Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 24 septembre 1941
Chers jeunes époux, avec quelle joie et avec quelle espérance n’avez-vous pas, au pied des autels et du prêtre, inauguré votre nouvelle famille ! Or un double lien, pour l’ordinaire, enserre la famille dans sa croissance et son développement : le lien qui unit étroitement sous un même toit, d’une part l’époux et l’épouse, d’autre part les parents et les enfants. Le premier vagissement du petit au berceau ravit la mère, transporte le père, réjouit les parents et amis, et voilà qu’à cette aurore d’une première vie se manifeste pour la première fois l’autorité du père et puis de la mère : ils ont conscience de leur obligation d’assurer le baptême à leur enfant, et ils s’empressent de remplir ce devoir, afin que ce sacrement fasse de lui un fils de Dieu, efface en lui le péché originel, lui communique la vie de la grâce, lui ouvre les portes du paradis, car « le royaume des cieux est pour les petits » (Mt 19,14). Comme une telle pensée doit ennoblir le père fier de sa foi dans le Christ, et réconforter la mère soucieuse du salut de ses enfants ! Ainsi tout enfant qui reçoit le sceau de l’adoption divine et boit à la source de l’eau surnaturelle a le bonheur de commencer dans l’Eglise le voyage de la vie, pour traverser les incertitudes et les périls de ce monde.
Que deviendra cet enfant ? Quis, putas, puer iste erit ? (Lc 1,66). Les enfants sont des roseaux agités par le vent ; ce sont des fleurs délicates et il ne faut qu’un zéphir pour ravir un pétale à leur corolle ; ce sont des plates-bandes vierges où Dieu a jeté des semences de bonté que menacent les sens et les pensées du cœur humain, de ce cœur que portent au mal dès l’adolescence (Gn 8,21) l’orgueil de la vie, la concupiscence de la chair et la concupiscence des yeux (cf. 1Jn 2,16). Qui donc affermira ces roseaux ? Qui donc défendra ces fleurs ? Qui donc cultivera ces plates-bandes et y fera germer, contre les embûches du mal, les semences de la bonté ? Avant tout, l’autorité qui régit la famille et les enfants : votre autorité, ô parents !
Les raisons de la résistance actuelle des enfants à l’autorité.
Les pères et mères se plaignent souvent de nos jours de ne plus réussir à plier leurs enfants à l’obéissance. Enfants capricieux qui n’écoutent personne ; adolescents qui dédaignent toute direction ; jeunes gens et jeunes filles impatients de tout conseil, sourds à tout avertissement, ambitieux de prix dans les jeux et les concours, entêtés à n’agir qu’à leur guise et persuadés d’être seuls à bien comprendre les nécessités de la vie moderne. En un mot, dit-on, la nouvelle génération – à part tant de belles et chères exceptions ! – n’est guère disposée pour l’ordinaire à s’incliner devant l’autorité du père et de la mère.
Quelle est la raison de cette attitude indocile ? Celle qu’on allègue de nos jours en général, c’est que les enfants, bien souvent, n’ont plus le sens de la soumission, du respect dû aux parents et à leurs paroles ; dans l’atmosphère d’ardente fierté juvénile où ils vivent, tout tend à détruire en eux la déférence envers les parents et à les émanciper ; tout ce qu’ils voient et entendent autour d’eux finit par accroître, enflammer, exaspérer leur inclination naturelle, et non encore domptée, à l’indépendance, leur mépris du passé, leur soif de l’avenir.
Si nous parlions en ce moment à des enfants ou à des jeunes gens, notre dessein serait d’examiner et de peser ces causes de leur manque d’obéissance et de soumission. Mais c’est à vous, jeunes époux, que nous adressons la parole, à vous qui, bientôt, aurez à exercer l’autorité paternelle et maternelle, et nous voulons attirer votre attention sur un autre aspect de cette question si importante.
L’exercice normal de l’autorité ne dépend pas seulement de ceux qui doivent obéir, mais aussi, et dans une large mesure, de ceux qui ont à commander. En d’autres termes : autre chose est le droit à l’exercice de l’autorité, le droit de donner des ordres, et autre chose la supériorité morale qui rend effective l’autorité et la rehausse, et qui réussit à s’imposer aux autres et à obtenir en fait leur obéissance.
Le droit de donner des ordres, Dieu vous l’accorde par l’acte même qui vous rend père et mère. La seconde prérogative, la supériorité morale, il vous faut l’acquérir et la conserver ; vous pouvez la perdre, et vous pouvez l’augmenter. Or le droit de commander à vos fils n’obtiendra d’eux que fort peu de chose s’il n’est accompagné de ce pouvoir, de cette autorité sur eux de votre propre personne, autorité qui vous assurera une obéissance effective. De quelle manière, par quels sages moyens pouvez-vous acquérir, conserver et accroître ce pouvoir moral ?
Comment exercer le don naturel du commandement.
A certaines personnes Dieu accorde le don naturel du commandement, le don de savoir imposer leur volonté à autrui. C’est un don précieux. Réside-t-il tout entier dans l’esprit, ou pour une grande part dans la personne, le comportement, la parole, le regard, le visage ? Il est souvent difficile de le dire. Mais c’est aussi un don redoutable. N’en abusez point, si vous le possédez, dans vos rapports avec vos enfants : vous risqueriez d’emprisonner leur âme dans la crainte et d’avoir, au lieu de fils aimants, des esclaves. Tempérez cette force par l’effusion d’un amour qui réponde à leur affection, par une bonté douce, patiente, empressée et encourageante. Ecoutez le grand apôtre saint Paul vous dire : Patres, nolite ad indignationem provocare filios vestros, ut non pusillo animo fiant, « Vous, pères, n’irritez point vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent » (Col 3,21). Parents, souvenez-vous bien de ceci : la rigueur n’est digne d’éloge que lorsque le cœur est doux.
Joindre la douceur à l’autorité, c’est vaincre et triompher en cette lutte où vous engage votre mission de parents. Au reste, pour tous ceux qui commandent, l’exercice de leur autorité ne sera bienfaisant que s’ils savent d’abord se maîtriser eux-mêmes, discipliner leurs passions et leurs impressions.
L’autorité n’est forte et respectée que lorsque les subordonnés savent qu’elle n’a pour mobiles que la raison, la foi, la conscience du devoir ; ils se rendent compte alors qu’ils ont à donner au devoir de l’autorité la réponse de leur propre devoir.
Si les ordres que vous donnez à vos enfants et les réprimandes que vous leur adressez procèdent des impressions du moment, d’un mouvement d’impatience, d’une imagination ou d’un sentiment aveugles ou irréfléchis, vas ordres ne manqueront point d’être la plupart du temps arbitraires, incohérents, injustes peut-être, et inopportuns. Aujourd’hui, vous serez envers ces pauvres petits d’une exigence déraisonnable, d’une impitoyable sévérité ; demain, vous laisserez tout passer. Vous commencerez par leur refuser une petite chose, et, le moment, d’après, fatigués de leurs pleurs ou de leur bouderie, vous la leur accorderez avec des démonstrations de tendresse, pressés d’en finir avec une scène qui vous irrite les nerfs.
Pourquoi donc ne savez-vous pas dominer les mouvements de votre humeur, mettre un frein à vos caprices, vous conduire vous-mêmes, alors que vous entreprenez de conduire vos enfants ? Ne vous sentez-vous pas entièrement maître de vous-mêmes ? Remettez à une heure plus opportune la réprimande projetée, la punition que vous croyez devoir infliger. La fermeté apaisée et tranquille de votre esprit donnera à votre parole et au châtiment une tout autre efficacité, une influence plus heureuse et plus d’autorité réelle que les éclats d’une passion indisciplinée.
N’oubliez jamais que les enfants, même les plus petits, sont tout yeux à observer et à noter, et qu’ils remarqueront bien vite les changements de votre humeur. Dès le berceau, dès qu’ils parviendront à distinguer leur maman d’une autre femme, ils se rendront compte bien vite du pouvoir qu’exercent sur des parents faibles un caprice ou des pleurs, et, dans leur innocente petite malice, ils ne craindront point d’en abuser.
Gardez-vous donc de tout ce qui pourrait diminuer votre autorité auprès d’eux. Gardez-vous de gaspiller cette autorité par l’habitude des recommandations et observations continuelles et insistantes, qui finissent par les lasser ; ils feront la sourde oreille et n’y attacheront plus aucune importance. Gardez-vous de vous jouer de vos enfants et de les tromper en alléguant des raisons ou des explications fallacieuses et sans consistance, distribuées au hasard, pour vous tirer d’embarras et vous défaire de questions importunes. S’il ne vous paraît point opportun de leur exposer les vraies raisons d’un ordre ou d’un fait, il vaudra mieux pour vous faire appel à leur confiance en vous et à leur amour. Ne faussez point la vérité ; au besoin taisez-la ; vous ne soupçonnez peut-être même pas les troubles et les crises qui peuvent s’élever dans ces petites âmes, le jour où elles viennent à connaître que l’on a abusé de leur crédulité naturelle.
Nécessité de rester unis entre époux et d’être fermes dès le berceau.
Gardez-vous aussi de laisser transparaître le moindre signe de désaccord, la moindre divergence de vues sur l’éducation de vos enfants : ils remarqueraient bien vite la possibilité de se servir de l’autorité de la mère contre l’autorité du père, ou du père contre la mère, et ils résisteraient difficilement à la tentation de profiter de cette désunion pour satisfaire toutes leurs fantaisies. Gardez-vous enfin d’attendre que vos enfants aient grandi en âge pour exercer sur eux votre autorité, avec bonté et avec calme, il est vrai, mais aussi avec fermeté et courage, et sans vous laisser fléchir par aucune scène de pleurs ou de colère : dès le début, dès le berceau, dès les premières lueurs de leur petite raison, faites en sorte qu’ils éprouvent et sentent sur eux des mains caressantes et délicates, mais sages aussi et prudentes, vigilantes et énergiques.
Que votre autorité soit sans faiblesse, mais qu’elle naisse de l’amour, qu’elle soit pénétrée d’amour et soutenue par l’amour. Soyez les premiers maîtres et les premiers amis de vos enfants. Si c’est l’amour paternel et maternel qui inspire vos ordres, – un amour chrétien à tous égards, et non pas une complaisance plus ou moins inconsciemment égoïste – vos enfants en seront touchés, et ils lui répondront du plus profond de leur cœur, sans que vous ayez besoin de beaucoup de paroles ; car le langage de l’amour est plus éloquent dans le silence de l’action que dans les accents des lèvres. Mille petits signes, une inflexion de la voix, un geste imperceptible, une légère expression du visage, un geste d’approbation leur révéleront mieux que toutes les protestations d’amour, toute l’affection qui anime un refus affligeant, toute la bienveillance qui se cache en une recommandation ennuyeuse ; et alors, la parole de l’autorité apparaîtra à leur cœur, non pas comme un fardeau pesant ou un joug odieux à secouer le plus tôt possible, mais comme la suprême manifestation de votre amour.
L’autorité de l’exemple.
Mais ne faut-il pas que l’amour s’accompagne du bon exemple ? Comment donc les enfants, par nature prompts à imiter, pourront-ils apprendre à obéir, s’ils voient leur mère en toute occasion ne faire aucun cas des ordres du père ou se plaindre de lui ? Comment les enfants apprendront-ils à obéir, s’ils entendent continuellement au foyer d’irrespectueuses critiques des autorités ? Comment apprendront-ils à obéir, s’ils constatent que leurs parents sont les premiers à manquer aux commandements de Dieu ou de l’Eglise ?
Il faut, au contraire, qu’ils aient sous les yeux un père et une mère qui, dans leur manière de parler et d’agir, donnent l’exemple du respect des autorités légitimes et d’une constante fidélité à leurs propres devoirs. Un exemple si édifiant leur apprendra, avec plus d’efficacité que la plus étudiée des exhortations, la véritable obéissance chrétienne et la manière de la pratiquer à l’égard de leurs parents.
Soyez bien persuadés, jeunes époux, que le bon exemple est l’héritage le plus précieux que vous puissiez donner et laisser à vos enfants. Il est le souvenir ineffaçable et lumineux d’un trésor d’œuvres et de faits, de paroles et de conseils, d’actes pieux et de démarches vertueuses, qui restera toujours vivant dans leur mémoire et dans leur esprit ; souvenir émouvant et cher qui, aux heures de doute et d’hésitation entre le mal et le bien, entre le danger et la victoire, leur rappellera vos personnes. Aux heures troubles, quand le ciel s’assombrira, vous leur réapparaîtrez dans une vision de lumière qui éclairera et dirigera leur chemin ; elle leur rappellera la voie que vous avez parcourue dans le travail et les soucis, rançon du bonheur d’ici-bas et de là-haut.
Est-ce là un rêve ? Non ! la vie que vous commencez avec votre nouvelle famille n’est pas un rêve : c’est un sentier où vous cheminez, investis d’une dignité et d’une autorité qui doivent être pour les enfants de votre sang une école et un apprentissage.
Daigne le Père céleste, qui, en vous appelant à participer à la grandeur de sa paternité, vous a aussi communiqué son autorité, daigne le Père céleste vous donner de l’exercer à son imitation, dans la sagesse et dans l’amour ! C’est en implorant de lui cette grâce, pour vous et pour tous les parents chrétiens, que Nous vous donnons avec toute l’affection de Notre cceur paternel la Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.