Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

5 août 1942

Discours aux jeunes époux

Patrons et domestiques partagent une triple dignité laquelle crée une communauté de relations et de devoirs réciproques

Table des matières

Ce dis­cours fait suite à celui du 22 juillet (cf. ci-​dessus, p. 192) sur ce que doivent être les rela­tions avec les auxi­liaires du foyer :

II. – Patrons et domestiques. Devoirs réciproques.

Dans Notre der­nière allo­cu­tion aux jeunes mariés réunis autour de Nous, Nous avons essayé de mettre en lumière quelle reli­gieuse beau­té revêtent les rela­tions entre maîtres et domes­tiques, lorsque les uns et les autres sont ani­més de cet esprit chré­tien qui rend les « domes­tiques » en quelque sorte membres de la famille de leurs « patrons ». Ces belles rela­tions fami­liales, observions-​Nous, plus rares de nos jours que jadis, n’ont pas entiè­re­ment dis­pa­ru, et Nous for­mions le vœu que de si antiques et si saintes tra­di­tions refleu­rissent dans les nou­velles familles que créent les jeunes époux par la mise en com­mun de leurs vies. N’est-ce pas aus­si votre désir, bien- aimés fils et filles ? Ne souhaitez-​vous pas ce sou­tien, ce pré­cieux récon­fort, pour la paix et la joie de votre foyer ? Mais un désir, une bonne volon­té encore vague ou une admi­ra­tion pure­ment idéale ne suf­fisent point à pareille réa­li­sa­tion. Il faut que l’un et l’autre, et celui qui com­mande et celui qui sert, tiennent cha­cun sa place et accom­plissent cha­cun son devoir, place et devoir qui, dans leur diver­si­té, découlent de ce qui est com­mun aux maîtres et aux domes­tiques, de ce qui consti­tue leur lien. C’est ce que saint Augustin pro­clame en ces termes très heu­reux : « La pre­mière auto­ri­té de l’homme sur l’homme, une auto­ri­té que nous ren­con­trons chaque jour, c’est celle du maître sur son ser­vi­teur… Patrons et domes­tiques, voi­là deux titres divers ; mais hommes et hommes, voi­là deux noms égaux [1]. » Pénétrons ces paroles du saint Docteur : elles ren­ferment une pen­sée qui, tirant son ori­gine de l’unité de la nature humaine, rejoint le domaine de la foi et nous élève vers Dieu. Cette pen­sée, c’est que ces hommes, patrons et domes­tiques, sont les uns et les autres éga­le­ment ser­vi­teurs de Dieu ; c’est que, comme enfants de Dieu, ils sont frères ; c’est que, comme chré­tiens, ils sont, dans leur diver­si­té même, membres et organes d’un même corps, du corps mys­tique de Jésus-​Christ. Cette com­mu­nau­té de triple digni­té crée une com­mu­nau­té de rela­tions et de devoirs réciproques.

Patrons et domestiques sont devant Dieu également hommes et serviteurs.

1. Le pre­mier de ces carac­tères rend les hommes sem­blables et sem­bla­ble­ment ser­vi­teurs de Dieu, parce que, bon gré mal gré, le genre humain ne peut nul­le­ment se sous­traire au ser­vice de Dieu et à l’accomplissement de ses secrets des­seins. Patrons et domes­tiques sont donc là égaux devant Dieu, sans que s’effacent pour autant les dif­fé­rences sociales de condi­tion, de for­tune et de besoin que Dieu dis­pose et règle et que la libre volon­té de l’homme choi­sit et réa­lise. Ce carac­tère com­mun de ser­vi­teurs de Dieu impose aux patrons et aux domes­tiques l’obligation de conci­lier et d’harmoniser leurs rap­ports mutuels dans la jus­tice et dans l’humanité. N’en dou­tez point, même entre Dieu et ses ser­vi­teurs c’est la jus­tice et l’humanité qui règnent ; cette sou­ve­raine jus­tice qui se doit tout à elle-​même et rien à per­sonne, parce qu’elle n’a pas d’égale, et qui cou­ronne le trône de Dieu, le juste juge des mérites et des démé­rites de ses ser­vi­teurs dans l’observance de ses com­man­de­ments et de sa loi ; cette huma­ni­té qui prend dans son cœur le nom de misé­ri­corde et qui s’élève, rayon­nante, au-​dessus de toutes les œuvres divines. C’est par la sagesse de Dieu que règnent les rois (cf. Prov., viii, 15), et c’est par la même sagesse que Dieu sou­met les peuples aux rois (cf. Ps., cxliii, 2). Dans la famille doit de même se reflé­ter le divin gou­ver­ne­ment de jus­tice et d’humanité par lequel Dieu ordonne à son ser­vice le genre humain uni­ver­sel. On parle sou­vent de jus­tice, et c’est avec rai­son, puisque rendre à cha­cun son dû est l’affaire de tous et de cha­cun. Mais cette jus­tice se réduit trop sou­vent à la rigueur d’une for­mule, au fait que l’un four­nit stric­te­ment le tra­vail conve­nu et que l’autre paye ponc­tuel­le­ment le salaire pro­mis. Mais vous vous élè­ve­rez à une plus haute concep­tion de la jus­tice et de l’équité, si vous réflé­chis­sez que les noms dif­fé­rents de maître et de ser­vi­teur recouvrent une même réa­li­té : l’homme. Ce sont l’un et l’autre des hommes ; ce sont l’un et l’autre des créa­tures de Dieu, des créa­tures éle­vées au-​dessus de la matière et de la nature ; de sorte que ces deux hommes sont l’un et l’autre, et au même titre, ser­vi­teurs de Dieu, le même, le seul, l’éternel Patron et Seigneur. En tant qu’hommes, ils pos­sèdent l’un et l’autre – outre les biens, les droits et les inté­rêts du monde maté­riel – les biens, les droits et les inté­rêts plus sacrés de leur corps et de leur esprit, de leur cœur et de leur âme. Il ne s’agit donc pas des seules rela­tions mutuelles de la simple jus­tice qui se réduit, selon la froide signi­fi­ca­tion de ce mot, à don­ner et à rece­voir : à la jus­tice il faut joindre l’humanité, cette huma­ni­té qui res­semble à la misé­ri­corde et à la bon­té de Dieu et qui élève la jus­tice humaine plus haut que la matière, jusque dans les régions spirituelles.

Les souffrances de la pauvre domestique chargée de travail et privée d’affection.

Représentez-​vous, si vous le pou­vez, l’isolement d’une pauvre domes­tique qui, le soir, au terme d’une jour­née de labeur, se retire dans sa petite chambre, peut-​être obs­cure et triste et dépour­vue de tout confort. Elle n’a pas man­qué de rece­voir, comme il peut arri­ver, quelques répri­mandes, faites peut-​être sur un ton dur, aigre, hau­tain ; il lui a été don­né des ordres, peut-​être avec un visage qui sem­blait tra­hir l’amer plai­sir de ne se mon­trer jamais content. Du moins, on l’a regar­dée comme une de ces per­sonnes qui ne viennent à l’esprit que lorsque manque ou tarde, ne serait-​ce qu’un ins­tant, une chose atten­due, tant il paraît natu­rel à cer­tains d’exiger que tout soit par­fait, que tout arrive à point. On ne songe aucu­ne­ment à la fatigue, au dévoue­ment, aux soins, à la peine que lui a coû­tés la dili­gence qu’elle a mise à son tra­vail ; jamais une bonne parole ne vient l’en­courager, jamais un sou­rire récon­for­tant la sou­te­nir et la gui­der, jamais un regard aimable rani­mer la flamme. Dans la soli­tude de sa petite chambre, quelle récom­pense, plus pré­cieuse que l’or, ne serait pas en ce moment, n’eût pas été durant la jour­née une parole, un regard, un sou­rire vrai­ment humain ! Comme par là son âme sen­ti­rait le lien que la nature a éta­bli même entre ser­vi­teurs et patrons ! La nuit, atten­dant le retour de ses maîtres, la petite ser­vante veille­ra sur les enfants qui dorment, tan­dis que sa pen­sée et son cœur s’envoleront à son vil­lage pour esti­mer et pro­cla­mer plus heu­reux les ser­vi­teurs qui tra­vaillent sur le bien de son père (cf. Luc, xv, 17). Si elle est avan­cée en âge, elle pen­se­ra peut-​être avec un nos­talgique regret au foyer qu’elle eût pu fon­der, elle aus­si, modeste foyer où elle eût de ses chants et de ses caresses égayé ses enfants au berceau.

Pénétrez dans l’âme de cette domes­tique chez qui vient se joindre à la las­si­tude du corps l’angoisse d’un cœur qui évoque le pas­sé. Les maîtres de la mai­son, s’ils sont mon­dains, y feront bien rare­ment atten­tion : songeront-​ils même peut-​être qu’elle a une âme ? On n’osera pas, Nous vou­lons le croire, lui inter­dire d’accomplir ses devoirs de chré­tienne : mais voi­là, sou­vent on ne lui en lais­se­ra ni la pos­si­bi­li­té ni le temps ; moins encore on lui per­met­tra de suivre les appels intimes de sa pié­té et de pour­voir aux inté­rêts de sa vie morale et spirituelle.

La maî­tresse de mai­son, sans doute, n’est pas tou­jours dure et méchante de carac­tère ; au contraire, elle est sou­vent pieuse, elle visite les pauvres de l’endroit, elle secourt les néces­si­teux et sou­tient les bonnes œuvres ; mais, sans vou­loir géné­ra­li­ser, elle voit mieux la pau­vre­té qui est au-​dehors que la pau­vre­té qui est à son foyer : elle ignore qu’une pau­vre­té plus triste encore, la pau­vre­té du cœur, loge sous son propre toit. Elle ne s’en doute même pas ; jamais elle ne s’est appro­chée de sa ser­vante avec un cœur de femme, avec un cœur de mère, après les tra­vaux de la jour­née. Ces tra­vaux de la ser­vante, com­ment la patronne les connaîtrait-​elle, si elle ne les a jamais faits de sa vie ? Aurait-​elle donc cette cour­toise et noble digni­té de maî­tresse qui sait, sans avoir à craindre de se dimi­nuer, user de bon­té envers une jeune ser­vante ? Pourquoi n’irait-elle pas vers ce pauvre cœur qui reste ferme dans l’humilité de sa tâche, dans les peines de sa vie, dans une obéis­sance plus que res­pec­tueuse envers celle qui n’est pas sa mère ? Maîtresse et ser­vante, deux noms dif­fé­rents, mais en l’une et l’autre de ces deux per­sonnes c’est la même nature humaine, lors même que l’une, sur cette terre, est, du moins en appa­rence, plus heu­reuse que l’autre, et plus for­tu­née. Devant Dieu leur Créateur, elles sont l’une et l’autre ser­vantes, et pour­quoi donc oublie-​t-​on que la plus petite est d’abord ser­vante de Dieu par son âme, et ensuite seule­ment ser­vante des hommes par son tra­vail ? Grâce au ciel, bien-​aimés fils et filles, vous avez d’autres sen­ti­ments et Nous vou­lons croire que le tableau que nous venons de tra­cer n’est point celui que vous avez sous les yeux dans vos propres familles.

Devoirs pour les domestiques d’une honnêteté consciencieuse et d’une délicate humanité.

Mais, s’il faut que les patrons traitent leurs domes­tiques avec hon­nê­te­té et bien­veillance, les domes­tiques n’ont-ils pas à leur tour des devoirs spé­ciaux envers les patrons ? La jus­tice et l’humanité ne sont-​elles pas des ver­tus qu’ils doivent, eux aus­si, pra­ti­quer ? Se comporteraient-​ils selon la jus­tice et l’humanité, les domes­tiques qui man­que­raient aux règles de l’honnêteté, trom­pe­raient leurs patrons, divul­gue­raient les secrets de la famille où ils demeurent, tien­draient sur elle des pro­pos qui pour­raient lui nuire, ne pren­draient pas un soin vigi­lant de ce qu’on leur confie ? Que dire de ces domes­tiques et de ces ser­vantes qui s’occupent et s’acquittent de leur tra­vail avec négli­gence, ne l’accomplissant que dans la mesure du strict néces­saire, ni plus ni moins, et qui se tiennent à l’écart de la vie fami­liale au point de n’éprouver et de ne mani­fes­ter rien d’un cœur humaine­ment déli­cat et prêt à se dévouer aux heures de mala­die, de fatigue, de mal­heur, de deuil des patrons et de leurs enfants ? Et s’ils étaient irré­vé­ren­cieux – Nous ne vou­drions pas dire inso­lents – d’une atti­tude froide, indif­fé­rente à tout ce qui a trait au foyer, si par leurs pro­pos, leurs mur­mures, leurs pro­cé­dés, ils deve­naient par­mi les autres domes­tiques et peut-​être même par­mi les enfants, des semeurs de mécon­ten­te­ment, de mau­vais esprit, ou – ce qu’à Dieu ne plaise ! – de scep­ti­cisme, d’impiété, d’impureté, de débauche, quel nom don­ner à ces ser­vi­teurs et à ces ser­vantes qui font le déshon­neur de leur classe, pour­tant si méri­tante ? A vous-​mêmes de le pen­ser et d’en juger.

Que patrons et domestiques vivent en serviteurs de Dieu dans l’union au Christ.

Mais si, revê­tus de la même nature humaine que Dieu a for­mée en nos pre­miers parents, patrons et domes­tiques ont un com­mun Seigneur et Patron qui est Dieu, ils se dis­tinguent cha­cun devant Dieu par le libre arbitre que le Créateur a remis aux mains et au conseil de l’homme. C’est ain­si que vous trou­ve­rez de bons et de mau­vais maîtres, de bons et fidèles ser­vi­teurs, et des domes­tiques inutiles et mau­vais. Mais les uns et les autres, Dieu les juge­ra, et il leur ren­dra à tous selon leurs mérites ou selon leurs démé­rites, non pas seule­ment pour ce qui regarde son ser­vice, mais encore pour ce qui regarde le ser­vice des hommes. Que les maîtres ne s’enorgueil­lissent point de leur auto­ri­té, car toute auto­ri­té vient d’en haut. C’est pour­quoi le regard du chré­tien sait contem­pler dans toute auto­ri­té, dans tout supé­rieur et jusque dans le patron, le reflet de l’autorité divine, l’image du Christ, qui, bien qu’il fût dans la condi­tion de Dieu, a bien vou­lu prendre la condi­tion de ser­vi­teur et deve­nir notre frère en la nature humaine. Ecoutez ce que nous enseigne l’apôtre Paul : « Serviteurs, obéis­sez à vos maîtres selon la chair avec res­pect et crainte et dans la sim­pli­ci­té de votre cœur, comme au Christ, ne fai­sant pas seule­ment le ser­vi­teur sous leurs yeux, comme pour plaire aux hommes, mais en ser­vi­teurs du Christ, qui font de bon cœur la volon­té de Dieu. Servez-​les avec affec­tion, comme ser­vant le Seigneur, et non des hommes, assu­rés que cha­cun, soit esclave, soit libre, sera récom­pen­sé par le Seigneur de ce qu’il aura fait de bien. Et vous, maîtres, agis­sez de même à leur égard et lais­sez là les menaces, sachant que leur Seigneur et le vôtre est dans les cieux et qu’il ne fait pas accep­tion de per­sonnes » (Eph., vi, 5–9). – « Vous, maîtres, ren­dez à vos ser­vi­teurs ce que la jus­tice et l’équité deman­dent, sachant que vous aus­si vous avez un maître dans le ciel » (Col., iv, 1). Levons donc les yeux au ciel et, à la lumière de cette pen­sée que patrons et ser­vi­teurs doivent se consi­dé­rer comme égaux en face de leur com­mun Maître et Seigneur, admi­rons l’évangéliste saint Jean, qui, dans son ravis­se­ment céleste, se pros­terne aux pieds de l’ange qui l’a gui­dé et ins­truit, pour l’adorer. Mais que lui dit l’ange ? – « Garde-​toi de le faire ! Je suis ser­vi­teur au même titre que toi et que tes frères les pro­phètes, et que ceux qui gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu » (Apoc., xxii, 8–9).

Que leur commune dignité d’enfants de Dieu les rendent frères.

2. Adorons Dieu dès ici-​bas, nous aus­si, élevons-​nous au-​dessus de la nature. Selon la nature, les hommes et les anges sont naturelle­ment les ser­vi­teurs de Dieu ; mais dans l’ordre de la grâce nous som­mes éle­vés plus haut que la condi­tion de ser­vi­teurs, nous sommes éle­vés jusqu’à la digni­té d’enfants de Dieu. La foi chré­tienne monte plus haut que la nature. « Voyez, s’écriait le même apôtre saint Jean, voyez quel amour le Père nous a témoi­gné, que nous soyons appe­lés enfants de Dieu et que nous le soyons en effet ! » (i Jean, iii, 1). Ainsi, fils d’un même Père, nous crions vers lui : « Notre Père, qui êtes aux cieux. » Ainsi, patron et ser­vi­teur se retrouvent et sont frères. Ecoutez l’apôtre et Docteur des nations, saint Paul, recom­mander à son cher Philémon un esclave fugi­tif, Onésime, qu’il avait entre­temps conver­ti à la foi, écou­tez ses paroles : « Reçois-​le non plus comme un esclave, mais comme un frère très cher » (Phil. 16).

Qu’entre patron et domes­tique règne la dou­ceur, règne la patience, règne la fraternité !

Ce n’est pas le souci du rang social qui doit primer, mais le souci chrétien de vie fraternelle.

On dira qu’il faut aus­si main­te­nir son rang à l’égard des domes­tiques. Oui, main­te­nez votre rang, mais aus­si votre digni­té de frères, à la suite du Fils de Dieu, le Verbe fait chair qui nous don­na l’exemple de l’humilité et de la dou­ceur et ne vint pas sur la terre pour être ser­vi, mais pour ser­vir (Matth., xx, 28). Ne vous récriez point : pareille atti­tude ne por­te­ra atteinte ni à votre digni­té, ni à votre auto­ri­té de chef de famille ou de maî­tresse de mai­son. Dans son com­men­taire à la lettre de saint Paul que Nous venons de vous citer, saint Jean Chrysostome expose en peu de mots toute cette doc­trine : « Ne nous empor­tons pas contre nos ser­vi­teurs, mais appre­nons à leur par­don­ner leurs man­que­ments ; ne soyons pas tou­jours durs avec eux ; s’ils sont bons, ne rou­gis­sons pas de vivre avec eux. Pourquoi aurions-​nous à en rou­gir, quand saint Paul ne rou­git point d’appeler Onésime son fils et son frère bien-​aimé ? Que dis-​je Paul ? Le Maître de Paul ne rou­git point d’appeler nos esclaves ses frères, et nous, nous en rou­gi­rions ? Considérez plu­tôt l’honneur qu’il nous fait à nous-​mêmes d’appeler nos ser­vi­teurs ses frères, ses amis et ses cohé­ri­tiers » [2].

Enfin, tous membres du Corps mystique, qu’ils mettent dans la diversité de leur position, leur vie au service d’amour les uns des autres.

3. Elevons-​nous de lumière en lumière. C’est la gloire de notre foi que les mys­tères se révèlent tou­jours d’autant plus hauts et plus pro­fonds qu’ils res­plen­dissent davan­tage de secrète et divine véri­té. Serviteurs de Dieu, enfants de Dieu par la régé­né­ra­tion bap­tis­male dans l’eau et l’Esprit-Saint, frères devant le Père des cieux, voi­là ce que nous sommes tous dans la com­mu­nau­té chré­tienne. Mais le grand apôtre Paul s’élève encore plus haut et nous fait contem­pler la doc­trine de Jésus-​Christ dans la lumière d’une admi­rable figure, affir­mant que, en tant que chré­tiens, nous sommes plus que frères, nous sommes membres d’un même corps, le Corps mys­tique du Christ. Cette doc­trine ne met-​elle point la diver­si­té des condi­tions et fonc­tions humaines en lumi­neuse har­mo­nie avec l’union plus intime, plus vibrante, plus sen­sible qui doit régner entre chré­tiens comme entre les divers membres d’un même corps vivant ? Ne jette-​t-​elle pas une vive lumière sur la condi­tion de ser­vice des plus nobles et sur la noblesse des plus humbles ? « Comme le corps est un et a plu­sieurs membres, écrit l’Apôtre, et comme tous les membres du corps, mal­gré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ain­si en est-​il du Christ. Tous, en effet, nous avons été bap­ti­sés dans un seul Esprit pour for­mer un seul corps… et nous avons tous été abreu­vés d’un seul Esprit… L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi, ni la tête dire aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous… Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est hono­ré, tous les membres s’en réjouissent avec lui » (i Cor., xii, 12–13 ; 21–26).

L’image est si trans­pa­rente qu’elle n’a besoin ni de com­men­taires, ni d’explications. Elle peut uti­le­ment s’appliquer aux rap­ports entre maîtres et domes­tiques. Celui qui a la digni­té et le nom de patron vrai­ment chré­tien ne pour­ra pas, s’il a l’esprit du Christ, ne pas res­sen­tir les souf­frances et les néces­si­tés de ses subor­don­nés ; il ne pour­ra point ne pas remar­quer non seule­ment leurs besoins et leurs sou­cis d’ordre maté­riel et tem­po­rel, mais aus­si, alors que sou­vent les domes­tiques eux-​mêmes les ignorent ou n’y com­prennent rien, les besoins et sou­cis de la vie de leur âme. S’élevant au-​dessus du bas monde des inté­rêts, il s’appliquera à encou­ra­ger et à pro­mou­voir la vie chré­tienne de ses subor­don­nés et ser­vi­teurs ; il veille­ra que durant les heures dan­ge­reuses des loi­sirs, ser­vantes et domes­tiques trouvent un refuge dans les œuvres ins­ti­tuées pour eux et que leur esprit et leur cœur y reçoivent une solide for­ma­tion et ins­truc­tion sur­na­tu­relles. De leur côté, le bon ser­vi­teur, la fidèle ser­vante met­tront leur propre hon­neur dans tout ce qui honore la famille où ils vivent, puisqu’ils concourent par leur humble tra­vail, leur amour et leur ver­tu, à la digni­té, à la splen­deur et à la sain­te­té de la maison.

Un tel spec­tacle fami­lial rap­pelle à Notre esprit l’exclamation de louange que pous­sa la reine de Saba en pré­sence de Salomon, après tout ce qu’elle avait vu dans le palais royal : « Heureux tes gens, heu­reux tes ser­vi­teurs, qui sont conti­nuel­le­ment devant toi ! » (iii Rois, x, 8).

Afin que Nos paroles pater­nelles, chers jeunes époux, soient pour vous, par la faveur de la grâce divine, un gage fécond de bon­heur dans le sage gou­ver­ne­ment des familles chré­tiennes que vous venez de fon­der, Nous vous accor­dons de tout Notre cœur la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte ita­lien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 165 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 199.

Notes de bas de page
  1. Enarr. in Psalm. 124, n. 7 ; Migne, P. L., t. 37, col. 1653.[]
  2. In Epist, ad Philem. Homil. 2, n. 3 ; Migne, P. G., t. 62, col. 711.[]
18 mars 1942
La collaboration des époux qui se réalise dans l'esprit, dans la volonté et dans l'action
  • Pie XII