celle d’un homme.

Citoyen intègre, il aima d’un grand amour sa patrie ; magis­trat dili­gent et pru­dent, il se fit remar­quer par son habi­le­té dans l’expé­dition des affaires publiques ; sol­dat, il ne son­gea qu’à la liber­té et à l’unité de son pays, tou­jours ani­mé non par la haine et la ran­cœur, mais par une conscience sereine de ses propres devoirs.

Il sanc­ti­fia sa vie dans un chaste mariage ; la divine Providence lui ayant don­né de nom­breux enfants, il s’appliqua, par son exem­ple plus encore que par son auto­ri­té, à les for­mer à la pié­té, à l’amour du tra­vail et à l’accomplissement fidèle de leurs devoirs reli­gieux, fami­liaux et civiques.

Se sen­tant appe­lé à un genre de vie supé­rieure par une mysté­rieuse ins­pi­ra­tion sur­na­tu­relle, il aban­don­na, d’un com­mun accord, avec promp­ti­tude et géné­ro­si­té, son épouse bien-​aimée, ses très chers enfants et tous ses biens ; vêtu d’une bure gros­sière, il sai­sit l’humble bour­don du pèle­rin, dit adieu à tous et à tout pour répondre joyeuse­ment à l’appel divin, et s’abandonna com­plè­te­ment à la volon­té de Dieu.

S’étant reti­ré dans la soli­tude, il déta­cha géné­reu­se­ment son esprit et son cœur des choses de la terre pour s’attacher uni­que­ment à Dieu. Dans cet état, il sem­blait à ceux qui l’approchaient un ange plus qu’un homme. Il oublia et négli­gea non seule­ment les commo­dités de la vie, mais même les néces­si­tés les plus élé­men­taires aux­quelles les hommes, durant leur pèle­ri­nage ter­restre, doivent bon gré mal gré se sou­mettre. Par des mor­ti­fi­ca­tions et des sup­plices volon­taires, il domp­ta son corps et le rédui­sit en ser­vi­tude ; par un jeûne de plu­sieurs années, il l’exténua au point qu’il res­sem­blait moins à un poids qu’à un voile trans­pa­rent de l’âme et à une enve­loppe légère sou­te­nue uni­que­ment par les ailes de l’amour. Ainsi put-​il s’élever plus faci­le­ment et plus libre­ment vers les sphères du surnaturel.

Pendant près de vingt ans, le saint ana­cho­rète vécut de prières, de contem­pla­tion céleste et d’ardent amour. Il pou­vait à bon droit prendre à son compte la maxime sublime de l’apôtre des Gentils : Ce n’est plus moi qui vis ; c’est le Christ qui vit en moi (Gal., II, 20).

Son action.

Attirés par la renom­mée de sa sain­te­té, beau­coup d’hommes venaient le voir, du voi­si­nage et même des pays les plus loin­tains, indi­vi­duel­le­ment ou en groupes nom­breux. Bien qu’il souf­frît de se voir pri­vé de sa soli­tude et for­cé d’interrompre sa conver­sa­tion avec Dieu, il les rece­vait avec affa­bi­li­té et il cher­chait, par ses sages conseils, par ses exhor­ta­tions et par ses exemples, à nour­rir et à éle­ver leurs esprits. Ainsi, son ermi­tage sau­vage parut dans la Suisse comme un sanc­tuaire ; il en par­tait des rayons de lumière qui éclai­raient les intel­li­gences obs­cur­cies et des invi­ta­tions solen­nelles à la paix, à la concorde, à la ver­tu chrétienne.

Un jour, les des­ti­nées mêmes de sa patrie se trou­vèrent dans un péril pres­sant ; divi­sés en deux fac­tions, les peuples confé­dé­rés de la Suisse allaient en venir aux mains. Il fut le seul qui sut paci­fier les esprits de ses conci­toyens. Leur ayant indi­qué les mesures oppor­tunes pour évi­ter un tel conflit, il sut main­te­nir d’une façon merveil­leuse l’unité de la patrie. Aussi saint Nicolas de Flue brille-​t-​il avec éclat par­mi les héros de la reli­gion catho­lique qui, non seule­ment s’occupent par­fai­te­ment de leur salut éter­nel et donnent de salu­taires conseils aux citoyens qui les consultent, mais sont encore une très grande force et une défense suprême pour leur pays, pour peu que dans le péril et l’adversité il réponde de bon gré et acti­ve­ment à leurs appels et suive leurs enseignements.

Aujourd’hui, après avoir, sous l’inspiration de Dieu, cou­ron­né Nicolas de Flue de l’auréole de la sain­te­té, Nous aimons à pen­ser que tous se tour­ne­ront avec admi­ra­tion vers lui. Tous, disons-​Nous, mais en par­ti­cu­lier les citoyens de Notre chère Suisse, qui le vénè­rent comme leur patron et leur pro­tec­teur. Nous sou­hai­tons pater­nellement et deman­dons dans Nos sup­pli­ca­tions à Dieu que cette admi­ra­tion pro­duise des fruits salu­taires. Car il importe grande­ment aux chré­tiens non seule­ment de célé­brer les louanges des saints, mais encore et sur­tout d’imiter dans la vie quo­ti­dienne, avec la plus grande atten­tion, leurs ver­tus, cha­cun selon sa condition.

Cet ana­cho­rète très saint sut paci­fier, conso­ler et conso­li­der sa patrie agi­tée par des fac­tions tur­bu­lentes et mena­cée de la ruine ; puisse-​t-​il de même, par son admi­rable exemple et par son interces­sion fer­vente, rame­ner la com­mu­nau­té des peuples et des nations à la concorde fra­ter­nelle et à la paix solide qui ne peut avoir d’au­tres fon­de­ments inébran­lables que les prin­cipes éter­nels du christianisme.

Fasse le Seigneur que tous les citoyens, sans dis­tinc­tion de classe, se tournent avec véné­ra­tion vers saint Nicolas de Flue et apprennent de lui à se ser­vir des biens pas­sa­gers de cette terre qui, trop sou­vent, entravent et retardent l’élan de l’âme, comme d’une voie qui les conduise dans des sen­ti­ments géné­reux à la conquête des biens célestes qui dure­ront toujours.

Répondant au désir des six mille pèle­rins venus de Suisse pour la cano­nisation de saint Nicolas de Flue, aux­quels se sont joints beau­coup d’au­tres fidèles, le Saint-​Père, par­lant suc­ces­si­ve­ment en alle­mand, fran­çais et ita­lien, pro­non­ça le dis­cours suivant.

Discours du 16 mai aux pèlerins Suisses

Discours en Allemand

D’après le texte alle­mand des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 364 ; tra­duc­tion fran­çaise de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 783.

Hier, avec une pro­fonde émo­tion, Nous avons ran­gé dans la pha­lange des saints Nicolas de Flue, et c’est pro­fon­dé­ment émus que vous, fils et filles bien-​aimés, com­pa­triotes du nou­veau saint, vous avez assis­té à l’imposante céré­mo­nie au cours de laquelle a été décer­né l’honneur, le plus grand que puisse rece­voir quelqu’un sur terre et dans l’Eglise du Christ, à la figure excep­tion­nelle du XVe siècle qui, à vos yeux, per­son­ni­fie on ne peut mieux la nature saine et la pié­té chré­tienne de votre race. Ce fut pour Nous-​même une vive satis­fac­tion de réser­ver à votre peuple auquel tant d’agréables rela­tions nous unissent, la joie de la cano­ni­sa­tion de ce véri­table Suisse.

Si l’honneur d’être un vrai fils du peuple suisse, au sens plein de ce mot, convient sans aucun doute à beau­coup de vos hom­mes d’Etat qui ont bien méri­té de la patrie, il est cepen­dant cer­tain qu’il ne peut être attri­bué à aucun d’eux avec plus de titres qu’à Nicolas de Flue.

Sa vie dans le monde.

Il naquit au cœur même de la Confédération, dans un de ces can­tons pri­mi­tifs, « pays de foi et de pié­té », comme on appelle hono­ri­fi­que­ment, encore de nos jours, son pays natal d’Obwald. La répu­ta­tion qu’avaient ses ancêtres d’être droits et ani­més de la crainte de Dieu, d’une nature réser­vée, tem­pé­rants, tout à leur pro­fes­sion, vivant du tra­vail des champs, sociables et tou­jours prêts à faire du bien à leurs conci­toyens, zélés dans la prière et dans l’observation de la dis­ci­pline religieuse((Robert Durrer, Bruder Klaus, Die ältes­ten Quellen über den seli­gen Nikolaus von Flüe, sein Leben und sei­nen Einfluss. (2 Bande, Sarnen, 1917–1921), B. II, p. 671. M. Robert Durrer a réuni dans ces deux gros volumes les textes rela­tifs à Nicolas de Flue jusqu’au début du XVIIe siècle.)), cette répu­ta­tion, Nicolas l’a réa­li­sée inté­gra­le­ment. Un homme hon­nête, ver­tueux, pieux et ami de la véri­té, ain­si l’appelle un témoin qui vécut constam­ment dans son voi­si­nage, depuis sa tendre enfance jusqu’à sa sépa­ration d’avec le monde((Durrer, B. I, p. 462.)).

A l’âge de 14 ans, Nicolas prend part aux assem­blées publiques.1Soldat au ser­vice de sa patrie, il est nom­mé suc­ces­si­ve­ment porte- dra­peau, chef de troupe et capitaine.((Durrer, B. I, p. 428.)) A 25 ans, il se marie avec Dorothée Wyss et voit s’épanouir une magni­fique famille de dix enfants. Aujourd’hui, en cette heure solen­nelle, le nom de son épouse mérite bien d’être à l’honneur. Grâce à son renon­ce­ment volon­taire à son époux, renon­ce­ment qui ne lui fut pas facile, et grâce aus­si à la déli­ca­tesse de ses sen­ti­ments et à son atti­tude vrai­ment chré­tienne durant les années qui sui­virent la sépa­ra­tion, elle contri­bua à vous don­ner le sau­veur de la patrie et le saint.

Avec cir­cons­pec­tion et acti­vi­té, il admi­nistre l’héritage de ses parents. Il se montre citoyen très esti­mé, conseiller, juge et dépu­té à la Diète hel­vé­tique ; et s’il ne fut pas lan­dam­man, il faut l’attri­buer à sa propre opposition.((Durrer, B. I, pp. 463 et XII.))

Sa retraite et son influence.

Il n’avait que 50 ans lorsqu’il quit­ta le monde, sa propre famille et les affaires publiques, pour vivre encore vingt années en com­munication avec Dieu dans le renon­ce­ment le plus abso­lu, la péni­tence la plus austère.

Mais c’est pré­ci­sé­ment dans cette retraite que Nicolas devient pour son peuple la plus grande béné­dic­tion. De plus en plus, de près comme de loin on accourt vers lui pour se recom­man­der à ses prières, se revi­go­rer à son exemple, pui­ser auprès de lui conso­la­tion et conseil. Evêques et abbés, archi­ducs et comtes, char­gés d’affaires en Saxe de la Confédération, comme aus­si ambas­sa­deurs des villes et de puis­sances étran­gères trouvent près de lui une réponse, un avis ou une média­tion au sujet de ques­tions inté­res­sant le bien public et la paix inté­rieure et extérieure.((Durrer, B. I, pp. XXV-​XXVI et 584–585.)) Aux jours déci­sifs de décembre 1481, alors que des conflits d’intérêts poli­tiques ont creu­sé entre les can­tons cam­pa­gnards et les can­tons de villes une divi­sion si pro­fonde qu’elle menace de se ter­mi­ner par une hos­ti­li­té ouverte et par une guerre fra­tri­cide qui aurait signi­fié la ruine de la Confédération, Nicolas de Flue, fixant son regard par-​delà les limites étroites des can­tons pour ne voir que le bien géné­ral, devient le sau­veur de sa patrie par ses conseils et par la puis­sance déjà sur­hu­maine de sa per­son­na­li­té. Son nom res­te­ra lié pour tou­jours à l’Accord de Stans, évé­ne­ment qui comp­te­ra par­mi les plus impor­tants de l’his­toire de votre patrie.((En décembre 1481, Fr. Nicolas ne paraît pas à la Diète de Stans, mais son mes­sage change le cœur de ses com­pa­triotes qui se récon­ci­lient et se séparent dans la paix.)) Ce n’est pas à tort que Fr. Nicolas a été sur­nom­mé « le pre­mier patriote confé­dé­ré ». Il est entiè­re­ment l’un d’entre vous, il est votre saint.((Durrer, B. I, pp. XXIX, 115–170.))

L’exemple qu’il donne de maîtrise de soi…

L’exemple de ver­tu et de per­fec­tion chré­tienne qui brille en saint Nicolas est d’une sim­pli­ci­té aus­si natu­relle, d’une beau­té aus­si ravis­sante, d’un fonds aus­si abon­dant et d’une varié­té aus­si diverse que la richesse des cou­leurs d’une prai­rie alpestre dans toute la magni­ficence de ses fleurs. Mais Nous ne vou­lons pas nous attar­der en ce moment à la mul­ti­pli­ci­té de ses exemples. Ce que Nous vou­drions mon­trer, ce sont cer­tains points brû­lants, cer­tains foyers, dans le champ des rayons de sa sain­te­té, ces foyers qui indiquent en même temps les sources de force dans les­quelles votre peuple a pui­sé son éner­gie dans le pas­sé et dont à l’avenir, il ne peut se pas­ser. De ces points brû­lants, de ces foyers, Nous croyons devoir en nom­mer trois : sa maî­trise de soi, sa crainte de Dieu, sa prière.

La manière de vivre du saint est toute de maî­trise de soi, basée sur le renon­ce­ment et la mor­ti­fi­ca­tion, non seule­ment quand nous la com­pa­rons avec nos condi­tions d’existence actuelle, mais même pour celles bien plus simples de son temps et de sa patrie, sans oublier que, déjà en ce temps, on savait jouir de la vie. En quelque endroit que vous obser­viez Nicolas de Flue, tou­jours chez lui l’esprit domine le corps. Cette maî­trise don­nait même à son exté­rieur cette digni­té qui sus­cite le res­pect et cette beau­té aus­tère qui nous parle au cœur à la vue de son image. Nicolas a com­men­cé de bonne heure, alors qu’il était encore enfant, à s’imposer des sacri­fices, et il a pro­gres­sé constam­ment dans cette voie.((Durrer, B. I, p. 462.)) Par sa vie entiè­re­ment aus­tère dans son ermi­tage, il appar­tient à la pha­lange des grands ascètes de l’Eglise catho­lique, et si pen­dant vingt ans il se nour­rit exclu­si­ve­ment du Pain des anges, ce miracle fut l’achèvement et la réponse d’une longue vie de maî­trise de soi et de mor­ti­fi­ca­tion pour l’amour du Christ.

Comprenez-​vous l’avertissement que le saint adresse à notre temps par son exemple ? Une vie vrai­ment chré­tienne est impos­sible sans domi­na­tion de soi et sans renon­ce­ment ; mais aus­si la san­té et la force du peuple ne peuvent s’en pas­ser à la longue. Dans l’aus­térité de l’ordre de vie chré­tien se trouvent en même temps des valeurs sociales irrem­pla­çables. Elle est l’antidote le plus effi­cace contre la cor­rup­tion des mœurs sous toutes ses formes.

Si, grâce aus­si sans doute à l’intercession de saint Nicolas, la misé­ri­cor­dieuse Providence de Dieu a pré­ser­vé votre patrie de la misère qui, à la suite des deux guerres mon­diales, pèse sous des formes effroyables sur d’autres pays, vous mon­trez votre recon­naissance par de grandes œuvres de cha­ri­té, Nous sommes heu­reux de pro­fi­ter de cette occa­sion pour le reconnaître.

Continuez à prou­ver votre gra­ti­tude en menant pour l’amour du Christ, en esprit et en fait, une vie simple et sou­mise au contrôle de la volon­té, même au milieu du bien-​être et de la richesse.

Le péni­tent du Ranft fut unique en son genre. François d’Assise le fut aus­si ; mais son exemple héroïque inci­ta des classes entières de la chré­tien­té à faire moins de cas dans leur vie du bien-​être et de la puis­sance que du renon­ce­ment à soi et de l’espoir des biens éter­nels. Suivez donc l’exemple de Nicolas de Flue ! Alors seule­ment vous pour­rez dire en toute véri­té qu’il est votre saint.

…de crainte de Dieu et d’une vie de prière.

Où que nous ren­con­trions Nicolas de Flue, par­tout il est l’homme rem­pli de la crainte de Dieu. Même lorsqu’il était sol­dat, ain­si que nous l’attestent ses com­pa­gnons d’armes en termes suggestifs.((Durrer, B. I, p. 464.)) A sa vie dans le mariage on peut appli­quer les mots par les­quels débute l’encyclique sur le mariage de Notre émi­nent pré­dé­ces­seur Pie XI : De la gran­deur et digni­té d’un chaste mariage. Quant à sa vie publi­que, Nicolas pou­vait affir­mer lui-​même : « J’exerçais une puis­sante influence au tri­bu­nal, au Conseil et dans les affaires du gouverne­ment de ma patrie. Cependant, je ne me sou­viens pas de m’être com­por­té à l’égard de quelqu’un en m’écartant du sen­tier de la jus­tice ».((Durrer, B. I, p. 39.)) « Quiconque craint Dieu devien­dra grand », dit l’Ecriture (Judith, XVI, 19). Ces paroles se véri­fient dans votre saint.

La pros­pé­ri­té et la déca­dence des peuples dépendent de la façon dont leur vie fami­liale et leur mora­li­té publique se main­tiennent sur la ligne nor­male des com­man­de­ments de Dieu ou bien n’en font pas de cas.

Cette consta­ta­tion ne résonne-​t-​elle pas aus­si comme un cri d’alarme à l’époque actuelle ? Le nombre des bons chré­tiens est impor­tant aujourd’hui, celui des héros et des saints dans l’Eglise est peut-​être plus grand que jadis. Mais les condi­tions de la vie publi­que sont pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sées. Et c’est le devoir des enfants de l’Eglise, de tous les bons chré­tiens, de lut­ter contre ce cou­rant de déca­dence, et par leurs paroles comme par leurs actes, dans l’exer­cice de leur pro­fes­sion comme dans celui de leurs droits de citoyens, dans le com­merce et le cours de l’existence jour­na­lière, de réta­blir les com­man­de­ments de Dieu et la loi du Christ dans tous les domai­nes de la vie humaine. Chrétiens, catho­liques suisses, tel est aus­si votre devoir à l’égard de votre patrie. Accomplissez-​le avec l’esprit et la force de Frère Nicolas ! Alors seule­ment vous pour­rez dire en véri­té qu’il est votre saint.

Nicolas de Flue fut enfin un homme de prière : sa vie, une vie de foi. Les expres­sions dont il se ser­vit dans sa confes­sion pour dési­gner le prêtre, cet « ange de Dieu », et le « Très Saint Sacrement du corps et du sang de Jésus-​Christ », suf­fi­raient à mon­trer com­bien il était rem­pli de la foi catho­lique. Significatif est le fait que, n’étant encore qu’un jeune gar­çon, il se plai­sait à s’absorber des heures entières dans la prière. Sa vie au Ranft fut une vie de renon­ce­ment, afin d’arriver à l’union avec Dieu, au repos en Dieu, but de son exis­tence. Également l’acte qu’il accom­plit pour le salut de la Confé­dération, à Noël 1481, fut la vic­toire du géant de la prière sur le mau­vais esprit de l’égoïsme et de la discorde.

Ne voyez-​vous pas le doigt de Dieu dans le fait qu’il donne à votre patrie un saint popu­laire, un homme de prière aus­si émi­nent que le fut Frère Nicolas ? La courbe de la désa­gré­ga­tion de la vie publique est paral­lèle à la courbe de sa laï­ci­sa­tion, de son aban­don de la foi en Dieu et du ser­vice de Dieu. Mais, pays par pays, peuple par peuple, seuls des hommes et des com­mu­nau­tés qui croient et qui prient peuvent arrê­ter ce cou­rant païen de laï­ci­sa­tion. C’est pour­quoi Nous vous redi­sons : « Priez, Suisses libres, priez ! » comme Nicolas de Flue a prié. Alors vous pour­rez dire jus­te­ment et avec véri­té qu’il est votre saint.

Dans Guillaume Tell((IIIe acte, scène 1.)) Schiller fait dire au vieil Attinghausen les mots sui­vants, qui vous ont enthou­sias­més dans votre jeune âge :

Attache-​toi à ta patrie, à ta chère patrie, Etreins-​la de toute ton âme !

C’est ici que poussent les vigou­reuses racines de ta force.

Et si vous deman­dez main­te­nant où se trouvent dans votre patrie les vigou­reuses racines de votre force, voi­ci la réponse : elles se trouvent, non pas seule­ment mais avant tout, dans le fon­de­ment chré­tien qui sup­porte son exis­tence com­mune, sa Constitution, son ordre social, son droit et toute sa culture, et ce sou­bas­se­ment chré­tien ne peut être rem­pla­cé par rien, ni par la force ni par la plus haute science poli­tique. Les tem­pêtes qui depuis des années font rage à tra­vers les conti­nents, comme pour le juge­ment der­nier, ont pro­cla­mé cela avec une voix de ton­nerre. Sur la terre suisse, cette base chré­tienne a pris dans la vie et dans l’œuvre de Nicolas de Flue corps et vie mieux qu’en nul autre de votre peuple. Marchez sur ses traces et le sort de votre peuple ne s’en trou­ve­ra que mieux assuré.

Vous êtes fiers de votre liber­té ! Mais n’oubliez pas que la liber­té ter­restre ne devient un bien que si elle s’épanouit en une liber­té plus haute, si vous êtes libres en Dieu, libres vis-​à-​vis de vous-​mêmes, si vous conser­vez votre âme libre et ouverte pour rece­voir les flots de l’amour et de la grâce de Jésus-​Christ, de la vie éter­nelle qu’il est Lui-​même. Nicolas de Flue per­son­ni­fie avec une per­fec­tion mer­veilleuse l’harmonie de la liber­té ter­restre et céleste. Suivez-​le ! Qu’il soit votre modèle, votre inter­ces­seur, qu’il soit cent fois, mille fois votre béné­dic­tion et celle de votre peuple.

Discours en Français

D’après le texte fran­çais des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 369.

Nicolas de Flue, disions-​Nous, per­son­ni­fie en lui de façon admi­rable l’accord de la liber­té natu­relle et ter­restre avec la liber­té céleste et sur­na­tu­relle. En cela, pré­ci­sé­ment, consiste la par­faite uni­té de sa vie appa­rem­ment si mul­tiple et si diverse. Et voi­là com­ment, Suisse authen­tique du XVe siècle et par son édu­ca­tion, par sa vie, par son carac­tère, homme du moyen âge, il est pour­tant digne d’être pro­po­sé en exemple et en modèle à tous les chré­tiens et en par­ti­cu­lier aux hommes de notre temps.

On entend sou­vent iden­ti­fier moyen âge et civi­li­sa­tion catho­lique. L’assimilation n’est pas tout à fait exacte. La vie d’un peuple, d’une nation, se meut dans un domaine fort varié qui déborde celui de l’activité pro­pre­ment reli­gieuse. Dès lors que, dans toute l’étendue de ce vaste domaine, une socié­té res­pec­tueuse des droits de Dieu s’interdit de fran­chir les limites mar­quées par la doc­trine et la morale de l’Eglise, elle peut légi­ti­me­ment se dire chré­tienne et catho­lique. Aucune culture ne sau­rait se don­ner en bloc comme spécifi­quement telle ; pas même la culture médié­vale ; sans comp­ter que celle-​ci sui­vait une évo­lu­tion conti­nue et que, pré­ci­sé­ment à cette époque, elle s’enrichissait par l’afflux d’un nou­veau et puis­sant cou­rant de culture antique.

Cette réserve faite, il est juste de recon­naître au moyen âge et à sa men­ta­li­té une note vrai­ment catho­lique : la cer­ti­tude indiscu­table que la reli­gion et la vie forment, dans l’unité, un tout indis­soluble. Sans déser­ter le monde, sans perdre le vrai sens de la vie, il ordonne toute l’existence humaine vers un objec­tif unique : l’adhaerere Deo, le prope Deum esse (Ps. LXXII, 28), vers la prise de contact avec Dieu, vers l’amitié de Dieu, convain­cu qu’il ne sau­rait y avoir hors de là nulle paix solide, ni pour le cœur de l’homme, ni pour la socié­té, ni pour la com­mu­nau­té des peuples.

Actualité de saint Nicolas.

Qu’il soit dif­fi­cile de par­ve­nir à une fin si haute, c’est évident, et le moyen âge ne se fai­sait, à cet égard, aucune illu­sion. Nicolas de Flue, lui, a su pour­tant l’atteindre, réa­li­sant en sa per­sonne cette syn­thèse de la reli­gion et de la vie. Cela lui est com­mun, sans doute, avec tous les autres saints. Mais ce qui frappe par­ti­cu­liè­re­ment en lui, c’est sa pro­vi­den­tielle actua­li­té. Il est de ceux qui, intime­ment mêlés aux réa­li­tés concrètes de leur temps, étaient cepen­dant tel­le­ment unis à Dieu que l’Eglise les a éle­vés à la gloire des autels. Fut-​il jamais citoyen plus atta­ché à son pays natal, époux plus affec­tueux, père de famille nom­breuse plus dili­gent dans l’éducation des enfants, homme public plus sou­cieux des inté­rêts de sa patrie ? Et c’est dans la pra­tique de toutes ces ver­tus domes­tiques, civiques, sociales, autant que par les aus­té­ri­tés de sa vie éré­mi­tique, que Nicolas, gra­vis­sant à pas de géant les rampes escar­pées qui con­duisent au som­met de l’amour et de la per­fec­tion, s’est mon­tré, par le rayon­ne­ment de la res­sem­blance divine, l’ami de Dieu que, si ardem­ment, il vou­lait être.

Saisissez-​vous, chers fils et chères filles, la ter­rible gra­vi­té de l’heure pré­sente et la poi­gnante anti­thèse dont elle nous donne le spec­tacle ? D’un côté, nous qui célé­brons la gloire des saints du moyen âge, des saints qui ont réa­li­sé en eux-​mêmes, dans l’unité de la reli­gion et de la vie, la « dévo­tion à Dieu » ; de l’autre, au pôle oppo­sé, une trop grande par­tie de l’univers réa­li­sant la « dévo­tion au monde », l’idolâtrie du monde jusqu’à la néga­tion de Dieu, jusqu’à la pro­fes­sion de l’athéisme le plus absolu.

Quelle sera pra­ti­que­ment la solu­tion en ce qui vous concerne, vous qui vivez au milieu de ce bou­le­ver­se­ment des plus hautes valeurs spi­ri­tuelles et morales ? Un retour au moyen âge ? Personne n’y songe ! Mais un retour, oui, à cette syn­thèse de la reli­gion et de la vie. Elle n’est point un mono­pole du moyen âge : dépas­sant infi­ni­ment toutes les contin­gences des temps, elle est tou­jours actuelle, parce qu’elle est la clé de voûte indis­pen­sable de toute civi­li­sa­tion, l’âme dont toute culture doit vivre, sous peine de se détruire de ses propres mains, de rou­ler dans l’abîme de l’humaine malice qui s’ouvre sous ses pas dès qu’elle com­mence, par l’apostasie, à se détour­ner de Dieu.

La conclu­sion pour vous s’impose : que cha­cun et cha­cune, en ce moment, s’engagent à faire de sa vie per­son­nelle un hom­mage per­ma­nent d’adoration et de dévoue­ment au ser­vice de Dieu, à user de tous les moyens à sa por­tée pour remettre ceux qui l’entourent sur le che­min qui conduit à Dieu et à la res­tau­ra­tion en eux de cette uni­té. Que saint Nicolas soit le témoin de vos enga­ge­ments et votre pro­tec­teur pour y demeu­rer fidèles !

Discours en Italien

D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 371 ; tra­duc­tion fran­çaise de la Documentation Catholique, XLIV, col. 788.

Nicolas de Flue est votre saint, chers fils et filles, non seule­ment parce qu’il a sau­vé la Confédération en un moment de pro­fonde crise, mais encore parce qu’il a tra­cé pour votre pays les grandes lignes d’une poli­tique chrétienne((Durrer, B. I, p. 209 ; B. II, pp. 846, 982 s.)). Vous les connais­sez ; elles peuvent se résu­mer dans les points suivants :

Protégez la patrie contre toute agres­sion injuste. Seulement dans ce cas, pour une guerre défen­sive, empoi­gnez vigou­reu­se­ment les armes.

Ne faites aucune poli­tique d’expansion : « Liebe Freunde, con­seillait-​il à ses com­pa­triotes, macht den Zaun nicht zu weit, damit ihr des­to bes­ser in Freiheit, Ruhe und Einigkeit ver­blei­ben könnt. Chers amis, n’élargissez pas trop la fron­tière de la Confédération, afin que vous puis­siez d’autant mieux res­ter dans la liber­té, la tran­quilli­té et l’union. Pourquoi vous laisseriez-​vous gagner par l’envie de guerroyer ? »

Ne met­tez pas en péril la patrie, en la pré­ci­pi­tant inconsidéré­ment dans la mer ora­geuse de la poli­tique exté­rieure et en l’impli­quant dans les luttes des grandes puissances.

Maintenez haut la mora­li­té du peuple et le res­pect envers l’autorité éta­blie par Dieu.

Conservez l’unité et la fra­ter­ni­té : évi­tez l’envie, la haine, la ran­cœur et l’esprit de par­ti. On dirait aujourd’hui : que les riva­lités nées de la concur­rence n’empoisonnent pas la vie éco­no­mique, et que la lutte de classes et la pré­do­mi­nance oppres­sive d’un par­ti ne troublent pas la vie sociale. Que règnent, au contraire, la jus­tice et l’amour, les­quels assurent à tous ceux qui uti­lisent toutes leurs forces avec bonne volon­té une vie tran­quille et digne.

Vous savez, chers fils et filles de la Suisse — et peut-​être aucun siècle de votre his­toire natio­nale n’en a fait une expé­rience aus­si vivante que le siècle pré­sent, — quelle plé­ni­tude de biens ces exhor­tations ont signi­fiée et signi­fient pour votre peuple.

La paix vient de Dieu.

Cependant, si en ces jours de glo­ri­fi­ca­tion de votre saint, vous rap­pe­lez à votre esprit les deux hor­ribles guerres mon­diales dont l’incendie a entou­ré, mais non fran­chi, les fron­tières de la libre Suisse, si, disons-​Nous, vous levez un regard plein de reconnais­sance vers Nicolas de Flue, n’oubliez pas, bien plus, gra­vez profon­dément en vous la pen­sée que ces prin­cipes fon­da­men­taux de votre Confédération n’ont de vie et de force que s’ils sont éle­vés à une plus grande hau­teur par la sage maxime de l’ermite du Ranft : la paix est tou­jours en Dieu ; Dieu c’est la paix. Par-​dessus tout, ayez Dieu devant vos yeux et obser­vez cou­ra­geu­se­ment ses com­mandements. Demeurez fermes dans la foi et dans la reli­gion de vos pères !

La paix est seule­ment en Dieu. Ces paroles du saint à ses com­patriotes ont une valeur uni­ver­selle, comme aus­si — sauf quelques excep­tions — ses autres aver­tis­se­ments pour le bien de la patrie. Si le monde d’aujourd’hui sans paix revient à Dieu, il trou­ve­ra la paix ; seuls, les hommes qui courbent le front devant Dieu sont à même de don­ner au monde une paix vraie, juste et durable.

Puisse le saint, amant de la paix, Liebhaber des Friedens, ain­si que l’appelèrent, de son vivant même, le bailli et le conseil de la cité de Soleure2, inter­cé­der auprès du trône de Dieu, afin que vous puis­siez conser­ver le pré­cieux bien de la paix et que ce bien soit accor­dé au monde entier.

Avec ce vœu et comme gage de la grâce sur­abon­dante et de l’amour de Jésus-​Christ qui com­ble­ront vos âmes et vous ren­dront de dignes et aptes témoins et pro­mo­teurs de son règne dans votre patrie, tout en vous expri­mant Notre vive gra­ti­tude pour vos géné­reuses offrandes par les­quelles le véné­rable épis­co­pat, le zélé cler­gé, les ordres et congré­ga­tions reli­gieuses et le cher peuple suisse ont vou­lu Nous secon­der dans Notre œuvre d’assistance et de cha­ri­té, Nous vous don­nons à vous tous, avec effu­sion de cœur, Notre pater­nelle Bénédiction apos­to­lique3.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1947, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 210 ; tra­duc­tion de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 777.

  1. Durrer, B. I, p. XII. []
  2. Durrer, B. I, p. 116. []
  3. Etaient pré­sents LL. EE. Nosseigneurs Christian Caminada, évêque de Coire ; François von Streng, évêque de Bâle ; François Charrière, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg ; Victor Bieler, évêque de Sion ; Angelo Giuseppe Jelmini, admi­nis­tra­teur apos­to­lique de Lugano ; Louis Haller, abbé de St-​Maurice d’Agaune. L’évêque de St-​Gall, malade, était repré­sen­té par Mgr Albert Oesch. On a noté aus­si la pré­sence de M. Enrico Celio, vice-​président de la Confédération hel­vé­tique, et de Mme Etter, l’épouse du pré­sident, ain­si que des délé­gués offi­ciels des gou­ver­ne­ments des can­tons catho­liques d’Obwald, Nidwald, Uri, Schwyz, Lucerne, Zug, Fribourg, Valais, Appenzell Rhodes inté­rieures et Tessin. []
4 novembre 1942
La vraie fidélité a pour objet et pour fondement le don mutuel non seulement du corps des deux époux, mais de leur esprit et de leur cœur
  • Pie XII