Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 23 octobre 1940
La première parole de Notre cœur et de Nos lèvres sera, chers jeunes époux, un acte de gratitude envers la paternelle Providence de Dieu, qui vous a permis, dans le tumulte des discordes et des armes, de chanter au pied de son autel votre cantique d’amour, et qui Nous accorde à Nous-même, parmi tant de tristesses, la joie d’être témoin de votre bonheur. Selon le vœu de la liturgie du mariage, daigne Dieu, auteur de votre union, en être également le conservateur : Ut qui te auctore iunguntur, te auxiliante serventur.
« Dieu est amour », écrit saint Jean (I Jn 4, 8). Amour substantiel et infini, il se complaît, sans désir ni satiété, dans l’éternelle contemplation de sa perfection sans limite. Seul Etre absolu, en dehors duquel il n’y a que néant, s’il veut appeler d’autres êtres à l’existence, il ne peut les tirer que de sa propre richesse. Dérivation plus ou moins lointaine de l’Amour infini, toute créature est donc fruit de l’amour et mue par l’amour.
Dans la nébuleuse du chaos, une première force d’attraction, premier symbole d’amour, groupa jadis autour d’un noyau les éléments cosmiques qui constituent un astre. L’attraction de ce premier en appela un second ; d’autres à leur tour furent gagnés, et les mondes, merveilleux cortège, commencèrent leur ronde par le firmament. Mais le chef-d’œuvre de Dieu, c’est l’homme ; et à ce chef-d’œuvre d’amour il a donné une puissance d’amour ignorée des créatures sans raison. Conscient, l’amour humain est personnel ; libre, il est soumis au contrôle de la volonté responsable, et ce pouvoir de se déterminer par soi-même est, selon le poème de Dante, le plus grand don que nous ayons reçu de la bonté du Dieu créateur, le plus conforme à son amour et le plus apprécié de lui.
Dieu avait donné à l’homme avec le corps et l’âme tout ce qui convient à la nature humaine ; les aspirations de l’homme étaient comblées. Mais la volonté de Dieu ne l’était pas. Il poussa l’amour plus loin encore et il enrichit la créature humaine d’un don nouveau et surhumain : la grâce. La grâce, insondable prodige de l’amour de Dieu, mystère impénétrable à l’intelligence humaine, merveille que l’homme, humble aveu de la prééminence de ce don, a appelée « surnaturelle ».
Sur cette élévation de l’homme à une vie supérieure, les Pères de l’Eglise, les docteurs et les saints ont écrit d’amples traités ; mais au fond, le petit villageois en dit tout autant lorsqu’il récite la phrase de son catéchisme : « La grâce (sanctifiante) rend l’homme participant de la nature divine. » Dans mille ans, dix mille ans peut-être, lorsque, parmi ces mondes qu’une force infatigable lance les uns vers les autres dans leur immense orbite d’amour, l’homme aura découvert avec stupeur la série continue des créatures échelonnées au-dessus et au-dessous de lui ; quand la recherche scientifique, les progrès de la mécanique et les raisonnements de la spéculation auront donné à notre savoir autant de supériorité sur les connaissances modernes que celles-ci paraissent dominer les faibles lueurs de l’âge préhistorique ; peut-être qu’alors une âme géniale éprise de Dieu saura traduire en langage humain quelque chose des prodigalités — que nous ignorons encore — de l’amour divin pour sa créature de prédilection. Mais une fois que cet explorateur du monde de la matière et de l’esprit parviendra, au-delà de nombreux et sublimes sommets, devant la cime inaccessible et immaculée de la grâce, il ne trouvera pour la décrire que ces trois mots de saint Pierre, le Prince des apôtres : Divinae consortes naturae (II Pierre, 1, 4), « la grâce nous rend participants de la nature divine ».
Si l’amour purement sensible a déjà son émouvante et tendre beauté, au point que le Seigneur se compare lui-même à l’aigle qui « veille sur son nid et plane au-dessus de ses petits » (Dt 32, 11), l’amour humain possède, lui, une incomparable noblesse : l’esprit y a sa part, sous l’impulsion du cœur, ce témoin et délicat interprète de l’union du corps et de l’âme, qui met les impressions matérielles de l’un en accord avec les sentiments supérieurs de l’autre. Depuis des siècles, ce charme de l’amour humain a inspiré, dans la littérature, la musique et les arts plastiques, d’admirables œuvres de génie : thème toujours ancien et toujours nouveau sur lequel les âges ont composé, sans l’épuiser jamais, les variations les plus hautes et les plus poétiques.
Mais quelle indicible beauté nouvelle vient enrichir cet amour de deux cœurs humains, lorsque s’unit harmonieusement à son cantique l’hymne de deux âmes vibrantes de vie surnaturelle ! Ici également se réalise l’échange des dons ; et alors, par la tendresse sensible et ses saines joies, par l’affection naturelle et ses élans, par l’union spirituelle et ses délices, les deux êtres qui s’aiment s’identifient dans tout ce qu’ils ont de plus intime, depuis les inébranlables fondements de leurs croyances jusqu’à l’invincible sommet de leurs aspirations. C’est alors un consortium omnis vitae, divini et humani juris communicatio, « une entière communauté de vie, une participation aux mêmes droits divins et humains ».
Telle est l’union du mariage chrétien, modelée, selon la célèbre expression de saint Paul, sur l’union du Christ avec son Eglise (Ep 5, 32). Dans l’une et l’autre, le don de soi est total, exclusif, irrévocable ; dans l’une et l’autre, l’époux est le chef de l’épouse, qui lui est soumise comme au Seigneur (ib., 22–23) ; dans l’une et l’autre, le don mutuel devient principe d’expansion et source de vie.
L’éternel amour de Dieu a suscité du néant le monde et l’humanité ; l’amour de Jésus pour l’Eglise engendre les âmes à la vie surnaturelle ; l’amour de l’époux chrétien pour son épouse a part à ces divines effusions alors que, selon la volonté formelle du Créateur, l’homme et la femme préparent l’habitation d’une âme où vivra le Saint-Esprit avec sa grâce. Ainsi les époux, dans leur mission providentielle, sont les vrais collaborateurs de Dieu et de son Christ ; leurs œuvres elles-mêmes ont quelque chose de divin ; ils peuvent se dire, même ici, divinae consortes naturae, — « participants de la nature divine ».
Faudrait-il donc s’étonner que ces magnifiques prérogatives comportent de graves devoirs ? La noblesse de l’adoption divine oblige les époux chrétiens à bien des renoncements et à bien des actes de courage, afin que la matière ne retienne point l’esprit dans son ascension vers la vérité et la vertu, et que par sa pesanteur elle n’entraîne point les époux dans les abîmes. Mais Dieu ne commande jamais l’impossible ; avec son précepte qui oblige il donne la force de l’accomplir, et si le mariage, qui est un sacrement, impose des devoirs qui peuvent sembler surhumains, il apporte aussi des secours qui se révèlent surnaturels.
Ces secours, Nous avons le ferme espoir que Dieu vous les accordera, chers jeunes époux. Vous les avez demandés dans une ardente prière, alors que vos cœurs au pied de l’autel se donnaient l’un à l’autre pour toujours, et vous venez aujourd’hui, en ce mois de Notre-Dame du Saint-Rosaire, implorer à nouveau l’abondance des grâces célestes, par l’intercession de cette Mère de miséricorde que vous voulez établir Reine de votre foyer. A tous ces gages de bonheur pour votre avenir temporel et éternel, Nous ajoutons de grand cœur la Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.