Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

8 septembre 1928

Lettre encyclique Rerum Orientalium

Sur l’impulsion à donner à l’étude des questions orientales

Aux patriarches, pri­mats, arche­vêques, évêques et autres ordi­naires de lieu en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique

PIE XI, PAPE

Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique.

Favoriser l’étude et la connais­sance appro­fon­die des ques­tions orien­tales non seule­ment par­mi les fidèles, mais sur­tout par­mi les prêtres, fut, dans les siècles pas­sés, le grand sou­ci de Nos prédéces­seurs. C’est là un fait qui ne peut échap­per même à un lec­teur super­ficiel des annales de l’Eglise catho­lique. Nos pré­dé­ces­seurs n’ignoraient pas en effet que beau­coup des maux anté­rieurs, puis la déplo­rable scis­sion, qui avait jadis arra­ché à l’unité tant d’Eglises flo­ris­santes, résul­taient avant tout comme une consé­quence fatale de l’ignorance et du mépris mutuels des peuples, mais aus­si des pré­ju­gés consé­cu­tifs à de longues ani­mo­si­tés. Impossible donc, si L’on ne par­ve­nait à écar­ter ces obs­tacles, de jamais remé­dier à tant de maux.

Rappelons d’abord som­mai­re­ment quelques don­nées his­to­riques de l’é­poque même où les liens de l’antique uni­té com­men­çaient à se relâ­cher. Elles témoignent sur ce point des atten­dons et de la solli­citude des Pontifes romains pour les ques­tions orien­tales. Personne n’ignore en effet la bien­veillance, pour ne pas dire la véné­ra­tion, dont Adrien II entou­rait les deux apôtres des Slaves, Cyrille et Méthode, et les hon­neurs par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tifs dont il les com­bla ; on sait aus­si de quel zèle il sou­tint par ses légats le 8e Concile œcu­mé­nique, le qua­trième de Constantinople, bien que peu de temps avant, à la suite d’un lamen­table conflit, une immense frac­tion du trou­peau du Seigneur se fût sépa­rée du Pontife romain, divi­ne­ment ins­ti­tué Pasteur suprême.

Ajoutons encore que dans la suite d’autres Conciles, des­ti­nés à régler les ques­tions orien­tales, se réunirent les uns après les autres : à Bari, près du tom­beau de saint Nicolas de Myre, où l’illustre Docteur d’Aoste, saint Anselme, deve­nu arche­vêque de Canterbury, aus­si émi­nent par sa doc­trine que par la sain­te­té de sa vie, impres­sion­na vive­ment le cœur et l’esprit de tous les assis­tants ; à Lyon, où turent convo­qués par Grégoire X les deux lumières de l’Eglise, saint Thomas, le Docteur angé­lique, et saint Bonaventure, le Docteur séra­phique – l’un deux, il est vrai, mou­rut en route et l’autre suc­com­ba nu cours des lourds labeurs de la sainte assem­blée ; – à Ferrare et à Florence enfin, où la pre­mière place reve­nait sans peine à ces deux gloires de l’Orient chré­tien, Bessarion de Nicée et Isidore de Kiew, l’un et l’antre bien­tôt créés car­di­naux de l’Eglise romaine. Ce fut là que la véri­té du dogme catho­lique, appuyé de toutes les forces d’une saine rai­son, mais tout impré­gné aus­si de la cha­ri­té du Christ, parut ouvrir aux chré­tiens orien­taux les voies de la récon­ci­lia­tion avec le Pasteur suprême.

Ces quelques faits, Vénérables Frères, ne sont qu’une faible par­tie des preuves attes­tant le zèle et la sol­li­ci­tude vrai­ment pater­nelle de ce Siège Apostolique envers les nations orien­tales ; ils en sont la par­tie la plus écla­tante, mais natu­rel­le­ment la moins abon­dante. D’autres bien­faits très nom­breux et inin­ter­rom­pus, comme dans une effu­sion inces­sante que Nous dirions volon­tiers quo­ti­dienne, sont répan­dus par l’Eglise Romaine sur toutes les plages de l’Orient. Citons avant tout l’envoi de tant de reli­gieux qui dépen­sèrent leur propre vie au ser­vice des nations orien­tales. Soutenus par l’autorité de ce Siège Apostolique, appar­te­nant prin­ci­pa­le­ment aux familles reli­gieuses de saint François d’Assise et de saint Dominique, des hommes de grand cœur se consa­crèrent aux mis­sions, et fon­dèrent de nou­velles mai­sons ou de nou­velles pro­vinces de leur Ordre. Par la théo­lo­gie, de même que par les autres sciences qui concourent à la culture pro­fane et reli­gieuse, ils fécon­dèrent au prix d’immenses labeurs non seule­ment la Palestine et l’Arménie, mais encore d’autres régions d’Orient, pas­sées sous le joug des Tartares ou des Turcs et arra­chées de force à l’unité romaine, qui étaient pri­vées de connais­sances supé­rieures sur­tout dans le domaine religieux.

Ces ser­vices émi­nents et les inten­tions du Siège Apostolique furent excel­lem­ment com­pris et appré­ciés, dès le xiiie siècle, par les doc­teurs de l’Université de Paris. On n’ignore pas en effet que, pour secon­der les vœux et les dési­rs du Saint-​Siège, ils avaient fon­dé un col­lège orien­tal dans leur propre Université. Et, peu de temps après, Notre pré­dé­ces­seur Jean XXII s’informait avec un vif inté­rêt, auprès de l’évêque Hugues de Paris, du pro­grès des études orien­tales et des fruits qu’elles donnaient.

Citons encore, emprun­tés aux docu­ments de l’époque, quelques témoi­gnages non moins signi­fi­ca­tifs. Humbert de Romans, grand savant, en même temps que Supérieur géné­ral de l’Ordre des Prêcheurs, dans son livre sur des ques­tions à trai­ter dans le futur Concile géné­ral de Lyon, signa­lait comme spé­cia­le­ment néces­saires pour se conci­lier l’esprit des Orientaux les points sui­vants, la néces­si­té de pos­sé­der à fond ou de par­ler la langue grecque, parce que la diver­si­té des nations qui résulte de la varié­té des langues se fond dans l’unité de la foi ; puis une ample pro­vi­sion de livres grecs et un nombre conve­nable de livres occi­den­taux tra­duits dans les langues orien­tales ; il conju­rait enfin ses frères, assem­blés en Chapitre géné­ral à Milan, de s’intéresser vive­ment et de s’appliquer pieu­se­ment à la connais­sance et l’étude des langues orien­tales, afin d’être prêts à par­tir en mis­sion dans ces divers pays, si telle était la volon­té de Dieu.

Dans la famille fran­cis­caine, de même, Roger Bacon – ce grand savant si cher à notre pré­dé­ces­seur Clément IV – non content d’écrire de doctes trai­tés sur les langues chal­déenne, arabe et grecque, en a faci­li­té la connais­sance à d’autres. Rivalisant avec eux, Raymond Lulle, homme d’une éru­di­tion et d’une pié­té excep­tion­nelles, avec toute l’impétuosité qui lui était natu­relle, mul­ti­pliait ses requêtes à Nos pré­dé­ces­seurs Célestin V et Boniface VIII. A consi­dé­rer l’époque, ses pro­po­si­tions ne man­quaient pas de har­diesse : il vou­lait notam­ment qu’on s’occupât acti­ve­ment des ques­tions et des études orien­tales, puisqu’un car­di­nal en per­sonne fût char­gé de diri­ger ces études et, pour finir, qu’on envoyât de nom­breuses mis­sions soit par­mi les Tartares, les Sarrasins et les autres infi­dèles, soit par­mi les « schisma­tiques », afin de les rame­ner à l’unité de l’Eglise.

Une men­tion plus solen­nelle est cer­tai­ne­ment due au décret, con­seillé et ins­pi­ré, dit-​on, par Raymond Lulle, por­té par le Concile géné­ral de Vienne et pro­mul­gué par Notre pré­dé­ces­seur Clément V, où prit nais­sance, en quelque sorte, l’idée de Notre Institut orien­tal : « Avec l’approbation de ce sacré Concile, y est-​il dit, Nous avons pour­vu à l’é­rec­tion d’écoles pour les langues ci-​après nom­mées par­tout où aura à rési­der la Curie romaine et, de plus, dans les Univer­sités de Paris, Oxford, Bologne et Salamanque ; Nous avons déci­dé qu’en tous ces lieux ou éta­blis­se­ments des maîtres catho­liques con­naissant suf­fi­sam­ment l’hébreu, le grec, l’arabe et le chal­déen, au nombre de deux pour chaque langue, diri­ge­ront les cours, tra­dui­ront fidè­le­ment en latin les livres rédi­gés dans ces diverses langues, en ins­trui­ront avec soin leurs audi­teurs et par un ensei­gne­ment sui­vi leur en trans­met­tront la connais­sance ; pour­vus ain­si d’une connais­sance suf­fi­sante, leurs dis­ciples pour­ront don­ner, avec l’aide de Dieu, les fruits sou­hai­tés, en pro­pa­geant la véri­table foi par­mi les peuples infidèles. »

Mais, à cette date, les nations orien­tales étaient en pleins boulever­sements, et la plu­part des ins­tru­ments de tra­vail scien­ti­fique se trou­vaient détruits ; aus­si était-​il extrê­me­ment dif­fi­cile, pour ne pas dire impos­sible, aux esprits même les plus péné­trants de se pré­pa­rer et de par­ve­nir à des connais­sances plus appro­fon­dies. C’est pour cette rai­son, Vénérables Frères, que Nos pré­dé­ces­seurs ont pris les mesures que vous n’ignorez pas. Outre les chaires spé­ciales qui, dans les princi­paux centres d’études ou dans les Universités de l’époque, étaient spé­cia­le­ment consa­crées aux études orien­tales, ils jugèrent bon de créer dans la lumière de cette Ville Sainte – où l’on ne pou­vait mieux les situer – des Séminaires des­ti­nés aux élèves des diverses nations orien­tales, d’où soi­gneu­se­ment ins­truits de la plus pure doc­trine les jeunes gens s’élanceraient ensuite, bien armés pour com­battre le bon com­bat. C’est pour­quoi furent créés ces monas­tères, puis ces col­lèges éta­blis à Rome en faveur des Grecs et des Ruthènes, ou que s’élevèrent des Maisons pour les Maronites et les Arméniens. Du bien fait aux âmes et des pro­grès scien­ti­fiques ain­si obte­nus, tant pour La litur­gie que pour toutes les autres sciences, on en trouve des preuves sura­bondantes dans les publi­ca­tions en langues orien­tales de la Sacrée Congrégation de la Propagande et dans les col­lec­tions de manus­crits orien­taux les plus pré­cieux si dili­gem­ment recueillis et si religieu­sement conser­vés par la Bibliothèque Vaticane.

Les choses n’en sont pas res­tées là. Nos pré­dé­ces­seurs les plus immé­diats, ain­si que Nous l’avons dit plus haut, avaient très bien com­pris que le meilleur moyen pour déve­lop­per l’estime et la cha­ri­té mutuelles était de répandre par­mi les Occidentaux une connais­sance plus appro­fon­die des choses orien­tales ; aus­si n’ont-ils rien négli­gé pour atteindre ce but si pré­cieux. Grégoire XVI, éle­vé au Souverain Pontificat, après qu’il eut lui-​même étu­dié les ques­tions russes avec le plus grand soin, déplo­rait vive­ment que, l’année même où il devait rem­plir une mis­sion pon­ti­fi­cale auprès d’Alexandre Ier, la mort eût ravi l’empereur de Russie ; Pie IX, avant et après la réunion du Concile du Vatican, recom­man­dait vive­ment la publi­ca­tion d’études sur les rites des Orientaux et leurs doc­trines pri­mi­tives ; Léon XIII com­blait de son amour et de sa sol­li­ci­tude les Coptes, les Slaves, et tous les Orientaux, il encou­ra­geait la nou­velle famille augus­ti­nienne, dite de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge, et nombre d’autres Congrégations reli­gieuses à s’appliquer aux études orien­tales et à s’y per­fec­tion­ner ; pour les Orientaux eux-​mêmes il fon­da de nou­veaux col­lèges, soit dans leurs pays res­pec­tifs, soit à Rome ; il com­bla des éloges les plus magni­fiques l’Université de Beyrouth, qui relève de la Compagnie de Jésus, si flo­ris­sante encore aujourd’hui, et qui Nous est des plus chères ; Pie X, par la fon­da­tion à Rome de l’Institut Biblique Pontifical, a exci­té chez beau­coup une ardeur nou­velle à connaître les choses et les langues de l’Orient, pro­dui­sant ain­si des fruits des plus abondants.

Cette sol­li­ci­tude pater­nelle envers les peuples orien­taux, comme un legs sacré de Pie X, Notre pré­dé­ces­seur immé­diat, Benoit XV, l’a mani­fes­tée avec une égale ardeur. Afin de sou­te­nir du mieux pos­sible et d’augmenter l’intérêt pour les ques­tions orien­tales, non seule­ment il créa la Sacrée Congrégation des Rites et des Affaires orien­tales, mais il vou­lut aus­si fon­der « un véri­table centre de hautes études des ques­tions orien­tales en celle ville, capi­tale du monde chré­tien » ; il vou­lut « le pour­voir de tous les moyens que réclame l’érudition moderne et le rendre célèbre par des maîtres consom­més et fonciè­rement ins­truits de tout ce qui touche à l’Orient [cf. Actes de Benoît XV, t.1. p. 187. Edition Bonne Presse] »; bien plus, il lui don­na le droit « de confé­rer le gra­cie du doc­to­rat pour les sciences ecclé­sias­tiques se rap­por­tant aux nations chré­tiennes de l’Orient il déci­da enfin d’y rece­voir non point les seuls Orientaux et notam­ment ceux qui étaient sépa­rés de l’unité catho­lique, mais sur­tout les prêtres latins qui vou­draient se vouer aux sciences sacrées ou rem­plir le minis­tère sacer­do­tal dans les pays orien­taux. On ne sau­rait donc trop louer les savants qui, pen­dant près de quatre ans, se sont appli­qués à péné­trer des connais­sances orien­tales les pre­miers élèves de l’Institut.

Cet Institut, d’une si grande oppor­tu­ni­té, se heur­tait dans ses pro­grès à un grave obs­tacle. Il était proche du Vatican, c’est vrai, mais fort éloi­gné de cette par­tie de la ville qui est la plus fré­quen­tée. Aussi, comme y son­geait Benoît XV, et comme ce fut Notre inten­tion dès le début de Notre Pontificat, Nous avons déci­dé de trans­fé­rer l’Institut Oriental dans les locaux de l’Institut Biblique, en rai­son de l’apparen­tement de leurs objets d’étude ; les deux Instituts demeu­raient néan­moins dis­tincts et Nous Nous réser­vions, dès que les cir­cons­tances le per­met­traient, d’établir le pre­mier dans un local particulier.

On pou­vait craindre encore que, dans l’avenir, le nou­vel Institut ne vînt à man­quer d’hommes capables d’enseigner les dis­ci­plines orien­tales. Le meilleur moyen d’éviter cet écueil Nous parut être de confier une œuvre aus­si impor­tante à une seule famille reli­gieuse. Dans Notre Lettre du 14 sep­tembre 1922 Decessor Noster. [Cf. Actes de Pie XI, t. I, p. 407. Edition Bonne Presse], Nous avons ordon­né au Supérieur géné­ral de la Compagnie de Jésus, par dévoue­ment et obéis­sance au Saint-​Siège et au Vicaire du Christ, et en sur­mon­tant toutes les diffi­cultés inhé­rentes au pro­jet, de prendre à sa charge l’entière adminis­tration de l’Institut.

La remise fut faite aux condi­tions sui­vantes : la direc­tion suprême de l’Institut étant réser­vée à Nous et à Nos suc­ces­seurs, le Supérieur géné­ral de la Compagnie de Jésus doit pré­pa­rer les sujets capables en vue des fonc­tions, assu­ré­ment fort dif­fi­ciles, de direc­teur ou de pro­fesseurs de l’Institut ; soit par lui-​même, soit par le direc­teur, il doit à per­pé­tui­té sou­mettre à Notre appro­ba­tion et à celle de Nos succes­seurs la nomi­na­tion des titu­laires aux dif­fé­rentes chaires ; il doit enfin Nous rendre compte de tout ce qui peut sem­bler assu­rer l’existence de l’Institut et en favo­ri­ser les progrès.

Depuis six ans qu’il Nous a plu, sous l’inspiration divine, d’en déci­der ain­si, Nous devons à Dieu la plus vive recon­nais­sance, car Notre labeur a déjà fait lever une riche mois­son. Bien que le nombre des élèves et des audi­teurs n’ait pas été consi­dé­rable et ne puisse l’être dans l’avenir – chose toute natu­relle pour un Institut de ce genre, – il n’a pas été pour­tant si infime que Nous ne puis­sions en éprou­ver une grande joie. Voici donc désor­mais un groupe d’hommes déjà impor­tant, et appe­lé à deve­nir chaque jour plus nom­breux, qui s’ap­prête à quit­ter le recueille­ment de cet Institut pour entrer dans l’ac­tion ; for­te­ment imbu de science et de pié­té, il pro­cu­re­ra aux Orientaux d’importants avantages.

Nous ne sau­rions trop louer les Ordinaires, évêques et supé­rieurs de Congrégations qui, obéis­sant à Nos dési­rs, ont envoyé ici de toutes les nations, de tous les pays, de l’Orient comme de l’Occident, quelques-​uns de leurs prêtres, afin de les faire ins­truire dans les sciences orien­tales. Nous exhor­tons de même les chefs de tous les autres Instituts répan­dus dans le monde entier à suivre ce bel exemple ; qu’ils ne négligent point d’envoyer à Notre Institut Orientai les élèves qu’ils croient les plus aptes ou les plus enclins à ce genre d’études.

A cette occa­sion, Vénérables Frères, Nous vou­lons vous rap­pe­ler ce que Nous expo­sions récem­ment et plus lon­gue­ment dans Notre Lettre ency­clique Mortalium ani­mos. Qui ne sait, en effet, les nom­breuses confé­rences qui ont ten­té de réa­li­ser l’union entre tous les chré­tiens, mais une union étran­gère à l’esprit du Christ, Fondateur de l’Eglise ? Qui n’a enten­du les discus­sions sou­le­vées en plu­sieurs points de l’Europe, sur­tout, et de l’Amé­rique, dis­cus­sions fort graves quand il s’agit des com­mu­nau­tés orien­tales en com­mu­nion avec l’Eglise romaine ou sépa­rées d’elles ?

Les élèves de nos Séminaires, il faut cer­tai­ne­ment s’en réjouir, con­naissent par ren­sei­gne­ment qu’ils reçoivent les erreurs des nova­teurs ; ils en pénètrent et réfutent sans peine la cap­tieuse argu­men­ta­tion. La plu­part cepen­dant n’ont pas reçu un ensei­gne­ment qui leur per­mette d’avoir une opi­nion arrê­tée sur les ques­tions se réfé­rant aux affaires et aux usages des Orientaux, à la légi­ti­mi­té de leurs rites – qui méritent d’être si pieu­se­ment conser­vés dans l’unité catho­lique. Ces ques­tions, fort déli­cates en elles-​mêmes, réclament en effet des études spé­ciales et fort minutieuses.

Dès lors, il ne faut abso­lu­ment rien négli­ger de ce qui peut concou­rir à res­tau­rer l’union si dési­rable d’une par­tie si impor­tante du trou­peau du Seigneur avec la véri­table Eglise du Christ, ni de ce qui peut déve­lopper encore davan­tage les sen­ti­ments de cha­ri­té envers des chré­tiens dif­fé­rents de rites, c’est vrai, mais qui adhèrent du fond de leur cœur et de toute leur âme à l’Eglise romaine et au Vicaire du Christ.

Nous vous conju­rons donc, Vénérables Frères, de dési­gner au moins un de vos prêtres pour le faire exac­te­ment ins­truire des dis­ci­plines orien­tales et Le mettre en mesure de les faire éven­tuel­le­ment connaître aux élèves des Séminaires. Nous sommes loin d’ignorer que c’est aux Universités catho­liques de créer des chaires ou une facul­té spé­cia­le­ment vouées aux ques­tions orien­tales. Ce droit, que Nous-​mêmes avons don­né et encou­ra­gé, on a déjà com­men­cé à en user dans les Univer­sités de Paris, Louvain et Lille. Nous Nous en féli­ci­tons. Nous Nous réjouis­sons éga­le­ment de ce que, dans quelques autres centres d’études théo­lo­giques, par­fois même aux frais des gou­ver­ne­ments agis­sant avec le consen­te­ment et l’appui des évêques, on a récem­ment ins­ti­tué des chaires d’orientalisme de ce genre. Cependant, il ne doit pas être si dif­fi­cile, dans chaque Séminaire théo­lo­gique, d’avoir au moins un maître qui, en même temps que les sciences his­to­riques, litur­giques ou cano­niques, soit capable d’enseigner les pre­miers élé­ments des ques­tions orientales.

A tour­ner ain­si les esprits et les cœurs des élèves vers les doc­trines et les rites orien­taux, il y a cer­tai­ne­ment tout pro­fit non seule­ment pour les Orientaux, mais encore pour les élèves eux-​mêmes. Ces der­niers, en effet, y gagne­ront une connais­sance plus ample de la théo­logie catho­lique et des dis­ci­plines latines ; ils sen­ti­ront plus vive­ment l’amour qu’ils doivent à la véri­table Epouse du Christ, dont l’admirable beau­té et l’unité dans la diver­si­té des rites res­plen­di­ra plus lumineu­sement à leurs yeux.

Tous ces avan­tages qui doivent pro­fi­ter au chris­tia­nisme grâce à la for­ma­tion ain­si pro­cu­rée à la jeu­nesse dont Nous venons de par­ler, Nous les avons plus d’une fois médi­tés. Aussi croyons-​Nous qu’il est de Notre charge de ne rien épar­gner pour que l’Institut Oriental par Nous fon­dé ait une exis­tence non seule­ment par­fai­te­ment assu­rée, mais encore, si pos­sible, flo­ris­sante, grâce à d’incessants progrès.

C’est pour­quoi Nous l’avons éta­bli, dès qu’il Nous fut pos­sible, dans un local spé­cial auprès de Sainte-​Marie Majeure sur l’Esquilin A rache­ter le couvent de Saint-​Antoine, ain­si qu’à le trans­for­mer en vue de son nou­vel usage, Nous avons consa­cré les fonds que Nous devions à la géné­reuse muni­fi­cence d’un évêque récem­ment décé­dé et d’un pieux citoyen des Etats-​Unis. Que tous deux en reçoivent une plus large part des récom­penses célestes, c’est là Notre vœu et Notre prière !

Nous ne vou­lons pas non plus pas­ser sous silence qu’il Nous est venu d’Espagne les moyens de consti­tuer, au siège même de l’Institut, une biblio­thèque plus vaste et plus conve­nable. Nous devions ces louanges à des libé­ra­li­tés exem­plaires ; mais, avec l’expérience acquise au cours des nom­breuses années que Nous avons pas­sées à diri­ger les biblio­thèques Ambrosienne et Vaticane, Nous com­pre­nons sans peine com­bien il importe que cette nou­velle biblio­thèque puisse offrir aux maîtres, comme aux élèves, le moyen de s’instruire aisé­ment des choses de l’Orient et de pui­ser lar­ge­ment à des sources en quelque sorte cachées, par­fois même igno­rées, en dépit de leur richesse ; ce sera là tout pro­fit pour le monde scien­ti­fique. Sans Nous lais­ser effrayer par les dif­fi­cul­tés dont le nombre et la gra­vi­té ne Nous échappent pas, Nous Nous emploie­rons de Notre mieux à recueillir tout ce qui peut se rap­por­ter aux pays, aux mœurs, aux langues et aux rites de l’Orient. Nous serons extrê­me­ment recon­nais­sant envers ceux qui, par un sen­ti­ment de pié­té envers le Vicaire du Christ, nous aide­ront et contri­bue­ront à une si grande œuvre soit par leurs offrandes, soit par des dons de livres, manus­crits, tableaux et autres docu­ments ou sou­venirs ana­logues se réfé­rant à l’Orient chrétien.

Nous espé­rons aus­si que les nations orien­tales, en voyant de leurs propres yeux tant de splen­dides monu­ments de la pié­té, de la doc­trine, des arts de leurs ancêtres, com­pren­dront en quel hon­neur l’Eglise Romaine tient la vraie, per­pé­tuelle et légi­time « ortho­doxie » et tout le soin qu’elle met à conser­ver, défendre et faire connaître tant de témoins du pas­sé. Emus par des rai­sons si nom­breuses et si pres­santes – on peut du moins l’espérer, si sur­tout aux mutuelles rela­tions de tra­vail s’ajoutent les liens de la cha­ri­té chré­tienne, – pour­quoi les Orientaux ne reprendraient-​ils pas les glo­rieuses tra­di­tions de leurs ancêtres et ne renonceraient-​ils pas à leurs pré­ju­gés ? Pourquoi ne reviendraient-​ils pas à cette uni­té si dési­rable, celle qui n’a rien de tron­qué – ain­si qu’il convient à de véri­tables ado­ra­teurs du Christ, ceux qui veulent être unis en un seul ber­cail sous un seul Pasteur, – mais qui est fon­dée sur une pro­fes­sion inté­grale et publique de la foi ?

Puisse ce jour trois fois heu­reux luire enfin pour l’univers chré­tien ! Nos vœux, Nos prières ne cessent de le deman­der à Dieu.

En atten­dant, Vénérables Frères, il vous plai­ra peut-​être d’apprendre com­ment, à l’heure pré­sente et avec Notre appro­ba­tion, l’Institut Oriental consacre ses moyens et son tra­vail à la réa­li­sa­tion d’une si grande œuvre. Il est deux genres de tra­vaux aux­quels s’appliquent les pro­fes­seurs : l’un, qui est en quelque sorte inté­rieur, car il ne dépasse point les limites de l’établissement, l’autre qui est exté­rieur et consiste en la publi­ca­tion de docu­ments, encore inédits ou tom­bés dans l’oubli, sur l’Orient.

En ce qui concerne la for­ma­tion même des élèves, l’enseignement porte sur la théo­lo­gie dog­ma­tique des dis­si­dents, l’explication des Pères orien­taux et tout ce qui peut rai­son­na­ble­ment ser­vir d’introduc­tion aux études orien­tales, qu’il s’agisse d’histoire, de litur­gie, d’ar­chéologie ou de quelque autre branche des sciences sacrées, ain­si que des diverses langues natio­nales. Mais, de plus, et Nous tenons à insis­ter sur le fait, à l’enseignement des ins­ti­tu­tions byzan­tines Nous avons pu joindre enfin celui des ins­ti­tu­tions isla­miques, ensei­gne­ment qui jusqu’à ces temps der­niers était peut-​être abso­lu­ment incon­nu des Universités romaines. Par une bon­té sin­gu­lière de la divine Provi­dence, Nous avons pu dési­gner pour l’en­sei­gne­ment de cette der­nière branche un maître de natio­na­li­té turque qui, après de longues études et la grâce de Dieu aidant, s’est conver­ti au catho­li­cisme et a reçu le sacer­doce. Nul ne Nous a paru plus qua­li­fié pour apprendre aux élèves qui doivent exer­cer le minis­tère sacré par­mi ses com­pa­triotes le moyen de défendre, tant auprès des hommes peu ins­truits que des plus cul­tivés, la cause du Dieu unique et indi­vi­sible, ain­si que de la loi évangélique.

Non moins impor­tantes pour la pro­pa­ga­tion du catho­li­cisme et pour rame­ner l’union légi­time par­mi les chré­tiens seront les œuvres et l’action exté­rieure de l’Institut orien­tal. Sous le titre « Orientalia Chris­tiana », des études ont déjà été publiées dont les auteurs, la plu­part du temps, sont les maîtres de l’Institut, mais dont quelques-​unes, sous la sur­veillance des diri­geants de l’établissement, sont dues à des écri­vains com­pé­tents dans les ques­tions orien­tales. Tantôt elles exposent les con­ditions d’existence pré­sente ou pas­sée de tel ou tel peuple, condi­tions le plus sou­vent incon­nues de nos contem­po­rains ; tan­tôt elles jettent une lumière nou­velle sur l’histoire reli­gieuse de l’Orient grâce à des docu­ments jusqu’ici inédits. D’autres articles exposent les rela­tions des moines d’Orient et même des patriarches avec ce Siège Apostolique, ain­si que la vigi­lance des Pontifes romains à défendre leurs droits et leurs biens ; d’autres encore mettent en paral­lèle les opi­nions théolo­giques des dis­si­dents, au sujet des sacre­ments et de l’Eglise elle-​même, avec la véri­table doc­trine catho­lique ; d’autres enfin éditent et com­mentent les manus­crits orien­taux. Bref, pour Nous arrê­ter dans cette énu­mé­ra­tion, il n’est rien de ce qui touche aux sciences sacrées et con­tienne en soi quelque don­née concer­nant la culture orien­tale – tels, par exemple, les ves­tiges de la civi­li­sa­tion grecque en Italie méridio­nale – qui demeure étran­ger aux inves­ti­ga­tions de ces conscien­cieux érudits.

En contem­plant cet immense labeur, entre­pris avant tout au pro­fit des Orientaux, com­ment ne pas espé­rer que le Christ Jésus, notre Rédempteur infi­ni­ment bon, ne prenne en pitié le sort déplo­rable de tant d’hommes errant jusqu’ici loin du droit che­min et que, secon­dant Notre entre­prise, il ne ramène enfin ses bre­bis dans un seul ber­cail, sous la direc­tion d’un seul Pasteur ?

On est d’autant plus en droit de l’espérer quand on consi­dère que ces peuples conservent reli­gieu­se­ment une part consi­dé­rable de la divine Révélation, qu’ils ont un culte sin­cère pour Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, un amour et une pié­té vrai­ment excep­tion­nels envers sa Mère imma­cu­lée, et même l’usage des sacrements.

Pour tra­vailler à l’œuvre rédemp­trice de l’humanité, Dieu a bien vou­lu, dans sa bon­té, se ser­vir des hommes, notam­ment des prêtres, comme agents. Dès lors, Vénérables Frères, quoi de mieux, sinon de vous exhor­ter, de vous conju­rer encore une fois, avec toute l’ardeur dont Nous sommes capable, de nous prê­ter l’assistance non seule­ment de toutes les forces de votre âme, mais aus­si de votre action et de vos efforts per­son­nels, afin que luise au plus tôt le jour si dési­ré où Grecs, Slaves, Roumains et fils des autres nations d’Orient, non point indivi­duellement, mais en masse, sor­ti­ront de leur iso­le­ment actuel et où Nous pour­rons saluer le retour à l’antique union avec l’Eglise romaine ?

En médi­tant sur tout ce que Nous avons entre­pris et comp­tons accom­plir, avec la grâce de Dieu, pour la réa­li­sa­tion d’un évé­ne­ment aus­si heu­reux, Nous son­geons invo­lon­tai­re­ment à ce père de famille que nous dépeint le Christ Jésus et qui priait ses invi­tés de venir, car tout était déjà prêt. Nous appli­quant ces paroles, Nous vous exhor­tons vive­ment, Vénérables Frères, tous ensemble et cha­cun en par­ti­cu­lier, de pro­mou­voir par tous les moyens pos­sibles les études orien­tales et de joindre toutes vus forces aux Nôtres pour l’accomplissement d’une si grande entre­prise. Tous les obs­tacles à l’union sans cesse dési­rée étant ain­si fina­le­ment apla­nis, sous les aus­pices de la Bienheureuse Vierge, Mère imma­cu­lée de Dieu, par l’intercession des saints Pères et Docteurs tant de l’Orient que de l’Occident, Nous pour­rons alors étreindre ces frères, ces fils si long­temps sépa­rés de Nous, reve­nus enfin dans la mai­son pater­nelle et étroi­te­ment unis par cette cha­ri­té qui a son plus solide fon­de­ment dans la véri­té et la pro­fes­sion inté­grale de la foi chrétienne.

Et pour qu’à Nos des­seins les évé­ne­ments cor­res­pondent heureu­sement, Nous vous accor­dons de tout cœur, en gage des faveurs célestes et en témoi­gnage de Notre bien­veillance pater­nelle, à vous, Vénérables Frères, et aux fidèles qui vous sont confiés, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 8 sep­tembre, en la fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, l’année 1928, la sep­tième de Notre Pontificat.

PIE XI, PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie XI, tome 4, p. 146–166

12 novembre 1923
À l’occasion du IIIe centenaire de la mort de saint Josaphat, martyr, archevêque de Polotsk, pour le rite oriental.
  • Pie XI