Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

6 janvier 1873

Lettre encyclique Quartus supra

Sur le schisme arménien

On expose dans cette Encyclique l’origine, le pro­grès et l’état actuel du schisme armé­nien, dont Sa Sainteté se plaint dans plu­sieurs discours.

Aux véné­rables frères le Patriarche de Cilicie Antoine Pierre IX, les Archevêques et Évêques, et aux chers fidèles, le cler­gé et le peuple du rite Arménien, qui sont en grâce et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

Pie IX.

Vénérables frères et chers fils, salut et béné­dic­tion apostolique.

Vingt-​quatre ans se sont déjà écou­lés depuis le jour où, tan­dis que l’on célé­brait l’anniversaire sacré de l’apparition d’une nou­velle étoile en Orient, des­ti­née à éclai­rer les nations, Nous don­nâmes Nos Lettres Apostoliques aux Orientaux [1] pour confir­mer dans la foi les catho­liques, et rame­ner au ber­cail unique de Jésus-​Christ ceux qui mal­heu­reu­se­ment se trouvent hors de l’Eglise Catholique. Une douce espé­rance Nous sou­riait et Nous fai­sait croire qu’avec le secours de Dieu et de Jésus-​Christ notre Sauveur la pure­té de la foi chré­tienne s’étendrait davan­tage en Orient, et que le zèle de la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, pour l’organisation et la forme de laquelle, dans le sens des saints Canons, Nous pro­met­tions l’assistance de Notre auto­ri­té, refleu­ri­rait dans cette contrée. Dieu sait quelle sol­li­ci­tude Nous avons mon­trée depuis lors pour les Orientaux et avec quel sen­ti­ment cha­ri­table Nous les avons pour­sui­vis. Tout le monde sait ce que Nous avons fait dans ce but, et plût à Dieu que tout le monde l’eût bien com­pris. Mais, par un impé­né­trable juge­ment de Dieu, il est arri­vé que les faits n’ont nul­le­ment répon­du à Notre attente ni à Nos soins, et non seule­ment Nous ne devons pas Nous réjouir, mais bien plu­tôt Nous plaindre et gémir à la vue de la nou­velle cala­mi­té qui est venue fondre sur quelques églises des Orientaux.

2. En effet, vous êtes obli­gés de souf­frir et d’expérimenter aujourd’hui ce que Jésus-​Christ, l’auteur et le consom­ma­teur de la foi, avait déjà annon­cé à l’avance lorsqu’il disait [2] que beau­coup vien­draient en son nom et sédui­raient un grand nombre de fidèles en disant : « Je suis le Christ. » Et voi­là que l’adversaire et l’ennemi com­mun du genre humain, après avoir fait naître depuis déjà trois ans un nou­veau schisme par­mi les Arméniens, dans la ville de Constantinople, fait tout ce qui est en lui pour ren­ver­ser la foi, cor­rompre la véri­té et déchi­rer l’unité, employant, à cet effet, une sagesse sécu­lière, des dis­cours héré­tiques, les sub­ti­li­tés d’une four­be­rie astu­cieuse, et même la vio­lence quand il le peut. Toul en déplo­rant et en dévoi­lant les arti­fices et les ruses de cet enne­mi, saint Cyprien avait dit de lui [3] : « Il ravit les hommes à l’Église même, et tan­dis que ceux-​ci croient déjà s’être appro­chés de la lumière et avoir échap­pé à la nuit du siècle, il verse de nou­veau sur eux d’autres ténèbres sans qu’ils s’en aper­çoivent, de sorte que ces hommes, après avoir aban­don­né l’Évangile de Jésus-​Christ, ses obser­vances et ses lois, se disent chré­tiens, et croient avoir la lumière, tan­dis qu’ils marchent dans les ténèbres. C’est ain­si qu’ils sont flat­tés et trom­pés par leur enne­mi qui, selon l’expression de l’Apôtre, se trans­fi­gure comme en ange de lumière et suborne ses ministres comme des ministres de jus­tice lorsqu’ils affirment la nuit pour le jour, la mort pour le salut, le déses­poir sous l’aspect de l’espérance, la per­fi­die sous l’apparence de la fidé­li­té, l’antéchrist sous le nom de Jésus-​Christ, de sorte que lorsqu’ils disent faus­se­ment des choses vrai­sem­blables, ils éludent la véri­té par leurs subtilités. »

3. Mais bien que les com­men­ce­ments de ce nou­veau schisme, comme il arrive tou­jours en pareil cas, fussent enve­lop­pés de beau­coup de détours, Nous en avons cepen­dant entre­vu la per­ver­si­té et les périls, et, selon que Nous l’imposait Notre devoir, Nous, y avons résis­té de toutes Nos forces par Nos Lettres Apostoliques du 24 février 4870, com­men­çant par ces mots : Non sine gra­vis­si­mo, et par celles du 20 mai de la même année, dont les pre­miers mots sont : Quo impen­siore. Toutefois, la chose en vint à ce point que, mépri­sant les exhor­ta­tions, les aver­tis­se­ments et les cen­sures de ce Siège Apostolique, les auteurs et les fau­teurs de ce schisme ne crai­gnirent pas de se choi­sir un pseudo-​patriarche ; mais Nous, par Nos lettres Ubi pri­ma du 11 mars 1871, Nous décla­râmes que cette élec­tion était nulle et schis­ma­tique, et que l’élu ain­si que les élec­teurs avaient encou­ru les peines cano­niques. Or, après s’être empa­rés par la vio­lence des églises catho­liques, après avoir contraint le patriarche légi­time, notre véné­rable frère Antoine Pierre IX, à quit­ter le ter­ri­toire de l’empire otto­man, après avoir occu­pé mili­tai­re­ment le siège patriar­cal de Cilicie, dans le Liban, et s’être empa­rés même de la pré­fec­ture civile, ces nou­veaux schis­ma­tiques se sont impo­sés à la nation catho­lique armé­nienne, et s’efforcent par tous les moyens de l’entraîner avec eux en la déta­chant de la com­mu­nion et de l’obéissance du Siège Apostolique. Or, afin que tout s’accomplisse selon leurs dési­rs, celui qui se donne sur­tout beau­coup de peine, c’est un des prêtres néo-​schismatiques, Jean Kupélian, que Notre véné­rable frère Nicolas, arche­vêque de Marcianopolis et délé­gat apos­to­lique dans la Mésopotamie et dans d’autres contrées, avait, par Notre Autorité, publi­que­ment et nom­mé­ment excom­mu­nié, et qu’il avait décla­ré sépa­ré de l’Église catho­lique, parce qu’il avait déjà fomen­té des troubles et sus­ci­té le schisme dans la ville de Diarbékir, appe­lée aus­si Amida. En effet, après avoir reçu du pseudo-​patriarche une consé­cra­tion épis­co­pale sacri­lège et s’être empa­ré du pou­voir, cet homme ose et pré­tend sou­mettre à sa domi­na­tion les catho­liques du rite armé­nien, employant ouver­te­ment pour cela, tan­tôt les pro­messes, tan­tôt les menaces. Que si jamais il pou­vait réus­sir, les catho­liques seraient entiè­re­ment réduits de nou­veau à cette si misé­rable condi­tion sous laquelle ils gémis­saient quarante-​deux ans aupa­ra­vant, lorsqu’ils étaient sous la domi­na­tion des vieux schis­ma­tiques de leur rite.

4. Afin d’éloigner de vous de si grands maux, Nous n’avons, en véri­té, négli­gé aucun moyen, sui­vant en cela l’exemple que Nous ont tou­jours don­né nos pré­dé­ces­seurs, dont les plus illustres évêques et les pères des Églises orien­tales eurent tou­jours cou­tume, dans de sem­blables cir­cons­tances, d’implorer l’autorité, l’appui et le secours. C’est dans ce but que Nous y avons envoyé notre légat extra­or­di­naire ; et afin que tout le monde pût voir que Nous n’avons man­qué en rien, Nous avons der­niè­re­ment adres­sé une lettre per­son­nelle au très-​haut empe­reur otto­man, en deman­dant que les dom­mages cau­sés aux armé­niens catho­liques fussent jus­te­ment répa­rés, et que le pas­teur exi­lé fût ren­du à son trou­peau. Mais les arti­fices de ceux qui, tout en se disant catho­liques, sont les enne­mis de la croix de Jésus-​Christ, ont empê­ché que les faits ne répon­dissent à Nos vœux.

5. Il est donc évident que les choses en sont arri­vées à un tel point qu’elles font craindre sérieu­se­ment que les auteurs et les dis­ciples du nou­veau schisme ne fassent pire et ne finissent par séduire et entraî­ner dans la voie de la per­di­tion, comme ils se le pro­posent, ceux d’entre les catho­liques, tant Arméniens que des autres rites, qui sont ou plus faibles dans la foi ou moins défiants. Aussi les devoirs apos­to­liques de Notre charge Nous imposent-​ils l’obligation de vous par­ler de nou­veau et de vous faire entendre à tous Nos ensei­gne­ments, afin de dis­si­per les ténèbres et d’écarter les voiles épais dont Nous savons la véri­té enve­lop­pée, et pou­voir ain­si affer­mir ceux qui savent résis­ter, sou­te­nir ceux qui chan­cellent, et, avec le secours de Dieu, rap­pe­ler dans la voie du bien ceux qui ont eu le mal­heur de s’écarter de la véri­té et de l’unité catho­lique, si tou­te­fois ils veulent Nous entendre, ce que Nous deman­dons ins­tam­ment à Dieu.

6. La prin­ci­pale fraude dont les auteurs et les dis­ciples du nou­veau schisme se servent pour le mas­quer, c’est sur­tout le nom de catho­liques qu’ils ne craignent pas d’usurper, mal­gré la sen­tence de condam­na­tion éma­née de Notre auto­ri­té. Telle a tou­jours été, du reste, la cou­tume des héré­tiques et des schis­ma­tiques : ils s’appellent catho­liques et s’attribuent avec orgueil de grandes choses, pour induire en erreur tout à la fois et les peuples et les princes. Parmi les Pères qui l’ont remar­qué, Nous cite­rons saint Jérôme qui disait [4] : « Les héré­tiques ont cou­tume de dire à. leur roi, à leur Pharaon : Nous sommes les fils de ces sages qui nous ont trans­mis, dès le prin­cipe, la doc­trine apos­to­lique ; nous sommes les fils des anciens rois appe­lés rois des phi­lo­sophes, et en nous se trouve la science des Écritures unie à la sagesse du siècle. »

Or, pour prou­ver qu’ils sont catho­liques, ces néo­schis­ma­tiques en appellent à une décla­ra­tion de foi, comme ils l’appellent, qu’ils ont publiée le 6 février 1870, dans laquelle ils disent qu’il n’y a rien qui soit en désac­cord avec la foi catho­lique. Mais il n’a jamais été per­mis à per­sonne de prou­ver qu’il est catho­lique en pro­dui­sant à son gré des for­mules de foi où l’on a cou­tume de pas­ser sous silence ce que l’on n’aime pas confes­ser ; il est au contraire de toute néces­si­té de sous­crire aux for­mules pro­po­sées par l’Église, comme nous l’atteste l’histoire ecclé­sias­tique de tous les temps.

8. Ce qui confirme aus­si que leur décla­ra­tion de foi était trom­peuse et per­fide, c’est qu’ils ont reje­té celle qui, sui­vant la cou­tume, leur a été pro­po­sée en Notre nom, et que Notre Vénérable Frère Antoine Joseph, arche­vêque de Tyane et légal apos­to­lique de Constantinople, leur avait ordon­né de sous­crire par ses lettres moni­toires du 29 sep­tembre de la même année. Il est en effet aus­si contraire à la consti­tu­tion divine de l’Église qu’à la tra­di­tion per­pé­tuelle et constante que quelqu’un puisse prou­ver la catho­li­ci­té de sa foi et s’appeler véri­ta­ble­ment catho­lique lorsqu’il n’obéit pas à ce Siège Apostolique, car il est néces­saire que ce siège [5], par sa pri­mau­té plus éle­vée, domine toutes les autres églises, c’est-à-dire tous les fidèles répan­dus dans le monde, et celui [6] qui aban­donne cette chaire de Pierre, sur laquelle l’Église est fon­dée, se per­suade faus­se­ment qu’il est dans l’Église, puisque celui-​là est déjà schis­ma­tique [7] et pécheur qui élève une chaire contre la chaire unique de Pierre, de laquelle [8] découlent sur toutes les autres les droits sacrés de communion.

9. Les illustres évêques des églises orien­tales connais­saient si bien cette véri­té, que dans le synode célé­bré à Constantinople l’an 536, Mennas, évêque de cette ville [9], décla­rait cette doc­trine qui eut l’approbation des Pères : « Nous sui­vons, comme votre cha­ri­té le sait, le Siège Apostolique, et nous lui obéis­sons ; nous accep­tons ceux qui sont en com­mu­nion avec lui, et nous condam­nons ceux qu’il condamne. » Saint Maxime [10], abbé de Chrysopolis, expri­mait cette véri­té d’une manière plus claire encore et plus expres­sive, lorsqu’en par­lant de Pyrrhus le mono­thé­lite il disait : « Si Pyrrhus ne veut point être héré­tique ni s’entendre appe­ler de ce nom, il ne doit cher­cher à com­plaire ni à celui-​ci, ni à celui-​là ; c’est inutile et irrai­son­nable, car de même que lorsqu’un seul est scan­da­li­sé à cause de lui, tous le sont éga­le­ment, de même aus­si, lorsqu’il satis­fait à un seul, il com­plaît à tous. Qu’il se bâte avant tout de satis­faire au Siège de Rome, car si ce Siège est satis­fait, tous les autres sièges le recon­naî­tront d’un com­mun accord pour un homme pieux et ortho­doxe. Il parle donc inuti­le­ment celui qui ima­gine de m’attirer à lui par de sem­blables dis­cours ; il faut aupa­ra­vant qu’il contente et qu’il implore le très-​saint Pape de la très-​sainte Église romaine, c’est-à-dire le Siège Apostolique, qui a reçu en tout et pour tout, du Verbe incar­né même de Dieu, le com­man­de­ment, l’autorité et le pou­voir de lier et de délier, com­man­de­ment, auto­ri­té et pou­voir qu’il a non seule­ment sur tous les saints synodes dans les limites fixées par les saints canons, mais encore sur toutes les saintes églises de Dieu qui sont dans le monde. » Aussi Jean, évêque de Constantinople, protestait-​il solen­nel­le­ment, comme le fit plus tard à l’unanimité le VIIIe concile œcu­mé­nique, lorsqu’il disait « que les noms de ceux qui étaient sépa­rés de la com­mu­nion de l’Église catho­lique, c’est-à-dire de ceux qui n’adhéraient pas en toutes choses au Siège Apostolique, ne devaient pas être pro­non­cés dans les saints mys­tères [11]. » Il signi­fiait clai­re­ment par ces paroles qu’il ne les recon­nais­sait point comme de vrais catho­liques. Toutes ces décla­ra­tions sont d’un tel poids qu’il faut en conclure que tout homme qui a été décla­ré schis­ma­tique par le pon­tife romain doit ces­ser entiè­re­ment d’usurper le nom de catho­lique tant qu’il ne recon­naît pas et ne révère pas expres­sé­ment tout son pouvoir.

10. Mais comme les néo-​schismatiques ne peuvent en reti­rer aucun avan­tage, ils se sont mis à suivre les traces des héré­tiques modernes ; ils se sont excu­sés en disant que la sen­tence de schisme et d’excommunication, por­tée contre eux en Notre nom par Notre Vénérable Frère l’archevêque de Tyane, délé­gué apos­to­lique dans la ville de Constantinople, était injuste et par consé­quent nulle et sans valeur. Ils ont même été jusqu’à dire qu’ils ne pou­vaient s’y sou­mettre, de crainte que les fidèles, pri­vés de leur minis­tère, n’embrassassent le par­ti des héré­tiques. Mais ce sont là des rai­sons d’une nou­velle espèce, com­plè­te­ment inouïes et incon­nues aux Pères de l’Église. En effet, « l’Église entière répan­due dans le monde sait que le Siège de l’Apôtre saint Pierre a le droit de délier les liens impo­sés par sen­tence de n’importe quel évêque, puisque ce siège a le droit de juger les affaires de toute l’Église, et qu’il n’est per­mis à per­sonne d’en appe­ler à son juge­ment [12]. » Aussi les héré­tiques jan­sé­nistes ayant osé ensei­gner [13] que sous pré­texte d’injustice on pou­vait mépri­ser l’excommunication lan­cée par son légi­time pré­lat, et conti­nuer à rem­plir, mal­gré tout, ce qu’ils appellent son propre devoir, Clément XI, Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire, publia contre les erreurs de Quesnel la consti­tu­tion Unigenitus, par laquelle étaient pros­crites et condam­nées ces mêmes pro­po­si­tions qui, du reste, ne dif­fé­raient en rien de quelques articles de Jean Vicleff, déjà condam­nés par le synode de Constance et par le pape Martin V. Il peut arri­ver par­fois, il est vrai, que par suite de la fai­blesse humaine, quelqu’un soit frap­pé de cen­sure par son pré­lat ; mais il faut, comme le fait obser­ver saint Grégoire le Grand Notre pré­dé­ces­seur [14], « que celui qui est sous la dépen­dance d’un pas­teur craigne d’être lié, même injus­te­ment, et ne cri­tique pas le juge­ment de son pas­teur avec témé­ri­té, de peur que, même s’il est lié injus­te­ment, il ne se rende cou­pable, par le fait de son orgueil et de sa cri­tique pas­sion­née, d’une faute qui n’existait pas d’abord. » Si donc ceux-​là mêmes qui sont liés par une sen­tence injuste du pas­teur doivent craindre, que faut-​il dire de ceux qui sont liés pré­ci­sé­ment parce que, rebelles à leur pas­teur et à ce Siège Apostolique, ils ont déchi­ré et déchirent par un nou­veau schisme la robe sans cou­ture du Christ, c’est-à-dire l’Église ?

11. Quant à la cha­ri­té avec laquelle les prêtres sur­tout doivent pour­suivre les fidèles, elle doit par­tir d’un cœur pur, d’une conscience droite et d’une foi sin­cère, comme nous l’enseigne l’apôtre saint Paul (I Tim., I, 5.) qui, énu­mé­rant ailleurs les qua­li­tés qui doivent nous dis­tin­guer comme les ministres de Dieu, ajou­tait : dans une cha­ri­té sin­cère et dans la parole de véri­té (II Cor., vi, 6.). Or, Jésus-​Christ lui-​même, notre Dieu, qui est cha­ri­té (I Joan., iv, 8.), a clai­re­ment ordon­né de consi­dé­rer comme païens et comme publi­cains ceux qui n’écouteraient pas l’Église (Matt., xviii, 17.). Du reste, Notre pré­dé­ces­seur saint Gélase [15] répon­dait à Euphême, évêque de Constantinople, qui lui allé­guait de sem­blables dif­fi­cul­tés : « C’est au trou­peau de suivre le pas­teur lorsque celui-​ci veut le rame­ner aux pâtu­rages salu­taires, et non point au pas­teur de Suivre le trou­peau à tra­vers les sen­tiers éga­rés, il faut en effet ins­truire le peuple et non pas le suivre ; et notre devoir est de lui faire connaître, s’il l’ignore, ce qui est per­mis ou ce qui ne l’est pas, et non point de nous rendre à ses volon­tés [16]. »

12. Mais les néo-​schismatiques disent qu’il n’a pas été ques­tion de dogme, mais de dis­ci­pline, parce que c’est à la dis­ci­pline que se rap­porte Notre Constitution Reversurus du 12 juillet 1807, et par consé­quent on ne peut refu­ser le nom de catho­liques à ceux qui refusent de la recon­naître. Mais vous com­pre­nez aisé­ment, Nous n’en dou­tons point, com­bien un tel sub­ter­fuge est inutile et vain. L’Église catho­lique, en effet, a tou­jours consi­dé­ré comme schis­ma­tiques ceux qui résistent opi­niâ­tre­ment à ses légi­times pré­lats, et sur­tout au Pasteur suprême, et qui refusent d’exécuter leurs ordres et même de recon­naître leur auto­ri­té. Les membres de la fac­tion armé­nienne ayant sui­vi une pareille ligne de conduite, per­sonne ne pour­rait en aucune manière les croire exempts du crime de schisme, alors même qu’ils n’auraient pas été condam­nés comme tels par l’Autorité Apostolique. En effet, l’Église, ain­si que l’ont ensei­gné les Pères [17], est le peuple réuni au prêtre et le trou­peau adhé­rent à son pas­teur ; d’où il suit que l’évêque est dans l’Église, et que l’Eglise est dans l’évêque, et si quelqu’un n’est point avec l’évêque, il n’est plus dans l’Église. D’ailleurs, comme le fai­sait obser­ver Pie VI, Notre pré­dé­ces­seur, dans ses lettres apos­to­liques [18], par les­quelles il condam­nait la consti­tu­tion civile du cler­gé de France, sou­vent la dis­ci­pline est tel­le­ment unie au dogme, et a une telle influence sur la conser­va­tion de sa pure­té, que les saints conciles n’ont pas hési­té, dans beau­coup de cas, de frap­per d’anathème les vio­la­teurs de la dis­ci­pline et de les sépa­rer de la com­mu­nion de l’Eglise.

13. Les néo-​schismatiques sont encore allés plus loin, tant il est vrai « qu’il n’y a pas de schisme [19] qui n’invente quelque héré­sie pour mon­trer qu’il avait de bonnes rai­sons de sépa­rer de l’Église. » Ils n’ont donc pas craint de Nous accu­ser, Nous et le Siège Apostolique, d’avoir outre­pas­sé les limites de Notre pou­voir et d’avoir osé por­ter la faux dans la mois­son d’autrui lorsque nous avons pres­crit l’observance de cer­tains points de dis­ci­pline dans le patriar­cat armé­nien, comme si les églises orien­tales ne devaient conser­ver avec Nous que la com­mu­nion et l’unité de foi, sans être sou­mises à l’autorité apos­to­lique de saint Pierre dans les ques­tions qui regardent la dis­ci­pline. Or, une telle doc­trine est non seule­ment héré­tique après les défi­ni­tions et les décla­ra­tions du Concile Œcuménique du Vatican sur la nature et les rai­sons de la pri­mau­té du Souverain-​Pontife, mais elle a tou­jours été consi­dé­rée et abhor­rée comme telle par l’Eglise catho­lique. C’est pour ce motif que les évêques du concile œcu­mé­nique de Calcédoine, confes­sant ouver­te­ment dans ses actes l’autorité suprême du Siège Apostolique, deman­daient hum­ble­ment à Notre pré­dé­ces­seur saint Léon de vou­loir bien confir­mer et sanc­tion­ner leurs décrets, même ceux qui trai­taient de la discipline.

14. Et en véri­té « le suc­ces­seur de Pierre [20], par cela seul qu’il tient la place de Pierre, a de droit divin tout le trou­peau de Jésus-​Christ confié à sa garde, de sorte qu’il reçoit, de concert avec l’épiscopat, le pou­voir du gou­ver­ne­ment uni­ver­sel, tan­dis qu’aux autres évêques il est néces­saire de leur assi­gner une por­tion spé­ciale du trou­peau, afin qu’ils puissent exer­cer sur cette por­tion la juri­dic­tion ordi­naire du gou­ver­ne­ment ; et cela non par droit divin, mais par droit ecclé­sias­tique, non par un ordre de Jésus-​Christ, mais par une dis­po­si­tion hié­rar­chique. Si le droit suprême d’assigner ain­si les por­tions du trou­peau était contes­té à saint Pierre et à ses suc­ces­seurs, les fon­de­ments mêmes des églises, sur­tout des prin­ci­pales, en seraient ébran­lés, ain­si que leurs pré­ro­ga­tives ; « car si le Christ [21] a vou­lu que les autres princes de l’Église eussent quelque chose de com­mun avec saint Pierre, ce n’est jamais que par l’entremise de Pierre qu’il leur a don­né ce qu’il ne leur a pas refu­sé. » En effet, « c’est saint Pierre qui a illus­tré [22] le siège (d’Alexandrie), en y envoyant l’évangéliste son dis­ciple ; c’est lui qui a fon­dé le siège (d’Antioche), qu’il occu­pa pen­dant sept ans, bien qu’il dût le quit­ter ensuite. Quant aux décrets por­tés dans le concile de Calcédoine rela­ti­ve­ment au siège de Constantinople, Anatole lui-​même, évêque de cette ville [23], et l’empereur Marcien [24] recon­nurent publi­que­ment qu’ils avaient abso­lu­ment besoin d’être approu­vés et confir­més par le Siège Apostolique.

15. Aussi les néo-​schismatiques auront beau se van­ter d’être catho­liques ; ils ne pour­ront jamais se le per­sua­der à eux-​mêmes, à moins de ne tenir aucun compte de la tra­di­tion constante et per­pé­tuelle de l’Eglise, et confir­mée de la manière la plus écla­tante par les témoi­gnages des Pères. Et si les sub­ti­li­tés et les four­be­ries des héré­tiques n’étaient pas suf­fi­sam­ment connues et bien prou­vées, on ne pour­rait com­prendre com­ment le gou­ver­ne­ment otto­man peut consi­dé­rer comme catho­liques ceux qu’il sait avoir été ban­nis de l’Eglise catho­lique par un juge­ment émane de Notre Autorité. Si donc l’on veut que la reli­gion catho­lique puisse se main­te­nir en toute sécu­ri­té et en toute liber­té dans l’empire otto­man, comme le garan­tissent les décrets du très-​haut empe­reur, il faut admettre tout ce qui appar­tient à cette même reli­gion, telle qu’est pré­ci­sé­ment la pri­mau­té de juri­dic­tion du Pontife romain, et lais­ser déter­mi­ner qui sont ceux qui sont ou ne sont pas catho­liques à son juge­ment, en sa qua­li­té de chef et pas­teur uni­ver­sel et suprême de cette reli­gion, car c’est là un droit que l’on recon­naît uni­ver­sel­le­ment à toute socié­té pure­ment humaine et privée.

16. Et puis ces néo-​schismatiques assurent qu’ils ne s’opposent nul­le­ment aux ins­ti­tu­tions de l’Église catho­lique, et qu’ils ne veulent autre chose que défendre les droits de leurs églises, de leur nation, et même les droits de leur haut empe­reur, qu’ils s’imaginent avoir été vio­lés par Nous. C’est ain­si qu’ils ne craignent pas de reje­ter sur nous et sur ce Siège Apostolique la cause des troubles actuels ; et en cela ils se com­portent comme autre­fois les Acaciens schis­ma­tiques envers Notre pré­dé­ces­seur saint Gélase [25], et avant eux les héré­tiques ariens qui calom­niaient le pape Libère, Notre pré­dé­ces­seur, parce qu’il refu­sait de condam­ner saint Athanase, évêque d’Alexandrie, et de com­mu­ni­quer avec eux [26]. On pour­ra donc s’attrister d’une pareille conduite, mais non pas s’en éton­ner. En effet, comme l’écrivait à ce sujet le même pape saint Gélase à l’empereur Anastase : « Il est sou­vent dans la nature des malades d’accuser les méde­cins qui veulent les rap­pe­ler à la san­té par des ordon­nances pro­por­tion­nées à leur mala­die, plu­tôt que de consen­tir à réprou­ver et à éloi­gner leurs appé­tits nui­sibles. » Mais comme il semble que c’est sur­tout au moyen de ces accu­sa­tions que les néo-​schismatiques se conci­lient la faveur des puis­sants et les entraînent à pro­té­ger leur mau­vaise cause, il devient abso­lu­ment néces­saire, pour que les fidèles ne soient point induits en erreur, de trai­ter cette ques­tion d’une manière plus déve­lop­pée que s’il s’agissait sim­ple­ment de réfu­ter ces calomnies.

17. Nous ne vou­lons cer­tai­ne­ment pas rap­pe­ler ici l’état mal­heu­reux dans lequel tom­bèrent les églises catho­liques de l’Orient, après que le schisme s’y fut intro­duit, et que Dieu, vou­lant ven­ger l’unité de son Église déchi­rée, eut per­mis la des­truc­tion de l’empire grec. Ce n’est pas non plus notre inten­tion de rap­pe­ler toute la peine qu’ont prise Nos pré­dé­ces­seurs pour rame­ner, aus­si­tôt qu’ils le purent, les bre­bis éga­rées dans le ber­cail unique et vrai de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Et bien que les fruits n’aient pas abon­dam­ment répon­du à leur tra­vail, tou­te­fois, par la misé­ri­corde divine, quelques églises de dif­fé­rents rites sont reve­nues à la véri­té et à l’unité catho­lique ; et le Saint-​Siège, les accueillant dans ses bras comme des enfants nou­veaux nés, a mon­tré avant toute autre chose sa sol­li­ci­tude pour les raf­fer­mir dans la foi catho­lique et les conser­ver entiè­re­ment exempts de toute tache d’hérésie.

18. Aussi, dès que la nou­velle fut par­ve­nue à Rome, de la pro­pa­ga­tion en Orient des dogmes per­vers d’une cer­taine secte déjà condam­née par le Siège apos­to­lique, dogmes qui ten­daient sur­tout à abais­ser la pri­mau­té de juri­dic­tion du Souverain Pontife, Pie VII d’heureuse mémoire, pro­fon­dé­ment ému de la gra­vi­té et du dan­ger d’une telle doc­trine, son­gea à prendre des mesures oppor­tunes, dans la crainte que, par suite de vaines sol­li­ci­tudes et d’inutiles dis­cus­sions, la for­mule sûre que les Pères avaient trans­mise ne vint quelque jour à s’effacer peu à peu de l’esprit des fidèles. C’est pour­quoi il ordon­na d’envoyer aux patriarches et aux évêques orien­taux l’antique for­mule de saint Hormisdas, Notre pré­dé­ces­seur, et il leur enjoi­gnit [27] en même temps d’exiger, par­tout où s’étendait leur juri­dic­tion, que les évêques et tous les membres du cler­gé sécu­lier et régu­lier, ayant charge d’âmes, sous­cri­vissent, s’ils ne l’avaient déjà fait aupa­ra­vant, la pro­fes­sion de foi pres­crite aux Orientaux par Urbain VII, pro­fes­sion de foi qui devait éga­le­ment être exi­gée de ceux qui seraient ini­tiés plus tard aux ordres ecclé­sias­tiques ou pro­mus à quelque minis­tère sacré.

19. Mais peu après, c’est-à-dire en l’an 1806, un synode dit d’Antioche fut réuni dans le monas­tère de Carcaphas, dans le dio­cèse de Bérouth. Les dis­po­si­tions de ce synode avaient été emprun­tées, en grande par­tie, d’une manière secrète et frau­du­leuse au synode de Pistoie, dont plu­sieurs pro­po­si­tions avaient été condam­nées par le Siège de Rome ; par­mi ces pro­po­si­tions, les unes avaient été copiées tex­tuel­le­ment, les autres insi­nuées d’une manière ambi­guë. Elles ren­fer­maient, en outre, d’autres pro­po­si­tions qui sen­taient le baïa­nisme et le jan­sé­nisme, étaient contraires à l’autorité ecclé­sias­tique, trou­blaient l’état de l’Église et étaient oppo­sées à la sainte doc­trine et à la dis­ci­pline bien connue de l’Église. Ce synode de Carcaphas, dont les actes furent publiés en arabe à l’insu du Saint-​Siège en 1810, avait exci­té de nom­breuses plaintes de la part des évêques, et fut enfin désap­prou­vé et condam­né par Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire, Grégoire XVI, qui dans ses lettres apos­to­liques [28] ordon­na aux évêques de pui­ser la règle de leur gou­ver­ne­ment et de leur doc­trine dans les autres synodes depuis long­temps approu­vés par le Siège Apostolique ; et plût à Dieu que les erreurs dont four­millait ce synode eussent dis­pa­ru avec sa condam­na­tion ! Loin de là : ces doc­trines ne ces­sèrent pas de se répandre fur­ti­ve­ment, atten­dant une occa­sion favo­rable pour se mani­fes­ter aux yeux du public, et les néo-​schismatiques armé­niens ont osé réa­li­ser main­te­nant ce qu’ils avaient ten­té en vain il y a vingt ans.

20. Mais comme la dis­ci­pline est la sau­ve­garde de la foi, il fal­lait aus­si que le Siège Apostolique, sui­vant son droit et son devoir, s’appliquât acti­ve­ment à la réta­blir. Il ne man­qua jamais à son devoir, assu­ré­ment très-​grave, bien que, en rai­son des cir­cons­tances de temps et de lieu, il n’ait pu remé­dier peu à peu qu’aux dif­fi­cul­tés les plus occur­rentes, atten­dant tou­jours des temps meilleurs qui, grâce à Dieu, vinrent enfin. En effet, sur les ins­tances de Nos pré­dé­ces­seurs Léon XII et Pie VIII, qui dai­gnèrent appuyer les sou­ve­rains catho­liques de l’Autriche et de la France, le très-​haut empe­reur otto­man, après avoir connu la dif­fé­rence qui existe entre les catho­liques et les héré­tiques, vou­lut bien sous­traire les pre­miers à l’autorité civile des seconds, et ordon­na que désor­mais, selon l’usage du pays, ils eussent leur propre chef, ou pré­fet civil, comme on l’appelle. On put alors, pour la pre­mière fois, créer en toute sûre­té, à Constantinople, des évêques du rite armé­nien, jouis­sant de leur pou­voir ordi­naire ; on put construire des églises catho­liques du même rite, et pro­fes­ser et exer­cer libre­ment le culte catho­lique. C’est pour­quoi Notre pré­dé­ces­seur Pie VIII, d’heureuse mémoire, éta­blit à Constantinople le siège archi­épis­co­pal des Arméniens [29], sou­cieux avant tout d’y faire fleu­rir la dis­ci­pline ecclé­sias­tique de la manière la plus conve­nable et la plus oppor­tune que possible.

21. Au bout de quelques années, aus­si­tôt que les cir­cons­tances Nous parurent avan­ta­geuses, Nous éri­geâmes [30] des sièges épis­co­paux sou­mis au siège pri­ma­tial de Constantinople, et ce fut alors qu’on éta­blit les règles à suivre pour l’élection des évêques. Plus tard, par un diplôme impé­rial en date du 7 avril 1857, adres­sé à Notre Vénérable Frère Antoine Abassoun, alors pri­mat de Constantinople, le très-​haut empe­reur de l’empire otto­man pour­vut enfin, de sa propre auto­ri­té, à ce que le pou­voir de celui qu’on appelle le pré­fet civil ne s’immisçât pas dans les choses spi­ri­tuelles, ce qui est tout à fait contraire aux lois de l’Église catho­lique. Mais lorsque, d’après la demande des Arméniens eux-​mêmes, Nous réunîmes, par Nos Lettres Apostoliques com­men­çant par le mot Reversurus, au siège patriar­cal de Cilicie l’Église pri­ma­tiale de Constantinople, dont le litre fut ain­si abro­gé, il Nous sem­bla oppor­tun et même néces­saire de pres­crire, par l’autorité de cette même Constitution, de remettre en vigueur la dis­ci­pline ecclé­sias­tique dans tout le patriar­cat arménien.

22. Mais l’homme enne­mi com­men­ça par semer la ziza­nie dans l’église armé­nienne de Constantinople, en fai­sant, peu après, sou­le­ver par quelques-​uns la ques­tion de la pré­fec­ture civile de la com­mu­nau­té armé­nienne, qu’ils accu­saient le nou­veau patriarche d’avoir usur­pée. Une grave per­tur­ba­tion sui­vit de près cette contro­verse, et le même patriarche fut encore accu­sé d’avoir tra­hi les droits natio­naux en accep­tant, comme il convient à un évêque catho­lique, Notre sus­dite consti­tu­tion, contre laquelle se tour­nèrent dès lors toutes les menées, toutes les machi­na­tions et toutes les criaille­ries des dissidents.

23. A ce sujet, deux sortes de dis­po­si­tions ont été sur­tout incri­mi­nées celles qui concer­naient l’élection des évêques, et celles qui se rap­por­taient à l’administration des biens ecclé­sias­tiques. Ce sont là, en effet, les dis­po­si­tions qu’on a calom­nieu­se­ment repré­sen­tées comme contraires aux droits de la nation armé­nienne, et même à ceux du très-​haut empe­reur. Et bien que les condi­tions que nous avons pres­crites sur ces deux points essen­tiels dussent être par­fai­te­ment connues, tou­te­fois il sera bon que nous les répé­tions ici. Il y a tou­jours eu, en effet, des hommes [31], et il y en a encore, qui parlent dans la vani­té de leur sen­ti­ment à cause de l’ignorance qui est en eux, et d’autres [32] qui, sem­blables aux devins et aux inter­prètes de songes, pro­noncent leur juge­ment sur ce qu’ils ignorent.

24. Nous avons ordon­né que le patriarche fût élu par le synode des évêques, et que les laïques, et même tous les clercs non revê­tus du carac­tère épis­co­pal, ne pussent prendre aucune part à son élec­tion. Nous avons pareille­ment défen­du que le nou­vel élu pût faire usage de son auto­ri­té, ou comme l’on dit, fût intro­ni­sé avant d’avoir reçu ses lettres de confir­ma­tion du Siège Apostolique. Quant au mode d’élection des évêques, Nous avons pres­crit que tous les évêques de la pro­vince se réunissent en synode, et pro­posent au Siège Apostolique trois ecclé­sias­tiques méri­tants. Nais dans le cas où tous les évêques ne pour­raient se rendre au synode, Nous avons pres­crit qu’au moins trois évêques pour­vus de dio­cèses se réunissent en synode avec le patriarche, et qu’ils fassent connaître par écrit aux évêques absents les trois can­di­dats qu’ils auront pro­po­sés. Cela fait, le Pontife romain choi­si­ra l’un de ces trois sujets et lui confie­ra la direc­tion de l’église vacante. Du reste Nous avons décla­ré que Nous ne dou­tions pas que les évêques ne missent tous leurs soins à pro­po­ser des can­di­dats dignes et méri­tants, et que Nous espé­rions que jamais ni Nous ni Nos suc­ces­seurs ne serions for­cés, pour rem­plir les devoirs de Notre minis­tère apos­to­lique, de choi­sir et de pla­cer à la tête de l’église vacante un ecclé­sias­tique qui n’aurait pas été pro­po­sé par les évêques.

25. Si l’on veut exa­mi­ner ces dis­po­si­tions avec un esprit déga­gé des pré­oc­cu­pa­tions de par­ti, on les trou­ve­ra en tout conformes à l’esprit catho­lique des saints canons. Pour ce qui regarde l’exclusion des laïques de l’élection des évêques, il faut, pour ne rien énon­cer de contraire à la foi catho­lique, dis­tin­guer avec soin le droit d’élire les évêques et la facul­té de rendre témoi­gnage sur la vie et les mœurs de ceux qui doivent être élus. Reconnaître aux laïques le droit d’élire les évêques serait renou­ve­ler les opi­nions fausses de Luther et de Calvin qui affir­maient que ce pou­voir appar­te­nait aux laïques de droit divin ; or, per­sonne n’ignore que l’Eglise catho­lique a tou­jours réprou­vé cette doc­trine, et que le peuple n’a jamais eu, ni de droit divin, ni de droit ecclé­sias­tique, le pou­voir d’élire les évêques ou les autres ministres du culte.

20. Au sujet du témoi­gnage que le peuple rend sur la vie et les mœurs de ceux qui doivent être éle­vés à l’épiscopat, Nous répon­dons : « Lorsque [33], par suite de la vio­lence des ariens que favo­ri­sait l’empereur Constance, les évêques catho­liques com­men­cèrent à être chas­sés de leurs sièges, sur les­quels on pla­çait les dis­ciples d’Arius, comme le déplore saint Athanase (Hist. Arian. ad Monach., n. 4), on fut for­cé, par la néces­si­té même des temps, de per­mettre au peuple d’assister aux élec­tions des évêques, afin de l’exciter à défendre dans son siège l’évêque qu’il avait vu élire sous ses yeux. » Il est vrai que cette cou­tume fut quelque temps en vigueur dans l’Église ; mais comme elle don­nait lieu à des désordres conti­nuels, à des tumultes et à d’autres abus, il fal­lait l’en écar­ter et se pas­ser du témoi­gnage et du désir du peuple sur la per­sonne à élire. En effet, comme le fait remar­quer saint Jérôme [34], « par­fois le juge­ment du peuple et du vul­gaire s’égare, et par­mi les prêtres qui doivent être approu­vés, cha­cun suit ses propres incli­na­tions, de sorte que c’est moins un bon chef que l’on cherche qu’un chef qui res­semble à soi-même. »

27. Néanmoins, en pres­cri­vant le mode d’élection, Nous avons lais­sé au synode même des évêques libre facul­té de s’enquérir des qua­li­tés des can­di­dats de la manière qu’il lui plai­rait, et même de pro­vo­quer le témoi­gnage du peuple si cela lui fai­sait plai­sir. Et ce qui le prouve, c’est que, même après Notre Constitution, ce témoi­gnage du peuple fut demande par les pré­lats armé­niens lorsque, il y a plus de trois ans, il s’agit d’élire un évêque pour les pro­vinces de Sébast et Tokat, comme en font foi les actes envoyés b ce Saint-​Siège. Toutefois, lorsqu’il s’agit de l’élection du patriarche, Nous n’avons pas cru et nous ne croyons pas devoir accor­der une pareille facul­té, soit à cause de l’éminence de sa digni­té patriar­cale, soit parce qu’il est pla­cé à la tête de tous les évêques de son pays, soit enfin parce que les actes envoyés à ce Siège Apostolique indiquent clai­re­ment que les élec­tions des patriarches d’un rite orien­tal quel­conque ont tou­jours clé faites par les évêques seuls, excep­té peut-​être quand des cir­cons­tances par­ti­cu­lières et extra­or­di­naires ont exi­gé le contraire. C’est ce qui est arri­vé, par exemple, lorsque les catho­liques cher­chaient à se garan­tir contre le pou­voir et la vio­lence des schis­ma­tiques aux­quels ils étaient sou­mis, et que, ayant choi­si un autre patriarche, ils vou­laient comme confir­mer, par le fait seul de leur éloi­gne­ment des schis­ma­tiques, leur véri­table et sin­cère conver­sion à la foi catho­lique ; c’est ce qui est arri­vé dans l’élection d’Abraham Pierre I.

28. Mais ce que quelques-​uns ont le plus de peine à souf­frir, et ce dont ils se plaignent le plus, c’est que Nous ayons récla­mé pour ce Siège Apostolique le droit et le pou­voir d’élire l’évêque par­mi les trois can­di­dats, et que Nous ayons défen­du l’intronisation du patriarche élu avant qu’il ait été confir­mé par le Pontife romain. À pro­pos de quoi ils Nous opposent les cou­tumes de leurs églises et les canons, comme si Nous Nous étions écar­té de l’observance des saints canons. On pour­rait à bon droit leur répondre par les paroles de saint Gélase, Notre pré­dé­ces­seur [35], qui eut à souf­frir la même calom­nie de la part des Acaciens schis­ma­tiques : « Ils nous objectent les canons, disait-​il, ce qui prouve qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent, car par le fait seul qu’ils refusent d’obéir au pre­mier siège qui leur conseille des choses justes et sen­sées, ils montrent qu’ils attaquent ces canons. » Ce sont en effet les canons eux-​mêmes qui recon­naissent la pleine auto­ri­té divine de saint Pierre sur l’Eglise tout entière, et qui pro­clament, comme il est dit dans le concile d’Ephèse [36], que saint Pierre, jusqu’à pré­sent et tou­jours, vit et gou­verne dans ses suc­ces­seurs. Ce fut donc à juste litre que Étienne, évêque de Larissa, put répondre har­di­ment à ceux qui s’imaginaient que l’intervention du Pontife romain dimi­nuait, jusqu’à un cer­tain point, les pri­vi­lèges des églises de la ville royale de Constantinople : « L’autorité du Siège apos­to­lique qui a été don­née au prince des apôtres par notre Dieu et Sauveur Jésus-​Christ est supé­rieure à tous les pri­vi­lèges des saintes églises, et toutes les églises du monde reposent sur cette auto­ri­té qu’elles recon­naissent [37]. »

29. Certainement, si vous rap­pe­lez à votre sou­ve­nir l’histoire de votre pays, vous y ver­rez que les exemples de Pontifes romains usant d’un tel pou­voir, lorsqu’ils en ont jugé l’exercice néces­saire pour sau­ve­gar­der les églises orien­tales ne manquent pas. C’est ain­si que le Pontife romain Agapet, de sa propre auto­ri­té, chas­sa Anthime du siège de Constantinople et lui sub­sti­tua Mennas, sans avoir réuni aucun synode. C’est ain­si encore que Martin Ier, Notre pré­dé­ces­seur, confia ses pou­voirs, pour les pays orien­taux, à Jean, évêque de Philadelphie, et, comme il dit lui-​même [38] : En ver­tu de l’autorité apos­to­lique qui nous a été don­née de Dieu par saint Pierre, le prince des Apôtres, ordon­na au même évêque de consti­tuer des évêques, des prêtres et des diacres dans toutes les villes des pro­vinces sou­mises soit au siège de Jérusalem, soit à celui d’Antioche. Et s’il vous plaît de vous repor­ter à des époques plus récentes, vous trou­ve­rez que l’évêque des Arméniens de Mardin a été élu et consa­cré de par l’autorité de ce Siège Apostolique. Enfin nos pré­dé­ces­seurs confièrent ce soin des églises aux patriarches de Cilicie, en leur attri­buant l’administration du pays de Mésopotamie pour tout le temps qu’il plai­rait au Saint-​Siège. Or, tout cela est par­fai­te­ment conforme au pou­voir du suprême Siège romain, pou­voir que l’Église des Arméniens, si l’on excepte la déplo­rable époque du schisme, a tou­jours recon­nu, pro­cla­mé et res­pec­té. Et en cela il n’y a rien d’étonnant, lorsqu’on voit ceux mêmes d’entre vos conci­toyens qui sont encore éloi­gnés de la foi catho­lique conser­ver dans sa pleine vigueur l’antique tra­di­tion de ce grand évêque et mar­tyr, en qui vous êtes jus­te­ment fiers d’admirer l’illuminateur de votre nation, que Chrysostome [39] appe­lait un soleil levant sur les contrées de l’Orient, et dont les rayons étin­ce­lants pénètrent jusque chez les Grecs ; quand on les voit, disons-​nous, conser­ver la tra­di­tion que ce grand évêque et mar­tyr avait reçu son auto­ri­té du Siège Apostolique, auprès duquel il n’hésita pas à se rendre sans se lais­ser aucu­ne­ment effrayer par les dif­fi­cul­tés d’un long et pénible voyage.

30. Ce sont donc ces motifs très-​graves, lon­gue­ment et mûre­ment pesés, comme Dieu en est témoin, qui Nous ont pous­sé, après avoir exa­mi­né les faits anciens et récents, à en venir enfin à ces déter­mi­na­tions, et cela sans y être exci­té par d’autres, mais de notre propre mou­ve­ment et en pleine connais­sance de cause. En effet, cha­cun com­prend aisé­ment que de la régu­lière élec­tion des évêques dépend le bon­heur éter­nel des peuples, par­fois même leur féli­ci­té tem­po­relle ; et c’est pour cette rai­son qu’ayant sur­tout égard aux cir­cons­tances de temps et de lieu, nous avons dû veiller à ce que le pou­voir d’instituer de saints évêques fût ren­du tout entier au Siège Apostolique d’où il pro­cède. Toutefois, nous avons cru devoir tem­pé­rer l’exercice de ce pou­voir de telle sorte que Nous avons non seule­ment conser­vé au synode des évêques le droit d’élire le patriarche, mais Nous lui avons encore accor­dé celui de Nous pro­po­ser trois can­di­dats propres à occu­per les sièges vacants, comme Nous l’avons éta­bli dans notre Constitution dont Nous avons par­lé plus haut.

31. Bien plus, afin d’exciter le zèle des non­cha­lants et de sti­mu­ler encore ceux qui sont déjà sur la bonne voie, Nous avons décla­ré que Nous espé­rions qu’on Nous pro­po­se­rait des sujets vrai­ment conve­nables et tout à fait dignes d’une si grande charge, de sorte que Nous ne fus­sions jamais for­cé de nom­mer au siège vacant une per­sonne prise en dehors des can­di­dats pro­po­sés. C’est du reste ce que Nous avions déjà fait remar­quer dans la méthode éta­blie par Nous en 1853 [40]. Or, Nous avons appris que plu­sieurs ont sai­si dans ces paroles, d’ailleurs très simples, une occa­sion de soup­çon­ner que la pro­po­si­tion faite par les évêques réunis en synode ne fût illu­soire et de nulle valeur à Nos yeux. D’autres sont allés plus loin et ont pen­sé que ces paroles cachaient le des­sein de confier à des évêques latins le gou­ver­ne­ment des Arméniens. En véri­té, des accu­sa­tions aus­si ineptes ne méritent aucune réponse, car ceux-​là seuls ont pu Nous accu­ser, qui se sont éga­rés dans leurs vaines pen­sées, et qui se sont effrayés lorsqu’il n’y avait rien à craindre. Quant à Notre droit de choi­sir un sujet en dehors des trois can­di­dats pro­po­sés, Nous n’avons pas cru devoir le pas­ser sous silence, afin que dans l’avenir le Siège Apostolique ne fût jamais for­cé de recou­rir à l’exercice de ce droit. Du reste, n’en aurions-​Nous pas par­lé, que ce droit et ce devoir seraient res­tés dans toute leur inté­gri­té à la chaire de Saint-​Pierre. En effet, les droits et les pri­vi­lèges accor­dés à cette chaire par Jésus-​Christ lui-​même peuvent être atta­qués, mais ne sau­raient jamais lui être enle­vés, et il n’est pas au pou­voir d’un homme de renon­cer à un droit divin qu’il peut être par­fois obli­gé d’exercer par la volon­té de Dieu même.

32. Du reste, bien que ces pres­crip­tions aient été impo­sées il y a déjà bien­tôt vingt ans, et que plu­sieurs fois il ait été ques­tion d’élire des évêques, il ne Nous est jamais arri­vé de Nous ser­vir de ce pou­voir, pas même lorsque, à une époque plus récente et après la publi­ca­tion de la Constitution Reversurus, Nous avons une fois reçu une liste de trois can­di­dats, par­mi les­quels il nous a été impos­sible de choi­sir un évêque. Dans cette cir­cons­tance, plu­tôt que de nom­mer une per­sonne en dehors de ces trois can­di­dats, Nous avons ordon­né au synode des évêques de renou­ve­ler la liste d’après les règles par Nous pres­crites ; et si ce renou­vel­le­ment n’a pas encore eu lieu, c’est au schisme qui com­men­ça alors à déchi­rer l’Église des Arméniens qu’on doit en attri­buer la cause. Mais Nous espé­rons bien que les temps, pour les églises catho­liques armé­niennes, ne seront jamais mal­heu­reux à ce point que les Pontifes romains soient for­cés de nom­mer à leurs sièges des can­di­dats non pro­po­sés par le synode des évêques.

33. Il convient d’ajouter quelques réflexions sur la défense d’introniser les patriarches avant que leur élec­tion n’ait été confir­mée par ce Siège Apostolique. Les docu­ments les plus anciens attestent que jamais l’élection des patriarches n’a été tenue pour valide et rati­fiée sans le consen­te­ment et la confir­ma­tion du Pontife romain, d’où il suit que cette confir­ma­tion a tou­jours été deman­dée avec prière, même de la part des empe­reurs, par ceux qui avaient été élus à un siège patriar­cal. Ainsi, sans recou­rir à d’autres exemples dans une ques­tion si connue, Nous rap­pel­le­rons Anatole, évoque de Constantinople, qui était cer­tai­ne­ment loin d’avoir bien méri­té du Siège Apostolique ; bien plus, Photius lui-​même, le pre­mier auteur du schisme grec ; ces deux patriarches sol­li­ci­tèrent du Pontife romain la confir­ma­tion de leur élec­tion, employant pour cela l’intervention des empe­reurs Théodore, Michel et Basile. Les pères de Chalcédoine [41], au contraire, vou­lurent main­te­nir sur son siège Maxime, évêque de Chalcédoine, bien qu’ils eussent décla­ré nuls tous les actes du synode, ou plu­tôt du bri­gan­dage d’Ephèse, dans lequel ce même Maxime avait été sub­sti­tué à Domnus. Et pour­quoi ? Parce que « le saint et bien­heu­reux Pape qui confir­ma l’épiscopat du saint et véné­rable Maxime avait assez mon­tré, par son juste juge­ment, qu’il avait approu­vé le mérite de Maxime. »

34. Que s’il s’agit des patriarches de ces églises qui, à des époques plus récentes, sont ren­trés dans l’unité catho­lique après avoir abju­ré le schisme, vous n’en trou­ve­rez aucun qui n’ait deman­dé la confir­ma­tion du Pontife romain. El les mêmes pon­tifes romains les ont tous confir­més par leurs lettres, de telle sorte que, par le même acte, ils les ins­ti­tuaient et les pla­çaient à la tête de leurs églises. Il est arri­vé, sans doute, que les patriarches élus exer­çaient leur auto­ri­té avant d’avoir été confir­més par le Souverain Pontife ; mais ce n’était que par suite d’une tolé­rance du Saint-​Siège moti­vée par l’éloignement de ces contrées, les périls de la route et les mal­heurs dont ils étaient sou­vent mena­cés par la tyran­nie des schis­ma­tiques du même rite. Une pareille faveur, du reste, a été accor­dée par dis­pense en Occident à ceux qui étaient très-​éloignés, en vue de l’utilité des églises, et de la néces­si­té où elles se trou­vaient [42]. Mais il est juste aus­si de remar­quer que les causes de cette tolé­rance ont ces­sé d’exister depuis que les voyages n’offrent plus de dif­fi­cul­tés et que les catho­liques, grâce à la bien­veillance du très-​haut empe­reur otto­man, ont été sous­traits au pou­voir civil des schis­ma­tiques. Et d’abord, il n’est per­sonne qui ne voie qu’une telle pres­crip­tion pour­voit avec plus de sûre­té à la conser­va­tion de la foi, qui pour­rait être trou­blée au gré de celui qui, indigne de rem­plir une si haute charge, s’emparerait du siège patriar­cal avant d’avoir été confir­mé par l’autorité du Siège Apostolique ; et puis tout le monde doit recon­naître que cette pres­crip­tion empêche les occa­sions des troubles qui pour­raient s’élever si le patriarche élu devait aban­don­ner son siège après avoir été reje­té par le Siège Apostolique.

35. Certainement, si l’on veut exa­mi­ner avec atten­tion les choses en elles-​mêmes, on ver­ra à l’évidence que toutes les pres­crip­tions de Notre Constitution tendent à la conser­va­tion et à l’accroissement de la foi catho­lique, aus­si bien qu’à la défense de la vraie liber­té de l’Église et de l’autorité des évêques ; auto­ri­té dont les droits et les pri­vi­lèges que la fer­me­té du Siège Apostolique conso­lide, affer­mit et appuie, ont tou­jours été vigou­reu­se­ment défen­dus par les Pontifes romains contre les héré­tiques et les ambi­tieux, sur les ins­tances des évêques de tout rang, de toute nation et de tout rite.

36. Quant aux droits qu’on appelle natio­naux, Nous n’avons pas besoin de Nous étendre beau­coup pour y répondre. En effet, s’il s’agit seule­ment des droits civils, Nous dirons qu’ils sont sou­mis au pou­voir du sou­ve­rain, auquel il appar­tient d’en juger et d’en déci­der selon qu’il le croi­ra plus conve­nable pour le bien de ses sujets. Si, au contraire, par droits natio­naux on entend les droits ecclé­sias­tiques, Nous répon­drons alors que per­sonne ne peut igno­rer que jamais les catho­liques n’ont recon­nu aux nations ou aux peuples aucun droit sur l’Eglise. Dieu les a tou­te­fois si bien réunis dans l’unité de son nom, sous la conduite de celui qu’il a pla­cé à la tête de son Église, saint Pierre, le pas­teur suprême et le prince des Apôtres, qu’il n’y a plus désor­mais, comme le disait l’Apôtre, de Gentils ni de Juifs, de Barbares ni de Scythes, d’esclaves ni d’hommes libres ; il n’y a plus que le Christ qui est tout en tous [43], Il résulte de là que le corps tout entier de l’Église étant com­pacte et par­fai­te­ment uni, tout accrois­se­ment d’alimentation opé­ré sui­vant la grâce pro­duit une aug­men­ta­tion du corps en rap­port avec la gran­deur de chaque membre pour son édi­fi­ca­tion dans la cha­ri­té [44]. En effet, le Seigneur non seule­ment n’a don­né aux peuples et aux nations aucun pou­voir sur l’Église, mais il leur a enjoint de croire [45] aux apôtres char­gés de les ins­truire. De là vient que saint Pierre lui-​même décla­ra publi­que­ment, en pré­sence des Apôtres et des anciens assem­blés, que Dieu l’avait choi­si afin que les nations reçussent par sa bouche l’enseignement de l’Évangile et y crussent (Act., xv, 7.).

37. En outre, on Nous accuse d’avoir vio­lé les droits du très-​haut empe­reur Ottoman. C’est une calom­nie trop vul­gaire et déjà usée par suite du long emploi qu’en ont fait les héré­tiques. En effet, cette calom­nie, inven­tée d’abord par les Juifs contre Jésus-​Christ, et employée par les païens auprès des empe­reurs romains, les héré­tiques s’en empa­rèrent bien­tôt, et s’en ser­virent très-​souvent auprès des princes catho­liques eux-​mêmes, et plût à Dieu qu’ils ne s’en ser­vissent plus main­te­nant ! Aussi saint Jérôme [46] a‑t-​il dit que « les héré­tiques ont cou­tume de flat­ter le haut pou­voir royal, et cela afin d’imputer aux rois leur propre orgueil et pour que le roi paraisse avoir fait ce qu’ils ont fait eux-​mêmes. Ils accusent, dit-​il, auprès de lui les saints et les pré­di­ca­teurs de la loi, et ordonnent aux doc­teurs de ne point prê­cher en Israël, pour ne pas aller contre la volon­té du roi, parce que Béthel, c’est-à-dire la mai­son de Dieu, et une fausse église est la sanc­ti­fi­ca­tion du roi et la mai­son du royaume. » Le silence et le mépris seraient plus que suf­fi­sants pour anéan­tir des calom­nies aus­si impu­dentes, tant elles sont contraires aux ensei­gne­ments de la foi catho­lique, à Notre carac­tère et à Nos habi­tudes. Mais Nous devons aus­si pen­ser aux simples et aux igno­rants, et faire en sorte qu’ils n’éprouvent de dom­mage en pen­sant mal et défa­vo­ra­ble­ment de Nous et du Siège Apostolique, par suite des sar­casmes des méchants « qui, tout en accu­sant les autres, ne tra­vaillent qu’à pro­cu­rer des appuis à leurs propres vices [47]. »

38. La doc­trine de l’Église catho­lique, reçue de Jésus-​Christ même et ensei­gnée par les Apôtres, est donc qu’il faut rendre à César ce qui est à César, mais aus­si à Dieu ce qui est à Dieu : c’est pour­quoi Nos pré­dé­ces­seurs n’ont jamais négli­gé d’inculquer, quand il en fut besoin, la fidé­li­té et l’obéissance dues aux princes. D’où il faut conclure que l’administration des affaires civiles appar­tient à l’empereur, et que les affaires ecclé­sias­tiques regardent exclu­si­ve­ment les prêtres. Or, par­mi les affaires ecclé­sias­tiques il faut comp­ter tout ce qui est néces­saire à l’établissement et au main­tien de ce qu’on appelle la dis­ci­pline exté­rieure de l’Église ; et ce serait une héré­sie, ain­si que l’a déjà défi­ni Notre pré­dé­ces­seur Pie VI, d’heureuse mémoire, de sou­te­nir que l’usage de ce pou­voir reçu de Dieu est un abus de l’autorité de l’Église [48]. Le Siège Apostolique s’est tou­jours don­né beau­coup de peine pour conser­ver cette dis­tinc­tion des pou­voirs dans toute son inté­gri­té ; et tous les plus saints pré­lats ont ouver­te­ment blâ­mé l’immixtion des princes sécu­liers dans les affaires ecclé­sias­tiques ; immix­tion que saint Athanase [49] appe­lait un spec­tacle nou­veau et une inven­tion de l’hérésie arienne, et qui fut tou­jours répri­mée par les plus saints pré­lats, par­mi les­quels il suf­fi­ra de rap­pe­ler les noms de Basile de Césarée, Grégoire le théo­lo­gien, Jean Chrysostome et Jean Damascène. Ce der­nier affir­mait hau­te­ment [50] que « per­sonne ne pour­ra jamais se per­sua­der que l’Église est admi­nis­trée par les décrets des empe­reurs ; elle est au contraire gou­ver­née par les régies des Pères, qu’elles soient écrites ou non. » C’est pour­quoi les Pères du concile œcu­mé­nique de Calcédoine [51], dans la cause de Photius, évêque de Tyr, pro­cla­mèrent hau­te­ment en pré­sence des ministres de l’empereur, qui y don­nèrent leur assen­ti­ment, que « contre les règles ecclé­sias­tiques aucune prag­ma­tique (c’est-à-dire aucun droit impé­rial) ne pré­vau­dra, mais que les canons des pères devront conser­ver toute leur vigueur. » Ces mêmes ministres ayant ensuite deman­dé « si le saint concile vou­lait que cette dis­po­si­tion fût appli­quée à toutes les prag­ma­tiques qui avaient été faites au détri­ment des canons, tous les évêques répon­dirent : « Que toutes les prag­ma­tiques cessent ; que les canons conservent leur vigueur ; telle est la ligne de conduite que vous devez suivre. »

39. On Nous accuse d’avoir vio­lé les droits de l’empereur sur deux points : d’abord lorsque Nous avons déter­mi­né les règles à suivre dans l’élection et l’institution des saints pré­lats, puis lorsque Nous avons défen­du au patriarche d’aliéner les biens ecclé­sias­tiques sans avoir consul­té aupa­ra­vant le Siège Apostolique.

40. Et pour­tant, que peut-​on dire qui rentre plus dans l’ordre des choses ecclé­sias­tiques que les élec­tions des évêques ? Nous ne lisons nulle part dans les saintes lettres que ces élec­tions aient été sou­mises à la déci­sion des princes ou du peuple. Nous lisons au contraire que les Pères de l’Église, les conciles œcu­mé­niques, les consti­tu­tions apos­to­liques ont tou­jours recon­nu et défi­ni qu’elles rele­vaient de l’autorité ecclé­sias­tique. Si donc, quand il s’agit de l’institution d’un pas­teur ecclé­sias­tique, le Siège Apostolique déter­mine les régies à suivre dans ces mêmes élec­tions, com­ment peut-​on l’accuser d’avoir vio­lé les droits du très-​haut empe­reur, puisqu’il exerce les droits, non d’une auto­ri­té, mais ceux de la sienne propre ? Sans doute, l’autorité de l’évêque sur le peuple qui lui est confié est grande et véné­rable ; mais le pou­voir civil n’en a rien à craindre, car il trou­ve­ra tou­jours dans un évêque, non un enne­mi, mais un défen­seur des droits légi­times du prince. Que si, par un effet de la fai­blesse humaine, il pou­vait en arri­ver autre­ment, le Siège apos­to­lique lui-​même ne man­que­rait pas de sévir contre l’évêque qui réel­le­ment refu­se­rait au prince légi­time la fidé­li­té et la sou­mis­sion qui lui sont dues. Et il n’y a pas à craindre qu’un enne­mi du prince légi­time puisse se glis­ser jusqu’à la digni­té épis­co­pale. En effet, confor­mé­ment aux lois de l’Eglise, on a cou­tume de faire une longue et minu­tieuse enquête sur ceux qui doivent être pro­mus à l’épiscopat, afin qu’ils soient recon­nus doués des ver­tus que l’Apôtre requiert en eux. Or, celui-​là serait certes loin d’être doué de ces ver­tus, que l’enquête ferait connaître comme un homme qui n’accomplirait pas le pré­cepte du bien­heu­reux Pierre [52] : « Soyez sou­mis à toute créa­ture humaine à cause de Dieu, nous dit le prince des Apôtres ; soyez sou­mis, soit au roi comme étant à la tête, soit aux autres chefs comme étant envoyés par lui pour le châ­ti­ment des méchants et la gloire des bons. Soyez aus­si sou­mis, parce que telle est la volon­té de Dieu, afin que, en fai­sant le bien, vous rédui­siez au silence l’ignorance des hommes impru­dents ; soyez sou­mis comme des hommes libres, et non point comme des hommes qui se font de la liber­té un masque d’iniquité, mais comme des ser­vi­teurs de Dieu. »

41. Mais si, comme il a paru utile au pre­mier conqué­rant otto­man de Constantinople et à ses suc­ces­seurs, on trouve bon de confier aus­si aux évêques et aux autres membres du cler­gé une charge et une admi­nis­tra­tion civile, ce n’est pas une rai­son pour que la pleine et entière puis­sance de l’Église dans leur élec­tion puisse être amoin­drie. En effet, il serait abso­lu­ment incon­ve­nant que les choses du ciel dussent céder le pas et être assu­jet­ties aux choses de la terre, et les choses spi­ri­tuelles aux tem­po­relles. Du reste, il serait tou­jours au plein pou­voir du très-​haut empe­reur, si jamais il le croyait utile, de confier à un autre la charge et la puis­sance civiles, sans que pour cela les évêques catho­liques ces­sassent de conser­ver dans toute sa plé­ni­tude et liber­té l’exercice de l’autorité ecclé­sias­tique. Du reste, on sait très-​bien que ce fait s’est pré­sen­té plu­sieurs fois, et notam­ment à l’occasion du fir­man spé­cial du très-​haut empe­reur otto­man en 1857.

42. Tout cela a déjà été expo­sé offi­ciel­le­ment, en Notre nom et par Notre ordre, à la Sublime Porte otto­mane par Notre véné­rable Frère l’archevêque de Thessalonique, quand il rem­plis­sait les fonc­tions de Légat extra­or­di­naire à Constantinople. Il est donc évident que Nos adver­saires doivent s’abstenir de répé­ter sans cesse ces vieilles calom­nies, s’ils ne veulent pas­ser pour des enne­mis sys­té­ma­tiques, et pour des gens qui s’intéressent plus à un par­ti qu’à la vérité.

43. Nous avons d’ailleurs été pro­fon­dé­ment éton­né quand Nous avons appris qu’à pro­pos du réta­blis­se­ment et de la confir­ma­tion de la loi sur l’aliénation des biens ecclé­sias­tiques on Nous accu­sait de vou­loir non seule­ment usur­per les droits impé­riaux, mais encore reven­di­quer pour Nous les biens des églises armé­niennes. Les biens ecclé­sias­tiques appar­tiennent aux églises et sont sous leur dépen­dance, abso­lu­ment comme les biens civils appar­tiennent aux citoyens. C’est là un prin­cipe que la seule rai­son natu­relle sug­gère à cha­cun, bien plus que les canons ne Vont éta­bli. Dans les pre­miers siècles de l’Église, l’administration dé ces biens était lais­sée à la dis­cré­tion et à la conscience des évêques ; mais plus tard les conciles eurent soin de régler par leurs décrets cette admi­nis­tra­tion, et ils publièrent des lois qui déter­mi­naient la manière dont ces biens devaient être admi­nis­trés et les rai­sons pour les­quelles on devait en per­mettre l’aliénation. De cette manière l’ancien pou­voir des évêques fut cir­cons­crit et remis au pru­dent juge­ment des synodes, ou par­fois à celui des pré­lats supé­rieurs. Mais soit à cause de la célé­bra­tion peu fré­quente des conciles, soit pour d’autres motifs, il sem­blait qu’on n’eût pas encore assez pour­vu à la sûre­té des biens ecclé­sias­tiques, et l’on dut faire inter­ve­nir l’autorité du Siège Apostolique, qui pres­cri­vit que les biens des églises ne pour­raient être alié­nés sans l’assentiment du Pontife romain.

44. Cette pres­crip­tion de loi parut tel­le­ment grave et néces­saire pour l’intérêt de ces mêmes églises, que depuis long­temps déjà il fut éta­bli que les élus aux églises cathé­drales, métro­po­li­taines et même patriar­cales s’obligeraient, sous la reli­gion du ser­ment, à s’y confor­mer. Et que ce ser­ment ail été prê­té, par rap­port aux biens de leur mense, par les patriarches mêmes du rite orien­tal, à peine leurs églises furent-​elles reve­nues à la véri­té et à l’unité catho­lique, les actes qui sont conser­vés dans nos archives apos­to­liques en font foi ; et il n’est pas un seul de ces patriarches qui n’ait pro­mis par ser­ment d’observer cette loi. C’est ce qu’ont fait, et c’est ce que font encore tous les jours les évêques du rite latin, à quelque pays, royaume ou répu­blique qu’ils appar­tiennent, sans que jamais les puis­sances civiles se soient plaint qu’une telle pra­tique vio­lait leurs droits. Et cela se com­prend bien, car par ces lois le Pontife romain n’usurpe ni ne s’arroge rien ; il s’en tient uni­que­ment soit à défi­nir, après en avoir déli­bé­ré, ce qu’il faut que l’évêque fasse dans l’intérêt des églises ou dans des cas par­ti­cu­liers, soit à délé­guer à l’évêque lui-​même le pou­voir de déci­der là-​dessus ; et le Pontife romain en agit comme un père de famille pen­se­rait devoir en agir avec ses enfants. Mais si, tan­dis que les patriarches étaient déjà sou­mis à la loi qui leur défen­dait d’aliéner les biens de leur mense sans l’autorisation du Siège Apostolique, Nous avons cru devoir étendre dans Notre Constitution la même règle aux autres biens ecclé­sias­tiques, Nous ne pen­sons pas que ceux qui veulent juger avec droi­ture puissent Nous soup­çon­ner d’avoir don­né cette pres­crip­tion sans y être pous­sé par de très-​graves rai­sons, dont Nous savions fort bien qu’il Nous fau­drait rendre compte à Dieu. Qu’il suf­fise de savoir, et tout homme sage le com­pren­dra sans peine, que bien loin d’avoir por­té un pré­ju­dice aux droits légi­times de per­sonne, Notre Constitution a pour­vu avec plus de sûre­té et d’efficacité aux inté­rêts des églises et à la conser­va­tion de leurs biens.

45. On dit que les droits du très-​haut empe­reur ont été lésés par Nos décrets ; com­ment cela ? Nous avouons fran­che­ment ne pas le com­prendre du tout. Non seule­ment Nous n’avons pas vou­lu vio­ler ces droits, mais Nous n’avons pas même cru qu’il fût pos­sible de le faire, car si l’on ne peut dire que la puis­sance dont jouissent les patriarches et les évêques dans l’empire otto­man rela­ti­ve­ment à l’administration des biens ecclé­sias­tiques, est contraire aux droits du haut empe­reur, on ne peut le dire davan­tage de la puis­sance que le Saint-​Siège fait valoir sur ces mêmes biens sui­vant son devoir et son droit, lorsqu’il déter­mine, par l’intervention même de son auto­ri­té, la manière dont les pré­lats des églises doivent user de leur puis­sance, afin que ce soit pour l’édification et non pour la des­truc­tion. Il est évident que Nous avons pour­vu, de cette manière, à la conser­va­tion de ces mêmes biens, et que Nos pres­crip­tions seront d’une très-​grande uti­li­té aux Églises catho­liques qui sont éta­blies dans l’Orient. Tout lé monde recon­naî­tra cette véri­té dès que les dis­cus­sions se seront cal­mées, et ceux qui vien­dront après Nous éprou­ve­ront les avan­tages de ces lois, si elles sont reli­gieu­se­ment obser­vées. Or, comme le haut empe­reur otto­man a assu­ré, par ses décrets, la liber­té des églises catho­liques, et nous a signi­fié avec beau­coup de bon­té qu’il les pre­nait sous sa pro­tec­tion, Nous ne dou­tons nul­le­ment qu’après un exa­men appro­fon­di de l’état de la ques­tion, et après avoir repous­sé les calom­nies accu­mu­lées par Nos adver­saires, il ne finisse plu­tôt par se réjouir que par se plaindre des mesures qui tour­ne­ront évi­dem­ment à l’utilité de ces mêmes églises.

46. Une inven­tion non moins calom­nieuse, c’est celle ima­gi­née par cer­tains hommes des temps modernes, et accueillie aus­si­tôt par les dis­si­dents orien­taux, qui n’ont pas rou­gi de repré­sen­ter le Pontife romain, en tant que Vicaire de Jésus-​Christ, comme une auto­ri­té étran­gère, qui s’introduit dans le gou­ver­ne­ment inté­rieur des États et des nations, ce qu’il faut abso­lu­ment empê­cher, disent-​ils, afin que les droits du haut empe­reur soient main­te­nus dans toute leur inté­gri­té, et que toute entrée soit fer­mée aux enva­his­se­ments que les autres princes pour­raient se per­mettre, exci­tés par un tel exemple.

47. Mais il est facile de com­prendre com­bien ces sup­po­si­tions sont fausses, et com­bien elles sont contraires au bon sens et à. l’organisation divine de l’Eglise catho­lique. Et tout d’abord, il est faux que les Pontifes romains se soient écar­tés des limites de leur puis­sance ou intro­duits dans l’administration civile des États, et qu’ils aient usur­pé les droits des princes. Si on ne craint pas de lan­cer de pareilles calom­nies contre les Pontifes romains, parce qu’ils sta­tuent sur les élec­tions des évêques et des ministres sacrés de l’Église, sur leurs causes et sur toutes les autres affaires concer­nant la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, même celle qu’on appelle dis­ci­pline exté­rieure, on doit néces­sai­re­ment en conclure, ou que ceux qui tiennent un pareil lan­gage ne connaissent point l’organisation divine, c’est-à-dire immuable de l’Église catho­lique, ou bien qu’ils la rejettent. Or, cette orga­ni­sa­tion a tou­jours été stable, et le sera tou­jours ; et l’on ne peut exi­ger en aucune façon qu’elle soit sujette à des chan­ge­ments, dans les pays sur­tout où la liber­té et la sécu­ri­té néces­saires à l’Église catho­lique ont été assu­rés par les décrets impé­riaux du Prince sou­ve­rain. Mais c’est un dogme de la foi catho­lique que l’Église est une et que le Pontife romain est son chef en même temps que le père et le doc­teur de tous les chré­tiens. On ne peut donc pas dire qu’il soit un étran­ger pour aucun des chré­tiens, ni pour aucune des églises par­ti­cu­lières des chré­tiens, à moins tou­te­fois que l’on ne veuille sou­te­nir que le chef est étran­ger aux membres, le père à ses enfants, le maître à ses dis­ciples et le pas­teur à son troupeau.

48. Du reste, ceux qui ne craignent pas d’appeler le Siège Apostolique une puis­sance étran­gère déchirent l’unité de l’église en par­lant de la sorte, ou four­nissent au moins un pré­texte pour la déchi­rer, puisqu’ils dénient par un tel lan­gage au suc­ces­seur de saint Pierre le titre et les droits de Pasteur uni­ver­sel. Ils manquent donc par là à la fidé­li­té qu’ils doivent à l’Église catho­lique, s’ils sont au nombre de ses enfants, où ils portent atteinte à la liber­té qui lui est néces­saire, s’ils n’en font pas par­tie, car Notre-​Seigneur Jésus-​Christ a mani­fes­te­ment ensei­gné (Joan. x. 5.) que les bre­bis doivent connaître et entendre la voix du Pasteur et le suivre, tan­dis qu’elles doivent s’éloigner de l’étran­ger, parce qu’elles ne doivent pas connaître la voix des étran­gers. Si donc le Souverain Pontife est appe­lé un étran­ger pour quelque église par­ti­cu­lière, celle-​ci sera, par consé­quent, une étran­gère pour le Siège Apostolique, c’est-à-dire pour l’Église catho­lique qui est une, et qui seule a été fon­dée sur Pierre par la parole du Seigneur. Quiconque la sépare de ce fon­de­ment ne conserve plus l’Église divine et catho­lique, mais s’efforce de faire une église humaine [53]. Or une telle église, unie seule­ment par les liens humains, qu’on appelle liens de natio­na­li­té, ne serait point unie par le lien des prêtres fer­me­ment attaches à la chaire de Pierre, ne serait point affer­mie par la soli­di­té de cette même chaire et n’appartiendrait pas à l’unité par­faite et uni­ver­selle de l’Église catholique.

49. Nous avons cru, Vénérables Frères et chers Fils, qu’il était de Notre devoir, dans l’état actuel des choses, de vous écrire toutes ces consi­dé­ra­tions, à vous qui avez reçu en par­tage la même foi que Nous dans la jus­tice de notre Dieu et Sauveur Jésus-​Christ, afin de confir­mer encore la sin­cé­ri­té de votre esprit par de tels ensei­gne­ments. Vous voyez, en effet, se véri­fier au milieu de vous ce que les saints Apôtres de Dieu avaient depuis long­temps pré­dit, c’est-à-dire que dans les der­niers temps, des hommes vien­draient et pro­dui­raient l’illusion par leurs trom­pe­ries en mar­chant selon leurs propres concu­pis­cences. Veillez donc à ne point quit­ter l’Évangile qui vous a appe­lés dans la grâce de Jésus-​Christ pour un autre ; et cet autre évan­gile, ce sont ces hommes qui vous troublent et veulent chan­ger l’Évangile du Christ. Oui, vrai­ment, ceux-​là veulent chan­ger l’Évangile du Christ, qui s’efforcent d’écarter le fon­de­ment que Jésus-​Christ lui-​même a don­né à son Église, et qui nient ou sup­priment le soin uni­ver­sel de paître les bre­bis et les agneaux confiés à Pierre dans l’Évangile. Il est vrai, « Dieu per­met et souffre ces choses [54], tout en lais­sant à cha­cun le libre usage de sa volon­té, afin que, tan­dis que le péril de la véri­té éprouve vos cœurs et vos esprits, la foi, que vous avez conser­vée intacte au milieu des épreuves, brille d’une lumière écla­tante. » Toutefois, vous devez suivre le pré­cepte de l’Apôtre et évi­ter ceux qui s’enfoncent tous les jours dans le mal ; vous ne devez admettre sous aucun pré­texte dans votre socié­té nul de ceux qui com­mu­niquent avec de tels hommes, comme vous avez noble­ment et constam­ment fait jusqu’ici, afin de conser­ver pure et sans tache la foi catho­lique dans vos cœurs.

50. « Mais que per­sonne n’essaie de vous cir­con­ve­nir, comme le fai­saient les anciens schis­ma­tiques [55], en vous disant qu’il ne s’agit pas de reli­gion, mais de cou­tumes, ou bien que le Siège Apostolique ne pré­tend nul­le­ment défendre la cause de la com­mu­nion ou de la foi catho­lique, mais qu’il se plaint comme d’une injure de ce qu’il a paru avoir été mépri­sé par eux, car il n’est que trop vrai que ceux qui sont dans l’erreur ne cessent de répandre de tels pro­pos et autres sem­blables, afin de trom­per les simples. » Mais il est désor­mais prou­vé jusqu’à l’évidence, d’après les décla­ra­tions et les écrits des dis­si­dents lan­cés dans le public, que c’est la pri­mau­té de juri­dic­tion, accor­dée par Notre-​Seigneur Jésus-​Christ à ce Siège Apostolique dans la per­sonne de Pierre, qu’ils attaquent ouver­te­ment, puisqu’ils lui nient le droit d’exercer cette juri­dic­tion sur les églises du rit orien­tal. C’est là une erreur mani­feste, à laquelle Notre Constitution men­tion­née plus haut a pu four­nir une occa­sion ou un pré­texte pour des esprits tur­bu­lents et igno­rants, mais dont elle n’a pu et ne peut être la véri­table cause. « Le Siège Apostolique ne se plaint pas d’une injure [56], mais il défend la foi, la com­mu­nion sin­cère ; et cela est tel­le­ment vrai que si tous ceux qui ont paru s’être pris à le mépri­ser reviennent avec un cœur vrai­ment repen­ti à l’intégrité de la foi et de la com­mu­nion catho­lique, le Pontife romain les accueille­ra comme ont cou­tume de faire les pères à l’égard de leurs enfants, avec toute la ten­dresse dont son cœur est capable, et avec une pleine et entière cha­ri­té. » Afin donc que Dieu, plein de misé­ri­corde, daigne nous accor­der cette faveur, de Notre côté, Nous lui adres­sons depuis long­temps de fer­ventes prières dans toute l’humilité de Notre cœur, et Nous dési­rons et Nous vou­lons que de votre côté vous en fas­siez autant.

51. Du reste, Vénérables Frères et chers Fils, rani­mez votre confiance dans le Seigneur et dans la puis­sance de sa ver­tu : revêtez-​vous de l’armure de Dieu, afin que vous puis­siez résis­ter dans les jours de mal­heur en vous cou­vrant tou­jours du bou­clier de la foi, et n’attachez pas plus de prix à votre vie qu’à vous-​mêmes. Souvenez-​vous de vos ancêtres qui ne crai­gnirent pas de souf­frir l’exil, la pri­son et la mort même, afin de conser­ver pour eux et pour vous le remar­quable don de la vraie foi catho­lique. Ils savaient bien, en effet, qu’il ne faut pas craindre ceux qui tuent le corps, mais celui-​là seul qui peut perdre notre corps et notre âme en nous livrant au feu éter­nel. Faites donc repo­ser en Dieu toute votre sol­li­ci­tude, car c’est lui qui a soin de vous : il ne per­met­tra pas que vous soyez ten­tés au-​dessus de vos forces, mais il vous enver­ra le secours de sa grâce au moment de la ten­ta­tion, afin que vous puis­siez la sur­mon­ter. Vous vous réjoui­rez un jour, quoiqu’il faille aujourd’hui que vous soyez un peu tristes au milieu des dif­fé­rentes ten­ta­tions, pour qu’au jour de la révé­la­tion de Jésus-​Christ l’épreuve de votre foi, bien plus pré­cieuse que l’or qui est éprou­vé lui-​même par le feu, soit trou­vée digne de louange, de gloire et d’honneur. Enfin, au nom de ce même Dieu, Notre Sauveur, Nous vous sup­plions de par­ler et d’agir tous avec ensemble, de vous trou­ver en par­faite com­mu­nau­té de sen­ti­ments et d’opinions, et de gar­der avec la plus grande sol­li­ci­tude l’union de foi dans le lien de la paix. Que cette paix de Dieu, qui sur­passe tout ce que nous pou­vons conce­voir, garde vos cœurs et vos intel­li­gences en Jésus-​Christ Notre-​Seigneur, au nom et par l’autorité de qui Nous vous don­nons de toute l’affection dont Nous sommes capable, à vous, Vénérables Frères et chers Fils, qui per­sé­vé­rez dans la com­mu­nion et l’obéissance du Saint-​Siège, notre béné­dic­tion apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 6 jan­vier 1873, et la vingt-​septième année de Notre Pontificat.

PIE IX, PAPE.

Source : Discours de Très Saint-​Père le Pape Pie IX, tome II, p. 412, Librairie Adrien Le Clere, 1875

Notes de bas de page
  1. In supre­ma, 6 jan­vier 1848.[]
  2. Matth., xxiv, 5.[]
  3. Lib. De unit., n. 3.[]
  4. Comment. in Isaie, cap. xix, 12, 13.[]
  5. S. Iren., lib. 3, Contra hæres., cap. iii.[]
  6. S. Cypr., lib. De unit.[]
  7. Conc. Aquilei et S. Ambr., ép. xi, ad Imperatores.[]
  8. Labb. Collect. Concil. et Ven., t. VII, col. 1279.[]
  9. Labb. Coll. Conc. Ed. Ven., I, VII, col. 1279.[]
  10. Epist. ad Petrum illus­trem, Coll. Conc. V. VI, col. 1520.[]
  11. Libell. Joann., Episc. Constantinopolitani ad S. S. Hormisdam, Conc. œcum., VIII, art. 1.[]
  12. S. Gelas., ad Episc. Dardaniæ, ep. 26.[]
  13. Const., Unigenitus, prop. 91, 92,93.[]
  14. Hom. xxvi, in Evang., § 5.[]
  15. Epist. 3, ad Euphem., n. 15.[]
  16. S. Célestin., Pp.. ad Episc. Apul. et Calabr., n. 3.[]
  17. S. Cyprian., ep. 66, ad Flor. Pupianum, n. 8.[]
  18. Quod ali­quan­tum 10 mar­tii 1791.[]
  19. S. Hieronim., in ep. ad Tit.. c. 3, v. 10, 11.[]
  20. Pius VI, in Brev., Super soli­di­tate, 28 nov. 1786.[]
  21. S. Leo Serm. 3 in arm. assumpt. suæ.[]
  22. Greg. M. lib. 7, ep. 10 ad Eulog. Ep. Alexandr.[]
  23. Anatol. ad S. Leon., ep. 132, n. 4.[]
  24. Marcian ad S. Leon., ep. 100.[]
  25. S. Gelas., epist. 12 ad Anastasima Augustum, n. 1.[]
  26. S. Athanas., in Hist. Arianor. ad Monach., n. 35.[]
  27. Encycl. S. C. de Prop. Fide, 6 julii 1803.[]
  28. Greg. XVI, epist. litt. Melchitarum catho­li­co­rum, 16 sep­tem­bris 1835.[]
  29. Apostolicis lit­te­ris Quod jam­diu, 6 julii 1830.[]
  30. Apost. litt. Universi Dominici gre­gis, 30 apri­lis 1850.[]
  31. Ephes., iv, 17,18.[]
  32. Proverb., xxiii, 7.[]
  33. Pius VI, apost, litt. contr. civil. cle­ri constit., 10 mart. 1791.[]
  34. Lib. I, advers. Jovinian., n. 34.[]
  35. In Commonit. ad Faustum, n. 5.[]
  36. Œcum. Syn. Ephesin., act. 3.[]
  37. Steph. Lariss. Episc. in Libell. oblat. Bonif. II, et Rom. Syn. an. 531.[]
  38. Epist. ad Joan. Philadelph. Labbe, Collect. Concil. ed. Venet., t. VII, col. 22.[]
  39. Encom. S. Greg. Armenor. Illumin. ex homi­liar. Armen. in oper. S. Joan. Chrysost. Parisiis, 1864, t. XII, coll. 943.[]
  40. Instruct. Licet, 20 augus­ti 1853.[]
  41. Concil. Chalcedon., act. x.[]
  42. Conc. Lat. IV. can. 26.[]
  43. Coloss., iii, 11.[]
  44. Eph. iv, 16.[]
  45. Matth., xxviii, 19.[]
  46. Comment. in Amos, cap. vii, 10, 11.[]
  47. Greg. Naz., Oral. 43 in laud. S. Basil., n. 68.[]
  48. Const., Auctorem fidei, pro­pos. 4.[]
  49. Hist. Arianor. ad Monach., n. 52.[]
  50. Orat. 2 De Sacr. ima­gi­nib., n. 16.[]
  51. Conc. Chalced., action, iv.[]
  52. I Petr. ii, 13.[]
  53. S. Cyprian., epist. ad Antoniam, n. 24.[]
  54. S. Cypr., lib. De unit. Eccl., n. 10.[]
  55. S. Gelas., epist. 18 ad Episc. Dardan., n. 6.[]
  56. S. Gelas., loc. cit.[]