Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

16 septembre 1864

Lettre du Saint-Office à tous les évêques d'Angleterre

Condamnant la théorie des branches

Table des matières

Par cette lettre, le Saint-​Office inter­ve­nait pour cou­per court aux réunions œcu­mé­niques aux­quelles cer­tains catho­lique avaient par­ti­ci­pé en Angleterre. Le Saint-​Office dénonce cet œcu­mé­nisme ain­si que le prin­cipe faux à la base de ces réunions, pré­ten­dant que plu­sieurs com­mu­nau­té sépa­rées ne seraient que des branches d’une seule et même Église. Le cler­gé angli­can adres­sa une réponse à laquelle le car­di­nal Patrizzi, qui avaient signé la pré­sente lettre, répon­dit per­son­nel­le­ment. Nous pla­çons ces lettres en annexe.

Le Siège apos­to­lique a été infor­mé que quelques catho­liques et même des ecclé­sias­tiques se sont fait ins­crire par­mi les membres d’une Société éta­blie à Londres en 1857, pour pro­curer (comme ils le disent) l’uni­té de la chré­tien­té, et que déjà plu­sieurs articles, approu­vant cette Société, ont été publiés dans les jour­naux avec la signa­ture de catho­liques, ou ont été compo­sés, à ce qu’on assure, par des ecclé­sias­tiques qui lui sont favo­rables. Le carac­tère et le but de la Société res­sortent claire­ment, non seule­ment des articles publiés dans le jour­nal appe­lé the Union Review, mais du pros­pec­tus même qui invite à entrer dans la Société et qui nous fait connaître les per­sonnes enrô­lées comme membres. Formée et diri­gée par des pro­tes­tants, cette Société est ins­pi­rée par cette idée, qu’elle pro­fesse ouver­te­ment, que les trois com­mu­nions chré­tiennes, la com­mu­nion catho­lique romaine, la com­mu­nion schismatique-​grecque et la com­munion angli­cane, quoique divi­sées et sépa­rées, peuvent reven­diquer éga­le­ment le nom de catho­lique. On y reçoit en consé­quence toutes les per­sonnes catho­liques, grecques-​schismatiques ou angli­canes, quel que soit, d’ailleurs, le pays où elles demeurent, à condi­tion de ne sou­le­ver aucune ques­tion sur les divers points de doc­trine où les trois com­mu­nions diffè­rent, tout en lais­sant à cha­cun la liber­té de suivre pai­si­ble­ment les doc­trines de sa propre confes­sion reli­gieuse. De plus, on pres­crit à tous les membres de l’Association des prières qui doivent être réci­tées, et aux prêtres la célé­bra­tion de sacri­fices qu’ils doivent offrir sui­vant l’intention de la Société même, c’est-à-dire afin d’obtenir que les trois com­mu­nions chré­tiennes sus­men­tion­nées, les­quelles sont cen­sées consti­tuer ensemble l’Eglise catho­lique, finissent par se réunir pour for­mer un seul corps.

[Le Saint-​Office] a jugé néces­saire de prendre des mesures pour aver­tir les fidèles qu’ils ne doivent pas se mettre sous la direc­tion des héré­tiques pour for­mer Société avec eux et avec les schismatiques

La suprême congré­ga­tion du saint-​office, à l’examen de la­quelle cette affaire a été sou­mise sui­vant la cou­tume, l’ayant mûre­ment exa­mi­née, a jugé néces­saire de prendre des mesures pour aver­tir les fidèles qu’ils ne doivent pas se mettre sous la direc­tion des héré­tiques pour for­mer Société avec eux et avec les schis­ma­tiques. Leurs Eminences les car­di­naux qui sont pré­po­sés avec moi à la sainte Inquisition ne doutent pas que les évêques de ce pays, aus­si dis­tin­gués par leur cha­ri­té que par leur doc­trine, ne s’empressent de signa­ler les vices nom­breux de cette Société et d’écarter les périls qu’elle recèle ; tou­te­fois, ils croi­raient man­quer aux devoirs de leur charge s’ils ne sti­mu­laient pas le zèle pas­to­ral de ces évêques dans une matière de telle impor­tance : car cette nou­veau­té est d’autant plus dan­ge­reuse qu’elle a une appa­rence de pié­té et d’ardente sol­li­ci­tude pour l’unité de la socié­té chrétienne.

C’est pour­quoi l’Eglise catho­lique adresse des prières à Dieu très-​bon et très-​grand, et engage les fidèles à prier pour que tous ceux qui se sont éloi­gnés de la sainte Eglise romaine se conver­tissent à la vraie foi, abjurent leurs erreurs et rentrent en grâce avec cette même Eglise, hors de laquelle il n’y a pas de salut

Les prin­cipes sur les­quels elle repose sont radi­ca­le­ment sub­versifs de la Constitution divine de l’Eglise, car ils consistent à sup­po­ser que la véri­table Eglise de Jésus-​Christ se com­pose en par­tie de l’Eglise romaine, répan­due dans tout l’univers, en par­tie du schisme de Photius et de l’hérésie angli­cane, qui n’au­raient avec l’Eglise romaine qu’un Seigneur, qu’une foi et qu’un bap­tême. Pour faire ces­ser les divi­sions qui séparent ces trois com­mu­nions chré­tiennes, divi­sions qui causent un grand scan­dale, blessent la véri­té et la cha­ri­té, la Société pres­crit des prières et des sacri­fices pour obte­nir de Dieu la grâce de l’u­nité. Certainement il n’y a rien de plus dési­rable pour un ca­tholique que d’arriver à arra­cher jusqu’à la racine les schismes et les divi­sions entre les chré­tiens, et de les voir tous consa­crer leurs efforts à conser­ver l’unité de l’es­prit dans le lien de la paix. [1] C’est pour­quoi l’Eglise catho­lique adresse des prières à Dieu très-​bon et très-​grand, et engage les fidèles à prier pour que tous ceux qui se sont éloi­gnés de la sainte Eglise romaine se conver­tissent à la vraie foi, abjurent leurs erreurs et rentrent en grâce avec cette même Eglise, hors de laquelle il n’y a pas de salut, et même pour que tous les hommes par­viennent, avec l’aide de Dieu, à la connais­sance de la véri­té. Mais que des fidèles et des ecclé­sias­tiques prient pour l’u­ni­té chré­tienne en se pla­çant sous la direc­tion d’hé­ré­tiques, et, ce qui est encore pire, confor­mé­ment à une inten­tion souil­lée et infec­tée à un haut degré d’hé­ré­sie, voi­là ce qui ne sau­rait être tolé­ré en aucune manière.

il n’y a pas d’autre Eglise catho­lique que celle qui, fon­dée sur Pierre seul, s’élève for­mant un corps com­pacte et uni par l’u­ni­té de la foi et de la charité.

Quatre carac­tères, que nous affir­mons, dans le Symbole, comme étant de foi, consti­tuent, par l’au­to­ri­té divine, la véri­table Eglise de Jésus-​Christ et la font recon­naître ; et cha­cun de ces carac­tères fait tel­le­ment corps avec les autres qu’on ne peut l’en sépa­rer. Ainsi, l’Eglise que l’on appelle et qui est réel­le­ment catho­lique, doit en même temps jouir de la préro­gative de l’u­ni­té, de la sain­te­té et de la suc­ces­sion apos­to­lique. L’Eglise catho­lique est donc une, et d’une uni­té glo­rieuse, par­faite, qui embrasse toute la terre et toutes les nations, de cette uni­té dont le prin­cipe, la racine, l’o­ri­gine est l’au­to­ri­té su­prême indé­fec­tible et la pri­mau­té du bien­heu­reux Pierre, prince des apôtres, et de ses suc­ces­seurs dans la Chaire ro­maine. Et il n’y a pas d’autre Eglise catho­lique que celle qui, fon­dée sur Pierre seul, s’élève for­mant un corps com­pacte et uni par l’u­ni­té de la foi et de la charité.

C’est ce qu’attestait de la manière la plus for­melle le bien­heureux Cyprien, dans son épître 45e, lorsqu’il tenait au pape Corneille ce lan­gage : Pour que nos col­lègues se tinssent ferme­ment atta­chés à vous et à votre com­mu­nion, c’est-​à-​dire tout à la fois à l’u­ni­té et à la cha­ri­té de l’Eglise catho­lique. Le pon­tife Hormisdas exi­gea la même décla­ra­tion des évêques qui abju­raient le schisme d’Acace, en leur impo­sant une for­mule ap­prouvée par toute l’antiquité chré­tienne et por­tant que ceux-​là sont sépa­rés de la com­mu­nion de l’Eglise catho­lique qui ne s’ac­cordent pas en tout avec le Siège apos­to­lique. Loin que les com­munions sépa­rées du siège de Rome puissent à juste titre être regar­dées comme catho­liques, cette sépa­ra­tion même et ce désac­cord sont un signe auquel on recon­naît les socié­tés et les chré­tiens qui ne gardent pas la vraie foi et la vraie doc­trine du Christ, ain­si que le démon­trait excel­lem­ment saint Irénée dès le second siècle de l’Eglise. [2] Que les fidèles du Christ aient donc bien soin de ne pas entrer dans ces Sociétés, aux­quelles ils ne peuvent adhé­rer sans bles­ser l’intégrité de la foi. Qu’ils apprennent de saint Augustin que la véri­té et la pié­té ne peuvent se trou­ver là où l’unité chré­tienne et la cha­ri­té du Saint-​Esprit sont absentes.

les fidèles doivent s’éloigner avec hor­reur de la Société de Londres, parce que ceux qui s’y rat­tachent favo­risent l’indifférentisme, et causent du scandale

En outre, les fidèles doivent s’éloigner avec hor­reur de la Société de Londres, parce que ceux qui s’y rat­tachent favo­risent l’indifférentisme, et causent du scan­dale. Cette Société, ou du moins ses fon­da­teurs et ses chefs, pré­tendent que le schisme de Photius et l’anglicanisme sont deux formes de la vraie reli­gion chré­tienne, au sein des­quelles, tout aus­si bien que dans l’Eglise catho­lique, on a le bon­heur de plaire à Dieu, et que les dis­sen­sions qui séparent ces com­mu­nions chré­tiennes ne portent aucune atteinte à l’intégrité de la foi, qui reste une et iden­tique dans toutes, mal­gré ces déchi­re­ments. C’est là, en résu­mé, le sys­tème pes­ti­len­tiel de l’indifférence en matière de reli­gion qui, de notre temps sur­tout, s’insinue dans les âmes et leur cause des maux incal­cu­lables. Il n’est donc pas besoin de démon­trer que les catho­liques qui adhèrent à cette Société deviennent une occa­sion de ruine spi­ri­tuelle pour les catho­liques aus­si bien que pour les non catho­liques, d’autant plus que, en fai­sant naître le vain espoir que les trois com­mu­nions n’en feront qu’une tout en per­sis­tant inté­gra­le­ment dans leurs opi­nions res­pec­tives, la Société dont il s’agit détourne les non catho­liques de se conver­tir à la foi et s’efforce de les en empê­cher par les jour­naux qu’elle publie.

pour empê­cher que, cédant au désir trom­peur d’une nou­velle uni­té chré­tienne, ils se séparent de cette uni­té par­faite qui, par un admi­rable effet de la grâce de Dieu, a dans Pierre un fon­de­ment inébranlable

On doit donc déployer la plus grande sol­li­ci­tude pour qu’on n’ait pas la dou­leur de voir des catho­liques, séduits par une appa­rence de pié­té ou par quelque fausse opi­nion, s’inscrire comme membres de cette Société, ou de toute autre sem­blable, ou les favo­ri­ser de quelque façon que ce soit, et pour empê­cher que, cédant au désir trom­peur d’une nou­velle uni­té chré­tienne, ils se séparent de cette uni­té par­faite qui, par un admi­rable effet de la grâce de Dieu, a dans Pierre un fon­de­ment inébranlable.

Rome, le 16 sep­tembre 1864.

C. Cardinal Patrizi.

Annexe 1 : Réponse du clergé anglican au cardinal Patrizi.

A l’Éminentissime et révé­ren­dis­sime Père en Jésus-​Christ et sei­gneur C. car­di­nal Patrizi, pré­fet du saint-office,

Eminentissime Seigneur,

Nous, sous­si­gnés, doyens, cha­noines, membres du cler­gé parois­sial et autres prêtres de l’Eglise anglo-​catholique, dési­rant vive­ment la réunion visible, sui­vant la volon­té de Notre Seigneur, des diverses par­ties de la famille chré­tienne, avons lu avec le plus grand regret la lettre de votre Eminence à tous les évêques d’Angleterre.

Dans cette lettre, il est repro­ché à notre Société, ins­ti­tuée pour pro­cu­rer la réunion de toute la chré­tien­té, d’a­voir affir­mé dans son pros­pec­tus que « les trois com­mu­nions, catho­lique romaine, orien­tale et angli­cane, ont une égale pré­ten­tion à s’ap­pe­ler catholiques. »

Notre pros­pec­tus n’a pas for­mu­lé d’o­pi­nion sur cette ques­tion. Ce que nous avons dit se rap­por­tait à la ques­tion de fait et non de droit. Nous avons seule­ment affir­mé que l’Eglise an­glicane reven­di­quait le nom de catho­lique, ain­si que cela res­sort sur­abon­dam­ment, tant de sa litur­gie que des articles de notre symbole.

Ladite lettre pré­tend, en outre, rela­ti­ve­ment à l’in­ten­tion de notre Société, que notre but spé­cial serait « que les trois com­mu­nions sus­nom­mées pussent se réunir en une seule, cha­cune d’elles conser­vant son inté­gri­té et main­te­nant ses propres opinions. »

Rien n’est plus éloi­gné de notre pen­sée et de celle de notre Société qu’une pareille fin, qui, loin de mener à l’u­ni­té ecclé­siastique, ne ferait que pro­duire sous un même toit la dis­corde entre frères et les enga­ger dans un conflit per­son­nel. Ce que nous sup­plions le Dieu tout-​puissant d’accorder et ce que nous dési­rons de tous nos cœurs, c’est sim­ple­ment cette intercom­munion œcu­mé­nique qui exis­tait avant la sépa­ra­tion de l’O­rient et de l’Occident, fon­dée et conso­li­dée sur la pro­fes­sion d’une même foi catholique.

De plus, la Société sus­nom­mée devrait d’autant moins ex­citer votre jalou­sie qu’elle s’abstient de toute action ; elle prie sim­ple­ment, en répé­tant les paroles de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ : « Qu’il puisse y avoir un trou­peau et un pas­teur. » C’est la seule chose que désire notre cœur, et c’est aus­si le prin­cipe et le sen­ti­ment que nous expri­mons à votre Eminence avec la plus grande ardeur d’un cœur sin­cère et d’un accent plein de franchise.

Quant au jour­nal qui a pour titre : The union Review, le lien entre lui et la Société est pure­ment acci­den­tel, et nous ne sommes, en consé­quence, en aucune manière enga­gés par ce qu’il peut dire. Divers écri­vains émettent leurs opi­nions dans ce petit ouvrage, mais seule­ment pour arri­ver, en les dévelop­pant, à mettre au jour la véri­té de la foi catho­lique. Que ce mode de concou­rir à la rédac­tion d’un jour­nal ne soit pas en usage à Rome, où les contro­verses du jour sont rare­ment l’ob­jet de dis­cus­sions, est chose qui ne sau­rait sur­prendre. Mais en Angleterre, où presque toutes les ques­tions deviennent en quelque sorte pro­prié­tés publiques, aucune n’arrive avec suc­cès à faire naître la convic­tion sans pas­ser par l’épreuve d’une libre discussion.

Nous avons tra­vaillé depuis plu­sieurs années pour hâter cet évé­ne­ment. Nous avons réa­li­sé des amé­lio­ra­tions qui vont au-​delà de ce que nous espé­rions dans des cir­cons­tances où la foi du trou­peau, le culte divin ou la dis­ci­pline ecclé­sias­tique pou­vaient lais­ser à dési­rer ; et pour n’être pas accu­sés d’oublier notre pro­chain, nous avons cher­ché à ins­pi­rer un sen­ti­ment de bien­veillance envers l’Eglise de Rome, et cette conduite a, pen­dant long­temps, fait conce­voir de la méfiance envers nous.

Nous nous décla­rons hum­ble­ment, de votre Eminence, les ser­vi­teurs dévoués à l’unité catholique.

Cette lettre était signée par 498 membres du cler­gé de l’Eglise d’Angleterre.

Annexe 2 : Réplique de son Éminence le cardinal Patrizzi à la lettre qui précède.

Honorables et très-​chers Messieurs,

Dans la lettre que vous m’avez envoyée, vous décla­rez d’un cœur sin­cère et d’un accent plein de fran­chise que votre seul désir est que, confor­mé­ment aux paroles de Notre-​Seigneur, il n’y ait plus qu’un seul trou­peau et un seul pas­teur, ce qui donne à la Sacrée Congrégation la douce espé­rance que vous par­vien­drez enfin, par la grâce divine, à la véri­table uni­té. Vous devez cepen­dant prendre garde, en cher­chant cette uni­té, de ne pas vous éloi­gner de la voie qui y conduit. La Sacrée Congrégation éprouve le plus pro­fond cha­grin de voir que c’est là ce qui vous arrive, en tant que vous ima­gi­nez que ces com­munions reli­gieuses, qui pré­tendent avoir héri­té du sacer­doce et du nom de catho­lique, consti­tuent des par­ties de la véri­table Eglise de Jésus-​Christ, quoique divi­sées et sépa­rées du siège apos­to­lique de Pierre. Rien ne sau­rait être plus éloi­gné de la véri­table idée de l’Eglise catho­lique qu’une pareille opi­nion. Car, comme l’établit ma lettre aux évêques d’Angleterre, l’Eglise catho­lique est celle qui, bâtie sur Pierre, gran­dit en un seul corps dont les par­ties sont liées entre elles et ren­dues com­pactes dans l’unité de foi et de cha­ri­té [3]. Si vous vou­lez exa­mi­ner avec soin la matière et la consi­dé­rer sans pas­sion, des preuves évi­dentes vous mon­tre­ront que cette uni­té de foi et de cha­ri­té, – c’est-à-dire de com­mu­nion, – est par l’insti­tution immuable de Jésus-​Christ, non seule­ment un attri­but prin­ci­pal et fon­da­men­tal de l’Eglise, mais une note sûre et tou­jours visible à l’aide de laquelle l’Eglise peut être dis­tin­guée de toutes les sectes d’une manière facile et sûre. C’est ce dont portent témoi­gnage les affir­ma­tions expresses, les méta­phores pré­cises, les para­boles, les com­pa­rai­sons par les­quelles l’Ecri­ture sainte esquisse et trace en quelque sorte le por­trait de l’Eglise ; c’est ce dont portent aus­si témoi­gnage les docu­ments des saints Pères et des conciles, la méthode uni­forme que l’Eglise a sui­vie dès le com­men­ce­ment contre les héré­tiques et les schis­ma­tiques de toutes les races dont plu­sieurs aus­si avaient la pré­ten­tion de s’attribuer le sacer­doce et le nom de catho­lique. Ainsi donc, comme l’Eglise de Jésus-​Christ est catho­lique et est appe­lée telle en ver­tu de cette uni­té suprême de foi et de com­mu­nion, qu’elle main­tient fer­me­ment tout en étant répan­due comme elle l’est chez toutes les nations et dans tous les temps ; de même, en ver­tu de cette même uni­té, elle est appe­lée sainte et apos­to­lique, et comme, sans cette uni­té, elle ces­se­rait de jure et de fac­to d’être catho­lique, ain­si elle per­drait tout à la fois les attri­buts de la sain­te­té et de la suc­cession apostolique.

l’Eglise du Christ n’a jamais per­du cette uni­té et ne la per­dra pas, même pour le plus court espace de temps

Or, l’Eglise du Christ n’a jamais per­du cette uni­té et ne la per­dra pas, même pour le plus court espace de temps, atten­du que, selon les oracles divins, l’Eglise dure­ra éter­nel­le­ment. Mais com­ment croire sa durée per­pé­tuelle si la suc­ces­sion des siècles devait pro­duire de nou­veaux aspects et de nou­velles formes dans sa condi­tion essen­tielle, comme il arrive pour les choses incons­tantes de ce monde, et si l’Eglise elle-​même pou­vait quel­que­fois s’éloigner de cette uni­té de foi et de commu­nion dans laquelle elle a été fon­dée par Jésus-​Christ et répan­due par les apôtres ? C’est pour­quoi, dit saint Ambroise, le règne de l’Eglise dure­ra tou­jours, parce que la foi est non divi­sée et le corps est un [4]. Donc, si l’Eglise de Jésus-​Christ est indé­fec­tible, il suit de là qu’on doit affir­mer et croire qu’elle est aus­si infaillible en expo­sant les doc­trines de l’Evangile. Et c’est un dogme fixe de la foi catho­lique, que Jésus-​Christ Notre-​Seigneur, par un don mer­veilleux, a concé­dé à son Eglise dont il est lui-​même le chef, l’époux et la pierre angu­laire, cette pré­ro­ga­tive d’infaillibilité. Quel est l’homme d’un esprit sain qui pour­rait se per­sua­der que l’erreur peut se glis­ser dans l’enseignement public et auto­ri­sé de l’Eglise, quand elle rem­plit une mis­sion ins­ti­tuée par Jésus-​Christ pour que nous ne soyons pas bal­lot­tés comme des enfants et entraî­nés à tous vents de doc­trine, pour deve­nir les jouets de la malice des hommes et de la ruse par laquelle ils cherchent à nous trom­per [5], et cela quand il a pro­mis que son Eglise ne serait jamais pri­vée de sa pré­sence, et que toute véri­té lui serait ensei­gnée par le Saint-​Esprit, par qui il a vou­lu que toutes les nations fussent appe­lées à l’obéissance de la foi et fussent ins­truites de ce qu’elles doivent croire et de ce qu’elles doivent faire ? Com­ment se per­sua­der que l’erreur peut se glis­ser dans l’enseigne­ment de l’Eglise, quand Jésus-​Christ a dit qu’il condam­ne­rait ceux qui ne croi­raient pas à la pré­di­ca­tion des apôtres et de leurs suc­ces­seurs légi­times, aux­quels il a don­né la fonc­tion et l’autorité de pres­crire la forme des saines paroles qui doivent ser­vir d’union à tous ceux qui sont ins­truits des choses de Dieu ? C’est pour­quoi saint Paul appelle l’Eglise la colonne et le fon­de­ment de la véri­té [6]. Mais com­ment l’Eglise serait-​elle le fon­de­ment de la véri­té à moins que ceux qui la cherchent ne soient sûrs d’obtenir d’elle la véri­té ? En outre, les saints Pères, s’exprimant d’une même voix, pro­clament que l’unité de la foi et de la doc­trine de Jésus-​Christ est si inhé­rente à l’unité de l’Eglise que l’une ne peut pas être sépa­rée de l’autre ; ce qui est la pen­sée de cette parole d’or de saint Cyprien que l’Eglise est la demeure de l’unité et de la véri­té [7]. Aussi l’Eglise catho­lique n’a jamais dou­té de cette pré­ro­ga­tive qui lui a été pro­mise et com­mu­ni­quée par la pré­sence conti­nuelle de Jésus-​Christ et l’as­sis­tance du Saint-​Esprit, aus­si sou­vent qu’elle a eu à déci­der des contro­verses sou­le­vées sur la foi, à inter­pré­ter les Ecritures ou à ren­ver­ser des erreurs contraires au dépôt de la révé­la­tion qui lui est confié. Elle a tou­jours énon­cé et pro­po­sé ses défi­ni­tions du dogme comme règle cer­taine et immuable de foi, obli­geant cha­cun d’y don­ner son assen­ti­ment inté­rieur comme à une règle de foi, sans aucun doute, incer­ti­tude ou hési­ta­tion. Et qui­conque résis­te­rait à ces défi­ni­tions serait par le fait jugé comme ayant per­du la foi néces­saire au salut et ayant ces­sé d’ap­par­te­nir au trou­peau de Jésus-​Christ. Toutes choses qui font res­sor­tir de plus en plus l’ab­sur­di­té de cette fic­tion d’une Eglise catho­lique pro­duit d’une coa­li­tion de trois com­mu­nions ; fic­tion dont les auteurs sont néces­sai­re­ment entraî­nés à nier l’infaillibilité de l’Eglise.

Tout aus­si cer­taine est la preuve que Jésus-​Christ, afin de pro­duire et de conser­ver tou­jours l’unité dans son Eglise et d’écarter toute occa­sion de schisme [8] par l’institution d’un chef, a, par une pro­vi­dence spé­ciale, choi­si saint Pierre de préfé­rence aux autres apôtres pour être leur prince, pour deve­nir le centre et le lien de cette uni­té. Sur lui il a bâti son Eglise et à lui il a don­né mis­sion de paître tout le trou­peau, de confir­mer ses frères, de lier et de délier dans le monde entier, en conti­nuant cette mis­sion à ses suc­ces­seurs dans tous les siècles. C’est là un dogme catho­lique reçu de la bouche du Christ, en­seigné et défen­du par l’en­sei­gne­ment per­pé­tuel des Pères, reli­gieusement conser­vé par l’Eglise uni­ver­selle à tra­vers tous les siècles et qu’elle a sou­vent confir­mé contre les erreurs des inno­vateurs, par décrets des sou­ve­rains Pontifes et des conciles. C’est pour­quoi l’Eglise que l’on a tou­jours cru être l’Eglise ca­tholique est celle qui est unie de foi et de com­mu­nion avec le siège des Pontifes romains, suc­ces­seurs de Pierre ; le siège nom­mé pour cela par saint Cyprien la racine et la matrice de l’Eglise catho­lique [9], dési­gné par les Pères et les conciles, sous le nom de siège apos­to­lique, comme son titre spé­cial ; le siège d’où est sor­tie l’unité sacer­do­tale [10] ; d’où découlent pour tous les lois de la com­mu­nion reli­gieuse[11] ; siège dans lequel Pierre vit, et d’où il pré­side et dis­tri­bue les véri­tés de la foi à tous ceux qui les cherchent [12]. Quand saint Augustin, comme vous le sa­vez, veut rap­pe­ler les dona­tistes convain­cus de schisme à la racine et à la vigne dont ils s’étaient sépa­rés, il se sert d’un argu­ment dont les pre­miers Pères font sou­vent usage : « Venez, mes frères, si vous vou­lez être gref­fés sur la vigne. Il est dou­lou­reux de vous voir sépa­rés et jetés à terre. Comptez les prêtres du siège même de Pierre et voyez qui dans cette série de Pères lui a suc­cé­dé. C’est là la pierre contre laquelle les superbes portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas[13]. »

Cela seul suf­fit à démon­trer que celui qui n’est pas uni à cette pierre, sur laquelle a été posé le fon­de­ment de l’unité ca­tholique, n’est pas dans l’Eglise catho­lique. Dans le même sens, saint Jérôme regar­dait comme pro­fane qui­conque n’était pas uni en com­mu­nion avec le siège de Pierre et le Pontife qui y est assis, « Ne sui­vant pas d’autre chef que le Christ (écrivait-​il à Damase), je suis uni en com­mu­nion avec votre Sainteté, c’est-à-dire avec la chaire de Pierre. Je sais que l’Eglise est bâtie sur ce roc. Quiconque mange l’agneau hors de cette mai­son est pro­fane. Si quelqu’un ne se trouve pas dans l’arche de Noé, il péri­ra quand vien­dra le déluge. Quiconque ne récolte pas avec toi, dis­sipe, c’est-à-dire celui qui n’est pas du Christ est contre le Christ [14]. »

Saint Optat de Milève pro­clame aus­si dans le même sens que cette chaire est une, connue de tous, éta­blie à Rome, que l’u­nité doit y être conser­vée par tous, que qui­conque élève une autre chaire contre cette chaire unique est schis­ma­tique et hé­rétique [15]. Et c’est avec rai­son ; car, comme saint Irénée le pro­clame ouver­te­ment à tous, par l’ordination et la suc­ces­sion des Pontifes romains, la tra­di­tion et l’enseignement de la véri­té dans l’Eglise, qui ont com­men­cé avec les apôtres sont des­cendus jusqu’à nous ; ceci étant une preuve com­plète qu’une même foi une et vivi­fiante dans l’Eglise est trans­mise et con­servée dans la véri­té depuis les apôtres jusqu’à ce jour [16].

Si donc c’est une marque spé­ciale et per­pé­tuelle de l’Eglise du Christ d’être cohé­rente et de fleu­rir avec une par­faite uni­té dans la foi et la cha­ri­té de com­mu­nion, et d’être comme une cité bâtie sur une mon­tagne visible à tous les hommes et en tous temps ; si, en outre, Jésus-​Christ a vou­lu que le Siège apos­to­lique de Pierre fût la source, le centre et le lien de cette uni­té, il s’ensuit qu’aucune socié­té, quelle qu’elle soit, qui est sépa­rée de la com­mu­nion et de l’obéissance exté­rieures et visi­bles du Pontife romain, ne peut être l’Eglise de Jésus-​Christ, ni ne peut appar­te­nir en aucune manière à son Eglise, à cette Eglise qui, après la sainte Trinité, est pro­po­sée à notre croyance dans le sym­bole comme une Eglise sainte, une, vraie et catho­lique [17] ; qui est appe­lée catho­lique non seule­ment par ses en­fants, mais aus­si par tous ses enne­mis [18] ; qui est en pos­ses­sion si exclu­sive de ce nom, que tan­dis que tous les héré­tiques ont la pré­ten­tion d’être appe­lés catho­liques, néan­moins si un étran­ger deman­dait où se réunit l’Eglise catho­lique, pas un héré­tique n’oserait lui indi­quer son propre temple ou lieu de réunion [19]. Il ne peut, en effet, appar­te­nir à cette Eglise, par l’intermédiaire de laquelle Jésus-​Christ dis­pense les bien­faits de sa rédemp­tion comme par un corps qui est en union intime avec lui ; à cette Eglise dont, par le fait seul qu’il est sépa­ré de l’u­ni­té de Jésus-​Christ, quelque irré­pro­chable qu’il puisse croire sa conduite, il sera, par ce seul péché, pri­vé de la vie, et la colère de Dieu s’appesantira sur lui [20]. En consé­quence, comme le nom de catho­lique ne peut, par aucune consi­dé­ra­tion de droit, appar­te­nir à ces com­mu­nions sépa­rées, on ne peut en aucune façon le leur don­ner sans se rendre cou­pable d’héré­sie manifeste.

Vous ver­rez, hono­rés et très chers Messieurs, d’a­près toutes ces cita­tions, pour­quoi la Sacrée Congrégation a si soi­gneusement avi­sé à ce qu’il ne soit pas per­mis aux fidèles de Jésus-​Christ de s’enrôler dans la Société que vous avez récem­ment fon­dée ou de la favo­ri­ser de quelque manière, cette So­ciété étant éta­blie pour pro­cu­rer (comme vous le dites) l’unité de la chré­tien­té. Vous devez aus­si voir que tout effort vers une récon­ci­lia­tion serait fait en vain, si ce n’est en se confor­mant à ces prin­cipes sur les­quels l’Eglise de Jésus-​Christ a d’abord été fon­dée, et qui ont été pro­pa­gés depuis dans la suc­ces­sion des siècles, une et la même à tra­vers le monde par les apôtres et leurs suc­ces­seurs ; prin­cipes clai­re­ment expri­més dans la for­mule bien connue d’Hormisdas, qui a été incon­tes­ta­ble­ment approu­vée dans toute l’Eglise catho­lique. Vous ver­rez enfin que l’intercommunion uni­ver­selle dont vous par­lez comme ayant exis­té avant le schisme de Photius, a été obte­nue, parce qu’à cette époque les Eglises d’Orient ne s’étaient pas écar­tées de la sou­mis­sion due au Siège apos­to­lique, et que, pour réta­blir cette inter­com­mu­nion si gran­de­ment à dési­rer, il ne suf­fit pas de faire trêve à tout mau­vais vou­loir, à toute haine envers l’Eglise de Rome ; mais il faut encore, en ver­tu du pré­cepte et de l’institution de Jésus-​Christ et par une néces­si­té abso­lue, ac­cepter la foi et la com­mu­nion de l’Eglise romaine ; car, d’après les paroles de votre illustre com­pa­triote, le véné­rable Bède :

Quels que soient ceux qui se séparent de quelque manière de l’unité de foi ou de com­mu­nion avec lui (saint Pierre), ils ne peuvent ni être absous des liens de leurs péchés, ni fran­chir la porte du royaume céleste.

Hom. in nat. S. Petri et Pauli.

C’est pour­quoi, ho­norés et très chers Messieurs, en voyant qu’il a été démon­tré que l’Eglise catho­lique est une et inca­pable de par­tage ou de divi­sion [21], nous avons la confiance que vous n’hésiterez pas davan­tage à vous réfu­gier dans le sein de cette Eglise qui, de l’aveu du monde entier, est en pos­ses­sion de l’autorité suprême par la suc­ces­sion de ses évêques venant du Siège apos­to­lique, et contre laquelle les héré­tiques luttent en vain [22]. Puisse le Saint-​Esprit accor­der d’achever et per­fec­tion­ner sans délai ce qu’il a com­men­cé en vous par cette bonne volon­té qu’il vous a ins­pi­rée envers l’Eglise. Et d’accord en cela avec la Sacrée Congréga­tion, notre très saint Père le Pape Pie IX désire de tout son cœur ce résul­tat, et il demande avec ins­tance au Dieu de misé­ricorde et au Père de lumière que vous tous, sor­tant de l’état déshé­ri­té et sépa­ré où vous êtes, puis­siez entrer dans l’héritage du Christ, la véri­table Eglise catho­lique, à laquelle ont indubi­tablement appar­te­nu vos ancêtres avant la déplo­rable sépa­ra­tion du sei­zième siècle, et arri­ver heu­reu­se­ment à la source de la cha­ri­té dans le lien de la paix et l’association de l’unité [23].

Valete.

C. card. Patrizi.

Rome, le 8 novembre 1865.

Source : De la réunion de l’Eglise d’Angleterre pro­tes­tante à l’Eglise catho­lique, par Jules Gondon, 1867.

Notes de bas de page
  1. Ephes. iv.[]
  2. Liv. III, contre les héré­sies, ch. iii.[]
  3. S. Ambros., de Offic. minis­tr., lib. III, c. 3, n. 19.[]
  4. In Luc, lib. vii, n° 91.[]
  5. Ephes., iv, 14.[]
  6. 1 Tm 3, 15.[]
  7. Epit. viii, ad Cornel. ap. Constant, n. 1.[]
  8. S. Hieronym., lib. I, adv. Jovin., n° 26.[]
  9. Epist. iv, ad Cornel. ap. Constant, n° 3.[]
  10. S. Cyp., Epist. xii a Cornel. ad Constant, n° 11.[]
  11. Epist. Conc. Aquil. ad Gratian. imp. an 381, inter epist. S. Ambrosii.[]
  12. S. Petr. Chrysol., epist. ad Eutych., act. iii concil. Ephes. ap. Harduin, I, 1478.[]
  13. Psalm. in part. Donati.[]
  14. Epist. xiv, al. 57, ad Damas., n° 2.[]
  15. De Schism. Donatist, lib. II, n° 2.[]
  16. Lib. III, contra Hæres., c. 3, n° 3, et vet. inter­pret.[]
  17. S. Aug., de Symbol, ad Catech., c. vi.[]
  18. S. Aug., de Vera relig., c. vii.[]
  19. S. Aug., contra Epist. Fundam , c. iv, n° 5.[]
  20. S. Aug., Ep. cxli, al. 152, n° 5.[]
  21. S. Cypr., Ep. viii, ad Cornel, ap, Constant, n° 2.[]
  22. S. Aug., de Utilit. cre­den­di, c. xvii, n° 35.[]
  23. S. Aug., Ep. lxi, al. 223, n° 2 ; Ep. LXIX, al. 238, n° 1.[]
5 juin 1948
Concernant les réunions communes entre catholiques et non-catholiques
  • Suprême Congrégation du Saint-Office
  • /Pie XII
13 septembre 1868
Appel au retour de tous les dissidents à rentrer dans l’Église catholique, unique bercail du Christ
  • Pie IX