Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

13 août 1941

Discours aux jeunes époux

Les héroïsmes de la vie chrétienne

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 13 août 1941

Que de fois, chers jeunes époux, avez-​vous enten­du répé­ter que « la vie de l’homme sur la terre est un temps de ser­vice mili­taire » (Jb 7,1) ! Si la vie de l’homme sur la terre est un temps de ser­vice mili­taire, l’homme étant un com­po­sé d’es­prit et de corps, cette vie se dérou­le­ra sur un double ter­rain : lutte phy­sique dans le domaine de la matière et com­bat spi­ri­tuel à l’in­té­rieur de l’es­prit. Ces deux genres de com­bats ont l’un et l’autre leurs périls, leurs épreuves, leurs ver­tus, leurs héros et leurs actes héroïques, leurs triomphes et leurs cou­ronnes d’héroïsme.

Les luttes cor­po­relles sont mani­festes ; les luttes de l’es­prit sont sou­vent cachées : batailles, vic­toires et cou­ronnes secrètes que voit Dieu seul et que Dieu seul récom­pense. Il est seul à connaître les épreuves et les mérites qui exaltent sur les autels les héros de la vertu.

Aujourd’hui, sur les champs de bataille, dans les airs et sur mer, que d’actes héroïques res­plen­dissent d’une force d’âme qui affronte les périls de la mort ! Héroïsmes brillants de jeunes sol­dats et d’in­tré­pides capi­taines, de cohortes et de légions, de prêtres qui, dans la furieuse mêlée, récon­fortent bles­sés et mou­rants, d’in­fir­miers et d’in­fir­mières qui soignent les mala­dies et les plaies ! Il est vrai que toute guerre entre les peuples afflige et fait fré­mir tous les hommes bien nés qu’a­nime la cha­ri­té du Christ, cette cha­ri­té qui embrasse amis et adver­saires et qui donne à toute une vie le mou­ve­ment et la flamme ; mais on ne sau­rait nier que ces cruelles et san­glantes luttes, avec les aus­tères devoirs qu’elles imposent aux com­bat­tants et aux non-​combattants, sus­citent des heures et des moments d’é­preuves lumi­neuses ; et à ces heures-​là se révèle la gran­deur, sou­vent insoup­çon­née et inat­ten­due, d’une foule d’âmes héroïques qui sacri­fient tout, jus­qu’à la vie, pour accom­plir les devoirs de la conscience chrétienne.

Les héroïsmes de la vie quotidienne et les héroïsmes extraordinaires.

Mais ce serait une erreur de croire que la gran­deur d’âme, que les actes héroïques sont des ver­tus réser­vées, telles des fleurs rares, aux seuls champs de bataille, aux seuls temps de guerre, de catas­trophes, de cruelles per­sé­cu­tions, de ruines sociales et poli­tiques. A côté de ces héroïsmes plus mani­festes et plus visibles, de ces actes de magna­ni­mi­té, de ces brillants coups d’au­dace, germent et croissent au fond des val­lées et des cam­pagnes, dans les ave­nues et les ombres des villes, voi­lés dans le train inco­lore de la vie quo­ti­dienne, bien des actes non moins héroïques, qui jaillissent dans le silence de cœurs non moins grands et forts, et qui ne crain­draient point la com­pa­rai­son avec les beaux faits d’armes pro­po­sés à l’ad­mi­ra­tion publique.

N’est-​il pas héroïque l’homme d’af­faires, patron d’une grande indus­trie, qui se voit pour­chas­sé et accu­lé à la ruine par des adver­si­tés impré­vues, et qui refuse de cher­cher l’as­su­rance du salut dans les expé­dients que le monde facile excuse et absout lorsque le suc­cès les cou­ronne, mais que la morale chré­tienne n’ad­met point ; n’est-​il pas héroïque, l’homme d’af­faires qui rentre en lui-​même, inter­roge sa conscience, n’en esquive point la réponse, et qui, en chré­tien fidèle, rejette un moyen contraire à la jus­tice, pré­fé­rant la ruine et la misère plu­tôt que d’of­fen­ser son Dieu et son prochain.

N’est-​elle pas héroïque la jeune fille pauvre qui s’é­puise de tra­vail, moyen­nant un maigre salaire, pour don­ner un mor­ceau de pain à sa vieille mère et à ses frères orphe­lins, mais qui repousse toute facile condes­cen­dance et qui a le cou­rage de gar­der son hon­neur et son cœur, intré­pide à refu­ser les faveurs d’un patron immo­ral et dédai­gneuse des gains abon­dants et mal acquis qui la tire­raient de la gêne ?

N’est-​elle pas héroïque l’a­do­les­cente qui, mar­tyre de sa can­deur et empour­prée de son propre sang, offre à Dieu le lis de sa virginité ?

Ce sont là des héroïsmes de jus­tice, des héroïsmes de chré­tienne digni­té fémi­nine, des héroïsmes dignes des anges, des héroïsmes secrets qui rejoignent ces héroïsmes de foi, de confiance en Dieu, de patience, de cha­ri­té qui fleu­rissent dans les hôpi­taux civils et mili­taires, sur les sen­tiers des mis­sion­naires du Christ en terres infi­dèles, bref par­tout où la force d’âme s’u­nit à l’a­mour de Dieu et du prochain.

Qui donc s’é­ton­ne­rait que dans l’ombre même des foyers se cache l’hé­roïsme fami­lial et que la vie des époux connaisse, elle aus­si, ses secrets héroïsmes : héroïsmes extra­or­di­naires de situa­tions dure­ment tra­giques, et sou­vent igno­rés du monde ; héroïsmes quo­ti­diens de sacri­fices qui se suivent en une chaîne inin­ter­rom­pue et se renou­vellent à chaque ins­tant ; héroïsmes du père, héroïsmes de la mère, héroïsmes de l’un et l’autre ?

Ne vous découragez point : comptez sur la grâce sacramentelle de votre mariage.

Nous Nous réser­vons de prendre les héroïsmes des époux chré­tiens comme sujet spé­cial d’une des pro­chaines allo­cu­tions, néces­sai­re­ment brèves, que Nous pro­non­ce­rons aux audiences géné­rales. Mais Nous ne vou­drions pas, bien-​aimés fils et filles, qu’à Nous entendre par­ler d’hé­roïsmes néces­saires, de sacri­fices héroïques qui vous attendent, vos cœurs se troublent, à l’heure même où l’u­nion sacrée que vous venez de contrac­ter devant Dieu et son ministre les rem­plit de joie. Nous tenons au contraire que Nos paroles aug­mentent votre joie par la consi­dé­ra­tion même de votre union : le Christ ne l’a-​t-​il pas éle­vée à la digni­té de sacre­ment ? N’est-​elle point deve­nue par là une source inta­ris­sable de grâces puis­santes et tou­jours prêtes à vous don­ner lumière et force en tous les sacri­fices, même extra­or­di­naires, que Dieu pour­ra vous impo­ser ? Etroit et invio­lable, le lien du mariage est signe et sym­bole de l’u­nion indis­so­luble du Christ avec l’Eglise (cf. Ep 5,32) ; et le mariage chré­tien est une source de gran­deur et de péren­ni­té non moins pour l’Eglise que pour le peuple fidèle. L’union des époux chré­tiens est aus­si une voie qui conduit à la sain­te­té, et l’Eglise, avec le peuple fidèle, en exalte et en vénère les héros dans ses temples et sur ses autels. C’est de la famille chré­tienne que le divin Epoux de l’Eglise tire ses enfants pour les régé­né­rer dans l’eau et l’Esprit-​Saint ; c’est en elle qu’il choi­sit ses lévites, ses héros, ses héroïnes de cha­ri­té, ses vierges consa­crées, ses prêtres, les pro­pa­ga­teurs de l’Evangile, les che­va­liers et héros du cloître, les pas­teurs et les évêques, les suc­ces­seurs de son pre­mier Vicaire dans le gou­ver­ne­ment uni­ver­sel de son troupeau.

Elevez donc vos cœurs et vos pen­sées ! Ne lais­sez point, au seuil de votre vie nou­velle, tom­ber votre cou­rage : viri­le­ment, héroï­que­ment, regar­dez l’a­ve­nir en face, sous la bien­veillante pro­tec­tion de la Providence de Dieu, dans les mains de qui reposent votre bon­heur et l’au­rore de cha­cune de vos jour­nées, ordi­naires ou extra­or­di­naires, sereines ou nébu­leuses. Dieu ne per­met­tra jamais qu’une épreuve dépasse les forces que vous com­mu­nique la pater­nelle libé­ra­li­té de sa grâce, et cette grâce, si abon­dante et si riche en bien­faits, vous fera trou­ver et goû­ter ici-​bas dans la fidé­li­té aux devoirs les plus dif­fi­ciles une des joies les plus pro­fondes et les plus douces de votre vie.

PIE XII, Pape.