Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 janvier 1941
Chers jeunes époux, vous voulez manifester par votre présence ici une double ardeur : l’ardeur de la jeunesse qui ne craint point d’affronter les rigueurs de l’hiver et qui les vainc ; et l’ardeur de votre foi qui vient demander au Père commun des fidèles une bénédiction pour la famille que vous avez fondée par un irrévocable consentement mutuel. Le bonheur de votre jeune union et le rêve d’une aurore empourprée de joyeuses espérances vous absorbent en ce moment, et le voyage de Rome n’a pas refroidi la flamme de votre cœur ; c’est à peine si vous avez jeté quelques regards sur les campagnes qui fuyaient, sur les plaines gelées et neigeuses, sur les blanches montagnes, sur les arbres tristes qui tendaient les bras nus de leurs branches vers le gris du ciel.
Comme dans l’œuvre de la nature : d’abord les peines, ensuite les joies.
Sous cette froide couverture hivernale, la nature semble dormir le sommeil de la mort ; mais elle vit, et elle parle. Sa silencieuse tranquillité est éloquente : à tous ceux qui ont reçu de Dieu la vocation de transmettre la vie, à vous, par conséquent, elle enseigne cette grande leçon de la divine Providence, qu’au soir de la Passion, Notre-Seigneur rappelait à ses apôtres : « En vérité, en vérité, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits » (Jean, Xii, 24). Quelques instants après, le bon Maître complétait cet enseignement : « Vous serez affligés mais votre affliction se changera en joie. La femme, lorsqu’elle enfante, est dans la souffrance, parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu’elle a qu’un homme est né dans le monde » (Jn 16,21). Profonde vérité, humaine et chrétienne à la fois : la vie ne se transmet que par le sacrifice, et la transmission de la vie est une ineffable joie qui chasse tous les souvenirs de la douleur.
Regardez les campagnes et admirez l’œuvre de la nature. Le grain confié à la terre s’y étend comme dans un sépulcre ; il meurt, semble-t-il, et se décompose, afin que le germe qu’il enclot puisse se développer, ouvrir l’œil, paraître à la lumière en verdure et pousser une tige vigoureuse. Mais l’hiver viendra s’appesantir sur ce grain, avant que la tiédeur du printemps et la chaude saison n’épanouissent le germe en fleur et la fleur en fruit. Dans l’ordre plus élevé de la nature vivante sensible, toute naissance est plus ou moins douloureuse. Mais la douleur enfante l’amour : la mère, vous l’avez constaté, a besoin de se donner à ses petits, de les garder avec vigilance, de les nourrir de son lait ou de les réchauffer sous ses ailes, si elle veut conserver et fortifier la vie qu’elle leur a transmise.
Et comme l’hiver précède le printemps, ainsi les peines, dans cette mystérieuse communication de la vie, devancent les joies promises à toute fécondité. Dans l’attente de la moisson désirée, le laboureur sacrifie sans regret et même avec la joie de l’espérance les meilleures de ses graines. La moisson est encore lointaine ; il ne sait quel temps, ni quelle récolte, facile ou difficile, lui enverra la Providence ; mais il n’hésite pas à répandre, de son ample geste de semeur, sur les mottes du champ retourné, les poignées de graines choisies qui vont subir, avant de lever en tiges vertes, les frimas des bises et le froid des neiges, et se décomposer dans les sillons humides ; l’hiver surmonté, les tiges chargées de lourds épis inclineront la tête, comme pour exprimer leur reconnaissance au ciel et à la terre féconde qui les ont nourries.
L’heure joyeuse des semailles.
Pour vous, chers jeunes mariés, vous voilà maintenant à l’heure des joyeuses semailles en un champ préparé par l’amour. Mais déjà vous l’avez appris, tout jeunes que vous êtes, à l’école de l’expérience,
l’avenir qui s’ouvre devant vous, et que Nous vous souhaitons plein de bonheur chrétien, ne vous donnera pas seulement des jouissances et des joies, et, surtout en nos jours agités, vous ne remplirez pas sans peine votre sublime mission de donner la vie à de candides enfants, présents du ciel qu’il vous appartient d’élever et de former à la piété par vos paroles et vos exemples, et qui doivent être un jour votre soutien et celui de la patrie, vos compagnons dans la gloire de l’éternité bienheureuse.
Le cultivateur ne craint pas de courir les divers risques des jours d’orage, de sécheresse et de gel ; Dieu, il le sait fort bien, dans les desseins de sa miséricorde les comptera ; Dieu ne laisse pas mourir de faim les passereaux qui viennent voleter autour de la charrue, et il n’abandonnera pas non plus l’homme, son serviteur, qui met en lui ses espérances. Pour vous, vous n’ignorez point que Dieu ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces (1Co 10,13) et que la patience fait œuvre parfaite (Jc 1,2). N’en doutez pas : il proportionnera, dans son infinie bonté, les épreuves à vos forces, ou mieux, aux forces qu’il vous donnera lui-même par sa grâce. Cette foi en Dieu est aujourd’hui pour vos cœurs la source de la confiance : elle sera demain le soutien de vos travaux.
Les réconforts et consolations ne manqueront point.
Mais cela ne doit pas vous faire oublier qu’aux heures elles-mêmes les plus dures que l’avenir vous réserve peut-être, les consolations et les douceurs ne vous manqueront point. Dans les campagnes, vous le savez, l’hiver connaît des joies. N’est-ce pas alors que la famille, dispersée par les travaux durant les autres saisons, se retrouve le plus souvent réunie au foyer ? N’est-ce pas alors le temps des longues, paternelles et fraternelles veillées, où les cœurs se sentent battre plus près les uns des autres et où, par des conversations et par des silences plus éloquents que les paroles, les âmes se pénètrent mieux et se rencontrent plus intimement dans les sentiments et les pensées ? N’est-ce pas alors que le passé, le présent et l’avenir animent joyeusement les souvenirs et les causeries de la famille ?
Pour vous non plus, bien-aimés fils et filles, si des heures même très pénibles vous attendent, le ciel ne se montrera pas moins riche en réconforts et en consolations. Soyez sans crainte : acceptez les épreuves en chrétiens confiants et courageux, recevez-les des mains de Dieu lui-même, qui les ordonne à votre avancement ; et, alors, loin d’être, comme c’est trop souvent le cas, des occasions de murmures et de plaintes, de querelles et de désunion, elles rapprocheront vos cœurs et la peine fortifiera votre mutuel amour, car l’homme ne vit pas sans douleur. Vous vous connaîtrez, vous vous parlerez, vous vous comprendrez de mieux en mieux et, plus vous avancerez sur le chemin de la vie, plus vous serez l’un à l’autre un appui. Le feu de la tribulation donnera à l’amour qui vous unit une fermeté définitive : rien ne pourra désormais séparer deux âmes qui auront souffert ensemble avec vaillance, et porté leur croix côte à côte dans l’union au Christ.
L’unique source du vrai bonheur.
Voilà les pensées que Nous inspire Notre amour pour vous. Elles pourront, en ces jours de joie, vous sembler austères ; mais, si vous les considérez à la lumière de la foi qui vous amène ici, c’est là l’unique source du vrai bonheur. Le vrai bonheur ! Ce bonheur ne peut éclore et durer que dans les cœurs qui savent comprendre, accepter et aimer le sens profond de la vie présente. Ce bonheur n’est point puéril, irréfléchi ni frivole, comme celui du monde ; il en est d’autant plus intime, solide et assuré. Fondé sur la plénitude de l’esprit chrétien, il ne s’écroule pas sous le vent de l’adversité, et par lui les joies et les douleurs de la terre deviennent utiles pour une vie meilleure.
Cet esprit chrétien, jeunes mariés, Nous le demandons à Dieu pour vous et pour tous les vôtres, et, en gage des grâces et faveurs divines, Nous vous donnons de Notre cœur de Père la Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.