Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 13 août 1941
Que de fois, chers jeunes époux, avez-vous entendu répéter que « la vie de l’homme sur la terre est un temps de service militaire » (Jb 7,1) ! Si la vie de l’homme sur la terre est un temps de service militaire, l’homme étant un composé d’esprit et de corps, cette vie se déroulera sur un double terrain : lutte physique dans le domaine de la matière et combat spirituel à l’intérieur de l’esprit. Ces deux genres de combats ont l’un et l’autre leurs périls, leurs épreuves, leurs vertus, leurs héros et leurs actes héroïques, leurs triomphes et leurs couronnes d’héroïsme.
Les luttes corporelles sont manifestes ; les luttes de l’esprit sont souvent cachées : batailles, victoires et couronnes secrètes que voit Dieu seul et que Dieu seul récompense. Il est seul à connaître les épreuves et les mérites qui exaltent sur les autels les héros de la vertu.
Aujourd’hui, sur les champs de bataille, dans les airs et sur mer, que d’actes héroïques resplendissent d’une force d’âme qui affronte les périls de la mort ! Héroïsmes brillants de jeunes soldats et d’intrépides capitaines, de cohortes et de légions, de prêtres qui, dans la furieuse mêlée, réconfortent blessés et mourants, d’infirmiers et d’infirmières qui soignent les maladies et les plaies ! Il est vrai que toute guerre entre les peuples afflige et fait frémir tous les hommes bien nés qu’anime la charité du Christ, cette charité qui embrasse amis et adversaires et qui donne à toute une vie le mouvement et la flamme ; mais on ne saurait nier que ces cruelles et sanglantes luttes, avec les austères devoirs qu’elles imposent aux combattants et aux non-combattants, suscitent des heures et des moments d’épreuves lumineuses ; et à ces heures-là se révèle la grandeur, souvent insoupçonnée et inattendue, d’une foule d’âmes héroïques qui sacrifient tout, jusqu’à la vie, pour accomplir les devoirs de la conscience chrétienne.
Les héroïsmes de la vie quotidienne et les héroïsmes extraordinaires.
Mais ce serait une erreur de croire que la grandeur d’âme, que les actes héroïques sont des vertus réservées, telles des fleurs rares, aux seuls champs de bataille, aux seuls temps de guerre, de catastrophes, de cruelles persécutions, de ruines sociales et politiques. A côté de ces héroïsmes plus manifestes et plus visibles, de ces actes de magnanimité, de ces brillants coups d’audace, germent et croissent au fond des vallées et des campagnes, dans les avenues et les ombres des villes, voilés dans le train incolore de la vie quotidienne, bien des actes non moins héroïques, qui jaillissent dans le silence de cœurs non moins grands et forts, et qui ne craindraient point la comparaison avec les beaux faits d’armes proposés à l’admiration publique.
N’est-il pas héroïque l’homme d’affaires, patron d’une grande industrie, qui se voit pourchassé et acculé à la ruine par des adversités imprévues, et qui refuse de chercher l’assurance du salut dans les expédients que le monde facile excuse et absout lorsque le succès les couronne, mais que la morale chrétienne n’admet point ; n’est-il pas héroïque, l’homme d’affaires qui rentre en lui-même, interroge sa conscience, n’en esquive point la réponse, et qui, en chrétien fidèle, rejette un moyen contraire à la justice, préférant la ruine et la misère plutôt que d’offenser son Dieu et son prochain.
N’est-elle pas héroïque la jeune fille pauvre qui s’épuise de travail, moyennant un maigre salaire, pour donner un morceau de pain à sa vieille mère et à ses frères orphelins, mais qui repousse toute facile condescendance et qui a le courage de garder son honneur et son cœur, intrépide à refuser les faveurs d’un patron immoral et dédaigneuse des gains abondants et mal acquis qui la tireraient de la gêne ?
N’est-elle pas héroïque l’adolescente qui, martyre de sa candeur et empourprée de son propre sang, offre à Dieu le lis de sa virginité ?
Ce sont là des héroïsmes de justice, des héroïsmes de chrétienne dignité féminine, des héroïsmes dignes des anges, des héroïsmes secrets qui rejoignent ces héroïsmes de foi, de confiance en Dieu, de patience, de charité qui fleurissent dans les hôpitaux civils et militaires, sur les sentiers des missionnaires du Christ en terres infidèles, bref partout où la force d’âme s’unit à l’amour de Dieu et du prochain.
Qui donc s’étonnerait que dans l’ombre même des foyers se cache l’héroïsme familial et que la vie des époux connaisse, elle aussi, ses secrets héroïsmes : héroïsmes extraordinaires de situations durement tragiques, et souvent ignorés du monde ; héroïsmes quotidiens de sacrifices qui se suivent en une chaîne ininterrompue et se renouvellent à chaque instant ; héroïsmes du père, héroïsmes de la mère, héroïsmes de l’un et l’autre ?
Ne vous découragez point : comptez sur la grâce sacramentelle de votre mariage.
Nous Nous réservons de prendre les héroïsmes des époux chrétiens comme sujet spécial d’une des prochaines allocutions, nécessairement brèves, que Nous prononcerons aux audiences générales. Mais Nous ne voudrions pas, bien-aimés fils et filles, qu’à Nous entendre parler d’héroïsmes nécessaires, de sacrifices héroïques qui vous attendent, vos cœurs se troublent, à l’heure même où l’union sacrée que vous venez de contracter devant Dieu et son ministre les remplit de joie. Nous tenons au contraire que Nos paroles augmentent votre joie par la considération même de votre union : le Christ ne l’a-t-il pas élevée à la dignité de sacrement ? N’est-elle point devenue par là une source intarissable de grâces puissantes et toujours prêtes à vous donner lumière et force en tous les sacrifices, même extraordinaires, que Dieu pourra vous imposer ? Etroit et inviolable, le lien du mariage est signe et symbole de l’union indissoluble du Christ avec l’Eglise (cf. Ep 5,32) ; et le mariage chrétien est une source de grandeur et de pérennité non moins pour l’Eglise que pour le peuple fidèle. L’union des époux chrétiens est aussi une voie qui conduit à la sainteté, et l’Eglise, avec le peuple fidèle, en exalte et en vénère les héros dans ses temples et sur ses autels. C’est de la famille chrétienne que le divin Epoux de l’Eglise tire ses enfants pour les régénérer dans l’eau et l’Esprit-Saint ; c’est en elle qu’il choisit ses lévites, ses héros, ses héroïnes de charité, ses vierges consacrées, ses prêtres, les propagateurs de l’Evangile, les chevaliers et héros du cloître, les pasteurs et les évêques, les successeurs de son premier Vicaire dans le gouvernement universel de son troupeau.
Elevez donc vos cœurs et vos pensées ! Ne laissez point, au seuil de votre vie nouvelle, tomber votre courage : virilement, héroïquement, regardez l’avenir en face, sous la bienveillante protection de la Providence de Dieu, dans les mains de qui reposent votre bonheur et l’aurore de chacune de vos journées, ordinaires ou extraordinaires, sereines ou nébuleuses. Dieu ne permettra jamais qu’une épreuve dépasse les forces que vous communique la paternelle libéralité de sa grâce, et cette grâce, si abondante et si riche en bienfaits, vous fera trouver et goûter ici-bas dans la fidélité aux devoirs les plus difficiles une des joies les plus profondes et les plus douces de votre vie.
PIE XII, Pape.