A Nos Vénérables Frères, Archevêques et Evêques des États-Unis de l’Amérique du Nord,
LÉON XIII, PAPE.
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique
Nous traversons par le cœur et par la pensée les lointains espaces de l’Océan ; et, bien que Nous Nous soyons déjà entretenu avec vous dans Nos écrits, toutes les fois spécialement que, en vertu de Notre autorité, Nous avons adressé aux évêques de l’univers catholique des lettres communes, aujourd’hui pourtant, Nous avons voulu vous parler à part, dans le but de pouvoir, si Dieu le veut, être de quelque utilité à la cause catholique parmi vous.
C’est avec le plus grand zèle et le plus grand soin que Nous entreprenons cette œuvre. En effet, Nous apprécions grandement et Nous affectionnons vivement, dans sa robuste jeunesse, le peuple américain, chez qui notre esprit aperçoit clairement le progrès caché, non seulement des affaires publiques, mais encore de la religion chrétienne.
Au moment où votre nation tout entière célébrait, naguère, le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique, dans un reconnaissant souvenir et par toutes sortes de démonstrations, et c’était justice, Nous avons, Nous aussi, fêté avec vous la mémoire de cet heureux événement, Nous associant à votre joie et partageant les mêmes sentiments. En cette occasion, former de loin des vœux pour votre conservation et votre grandeur ne Nous parut pas suffisant. Nous souhaitions de Nous mêler par quelque moyen à vos transports ; et c’est pourquoi très volontiers Nous avons envoyé quelqu’un pour Nous représenter.
La part que Nous avons prise à vos fêtes avait sa raison d’être : le peuple américain était à peine né à la lumière, il vagissait encore pour ainsi dire dans son berceau, quand l’Eglise le prit et le serra maternellement sur son sein.
Nous l’avons montré ailleurs expressément : le premier fruit que Christophe Colomb voulait retirer de ses navigations et de ses labeurs était d’ouvrir au nom chrétien une route à travers de nouvelles terres et de nouvelles mers. Il s’attacha inébranlablement à cette pensée, et, à quelque rivage qu’il abordât, son premier soin était d’y planter l’image sacrée de la Croix. Comme l’arche de Noé, voguant sur les flots débordés, emportait avec ce qui restait du genre humain, la race d’Israël, ainsi les vaisseaux de Colomb, confiés à l’Océan, transportèrent aux rives d’outre-mer les germes des grands Etats et les prémices du nom chrétien.
Ce n’est pas ici le lieu de détailler un à un les événements qui suivirent. Il est certain que l’Evangile brilla de très bonne heure aux yeux des nations, alors encore sauvages, découvertes par l’illustre Génois. On sait assez combien nombreux les fils de saint François, de saint Dominique et de saint Ignace, durant deux siècles continus, firent voile vers ces terres, sans doute pour y porter leurs soins aux colonies venues d’Europe, mais d’abord et surtout pour amener les indigènes de leurs superstitions à la religion chrétienne, travaux qu’ils consacrèrent plus d’une fois par le témoignage de leur sang. Les nouveaux noms eux-mêmes qui furent donnés à la plupart de vos villes, à vos fleuves, à vos montagnes et à vos lacs, montrent et attestent clairement que l’Eglise catholique a profondément gravé son empreinte sur les origines de votre nation. – Peut-être faut-il voir aussi un dessein particulier de la divine Providence dans ce que Nous rappelons ici : lorsque les colonies américaines, après avoir, grâce au concours des catholiques, obtenu la liberté et le pouvoir, se groupèrent en une république régulièrement constituée, à ce moment même, la hiérarchie catholique fut établie, suivant les règles, parmi vous ; et dans le temps où le suffrage populaire portait Washington à la présidence de la République, l’autorité apostolique mettait à la tête de l’Eglise américaine son premier évêque. L’amitié et les bons rapports qui – c’est un fait certain – existaient entre l’un et l’autre, paraissent une preuve que ces villes confédérées doivent être unies par la concorde et l’amitié à l’Eglise catholique.
Et ce n’est pas sans raison. En effet, seules, les bonnes mœurs assoient solidement un gouvernement ; c’est ce qu’a clairement vu et proclamé votre premier citoyen, l’homme illustre dont Nous venons de prononcer le nom, chez qui la pénétration et la prudence politique furent si grandes. Mais les bonnes mœurs sont maintenues d’une façon excellente et toute particulière par la religion qui, de sa nature, conserve et revendique tous les principes d’où découlent les devoirs, et, proposant à Notre activité les plus puissants motifs, ordonne de vivre vertueusement et défend de pécher. Or, qu’est-ce que l’Eglise, sinon une société légitime fondée par la volonté et par l’ordre de Jésus-Christ, pour conserver la sainteté des mœurs et défendre la religion ? Aussi, et c’est une vérité que Nous Nous sommes souvent efforcé de persuader du haut de Notre Siège Apostolique, l’Eglise, qui par elle-même et de sa nature, s’occupe du salut des âmes et du bonheur céleste à acquérir, offre néanmoins, dans l’ordre des choses temporelles, tant et de si grands avantages, qu’elle ne pourrait en procurer de plus nombreux ni de plus importants, si elle avait été spécialement et principalement instituée pour assurer le bonheur de la vie que nous menons sur la terre.
Que votre République ait progressé, qu’elle ait réalisé de rapides améliorations, même en ce qui touche à la religion, tout le monde l’a vu. De même, en effet, que l’immense accumulation du bien-être et du pouvoir a, dans un seul siècle, développé vos cités, ainsi voyons-nous l’Eglise, de très faible et très petite qu’elle était d’abord, devenue rapidement très grande et merveilleusement prospère. Si, d’un côté, l’accroissement des ressources et des richesses de vos villes est justement attribué au génie de la race américaine et à sa laborieuse activité, d’autre part, il faut reconnaître que la situation florissante de l’Eglise catholique est due d’abord à la vertu, au zèle et à la prudence des évêques et du clergé, ensuite à la foi et à la munificence des catholiques. C’est ainsi que les efforts énergiques de toutes les classes de la société vous ont permis de fonder d’innombrables œuvres pieuses et utiles : églises, collèges pour l’éducation de la jeunesse, instituts pour l’enseignement supérieur, maisons d’hospitalité pour le peuple, hôpitaux, monastères. En ce qui concerne plus particulièrement la formation des âmes, qui consiste dans la pratique des vertus chrétiennes, beaucoup de faits Nous ont été appris qui Nous donnent de grandes espérances et Nous remplissent de joie, Nous voulons parler de l’accroissement progressif des clercs, tant séculiers que réguliers, de l’honneur où l’on tient les Congrégations pieuses, de l’état florissant des écoles paroissiales catholiques ainsi que des écoles dominicales destinées à l’enseignement de la doctrine chrétienne, et des écoles d’été ; des Sociétés de secours mutuels, d’assistance des pauvres et de tempérance ; et Nous ne parlons pas des preuves nombreuses que le peuple donne de sa piété.
Cet heureux état de choses, il n’en faut point douter, est dû en grande partie aux prescriptions et aux décrets de vos Synodes, de ceux surtout que l’autorité du Siège Apostolique a convoqués et sanctionnés en ces derniers temps. Mais aussi – et il nous est agréable de reconnaître la vérité, – il faut en rendre quelque peu grâce à l’équité des lois sous lesquelles vit l’Amérique, et aux mœurs d’une République bien constituée. Chez vous, en effet, grâce à la bonne constitution de l’Etat, l’Eglise n’étant gênée par les liens d’aucune loi, étant défendue contre la violence par le droit commun et l’équité des jugements, a obtenu la liberté garantie de vivre et d’agir sans obstacle. Toutes ces remarques sont vraies ; pourtant, il faut se garder d’une erreur : qu’on n’aille pas conclure de là que la meilleure situation pour l’Eglise est celle qu’elle a en Amérique, ou bien qu’il est toujours permis et utile de séparer, de disjoindre les intérêts de l’Eglise et l’Etat comme en Amérique.
En effet, si la religion catholique est honorée parmi vous, si elle prospère, si même elle s’est accrue, il faut l’attribuer entièrement à la fécondité divine dont jouit l’Eglise, qui, lorsque personne ne s’y oppose, lorsque rien ne lui fait obstacle, s’étend d’elle-même et se répand ; pourtant elle produirait encore bien plus de fruits si elle jouissait, non seulement de la liberté, mais encore de la faveur des lois et de la protection des pouvoirs publics.
Pour Nous, autant que les circonstances Nous l’ont permis, Nous n’avons jamais négligé de conserver et d’affermir parmi vous la religion catholique. Pour ce motif, Nous avons surtout entrepris deux œuvres qui vous sont bien connues ; l’une, de développer l’étude des sciences, l’autre, de perfectionner l’administration des intérêts catholiques. En effet, bien que l’Amérique comptât déjà des Universités nombreuses et célèbres, Nous avons cependant jugé bon qu’il en existât une instituée par l’autorité du Siège Apostolique, et dotée par Nous de tous droits ; des professeurs catholiques y instruiraient les hommes avides de savoir, d’abord dans les sciences philosophiques et théologiques, puis, lorsque les ressources et les temps le permettraient, dans les autres sciences, dans celles notamment que notre siècle a fondées ou perfectionnées. Toute érudition, en effet, serait incomplète, s’il ne s’y joignait quelque connaissance des sciences modernes. Dans le mouvement si rapide des esprits, quand le désir de savoir, louable et bon en lui-même, est si largement répandu, il convient que les catholiques marchent à la tête, et non à la suite des autres. Aussi, doivent-ils se parer de tout l’éclat de la science, s’exercer avec ardeur à la recherche de la vérité et à l’investigation de toute la nature autant que faire se peut.
D’ailleurs, telle fut toujours l’intention de l’Eglise ; toujours elle a mis tous ses efforts et tous les soins qu’elle a pu pour reculer les bornes de la science. Aussi, Vénérables Frères, par la lettre que Nous vous avons adressée, le 7 mars 1889, avons-Nous fondé, selon les règles, à Washington, votre capitale, une Université pour la jeunesse désireuse d’une instruction supérieure. Vous-mêmes, en grand nombre, avez manifesté combien ce lieu devait être favorable aux hautes études. Nous entretenant à ce sujet en Consistoire avec Nos Vénérables Frères les cardinaux de la Sainte Eglise romaine, Nous avons déclaré vouloir que, dans cette Université, on se fit une loi de joindre l’érudition et la science à l’intégrité de la foi, et de former la jeunesse à la religion non moins qu’aux arts libéraux. Aussi, avons-Nous décidé de confier aux évêques des Etats-Unis la saine direction des études et le soin de la bonne éducation des jeunes gens, conférant l’autorité et la charge de chancelier, comme on dit, à l’archevêque de Baltimore.
Ces débuts, grâce à Dieu, ont été assez heureux. En effet, sans retard aucun, au moment où vous célébriez par des fêtes solennelles le centenaire de l’établissement de la hiérarchie ecclésiastique, l’enseignement sacré y commença en présence de Notre légat, sous d’heureux auspices. Depuis lors, Nous avons appris que la théologie y est enseignée par des hommes remarquables dont le talent et la science sont unis à une fidélité et à une soumission toute particulière envers le Siège Apostolique.
Il n’y a pas longtemps encore, Nous apprenions que la générosité d’un prêtre pieux avait commencé et achevé un édifice destiné à l’enseignement des sciences et des lettres dans l’intérêt des clercs aussi bien que des laïques. Nous espérons sans peine que cet exemple suscitera des imitateurs parmi vos concitoyens. Nous ne sommes pas, en effet, sans connaître le caractère des Américains, et eux-mêmes ne peuvent ignorer que toute libéralité pour cette œuvre sera compensée par de très grands avantages pour le bien commun.
Tout le monde sait combien les Universités de ce genre, que, à diverses époques, l’Eglise romaine a ou fondées elle-même ou approuvées et développées par ses règlements, ont répandu dans toute l’Europe les trésors de la science et des lettres.
Aujourd’hui même, pour ne point parler des autres, il suffit de nommer l’Université de Louvain, où la nation belge trouve presque chaque jour les éléments de sa prospérité et de sa gloire. Des avantages analogues et tout aussi nombreux doivent être facilement attendus de la grande Université de Washington, si maîtres et élèves – ce dont Nous ne doutons nullement – obéissent à nos instructions, et, si, éloignant les intérêts de partis et les disputes, ils se concilient la sympathie du peuple et du clergé.
Nous voulons ici, Vénérables Frères, recommander à votre charité et à la générosité publique le collège établi à Rome pour l’enseignement des sciences sacrées aux jeunes clercs de l’Amérique du Nord, collège fondé par Pie IX, Notre prédécesseur, et que Nous-même avons pris soin d’affermir en lui donnant une constitution régulière par Notre lettre du 25 octobre 1884 ; d’autant plus que l’événement n’a nullement trompé les communes espérances qu’on en avait conçues. Vous-mêmes êtes témoins que, dans un court espace de temps, de nombreux et bons prêtres sont sortis de ce collège, et qu’il en est parmi eux qui ont atteint, grâce à leur mérite et à leur science, les degrés les plus élevés des dignités ecclésiastiques. Aussi, sommes-Nous persuadé que vous ferez œuvre utile en continuant d’y envoyer des jeunes gens d’élite et de les y faire élever pour l’espoir de l’Eglise. Les talents et les vertus qu’ils auront acquis à Rome, ils les déploieront un jour dans leur patrie et les feront servir au bien commun.
De même, dès le commencement de Notre pontificat, mû par l’affection dont Nous entourons les catholiques de votre nation, Nous avons commencé à Nous occuper avec soin du troisième Concile de Baltimore. Plus tard, lorsque les archevêques mandés par Nous pour ce motif vinrent à Rome, Nous leur demandâmes avec soin ce qu’ils croyaient qu’on dût décider pour le bien commun. Enfin, après avoir mûrement examiné les décrets portés par tous les évêques convoqués à Baltimore, Nous avons résolu de les ratifier de Notre autorité apostolique. Les résultats de cette œuvre ne tardèrent pas à se manifester. L’expérience a montré et montre encore que ces décisions du Concile de Baltimore étaient salutaires et très bien appropriées aux circonstances. On a déjà pu se rendre un compte suffisant de leur efficacité pour affermir la discipline, exciter le zèle et la vigilance du clergé, protéger et développer l’instruction catholique de la jeunesse.
Toutefois, Vénérables Frères, si, en toutes ces choses, Nous reconnaissons votre zèle, si Nous louons la constance unie chez vous à la prudence, c’est à juste titre que Nous le faisons. Nous comprenons bien, en effet, qu’une telle abondance de fruits ne seraient pas arrivés à maturité aussi facilement ni aussi rapidement, si vous-mêmes ne vous étiez appliqués, chacun dans la mesure de votre pouvoir, à suivre avec soin et fidélité les sages décisions que vous aviez prises à Baltimore.
Le Concile de Baltimore terminé, il restait à donner à l’œuvre une sorte de couronnement légitime et convenable. Il Nous a paru qu’on n’en pouvait désirer de meilleur que la constitution régulière, par le Saint-Siège, d’une légation en Amérique, et, comme vous le savez, Nous l’avons régulièrement établie. Par là, ainsi que Nous l’avons dit ailleurs, Nous avons d’abord voulu témoigner que l’Amérique tenait la même place dans Notre cœur et avait les mêmes droits à Notre bienveillance que les autres Etats, même les plus grands et les plus puissants. Nous Nous sommes ensuite préoccupé de resserrer davantage les liens des devoirs et des relations qui vous rattachent, vous et tant de milliers de catholiques, au Siège Apostolique. En réalité, le peuple catholique a compris que la mesure prise par Nous et qu’il sentait lui devoir être salutaire, était de plus conforme aux usages et aux traditions du Siège Apostolique. En effet, les Pontifes romains, par cela même qu’ils tiennent de Dieu le pouvoir de gérer les intérêts du monde chrétien, ont accoutumé, dès la plus haute antiquité, d’envoyer au loin leurs légats aux nations et aux peuples chrétiens. Ils agissent ainsi en vertu, non d’un pouvoir étranger, mais d’un droit qui leur appartient en propre, parce que « le Pontife romain, à qui le Christ a conféré la puissance ordinaire et immédiate, soit sur toutes les Eglises et sur chacune d’elles, soit sur tous les pasteurs, sur tous les fidèles et sur chacun d’eux [1], ne pouvant parcourir en personne chaque pays, ni exercer directement les sollicitudes de sa charge pastorale sur le troupeau qui lui est confié, doit nécessairement parfois, suivant les devoirs de sa charge, envoyer aux diverses parties du monde, selon la nécessité des temps, des légats qui, le suppléant dans ses fonctions, corrigent les erreurs, aplanissent les difficultés et procurent aux peuples qui leur sont confiés, un accroissement de salut [2]. »
Ce serait un soupçon injuste et faux – si jamais il venait à exister – de croire que l’autorité de Notre légat est en opposition avec l’autorité des évêques. Nous voulons et Nous devons vouloir qu’ils soient sacrés pour Nous plus que pour tout autre, les droits de ceux que l’Esprit-Saint a placés comme évêques pour gouverner l’Eglise de Dieu ; Nous voulons que ces droits demeurent intacts dans toute nation et en tout lieu. D’autant plus que la dignité de chaque évêque est tellement unie par sa nature à la dignité du Pontife romain que celui qui veille à l’une défend nécessairement l’autre. Mon honneur est l’honneur de l’Eglise universelle. Mon honneur est la force inébranlable de mes frères. Je suis vraiment honoré lorsque l’honneur dû à chacun d’eux ne lui est pas refusé [3].
Aussi le rôle et les fonctions du légat apostolique, quelle que puisse être la grandeur de son autorité, étant d’accomplir les ordres et d’interpréter la volonté du Pontife qui l’envoie, le légat, bien loin de causer quelque détriment à la puissance ordinaire des évêques, la confirme, au contraire, et la fortifie.
En effet, son autorité sera d’un grand poids pour maintenir l’obéissance parmi le peuple, la discipline et le respect dû aux évêques parmi le clergé, et, parmi les évêques, la charité mutuelle jointe à une parfaite concorde.
Cette union si salutaire et si désirable, qui repose surtout sur l’accord des sentiments et des actes, fera certainement que chacun de vous continuera à s’occuper diligemment de l’administration de son diocèse ; que personne ne mettra d’entraves à l’administration de celui-ci ; que nul ne s’inquiétera des projets ni des actes de celui-là ; et que, tous ensemble, éloignant les dissensions et conservant le respect mutuel, travailleront à accroître l’honneur de l’Eglise américaine et le bien commun par la parfaite harmonie de leurs efforts. A peine peut-on imaginer ce que cette concorde des évêques produira de fruits de salut pour les nôtres, et quelle force cet exemple aura sur les autres. Ceux-ci, en effet, par cette seule preuve, verront facilement que l’apostolat divin est vraiment passé par héritage aux mains des évêques catholiques.
Il est encore un autre point grandement à considérer. Les hommes sages s’accordent à reconnaître, et Nous-même l’avons constaté un peu plus haut et bien volontiers, que l’Amérique paraît appelée à de hautes destinées. Or, Nous voulons que l’Eglise catholique participe et concoure à cette grandeur que l’on prévoit. Aussi pensons-Nous qu’il est juste et nécessaire qu’elle marche de concert avec l’Etat, d’un pas ferme, vers le progrès, mettant à profit toutes les occasions que le temps offrira. En même temps, elle devra faire en sorte que ses vertus et ses institutions contribuent autant que possible au développement des Etats. Elle atteindra d’autant plus facilement et pleinement cette double fin que l’avenir la trouvera mieux organisée. Or, quel est le but de la légation dont nous parlons, si ce n’est de rendre la constitution de l’Eglise plus solide et sa discipline mieux défendue ?
Ceci étant, Nous souhaitons vivement que les catholiques se pénètrent tous les jours plus profondément de cette vérité, qu’ils ne peuvent pas veiller plus sagement à leurs intérêts privés ni mieux mériter du salut commun, qu’en continuant à se soumettre à l’Eglise et à lui obéir de tout cœur.
D’ailleurs, sur ce point, les fidèles américains ont à peine besoin d’exhortation : ils sont habitués, en effet, à adhérer d’eux-mêmes et avec une louable constance aux enseignements catholiques. Il est une règle de la plus haute importance et très salutaire à tout point de vue, qu’il Nous plaît de rappeler ici, que généralement la foi et les mœurs font religieusement observer parmi vous, comme il est juste. Nous voulons parler du dogme chrétien de l’unité et de la perpétuité du mariage, qui fournit non seulement à la famille mais encore à la société un lien très puissant de conservation. Parmi vos concitoyens, même de ceux qui, pour le reste, sont en dissentiment avec Nous, il en est un grand nombre qui admirent et approuvent, sur ce point, la doctrine et les mœurs des catholiques, effrayés qu’ils sont par la licence des divorces. En jugeant de la sorte, ils ne sont pas moins guidés par l’amour de leur patrie que par les conseils de la sagesse. En effet, on a peine à imaginer un fléau plus funeste à l’Etat que la prétention de pouvoir rompre un lien que la loi divine rend perpétuel et indissoluble. « Par suite du divorce, le pacte conjugal perd sa stabilité : la bienveillance mutuelle dépérit, de pernicieux encouragements sont donnés à l’infidélité ; la protection et l’éducation des enfants est compromise ; la société domestique trouve une occasion de dissolution ; des germes de discorde sont semés entre les familles ; la dignité de la femme est amoindrie, abaissée, car elle court le risque, après avoir servi à la passion de l’homme, d’être abandonnée. Comme pour la ruine des familles et la perte des Etats, il n’est rien de plus puissant que la corruption des mœurs, il est facile de voir combien le divorce est un des plus grands ennemis de la prospérité des familles et des Etats [4]. »
S’il s’agit de l’ordre civil, c’est un fait acquis et reconnu que, spécialement dans un Etat populaire comme est le vôtre, il est d’une grande importance que les citoyens soient probes et de bonnes mœurs. Dans une nation libre, si la justice n’est pas universellement en honneur, si le peuple n’est pas souvent et soigneusement rappelé à l’observation des préceptes de l’Evangile, la liberté elle-même peut être funeste. Aussi, que tous les membres du clergé qui travaillent à l’instruction du peuple traitent avec netteté des devoirs des citoyens, de façon à persuader tous les esprits et à les pénétrer profondément de cette vérité, qu’il faut, dans toutes les fonctions de la vie civile, loyauté, désintéressement, intégrité. En effet, ce qui n’est pas permis dans la vie privée ne l’est pas non plus dans la vie publique.
Sur tous ces points, ces lettres encycliques que Nous avons déjà écrites durant notre Pontificat contiennent, vous le savez, de nombreux enseignements que les catholiques doivent suivre et auxquels ils doivent obéir. Liberté humaine, principaux devoirs des chrétiens, pouvoir civil, constitution chrétienne des Etats, Nous avons touché à tous ces points dans Nos écrits et dans Nos discours, Nous appuyant sur les principes tirés tant de la doctrine évangélique que de la raison. Ceux donc qui veulent être des citoyens honnêtes et s’acquitter de leurs devoirs comme la foi l’exige trouveront facilement dans Nos lettres la règle de l’honnêteté.
De même, que les prêtres rappellent au peuple avec insistance les décrets du troisième Concile de Baltimore, ceux surtout qui portent sur la vertu de tempérance, l’instruction catholique de la jeunesse, l’usage fréquent des sacrements, l’obéissance aux lois justes et aux institutions de la République.
En ce qui concerne la formation des sociétés, il faut bien prendre garde à ne point tomber dans l’erreur, et Nous voulons adresser cette recommandation aux ouvriers nommément. Assurément, ils ont le droit de s’unir en des associations pour le bien de leurs intérêts : l’Eglise les favorise et elles sont conformes à la nature. Mais il leur importe vivement de considérer avec qui ils s’associent ; car, en recherchant certains avantages, ils pourraient parfois, par là même, mettre en péril des biens beaucoup plus grands. La principale garantie contre ce danger est d’être bien résolu à ne jamais admettre que la justice soit méconnue en aucun temps ni en aucune matière. Si donc il existe une société dont les chefs ne soient pas des personnes fermement attachées au bien et amies de la religion, et si cette société leur obéit aveuglément, elle peut faire beaucoup de mal dans l’ordre public et privé ; elle ne peut pas faire de bien. De là une conséquence, c’est qu’il faut fuir non seulement les associations ouvertement condamnées par le jugement de l’Eglise, mais encore celles que l’opinion des hommes sages, principalement des évêques, signale comme suspectes et dangereuses. Bien plus, et c’est un point très important pour la sauvegarde de la foi, les catholiques doivent s’associer de préférence à des catholiques, à moins que la nécessité ne les oblige à agir autrement. Une fois réunis ainsi en associations, qu’ils mettent à leur tête des prêtres ou des laïques honnêtes et d’une autorité reconnue ; qu’ils en suivent les conseils et qu’ils s’efforcent de poursuivre et de réaliser pacifiquement ce qui paraîtra utile à leurs intérêts, se conformant surtout aux règles que nous avons indiquées dans notre lettre encyclique Rerum novarum.
Ils ne devront jamais oublier qu’il est juste et désirable de revendiquer et de sauvegarder les droits du peuple, mais toujours sans manquer à leurs propres devoirs. Et ils en ont de très grands : respecter le bien d’autrui, laisser à chacun la liberté pour ses propres affaires, n’empêcher personne de donner son travail où il lui plaît et quand il lui plaît. Les actes que vous avez vu produire par la violence et l’émeute l’année dernière dans votre pays, vous avertissent assez que l’audace et la barbarie des ennemis de la société menacent de près même les intérêts de l’Amérique. Les temps mêmes commandent aux catholiques de travailler à la tranquillité publique, et pour cela d’observer les lois, d’avoir la violence en horreur, et de ne pas demander plus que ne le permet l’équité et la justice.
Pour assurer ce résultat, ceux-là, à coup sûr, peuvent beaucoup qui se sont consacrés à écrire, et parmi eux, surtout ceux qui dépensent leurs forces dans la presse quotidienne. Nous n’ignorons pas que nombre d’athlètes bien exercés luttent déjà dans cette arène, et que leur zèle est bien plus digne d’éloge qu’il n’a besoin d’encouragement.
Toutefois, comme l’avidité de lire et d’apprendre est si vive et s’est tellement répandue chez vous qu’elle peut être le principe des plus grands biens autant que des plus grands maux, il faut, par tous les moyens, chercher à augmenter le nombre de ceux qui remplissent leur tâche d’écrivain avec science et bon esprit, ayant la religion pour guide et l’honnêteté pour compagne.
Cela est encore plus visible en Amérique, où les catholiques vivent en rapports habituels avec des non catholiques, ce qui oblige les nôtres à une extrême prudence et à une fermeté toute particulière. Il faut les instruire, les avertir, les affermir, les exciter à la pratique des vertus, à l’observance fidèle de leurs devoirs envers l’Eglise, au milieu de si grandes occasions de péril.
Ces soins et ces travaux sont sans doute la tâche propre du clergé, sa grande mission ; mais, néanmoins, le pays et l’époque exigent de la part des journalistes, qu’eux-mêmes, selon leur pouvoir, consacrent leurs efforts et leurs travaux à la même cause.
Qu’ils considèrent sérieusement que l’œuvre de la presse sera, sinon nuisible, du moins fort peu utile à la religion, si l’accord ne règne pas entre ceux qui tendent au même but. Ceux qui veulent servir l’Eglise utilement, ceux qui désirent sincèrement défendre par leurs écrits la religion catholique, doivent combattre avec un parfait accord, et, pour ainsi dire, en rangs serrés. Aussi, ceux-là paraîtraient plutôt déclarer la guerre que la repousser, qui dissiperaient leurs forces par la discorde.
C’est ainsi également que les écrivains font, au lieu d’œuvre utile et fructueuse, œuvre défectueuse et nuisible, chaque fois qu’ils osent déférer à leur propre jugement les résolutions ou les actes des évêques ; et, dépouillant le respect qu’ils leur doivent, les critiquer, les censurer, ne voyant pas quelle perturbation de l’ordre et quels maux engendre leur conduite. Qu’ils se souviennent donc de leurs devoirs et qu’ils ne franchissent point les justes bornes de la modestie.il faut obéir aux évêques, qui sont à un très haut degré de l’autorité, et leur rendre l’honneur qui convient à la grandeur et à la sainteté de leurs fonctions, ce respect « auquel personne n’a le droit de manquer, et qui, principalement chez les journalistes catholiques, doit briller et pour ainsi dire être affiché pour servir d’exemple. Les journaux, en effet, destinés à se répandre au loin, tombent tous les jours entre les mains du premier venu et ils ont une grande influence sur l’opinion et la conduite de la multitude [5]. »
Nous-même avons, en beaucoup d’endroits, donné beaucoup d’enseignements concernant le devoir d’un bon écrivain. De nombreux enseignements aussi ont été renouvelés unanimement et par le troisième Concile de Baltimore, et par les archevêques qui se réunirent à Chicago en 1883. Que les catholiques aient donc présents à l’esprit Nos enseignements et les vôtres, et qu’ils reconnaissent qu’ils doivent servir de règle à toute l’œuvre de la presse, s’ils veulent bien s’acquitter de leurs devoirs, comme ils doivent le vouloir.
Notre pensée se tourne maintenant vers les autres Américains qui sont en dissentiment avec Nous sur la foi chrétienne et dont beaucoup – qui pourrait le nier ? – sont plus éloignés de Nous par leur naissance que par leur volonté. Quelle sollicitude Nous avons de leur salut, avec quelle ardeur Nous voudrions qu’ils revinssent se jeter dans les bras de l’Eglise, la Mère commune de tous les hommes, Notre lettre apostolique Præclara l’a récemment déclaré. Et certes, Nous ne sommes pas absolument sans espoir, car II est avec Nous, Celui à qui tout obéit et qui a donné sa vie pour réunir en un seul troupeau les fils de Dieu qui étaient dispersés [6].
Certes, Nous ne devrons pas les délaisser ni les abandonner à leur propre sens ; mais, par la douceur et la plus grande charité, les attirer à Nous, leur persuadant, de toutes façons, de s’appliquer à étudier tous les points de la doctrine catholique et à dépouiller leurs opinions préconçues. En cela, si le premier rôle appartient aux évêques et à tout le clergé, le second revient aux laïques. Ceux-ci, en effet, peuvent aider les efforts apostoliques du clergé par la probité des mœurs et l’intégrité de la vie. La force de l’exemple est grande, pour ceux principalement qui recherchent sincèrement la vérité et qui pratiquent l’humilité par une disposition naturelle à la vertu ; on en compte un très grand nombre parmi vos concitoyens. Si le spectacle des vertus chrétiennes a eu, sur les païens aveuglés par une superstition invétérée, la grande influence qui nous est attestée par les monuments de l’histoire, pouvons-nous croire qu’il ne pourra rien pour retirer de l’erreur ceux qui ont été initiés aux mystères chrétiens ?
Enfin, Nous ne pouvons passer sous silence ceux dont la longue infortune implore et réclame l’assistance des hommes apostoliques. Nous voulons parler des Indiens et des nègres qui habitent les territoires américains et qui n’ont pas encore, pour la plupart, chassé les ténèbres de l’idolâtrie. Quel champ à défricher ! Quelle multitude d’hommes à enrichir des biens acquis par Jésus-Christ !
En attendant, comme gage des dons célestes et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous vous donnons très affectueusement dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre clergé et à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 6 janvier, fête de l’Epiphanie de Notre-Seigneur, l’an MDCCCXCV, le dix-septième de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
Source : Lettres apostoliques de S. S. Léon XIII, tome 4, La Bonne Presse
- Concil. Vat., Sess. IV., c. 3.[↩]
- Cap. un. Extravag. Comm. De consuel, L. I[↩]
- S. Grégoire, Lettre à Eulog. Alex., liv. viii, lettre 30.[↩]
- Enc. Arcanum.[↩]
- Lettre Cognita nobis aux archevêques et évêques des provinces de Turin, Milan, Verceil, le 25 janvier 1882.[↩]
- Saint Jean xi, 52.[↩]