Pie VI

250ᵉ Pape ; de 1775 à 1799

13 avril 1791

Lettre apostolique Caritas

Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité

Table des matières

À nos chers fils les car­di­naux de la sainte Église Romaine,
À nos véné­rables frères les arche­vêques et évêques,
et à nos chers fils les cha­pitres, le cler­gé et le peuple du royaume de France.

Pie VI, Pape,
Salut et Bénédiction Apostolique.

La cha­ri­té, dit l’apôtre saint Paul, est patiente et douce ; tant qu’il lui reste quelque espé­rance d’arrêter par la man­sué­tude les erreurs qui com­mencent à se pro­pa­ger, elle endure et souffre tout. Mais si l’erreur fait de nou­veaux pro­grès ; si elle par­vient à entraî­ner au schisme, alors les lois mêmes de la cha­ri­té, unies au devoir du minis­tère apos­to­lique dont Nous sommes revê­tu, mal­gré Notre indi­gni­té, Nous pres­crivent, Nous pressent vive­ment d’opposer à ce mal nais­sant un remède doux et pater­nel à la véri­té, mais prompt et effi­cace, de dévoi­ler aux cou­pables l’énormité de leurs fautes, et la gra­vi­té des peines cano­niques qu’ils ont encou­rues. Ainsi les éga­rés pour­ront ren­trer dans les sen­tiers de la véri­té, abju­rer leurs erreurs, et reve­nir au sein de l’Église, qui attend leur retour comme une bonne mère, et leur tend les bras pour les rece­voir ; ain­si les autres fidèles pour­ront échap­per promp­te­ment aux pièges de ces faux pas­teurs, qui n’étant pas entrés dans la ber­ge­rie par la véri­table porte, ne cherchent qu’à ravir, à égor­ger et perdre le troupeau.

[Actes antérieurs du Pape]

Attentif à ces pré­ceptes divins, dès que Nous avons reçu la pre­mière nou­velle de la guerre décla­rée à la reli­gion catho­lique par les nova­teurs phi­lo­sophes ligués contre elle, et for­mant la majo­ri­té de l’Assemblée natio­nale de France, Nous avons, pleu­ré amè­re­ment en pré­sence du Seigneur ; et après avoir fait part de Nos cruelles inquié­tudes à Nos véné­rables frères, les car­di­naux de la sainte Église romaine, Nous avons ordon­né des prières publiques et par­ti­cu­lières, Nous avons ensuite exhor­té très ins­tam­ment Notre très cher fils en Jésus-​Christ, Louis, roi très-​chrétien, par Notre lettre du 9 juillet 1790, à ne point accor­der sa sanc­tion à une Constitution civile du cler­gé, qui devait induire la nation en erreur, et ame­ner un schisme dans son royaume. Car il était abso­lu­ment impos­sible qu’une assem­blée pure­ment poli­tique eût le droit de chan­ger la dis­ci­pline uni­ver­selle de l’Église, de fou­ler aux pieds les auto­ri­tés des Pères et les décrets des conciles, de ren­ver­ser l’ordre de la hié­rar­chie, de régler arbi­trai­re­ment les élec­tions des évêques, de sup­pri­mer des sièges épis­co­paux, et de sub­sti­tuer dans l’Église, à des formes anciennes et res­pec­tables, des formes nou­velles et vicieuses.

Pour gra­ver plus pro­fon­dé­ment Nos exhor­ta­tions dans l’âme au roi très chré­tien, Nous avons adres­sé, le 10 du même mois, deux lettres en forme de bref à Nos véné­rables frères les arche­vêques de Bordeaux et de Vienne, atta­chés à la per­sonne du monarque ; Nous les avons aver­tis en père d’unir leurs efforts aux nôtres ; car si la sanc­tion royale venait à prê­ter un nou­vel appui à cette Constitution, le royaume devien­drait schis­ma­tique, ain­si que les évêques élus sui­vant la nou­velle forme ; et Nous serions obli­gé Nous-​même de les décla­rer intrus et pri­vés de toute juri­dic­tion ecclé­sias­tique. Et afin de prou­ver évi­dem­ment que Nos soins et Notre sol­li­ci­tude avaient pour objet unique les inté­rêts de la reli­gion et de fer­mer la bouche aux enne­mis du Saint-​Siège, Nous avons ordon­né qu’on ces­sât pro­vi­soi­re­ment d’exiger le paie­ment des droits qui sont dus à la Chambre apos­to­lique, d’après d’anciens trai­tés et un usage constant, pour l’expédition des affaires de France.

Sans aucun doute le roi très-​chrétien n’eût jamais sanc­tion­né la consti­tu­tion ; mais, pres­sé, pous­sé par l’Assemblée natio­nale, il s’est enfin lais­sé arra­cher cette sanc­tion, comme l’indiquent les lettres qu’il Nous a adres­sées le 28 juillet, le 6 sep­tembre et le 16 décembre. Il Nous y sup­pliait aus­si avec ins­tance d’approuver, du moins pro­vi­soi­re­ment, d’abord cinq, ensuite sept articles, qui, peu dif­fé­rents pour le fond, ren­fer­maient comme la sub­stance et l’abrégé de la nou­velle Constitution.

Nous avons sen­ti sur-​le-​champ qu’il Nous était impos­sible d’approuver et de tolé­rer ces articles abso­lu­ment contraires aux règles cano­niques. Ne vou­lant point cepen­dant don­ner à Nos enne­mis le pré­texte de trom­per les peuples, et de publier que Nous Nous refu­sions à tout moyen de conci­lia­tion ; dési­rant de plus mar­cher tou­jours dans les mêmes voies de la dou­ceur, Nous avons décla­ré au roi, par Notre lettre du 17 août, que Nous exa­mi­ne­rions avec soin ces articles, et que Nous allions convo­quer un conseil de car­di­naux, pour peser de nou­veau le tout en com­mun. S’étant assem­blés deux fois, le 24 sep­tembre et le 16 décembre, pour confé­rer sur les pre­miers et en suite sur les autres articles, d’après de sérieuses réflexions, leur avis una­nime a été qu’il fal­lait deman­der aux évêques de France leurs sen­ti­ments sur ces articles, afin de connaître par eux, s’il était pos­sible, quelque voie cano­nique que la dis­tance des lieux ne Nous per­met­tait pas de décou­vrir, comme Nous avions par d’autres lettres ins­truit le roi très-chrétien.

Il Nous arri­va sur ces entre­faites un sen­sible adou­cis­se­ment de la dou­leur dont Nous étions affec­té : Nous apprîmes que la plu­part des évêques de France, invio­la­ble­ment atta­chés à leur devoir de pas­teurs, enflam­més de l’amour de la véri­té, s’opposaient de leur propre mou­ve­ment à cette Constitution, et la com­bat­taient avec cou­rage dans tout ce qui avait rap­port au gou­ver­ne­ment de l’Église. Nous eûmes encore un motif de conso­la­tion, lorsque pour s’opposer à de maux si nom­breux et si consi­dé­rables, Notre cher fils le car­di­nal de la Rochefoucault, Nos véné­rables frères l’archevêque d’Aix, d’autres arche­vêques et évêques au nombre de trente, recou­rurent à Nous et dans une lettre datée du 10 octobre, Nous envoyèrent l’Exposition de leurs sen­ti­ments sur les prin­cipes de la Constitution du cler­gé, signée de cha­cun d’eux ; ils implo­raient Nos conseils et Notre appui, et Nous deman­daient comme au maître et au Père com­mun une règle de conduite qui fixât la leur. Nous avons éprou­vé aus­si une satis­fac­tion bien sen­sible de la part des nom­breux évêques qui, réunis aux pre­miers, ont adop­té cette Exposition. Sur cent trente et un évêques de ce royaume, il ne s’est trou­vé que quatre dis­si­dents ; et si, à cette grande majo­ri­té des évêques, on ajoute les adhé­sions d’une foule de cha­pitres, de curés ou de pas­teurs du second ordre, une expo­si­tion adop­tée avec ce concours una­nime ne doit-​elle pas être répu­tée, et n’est-elle pas, en effet, la véri­table doc­trine de l’Église gallicane ?

[Aggravation de la situation]

C’est alors que, sans tar­der davan­tage, Nous avons mis la main à l’œuvre, et sou­mis à l’examen tous les articles de la Constitution du cler­gé. Mais l’Assemblée natio­nale n’a point été tou­chée de ce concert de l’Église gal­li­cane ; loin de la détour­ner de son entre­prise, la constance des évêques n’a fait que l’irriter encore. Voyant que par­mi les métro­po­li­tains et les anciens évêques, elle ne trou­ve­rait per­sonne qui crût pou­voir sacrer des évêques élus dans les dépar­te­ments par des laïques, des héré­tiques, des infi­dèles et des juifs, ain­si que le portent les décrets ; convain­cue que cette forme absurde de gou­ver­ne­ment ne pour­rait sub­sis­ter, puisque, sans évêques, tout simu­lacre d’Église s’évanouit, elle a son­gé à for­mu­ler des décrets encore plus insen­sés, ce qu’elle a fait les 15 et 27 novembre, le 3, le 4 et le 25 jan­vier 1707. Par ces décrets, revê­tus depuis de la sanc­tion royale, il est ordon­né que, si le métro­po­li­tain ou le plus ancien évêque refuse de sacrer les nou­veaux élus, ils pour­ront s’adresser à l’évêque de tout autre dépar­te­ment. Outre cela, pour éloi­gner en même temps et d’un seul coup tous les bons évêques, tous les curés enflam­més de zèle pour la reli­gion catho­lique, il a été enjoint à tous les pas­teurs du pre­mier et du second ordre de jurer sans aucune res­tric­tion qu’ils se confor­me­ront aux règle­ments déjà faits, et à ceux qui pour­raient être éta­blis dans la suite, rela­ti­ve­ment à la Constitution du cler­gé. On a de plus décla­ré que ceux qui refu­se­raient ce ser­ment seraient trai­tés comme déchus de leurs fonc­tions ; que leurs sièges, leurs paroisses seraient regar­dés comme vacantes ; que les ministres et pas­teurs légi­times seraient chas­sés par force ; que les dépar­te­ments pour­raient pro­cé­der à l’élection de nou­veaux évêques et de nou­veaux curés ; et que ces élus, sans égard pour les métro­po­li­tains et les anciens évêques, s’adresseraient au direc­toire, qui leur nom­me­rait d’office un évêque quel­conque pour les confir­mer et leur don­ner l’institution.

Ces décrets ulté­rieurs ont acca­blé Notre âme d’un sur­croît de dou­leur, ils ont aug­men­té Notre tra­vail, et mul­ti­plié les objets que Notre sol­li­ci­tude avait à trai­ter dans la réponse aux évêques, dont Nous étions alors occu­pé ; ils ont exci­té Nos alarmes et Nous ont por­té à ordon­ner de nou­veau des prières publiques pour flé­chir le Père des misé­ri­cordes. Les évêques de France avaient déjà publié d’excellents écrits contre la Constitution civile du cler­gé ; ces mêmes décrets leur don­nèrent lieu de mettre au jour de nou­velles ins­truc­tions pas­to­rales, et de déployer toutes les forces de leur zèle contre les décrets rela­tifs au ser­ment, aux dépo­si­tions des évêques, aux vacances des sièges épis­co­paux, aux élec­tions et aux ins­ti­tu­tions des nou­veaux pas­teurs : d’où il est résul­té que, de l’aveu et du consen­te­ment de toute l’Église gal­li­cane, les ser­ments civiques doivent être regar­dés comme autant de par­jures et de sacri­lèges abso­lu­ment indignes, non seule­ment de tout ecclé­sias­tique, mais de tout bon catho­lique, et tous les actes sub­sé­quents, répu­tés schis­ma­tiques, abso­lu­ment nuls, et sou­mis aux cen­sures les plus graves.

[Fidélité et défections]

Les faits ont répon­du à ces décla­ra­tions hono­rables du cler­gé de France. Presque tous les évêques, la plus grande par­tie des curés ont refu­sé le ser­ment avec une constance invin­cible. Les enne­mis de la reli­gion ont alors recon­nu que tous leurs des­seins allaient encore échouer, s’ils ne trou­vaient le moyen de sub­ju­guer quelque évêque ambi­tieux ou faible qui prê­tât le ser­ment de main­te­nir la Constitution, et impo­sât aux nou­veaux évêques des mains sacri­lèges, afin qu’il ne man­quât plus rien à l’établissement du schisme. Parmi ces mal­heu­reux dont triom­phèrent les noir­ceurs et les ruses de l’impiété, se dis­tingue d’abord Charles, évêque d’Autun, le par­ti­san le plus ardent de la Constitution ; vient en second lieu Jean Joseph, évêque de Lydda ; le troi­sième est Louis, évêque d’Orléans ; le qua­trième, Charles, évêque de Viviers ; le cin­quième, le car­di­nal de Loménie, arche­vêque de Sens ; et à leur suite quelques infor­tu­nés pas­teurs du second ordre, en très-​petit nombre. Pour ce qui regarde le car­di­nal de Loménie, dans une lettre qu’il Nous écri­vit le 25 novembre der­nier, il s’efforça d’excuser le ser­ment qu’il avait pro­non­cé, allé­guant qu’il n’avait point été accom­pa­gné d’un assen­ti­ment inté­rieur ; i ne savait s’il devait prê­ter son minis­tère à la consé­cra­tion de nou­veaux évêques ; il s’en était abs­te­nu jusqu’alors, et il était sur cet article dans une grande per­plexi­té. Persuadé qu’il était de la der­nière impor­tance qu’aucun évêque ne consa­crât ceux qui seraient élus, et n’élargît par cette démarche la porte du schisme, Nous avons jugé à pro­pos d’interrompre pour quelque temps Notre réponse aux évêques, qui était presque ache­vée, et de répondre sans tar­der au car­di­nal en lui mon­trant l’erreur où il était tom­bé au sujet du ser­ment, et les peines cano­niques qu’à la dou­leur de Notre âme Nous serions for­cé de lui appli­quer, même en le dépouillant de sa digni­té de car­di­nal, si, par une satis­fac­tion prompte et conve­nable, il ne répa­rait le scan­dale qu’il avait cau­sé. Quant à son doute sur la consé­cra­tion des évêques irré­gu­liè­re­ment élus, Nous lui avons expres­sé­ment défen­du de pous­ser la témé­ri­té jusqu’à don­ner l’institution, sous quelque pré­texte que ce fût, à de nou­veaux évêques, et d’introduire des réfrac­taires nou­veaux dans le sein de l’Église : car il est ici ques­tion d’un droit qui appar­tient uni­que­ment au Siège Apostolique, sui­vant les déci­sions du concile de Trente, et que nul évêque ni métro­po­li­tain ne peut s’attribuer, sans que Nous soyons obli­gé, en ver­tu des fonc­tions apos­to­liques qui Nous sont confiées, de décla­rer schis­ma­tiques, et ceux qui ins­ti­tuent, et ceux qui sont ins­ti­tués, et de frap­per de nul­li­té tous les actes éma­nés des uns et des autres.

[Hérésie, schisme, sacrilège]

Après avoir rem­pli ces devoirs que Nous impo­sait la nature de Notre charge de pas­teur suprême, il Nous a fal­lu reve­nir à Notre réponse, ouvrage que les nou­veau­tés qui se suc­cé­daient de jour en jour ren­daient plus long et plus pénible. Or, en le ter­mi­nant, Nous avons vou­lu avec l’aide de Dieu en exa­mi­ner de nou­veau tous les articles et mon­trer clai­re­ment à tous que, d’après le juge­ment de ce Siège Apostolique, récla­mé par les évêques et vive­ment dési­ré par les catho­liques de France, la nou­velle Constitution du cler­gé est éta­blie sur des prin­cipes éma­nés de l’hérésie ; qu’en consé­quence, plu­sieurs de ses décrets sont héré­tiques et oppo­sés au dogme catho­lique ; que d’autres sont sacri­lèges, schis­ma­tiques, des­truc­tifs des droits de la pri­mau­té de Notre Siège et de ceux de l’Église, contraires à la dis­ci­pline ancienne et nou­velle ; qu’enfin, elle est ima­gi­née et publiée dans le des­sein d’abolir entiè­re­ment la reli­gion catho­lique. Cette reli­gion est en effet la seule dont le culte soit inter­dit, à laquelle on enlève ses légi­times pas­teurs et ses antiques pos­ses­sions, tan­dis qu’on laisse la liber­té aux adeptes des autres sectes, avec la jouis­sance pai­sible de leurs biens.

Quoique Nous ayons démon­tré tous ces points avec la der­nière évi­dence, Nous n’avons pas néan­moins quit­té les voies de la dou­ceur, Nous avons décla­ré Nous être abs­te­nu jusqu’ici de décla­rer retran­chés de l’Église les auteurs de cette fatale Constitution ; mais en même temps, Nous avons dû leur répé­ter que s’ils ne détes­taient pas les erreurs que Nous venions de dévoi­ler, Nous serions obli­gé, quoiqu’à regret, pour Nous confor­mer à l’usage constant du Saint-​Siège, dans de pareilles occa­sions, de décla­rer schis­ma­tiques les auteurs de cette Constitution, ceux qui auraient prê­té ser­ment de s’y confor­mer, ceux qu’on éta­bli­rait nou­veaux pas­teurs, ceux qui consa­cre­raient et ceux qui seraient consa­crés, car ils ne pour­raient, quels qu’ils fussent, avoir aucune mis­sion, ni par­ti­ci­per à la com­mu­nion de l’Église.

Parfaitement dis­po­sé à secon­der autant que pos­sible les vœux de l’illustre nation fran­çaise, dans ce qui n’est point contraire au dogme et à la dis­ci­pline uni­ver­selle de l’Église, d’après l’avis des car­di­naux assem­blés à ce sujet, Nous avons répé­té aux évêques ce que Nous avions déjà dit au roi très-​chrétien : comme ils sont pla­cés au milieu des évé­ne­ments, Nous les avons exhor­tés à Nous sug­gé­rer un expé­dient, s’ils pou­vaient Nous en trou­ver, qui ne bles­sât ni le dogme, ni la dis­ci­pline géné­rale, les assu­rant que Nous allions sur-​le-​champ le sou­mettre, à l’examen et à la déli­bé­ra­tion de Notre conseil. Nous avons expri­mé ces sen­ti­ments à Notre très cher fils en Jésus-​Christ, le roi très-​chrétien, Nous lui avons envoyé éga­le­ment un exem­plaire de Notre réponse aux évêques. Nous l’avons conju­ré, au nom du Seigneur, de prendre conseil des plus sages d’entre les évêques, et d’appliquer un remède plus conve­nable à tant de maux, occa­sion­nés aus­si par l’intervention royale ; Nous lui avons assu­ré que, fidèle à Nos devoirs de pas­teur, Nous ferions contre ceux qui res­te­raient opi­niâ­tre­ment atta­chés à l’erreur, ce qu’ont fait Nos pré­dé­ces­seurs dans de pareilles extré­mi­tés. Nos deux lettres au roi et aux évêques, en date du 10 mars, ont été remises à un cour­rier extra­or­di­naire qui est par­ti le jour sui­vant. Dans l’intervalle, le cour­rier ordi­naire étant arri­vé de France le 15, il Nous est reve­nu de tous côtés que, le 24 février, on avait por­té à Paris le schisme à son comble. Car ce jour-​là, l’évêque d’Autun, déjà souillé d’un par­jure, déjà cou­pable de défec­tion pour avoir aban­don­né son Église de son auto­ri­té pri­vée et en pré­sence des laïques, déjà si éloi­gné des admi­rables sen­ti­ments de son cha­pitre, s’associa aux évêques de Babylone et de Lydda , dont le pre­mier, déco­ré par Nous du pal­lium et gra­ti­fié d’une pen­sion, s’est mon­tré le digne suc­ces­seur d’un autre évêque de Babylone, Dominique Varlet, trop connu par le schisme de l’église d’Utrecht ; et le second, cou­pable aus­si de par­jure, s’était atti­ré la haine et l’indignation des gens de bien, en s’écartant de la saine doc­trine de l’évêque et du cha­pitre de l’Église de Bâle, dont il est suf­fra­gant. Dans ce jour donc, l’évêque d’Autun, assis­té de ces deux évêques, a osé impo­ser ses mains sacri­lèges, dans l’église des prêtres de l’Oratoire, à Louis-​Alexandre Expilly, et à Claude-​Eustache-​François Marolles, sans avoir deman­dé le consen­te­ment de l’ordinaire, sans avoir reçu aucune com­mis­sion du Siège Apostolique, sans leur avoir fait prê­ter le ser­ment d’obéissance au sou­ve­rain Pontife, sans avoir exi­gé ni exa­men, ni pro­fes­sion de foi, for­ma­li­tés pres­crites par le Pontifical romain, et qu’on doit obser­ver dans toutes les églises de l’univers ; en un mot, au mépris de toutes les lois, qu’il a vio­lées et fou­lées aux pieds. Il ne devait cepen­dant pas igno­rer que le pre­mier de ces hommes avait été irré­gu­liè­re­ment élu pour le siège de Quimper, et mal­gré les récla­ma­tions fortes et réité­rées du cha­pitre de cette Église ; et que la nomi­na­tion du second à l’évêché de Soissons était bien plus vicieuse encore, puisque cette Église avait encore son légi­time pas­teur, Notre véné­rable frère Henri-​Joseph-​Claude de Bourdeilles, qui, en consé­quence, a cru qu’il était de son devoir de pro­tes­ter vigou­reu­se­ment contre cette pro­fa­na­tion, et de por­ter un prompt secours à son dio­cèse, comme l’indique sa lettre publiée le len­de­main. Nous avons appris en même temps que le sus­dit évêque de Lydda s’était ren­du cou­pable d’un nou­veau crime. En effet, le 27 du même mois de février, conjoin­te­ment avec les deux faux évêques Expilly et Marolles, il avait por­té, dans la même église, le scan­dale jusqu’à sacrer évêque de Dax le curé Saurine, quoique cette Église ait encore l’avantage de pos­sé­der son ver­tueux pas­teur, Charles-​Auguste Lequien ; c’est peut-​être cette action qui a méri­té à Jean-​Joseph Gobel, évêque de Lydda, d’être éle­vé sur le siège de Paris, du vivant de son arche­vêque. C’est ain­si qu’Ischiras, un des plus ardents accu­sa­teurs de saint Athanase, et l’un de ceux qui avaient le plus contri­bué à le chas­ser de son siège, pour prix de sa com­plai­sance et de son crime, fut nom­mé évêque de Tyr, par le conci­lia­bule assem­blé dans cette ville.

Ces tristes et fâcheuses nou­velles Nous jetèrent dans une dou­leur et un abat­te­ment incroyables ; mais Notre espé­rance en Dieu Nous rani­mait, et le 17 du mois de mars, Nous assem­blâmes de nou­veau les car­di­naux, pour Nous aider de leurs lumières dans une affaire aus­si grave. Or, pen­dant que Nous étions occu­pés à déli­bé­rer ensemble, voi­là que le 24 du même mois un autre cour­rier de France Nous annonce que l’évêque de Lydda, deve­nu encore plus per­vers, et accom­pa­gné des deux faux évêques Expilly et Saurine, avait, le 6 du même mois, dans la même église et de la même main sacri­lège, sacré, comme évêque de Beauvais, le curé Massieu, dépu­té à l’assemblée natio­nale ; comme évêque d’Évreux, le curé Lindet, aus­si dépu­té ; comme évêque de Moulins, le curé Laurent, et comme évêque de Châteauroux, le curé Héraudin ; sans avoir été arrê­té par la consi­dé­ra­tion que les deux pre­mières Églises jouis­saient encore de leurs légi­times pas­teurs, et que les deux autres n’avaient point été éri­gées en sièges épis­co­paux par l’autorité apos­to­lique. Quel juge­ment doit-​on por­ter de ceux qui se laissent nom­mer et sacrer évêques des Églises qui sont encore gou­ver­nées et admi­nis­trées par leurs pas­teurs ? Saint Léon l’a expri­mé plu­sieurs siècles avant Nous, avec une grande dis­tinc­tion. Dans une lettre adres­sée à Julien, évêque de Cos, au sujet d’un cer­tain Théodose qui s’était empa­ré du siège de l’évêque Juvénal encore vivant : « La nature même du fait, dit-​il, ne laisse aucun doute sur le carac­tère de celui qui s’est glis­sé à la place d’un évêque vivant ; on peut, sans craindre de se trom­per, regar­der comme per­vers et cor­rom­pu l’homme qui a obte­nu la faveur des enne­mis de la religion ».

[Négation de la constitution de l’Église]

De fait, si l’on veut connaître com­bien est juste l’horreur que l’Église a tou­jours témoi­gnée pour ceux qui sont élus dans des assem­blées tumul­tueuses et laïques, à cause de l’attachement que l’élu témoigne ordi­nai­re­ment pour les opi­nions erro­nées des élec­teurs, il suf­fit de jeter les yeux sur la lettre pas­to­rale qui Nous a été appor­tée par le même cour­rier, que le faux évêque Expilly à fait publier le 25 de février, pour trom­per les igno­rants, et dans l’intention sans doute de déchi­rer la robe sans cou­ture de Jésus-​Christ. En effet, après avoir d’abord rap­pe­lé les ser­ments, c’est-à-dire les par­jures par les­quels il s’est lié, il par­court tous les prin­cipes de la Constitution du cler­gé ; il en cite presque mot à mot tous les articles ; et adhé­rant à tous les sen­ti­ments de l’Assemblée natio­nale, il entre­prend de prou­ver que cette Constitution n’altère en rien le dogme ; qu’elle réforme seule­ment la dis­ci­pline, et la rap­pelle à la pure­té des pre­miers siècles, dans cette par­tie sur­tout qui Ôte au cler­gé les élec­tions pour les rendre au peuple, et réta­blit les métro­po­li­tains dans le droit d’instituer et de consa­crer les évêques. L’auteur a soin de ne rap­por­ter en cet endroit que les pre­miers décrets de l’Assemblée natio­nale. Pour en impo­ser peut-​être plus faci­le­ment aux lec­teurs simples et cré­dules, il fait men­tion de la lettre qu’il Nous a écrite le 18 novembre 1700, comme s’il était réel­le­ment dans la com­mu­nion du Saint-​Siège apos­to­lique. Adressant ensuite la parole à cha­cun des ordres de son dio­cèse, il les engage et les exhorte tous à le recon­naître pour leur légi­time pas­teur, et à s’attacher avec zèle à la Constitution.

Malheureux ! Ne par­lons point ici de ce qui concerne le gou­ver­ne­ment civil du royaume ; mais quelle est sa témé­ri­té d’entreprendre l’apologie des articles rela­tifs au cler­gé, que presque tous les évêques de France et une foule d’autres ecclé­sias­tiques ont condam­nés et com­bat­tus, comme contraires au dogme, et des­truc­tifs de la dis­ci­pline géné­rale, sur­tout par rap­port aux élec­tions et ins­ti­tu­tions des évêques ! Lui-​même n’aurait pu dis­si­mu­ler et dégui­ser cette véri­té, qu’il est impos­sible de ne pas sai­sir au pre­mier coup d’œil, s’il n’avait omis à des­sein les décrets plus absurdes encore que l’Assemblée a por­tés en der­nier lieu sur cet objet ; car, par­mi les autres vices qu’ils ren­ferment, on remarque sur­tout l’audace avec laquelle ils attri­buent le droit d’institution et de confir­ma­tion à tout évêque sur l’indication arbi­traire du direc­toire. Qu’il lise, ce mal­heu­reux qui à fait tant de pro­grès dans les voies de l’iniquité, qu’il lise Notre réponse aux évêques de France : Nous y avons com­bat­tu et pul­vé­ri­sé d’avance les erreurs mons­trueuses dont sa lettre est rem­plie ; il y ver­ra briller dans chaque article cette véri­té qu’il tremble d’apercevoir. Qu’il sache, en atten­dant, qu’il a pro­non­cé lui-​même son arrêt ; car si, d’après le canon du concile de Nicée qu’il cite, il est vrai que l’évêque élu ne peut, sui­vant l’ancienne dis­ci­pline, avoir un titre légi­time qu’en rece­vant l’institution du métro­po­li­tain, qui lui-​même, ne pos­sède ce pri­vi­lège que comme une éma­na­tion des droits du Saint-​Siège apos­to­lique, est-​il pos­sible qu’Expilly s’imagine avoir une mis­sion légi­time et cano­nique, puisqu’il doit son ins­ti­tu­tion, non pas à l’archevêque de Tours, dont l’évêché de Quimper est suf­fra­gant, mais à d’autres évêques ? Si ces évêques étran­gers à sa métro­pole ont pu lui impri­mer avec une har­diesse sacri­lège le carac­tère épis­co­pal, ils n’ont pu du moins l’investir d’une juri­dic­tion qu’ils n’ont pas eux-​mêmes d’après la dis­ci­pline de tous les temps. Ce pou­voir de confé­rer la juri­dic­tion sui­vant la nou­velle dis­ci­pline en usage depuis plu­sieurs siècles, confir­mée par les conciles géné­raux et par les concor­dats, n’appartient pas même aux métro­po­li­tains ; il est retour­né à la source d’où il était par­ti, et réside uni­que­ment dans le Siège Apostolique ; c’est aujourd’hui Le Pontife romain, qui, en ver­tu de sa digni­té, peut don­ner des évêques à chaque Église ; ce sont les termes du concile de Trente. Ainsi, dans l’Église catho­lique, il ne peut y avoir de consé­cra­tion légi­time que si elle est confé­rée par un man­dat apos­to­lique. Bien loin que la lettre qu’Expilly Nous à écrite puisse lui ser­vir d’excuse, elle le rend au contraire plus cou­pable ; c’est évi­dem­ment la lettre d’un schis­ma­tique. Le désir qu’il affecte de par­ti­ci­per à Notre com­mu­nion n’est qu’un pré­texte gros­sier ; car il ne dit pas un mot de l’institution qu’il devait Nous deman­der, et se contente de Nous don­ner avis de son élec­tion irré­gu­lière, comme les décrets de l’Assemblée le lui recom­mandent. Voilà pour­quoi, à l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, Nous n’avons pas jugé à pro­pos de lui répondre, mais Nous l’avons fait aver­tir sérieu­se­ment de ne pas pous­ser plus avant ses cri­mi­nelles pré­ten­tions, et Nous espé­rions qu’il aurait été docile à Notre voix. L’évêque de Rennes, de son côté, lui a don­né aus­si les mêmes avis, en lui refu­sant la confir­ma­tion et l’institution qu’il sol­li­ci­tait avec ins­tance. Ainsi, au lieu de le rece­voir comme un pas­teur, le peuple doit le reje­ter avec hor­reur comme un usur­pa­teur. Oui, comme un usur­pa­teur, puisqu’il a refu­sé de pro­fes­ser la véri­té qu’il devait connaître, puisqu’il a com­men­cé à abu­ser du faux titre de pas­teur, puisqu’enfin il a pous­sé l’arrogance à la fin de sa lettre pas­to­rale jusqu’à relâ­cher l’obligation du pré­cepte ecclé­sias­tique. On peut donc lui appli­quer ce que saint Léon le Grand, écri­vant à quelques évêques d’Égypte, disait d’un sem­blable usur­pa­teur : « Imitateur de Satan, il s’est écar­té de la véri­té, et il a abu­sé de l’apparence d’une fausse digni­té et d’un titre imposteur. »

[Condamnations et censures]

Considérant donc com­bien cette longue suite de crimes éta­blit de plus en plus le schisme dans royaume de France, qui a ren­du à la reli­gion des ser­vices si impor­tants et qui Nous est si cher ; voyant que pour cette rai­son on fait chaque jour, de toutes parts, des élec­tions de pas­teurs du pre­mier et du second ordre ; que les ministres légi­times sont arra­chés et chas­sés de leur siège, et qu’on intro­duit à leur place des loups dévo­rants, Nous ne pou­vons qu’être tou­ché d’un spec­tacle aus­si déplo­rable. Afin donc d’opposer promp­te­ment une digue aux pro­grès du schisme, pour rap­pe­ler au devoir ceux qui s’en sont écar­tés, pour confir­mer les bons dans leurs dis­po­si­tions, et pour conser­ver la reli­gion dans un royaume aus­si flo­ris­sant ; d’après les conseils de Nos véné­rables frères les car­di­naux de la sainte Église romaine, d’après le vœu du corps entier des évêques de France et l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, en ver­tu du pou­voir apos­to­lique dont Nous sommes revê­tu ; Nous ordon­nons d’abord par ces pré­sentes, à tous car­di­naux, arche­vêques, évêques, abbés, vicaires, cha­noines, curés, prêtres, en un mot, à tous les ecclé­sias­tiques sécu­liers ou régu­liers, qui auraient prê­té le ser­ment civique, pure­ment et sim­ple­ment, tel qu’il a été pres­crit par l’Assemblée natio­nale, ser­ment qui est une source empoi­son­née de toutes sortes d’erreurs, et la prin­ci­pale cause des maux qui affligent l’Église catho­lique de France, de se rétrac­ter dans l’espace de qua­rante jours, à comp­ter de la date des pré­sentes ; autre­ment, qu’ils soient sus­pens de l’exercice de tout ordre quel­conque, et sou­mis à l’irrégularité s’ils en exercent les fonctions.

Nous décla­rons en outre spé­cia­le­ment que les élec­tions des sus­dits Expilly, Marolles, Saurine, Massieu, Lindet, Laurent, Héraudin et Gobel, aux sièges de Quimper, Soissons, Dax, Beauvais, Évreux, Moulins, Châteauroux et Paris, ont été et sont illé­gi­times, sacri­lèges et entiè­re­ment nulles ; Nous les cas­sons, annu­lons, abro­geons, de même que l’érection des pré­ten­dus évê­chés de Moulins, de Châteauroux, et toutes autres de cette espèce.

Nous décla­rons éga­le­ment et Nous décré­tons que les consé­cra­tions des sus­dits ont été cri­mi­nelles, et sont illi­cites, illé­gi­times, sacri­lèges, contraires aux saints canons, et à rai­son de ce qu’ils ont été élus témé­rai­re­ment et sans aucun droit, Nous les décla­rons pri­vés de toute juri­dic­tion ecclé­sias­tique et spi­ri­tuelle pour la conduite des âmes, et sus­pens de toutes les fonc­tions épis­co­pales, pour s’être lais­sé illi­ci­te­ment consa­crer. Nous décla­rons aus­si sus­pens de toutes fonc­tions épis­co­pales, Charles, évêque d’Autun, Jean-​Baptiste, évêque de Babylone, Jean-​Joseph, évêque de Lydda, consé­cra­teurs ou assis­tants sacri­lèges, et de même sus­pens des fonc­tions sacer­do­tales ou de quelque autre que ce soit, ceux qui ont prê­té leur concours, leur consen­te­ment ou leur conseil à ces exé­crables consécrations.

C’est pour­quoi Nous défen­dons expres­sé­ment au sus­dit Expilly et aux autres irré­gu­liè­re­ment élus et illi­ci­te­ment consa­crés, sous la même peine de sus­pense, de se per­mettre aucun acte de la juri­dic­tion épis­co­pale qui ne leur a jamais été confé­rée, de s’arroger aucune auto­ri­té pour le gou­ver­ne­ment des âmes, de don­ner des dimis­soires pour prendre les ordres, de com­mettre, éta­blir ou ins­ti­tuer des pas­teurs, des vicaires, des mis­sion­naires, des des­ser­vants, des fonc­tion­naires, des ministres ou autres pré­po­sés à la conduite des âmes et à l’administration des sacre­ments, sous quelque nom, et sous pré­texte de quelque néces­si­té que ce soit ; de faire, d’ordonner, de régler, soit sépa­ré­ment, soit conjoin­te­ment, en forme de conci­lia­bule aucune des choses rela­tives à la juri­dic­tion ecclé­sias­tique : vou­lant et ordon­nant que les dimis­soires, nomi­na­tions, ins­ti­tu­tions qui auraient été don­nés ou faits, ou pour­raient l’être à l’avenir, ain­si que tous les actes ou entre­prises témé­raires, et tous les effets qui pour­raient s’ensuivre, soient regar­dés comme nuls et sans valeur.

Ordonnons éga­le­ment, et enjoi­gnons, sous la même peine de sus­pense, tant aux consa­crés qu’aux consé­cra­teurs, de ne pas oser admi­nis­trer le sacre­ment de confir­ma­tion, confé­rer les ordres ou exer­cer de quelque manière que ce soit les fonc­tions épis­co­pales dont ils sont sus­pens ; en consé­quence, Nous aver­tis­sons ceux qui auraient reçu d’eux les ordres, qu’ils sont eux-​mêmes sus­pens, et s’ils en exercent les fonc­tions qu’ils encourent l’irrégularité.

Pour pré­ve­nir de plus grands maux, Nous ordon­nons, dans les termes, et en ver­tu de la même auto­ri­té, que toutes les autres élec­tions faites par les élec­teurs des dépar­te­ments ou des dis­tricts, dans les formes pres­crites par la sus­dite Constitution du cler­gé, pour les églises cathé­drales, ou les cures de France, tant d’ancienne que de nou­velle et illé­gi­time érec­tion, quand bien même les­dites places seraient vacantes, et à plus forte rai­son si elles sont occu­pées, ain­si que les élec­tions qui pour­raient être faites par la suite, soient répu­tées nulles, illé­gi­times et sacri­lèges, sans qu’il soit néces­saire de les dénom­mer expres­sé­ment. En consé­quence, Nous les cas­sons, annu­lons, abro­geons par ces pré­sentes, et dès à pré­sent, pour le temps où elles auraient lieu, décla­rant, en outre, que ces sujets élus irré­gu­liè­re­ment et sans aucun droit, et tous ceux qu’on éli­ra par la suite aux évê­chés et aux cures, sont pri­vés de toute juri­dic­tion ecclé­sias­tique et spi­ri­tuelle pour le gou­ver­ne­ment des âmes ; que les évêques illi­ci­te­ment consa­crés jusqu’ici, et que Nous vou­lons être consi­dé­rés comme n’étant pas nom­més ; ceux aus­si qui seront consa­crés par la suite, demeurent et demeu­re­ront sus­pens des fonc­tions épis­co­pales, et de même les curés illé­gi­ti­me­ment ins­ti­tués, ou qui le seront par la suite, sus­pens des fonc­tions sacer­do­tales ; et en consé­quence, fai­sons défenses très expresses à ceux qui sont élus évêques, ou qui pour­ront l’être par la suite, d’oser rece­voir l’ordre et la consé­cra­tion épis­co­pale d’aucun métro­po­li­tain, ni d’aucun évêque ; défen­dons éga­le­ment à ces faux évêques et à leurs sacri­lèges consé­cra­teurs, et à tous les autres arche­vêques et évêques, d’entreprendre, sous quelque titre ou pré­texte que ce soit, de consa­crer ceux qui sont ou seront irré­gu­liè­re­ment élus ; défen­dant, de plus, à tous ceux qui sont ou seront nom­més à des évê­chés ou à des cures, de jamais se por­ter pour arche­vêques, évêques, curés, vicaires, et de joindre à leur nom le titre d’aucune église cathé­drale ou parois­siale, de s’attribuer aucune juri­dic­tion, auto­ri­té ou pou­voir pour le gou­ver­ne­ment des âmes, sous peine de sus­pense et de nul­li­té ; de laquelle peine les sus­dits ne pour­ront être rele­vés que par Nous, ou par ceux qui en auront reçu le pou­voir du Saint-Siège.

[Appel à la pénitence]

En pro­non­çant ces peines cano­niques contre les cou­pables, Nous avons usé de toute l’indulgence que Nous pou­vions Nous per­mettre ; Nous flat­tant de l’espoir de remé­dier par ce moyen au mal qui est déjà fait, et d’empêcher qu’à l’avenir il ne fasse de plus grands pro­grès. Plein de confiance dans le Seigneur, Nous aimons à croire que les consé­cra­teurs des faux évêques, que les usur­pa­teurs d’églises, soit cathé­drales, soit parois­siales, que tous les auteurs et fau­teurs de cette Constitution du cler­gé recon­naî­tront leur erreur, et qu’un repen­tir sin­cère les ramè­ne­ra au ber­cail, dont l’intrigue et la séduc­tion les ont arra­chés. Nous tenons donc à ces enfants éga­rés le lan­gage d’un père : Nous les prions, Nous les conju­rons ins­tam­ment au nom du Seigneur d’abdiquer un minis­tère réprou­vé, de reti­rer leur pied de l’abîme où ils se sont enfon­cés, de ne pas souf­frir que des hommes imbus de la phi­lo­so­phie du siècle répandent dans le public une doc­trine mons­trueuse, contraire aux pré­ceptes de Jésus-​Christ, à la tra­di­tion des Pères et aux règles de l’Église.

Mais si Notre dou­ceur, si Nos avis pater­nels ne pro­dui­saient aucun fruit, mal­heur que Nous sup­plions le ciel de détour­ner, qu’ils le sachent : notre inten­tion n’est pas de les exemp­ter des peines beau­coup plus graves aux­quelles ils sont condam­nés par les canons ; qu’ils soient bien per­sua­dés que Nous lan­ce­rons contre eux l’anathème, et que Nous les dénon­ce­rons à l’Église uni­ver­selle comme schis­ma­tiques retran­chés du sein de l’Église, et pri­vés de Notre com­mu­nion ; car « il est juste que celui qui a choi­si de crou­pir dans la fange de sa folie, éprouve toute la rigueur des lois et subisse le sort de ceux dont il a sui­vi les erreurs. » C’est ain­si que s’exprime saint Léon,l’un de Nos pré­dé­ces­seurs, dans sa lettre à Julien, évêque de Cos.

[Appel à la fidélité]

C’est à vous main­te­nant que Nous adres­sons la parole, véné­rables Frères, vous qui, à l’exception d’un très petit nombre, avez tous si bien connu vos devoirs envers votre trou­peau ; vous qui fou­lant aux pieds tous les inté­rêts humains, avez fait une pro­fes­sion publique de la saine doc­trine, et qui avez jugé que vos soins et vos tra­vaux devaient être pro­por­tion­nés à la gran­deur du péril. Nous vous appli­quons l’éloge que don­na autre­fois ce même saint Léon le Grand, aux évêques catho­liques d’Égypte réfu­giés à Constantinople : « Quoique je com­pa­tisse de tout mon cœur aux afflic­tions endu­rées par votre cha­ri­té pour la défense de la foi catho­lique ; quoique je consi­dère ce que vous avez souf­fert comme si je l’avais sup­por­té moi-​même, je sens tou­te­fois qu’il y a plu­tôt sujet de se réjouir que de gémir, puisque, avec le secours de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, vous êtes res­tés inébran­lables dans la doc­trine évan­gé­lique et apos­to­lique, et que chas­sés de vos églises par les enne­mis de la foi chré­tienne, vous avez pré­fé­ré souf­frir les dou­leurs de l’exil plu­tôt que de vous souiller au contact de leur impiété. »

Nous ne pou­vons, au spec­tacle de votre ver­tu, qu’être péné­tré de conso­la­tion et que vous exhor­ter ins­tam­ment à per­sis­ter dans votre géné­reux désir. Retracez-​vous sans cesse les liens sacrés de l’alliance per­pé­tuelle qui vous unit à vos Églises, et qui ne peuvent être rom­pus que par la mort ou par Notre auto­ri­té apos­to­lique, sui­vant les formes que pres­crivent les canons. Restez‑y donc invio­la­ble­ment atta­chés ; ne les aban­don­nez jamais à la mer­ci des loups dévo­rants : déjà, enflam­més d’une sainte ardeur, vous avez éle­vé la voix contre leurs bri­gan­dages ; et vous avez eu le cou­rage d’employer contre eux les droits d’une auto­ri­té légitime.

Et vous, Nos chers fils, cha­noines des véné­rables cha­pitres de France, vous qui sou­mis, comme il convient, à vos arche­vêques et évêques, étroi­te­ment unis à votre chef, ne for­mez avec lui qu’un seul corps ecclé­sias­tique que la puis­sance civile ne peut dis­soudre ni ren­ver­ser ; vous qui avez mar­ché avec tant de gloire sur les traces illustres de vos pré­lats, ne vous détour­nez jamais, Nous vous en conju­rons, du droit che­min où vous êtes entrés ; ne souf­frez jamais qu’aucun intrus revê­tît de la dépouille trom­peuse des évêques et des vicaires, s’empare du gou­ver­ne­ment de vos églises. Veuves de leurs pas­teurs, c’est à vous seules qu’elles appar­tien­dront, quelles que soient les nou­velles entre­prises que l’impiété médite en vain contre vous ; n’ayez tous qu’un esprit et qu’une âme ; et que vos efforts réunis repoussent loin de vous toute espèce d’invasion et de schisme.

Reconnaissez aus­si Notre voix, Nos chers fils, curés et pas­teurs du second ordre, vous qui, dis­tin­gués par votre nombre et d’un cou­rage inébran­lable, êtes res­tés fidèles à vos devoirs, bien dif­fé­rents de ceux de vos col­lègues qui vain­cus par fai­blesse, ou séduits par ambi­tion, se sont aban­don­nés à l’erreur, mais qui dociles à Nos avis, comme Nous l’espérons, vont bien­tôt ren­trer dans le devoir : conti­nuez l’ouvrage si glo­rieu­se­ment com­men­cé ; souvenez-​vous que vos évêques légi­times peuvent seuls vous ôter l’institution qu’ils vous ont don­née : que dépouillés de vos fonc­tions, chas­sés de vos paroisses par la puis­sance civile, vous serez cepen­dant tou­jours les vrais pas­teurs ; que le devoir vous pres­crit d’écarter, autant qu’il vous sera pos­sible, les voleurs qui s’efforcent de s’introduire à votre place, avec l’intention de perdre les âmes confiées à vos soins, et du salut des­quelles vous ren­drez compte un jour.

Nous Nous adres­sons éga­le­ment à vous, fils ché­ris, prêtres et autres ministres du cler­gé de France, vous qui, appe­lés au par­tage du Seigneur, devez res­ter invio­la­ble­ment atta­chés à vos légi­times pas­teurs, à la foi et à la doc­trine de l’Église, et n’avoir rien tant à cœur que d’éviter et de repous­ser les usur­pa­teurs sacrilèges.

Vous tous enfin, catho­liques répan­dus sur la sur­face du royaume de France, Nous vous exhor­tons, dans le Seigneur, à vous rap­pe­ler la reli­gion et la foi de vos pères, à lui res­ter fidèles ; car elle est l’unique et vraie reli­gion, elle pro­cure l’éternelle féli­ci­té, et assure en même temps le salut et la pros­pé­ri­té de la socié­té civile. Gardez-​vous de prê­ter l’oreille aux dis­cours trom­peurs des phi­lo­sophes du siècle, qui vous condui­raient à la mort ; éloi­gnez de vous tous les usur­pa­teurs, sous quelque titre qu’ils se pré­sentent, arche­vêques, évêques, curés ; n’ayez rien de com­mun avec eux, sur­tout dans l’exercice de la reli­gion. Soyez tou­jours dociles à la voix de vos pas­teurs légi­times qui vivent encore, ou qui, dans la suite, seront appe­lés à vous gou­ver­ner sui­vant les formes cano­niques. En un mot, attachez-​vous à Nous ; car pour être dans l’Église, il faut être uni à son chef visible, et tenir for­te­ment à la chaire de Pierre. Et afin que tous soient plus puis­sam­ment exci­tés à rem­plir leurs devoirs, Nous deman­dons pour vous au Père céleste l’esprit de conseil, de véri­té et de constance ; et comme un gage de Notre ten­dresse pater­nelle, Nous vous don­nons, chers fils, et véné­rables frères et fils bien-​aimés, Notre béné­dic­tion apostolique. 

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 13 avril de l’année 1791, la dix-​septième de Notre Pontificat.
PIE

10 mars 1791
Au sujet de la constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée Nationale
  • Pie VI
7 mars 1874
Sur les persécutions dont était victime l'Église de l'Empire d'Autriche-Hongrie et la liberté dont l'Eglise doit jouir à l'égard du pouvoir civil
  • Pie IX