Lors de sa réception à l’Académie française, le 15 décembre 2005, l’anthropologue et philosophe René Girard a prononcé l’éloge de son prédécesseur, le dominicain Ambroise-Marie Carré. En une courte phrase, il a décrit « tout ce que le chaos post-conciliaire dilapidait – le sens du péché, l’engagement sans retour, l’amour du dogme catholique, le mépris des polémiques vaines » (René Girard et Michel Serres, Le Tragique et la Piété, le Pommier, 2007, pp. 14–15.). Il a aussi évoqué ces « activités brouillonnes » auxquelles tout un clergé s’adonna avec passion, « à l’époque où tous les ambitieux mettaient une majuscule au mot « contestation » ».
Nous étions en 1968. Il y a cinquante ans, au milieu de « la rage de chambardement déclenchée par le Concile », un homme eut la lourde tâche de convoquer un Chapitre de mise à jour de sa congrégation religieuse afin de l’adapter à l’air du temps. Monseigneur Marcel Lefebvre était alors le Supérieur général des Pères du Saint-Esprit et, au milieu du chaos dilapidateur, des activités brouillonnes, de la contestation et du chambardement, il préféra se retirer. L’histoire de la démission forcée du Supérieur de l’une des plus importantes congrégations religieuses de l’Eglise est une page révélatrice de la crise que celle-ci traverse.
Largement élu six ans plus tôt
En 1968, Mgr Lefebvre est Supérieur de sa congrégation depuis six ans. Elu largement par ses pairs le 25 juillet 1962, dès le second tour de scrutin, le pape Jean XXIII agrée l’élection deux jours plus tard. L’ancien archevêque de Dakar, devenu évêque de Tulle six mois plus tôt, quitte son diocèse de Corrèze et s’installe à Paris, rue Lhomond, alors siège de la Maison généralice des Pères Spiritains. Assistant au trône pontifical et membre de la Commission préparatoire du concile Vatican II, son élection à la tête de sa congrégation coïncide avec l’ouverture de cette assemblée. Tout au long des cinq sessions du Concile, il tiendra au courant les membres de sa famille religieuse de l’évolution des débats, des textes adoptés, des décisions prises.
La présente étude n’entend pas reprendre l’ensemble des interventions de Mgr Lefebvre au Concile. Le lecteur les trouvera réunies dans le volume J’accuse le Concile (éditions Saint-Gabriel, 1976). Mais il s’agit de comprendre comment, en l’espace de six années, la situation était devenue inextricablement intenable. Élu en 1962, Mgr Lefebvre hérite en effet d’une situation délicate, qui laisse entrevoir toute la difficulté qu’il y a à gouverner un institut en proie aux tiraillements et aux remises en question de l’après-guerre.
Un mandat par vent contraire
Des clivages et une ambiance délétère se sont développés, surtout en France, et particulièrement à Chevilly-Larue, le principal scolasticat de la congrégation. Les auteurs modernisants et les expériences d’auto-gestion et d’auto-formation s’y développent dangereusement. Mgr Lefebvre entreprend d’y mettre un terme. Il exige la purge de la bibliothèque où l’on trouve les ouvrages condamnés du père Congar et du père Chenu. Il mute le père Fourmond qui prétendait supprimer l’apologétique et le traité de la Vierge Marie de son cours de théologie. Au printemps 1963, il adresse des directives précises aux Supérieurs des grands scolasticats, les enjoignant « d’écarter des postes de professeurs tous ceux qui seraient imbus d’idées modernistes ». Il les exhorte à user de discernement dans le choix des prédicateurs de retraite, des conférenciers, des revues : « Nous devons éviter tout ce qui tend à miner le respect de l’Eglise, du pape, tout ce qui minimise la vérité historique des Ecritures, la valeur de la Tradition, les notions fondamentales de la morale et du péché, de la responsabilité personnelle ; éviter l’envahissement de l’esprit du monde dans les communautés religieuses » (Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Clovis, 2002, p. 365).
Mgr Lefebvre renouvelle le corps professoral des scolasticats, en particulier les préfets des études. En philosophie, il dénonce « le grand mal de notre époque, qui est l’idéalisme et le subjectivisme. Seule, la philosophie thomiste nous donne la connaissance du réel ». En théologie, il insiste « sur l’importance du magistère, sur la Tradition et ses relations avec le ministère des sacrements et du sacrifice ». Il prescrit la lecture des principales encycliques et documents pontificaux de Pie IX à nos jours, spécialement ceux de saint Pie X.
En liturgie, il recommande de s’en tenir aux prescriptions romaines, d’éviter « tout ce qui vient d’initiatives personnelles de soi-disant liturgistes », de garder la langue de l’Eglise, de ne jamais mêler la paraliturgie à la liturgie, de ne pas célébrer la messe face au peuple, de ne pas communier debout.
Un vent de réforme qui devient tornade
A la fin de l’année 1963, il insiste à nouveau sur la situation très préoccupante qui règne dans certaines maisons spiritaines. Mgr Tissier de Mallerais relève le tableau ahurissant que le prélat en dresse : « Ruine de l’autorité, liberté effrénée, droit de tout juger et critiquer, absence d’humilité. Plus de respect pour les confrères, pour l’autorité et pour eux-mêmes. Plus de modestie dans la tenue, dans les regards, dans les lectures et la T.V. (…) Le mépris des traditions. L’abandon du latin, du chant grégorien. L’abandon de la philosophie et de la théologie scolastiques ».
Malheureusement, si Mgr Lefebvre est lucide sur la situation, il manque cruellement d’hommes décidés, capables de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Si, à Chevilly, il a accepté la démission du recteur et le remplacement de trois professeurs, le nouveau recteur, nommé à la rentrée 1964, reconnaîtra avoir trahi sa confiance : « Je l’ai trompé en adoptant des méthodes qui n’étaient pas les siennes : les scolastiques étaient mes frères, pas mes inférieurs ! » Cette attitude est révélatrice du manque de capacité à exercer « une autorité vraiment paternelle, c’est-à-dire forte et formatrice, et à résister à l’engouement pour la nouvelle théologie et les méthodes pédagogiques révolutionnaires » (Mgr Tissier, p. 368).
Dans ces années du Concile, la direction que Mgr Lefebvre entend insuffler est de plus en plus ouvertement contestée au sein même de sa congrégation et sous la pression des autres évêques, surtout français.
Un Supérieur contesté
Membre du Cœtus internationalis Patrum, cette réunion de Pères conciliaires conservateurs qui s’efforcent de contrecarrer les menées progressistes et de résister aux imprécisions et opinions erronées qui s’expriment dans l’aula, Mgr Lefebvre ne fait pas l’unanimité chez les siens. Beaucoup regrettent que le Supérieur général de leur congrégation prenne partie en s’opposant aux novateurs. D’autant qu’il n’est pas le seul évêque spiritain à participer au Concile.
Ils sont quarante-six évêques spiritains à participer aux sessions. Onze d’entre eux, tous de langue française, font part de leur malaise grandissant au fur et à mesure que leur supérieur s’affirme comme une voix discordante. Ils élaborent un document où ils évoquent les « réflexions désobligeantes » qu’ils entendent de la part des évêques et cardinaux français présents à Rome, dont beaucoup séjournent d’ailleurs au Séminaire français. Le 30 novembre 1963, ces onze évêques exposent leurs griefs à Mgr Lefebvre, lui reprochant pêle-mêle son soutien à Verbe, la revue de la Cité catholique, ses critiques contre le journal La Croix, l’organe des évêques de France, sa lettre sur le port de la soutane, qui ne correspond guère à l’air du temps puisqu’elle va à rebours des dispositions de l’épiscopat français autorisant le clergyman, le départ du père Lecuyer du Séminaire romain, ou encore le choix du chanoine Berto, qui n’est pas spiritain, comme conseiller théologique pour l’assister au Concile. Enfin, ils lui reprochent ses prises de position publiques au Concile (cf. Philippe Béguerie, Vers EcôneDesclée de Brouwer, 2010, pp. 255–257).
Ses rappels sur l’esprit sacerdotal, la nécessité de la prière, la vie religieuse et apostolique, ses mises en garde contre le communisme, le laïcisme et le matérialisme ne correspondent pas davantage à l’esprit qui anime l’aggiornamento conciliaire.
L’heure est à la remise en cause générale des méthodes d’apostolat et d’organisation missionnaire. Outre les innovations liturgiques et l’ouverture inconditionnelle à toutes les formes d’expérience, les religieux s’enthousiasment pour la psychologie et la psychanalyse. Le maître mot consiste à rechercher l’épanouissement personnel, comme l’explique bien Luc Perrin dans son étude (« Mgr Lefebvre, d’une élection à une démission », in Histoire, monde et cultures religieuses, n°10, juin 2009, p. 165). Emblématique est la crise que traverse la province spiritaine de Hollande, où se vident en quelques années scolasticats, noviciats et séminaires. L’habit, les règles, les prières communes, la liturgie, l’émission et la fidélité aux vœux : tout est abandonné ou transformé (cf. Côme de Prévigny, « Mgr Lefebvre : d’un chapitre à l’autre », in Fideliter n°244, p. 74). Un vent révolutionnaire souffle désormais.
Pour un véritable aggiornamento
Pour l’heure, Mgr Lefebvre s’engage loyalement, après la promulgation du décret Perfectae caritatis le 28 octobre 1965, dans la réforme de sa Congrégation. La circulaire qu’il signe le 6 janvier 1966 enjoint les supérieurs locaux de faire étudier les textes conciliaires et de rassembler les suggestions qu’ils suscitent en vue d’un Chapitre général administratif. Dans ce but, il crée quatre commissions pour préparer les réformes de la législation, de la formation, de la discipline religieuse et de l’apostolat. Mais, toutes ces réformes, il entend les conduire pour favoriser un « véritable aggiornamento de la congrégation dans le sens des vertus religieuses ».
Alors que l’on parle couramment « d’auto-éducation et d’auto-formation », Mgr Lefebvre s’élève avec force contre cette « démission de l’autorité dans ce qui est le propre de sa fonction », contre « le manque de réalisme, qui aboutit au désordre, à l’indiscipline et est une prime donnée aux audacieux et aux têtes fortes, qui a pour conséquence le mépris des bons sujets, humbles et soumis ».
« Notre aggiornamento, faisons-le non dans le sens d’un néo-protestantisme destructeur des sources de sainteté », mais « enflammés des saints désirs qui ont animé tous les saints qui ont été des réformateurs, des rénovateurs parce qu’ils ont aimé Notre-Seigneur sur la Croix, exerçant l’obéissance, la pauvreté, la chasteté ; ils y ont acquis un esprit de sacrifice, d’oblation, de prière qui les a transformés en apôtres » (Mgr Tissier, p. 387).
Malgré le souci de contrôler la portée des réformes conciliaires, un laisser-aller général se répand dans la congrégation. C’est d’abord la discipline de la vie religieuse qui est atteinte, mais aussi de nombreux abandons et le manque de persévérance des candidats, la dépréciation de la vie de prière et de la contemplation au profit de l’activisme dans la réalisation des œuvres. Pour pallier cette situation, Mgr Lefebvre élabore au début de l’année 1967 un projet ambitieux afin de mieux former les membres et de mieux les préparer au sacerdoce et à la vie religieuse missionnaire.
Cependant, la préparation du Chapitre va bon train. Il en confie le bon déroulement et les travaux au Padre Pio auquel il rend visite le lundi de Pâques 1967. Le saint capucin voyait d’un mauvais œil les changements qui devaient conduire sa propre famille à rédiger de nouvelles constitutions. Le 12 septembre 1968, il devait écrire au pape Paul VI ces lignes qui en disent long : « Je prie le Seigneur que l’Ordre des capucins continue dans sa tradition de sérieux et d’austérité religieuse, de pauvreté évangélique, d’observance de la Règle et des Constitutions, tout en renouvelant dans la vitalité et l’esprit intérieur selon les directives du concile Vatican II ». Autant vouloir résoudre la quadrature du cercle… Cette attitude révèle le déchirement que connaissent tant de catholiques dans ces années-là.
L’année de tous les dangers
Le 7 mars 1968 paraît dans l’hebdomadaire Rivarol un article de Mgr Lefebvre intitulé : « Un peu de lumière sur la crise actuelle de l’Eglise ». Cette prise de position provoque des remous parmi les membres de la congrégation du Saint-Esprit. Le Supérieur général y dénonce les « doctrines qui mettent en doute les vérités jusqu’ici estimées comme les fondements immuables de la foi catholique », et se montre consterné de les voir se répandre à l’intérieur de l’Eglise par l’action de ses ministres. Il rappelle le fondement divin de l’institution de l’Eglise et l’assistance du Saint-Esprit promise au magistère pour repousser les erreurs et les hérésies. Il fustige les « efforts conjugués des communistes et des francs-maçons pour modifier et le magistère et la structure hiérarchique de l’Eglise ». Aux yeux de ceux-ci, le collégialisme et l’esprit de démocratisation sont le grand moyen de « ruiner la foi en corrompant le magistère de l’Eglise, (d’) étouffer l’autorité personnelle en la rendant dépendante de multiples organismes qu’il est beaucoup plus aisé de noyauter et d’influencer ».
Mgr Lefebvre rappelle comment le Christ a demandé à des personnes, les Apôtres, de paître son troupeau et non à une collectivité. Le magistère ne saurait être soumis à des majorités. Sur le plan de l’enseignement comme du gouvernement, la collégialité paralyse l’autorité et affadit le sel de l’Evangile : « Il a fallu arriver à notre temps pour entendre parler de l’Eglise en état de Concile permanent, de l’Eglise en continuelle collégialité. Les résultats ne se sont pas fait attendre longtemps. Tout est sens dessus-dessous : la foi, les mœurs, la discipline ». Les effets se font déjà sentir : « La puissance de résistance de l’Eglise au communisme, à l’hérésie, à l’immoralité a considérablement diminué ».
Pour lucide et clairvoyant qu’il soit, l’article est âprement discuté dans la congrégation et vaut à son auteur ou au Provincial de France plusieurs courriers de protestation. Au séminaire de Chevilly, directeur, professeurs et étudiants font part de leur malaise et de leur rejet. Le père Hirtz, conseiller général, écrit le 12 avril au père Morvan, Provincial de France, combien il comprend et partage les diverses réactions qui se sont manifestées. Il estime que les déclarations du Supérieur général, qui s’exprime publiquement dans un journal « classé », « causent un préjudice grave, sèment la division et le désarroi parmi les membre de la Congrégation et, hélas, compromettent la réussite de notre prochain Chapitre général » (Béguerie, p. 405).
L’ouverture du Chapitre
C’est dans cette atmosphère que s’ouvre le Chapitre général à Rome, le dimanche 8 septembre 1968.
Au cours de son compte-rendu, Mgr Lefebvre propose plusieurs réformes, comme de donner aux Assistants et Conseillers généraux davantage de responsabilités, de réorganiser les provinces, de reculer la date de la profession religieuse, d’admettre des aspirants missionnaires non religieux, etc. Il présente aussi la démission du Conseil général, mais cela ne saurait signifier que la congrégation se retrouve sans tête.
En fait, le Chapitre devait être purement administratif, les supérieurs ayant été élus en 1962 pour un mandat de douze ans. Mgr Lefebvre entendait s’y tenir mais à partir de 1967 il envisage l’éventualité de présenter sa démission. Après une entrevue avec le cardinal Antoniutti, préfet de la Congrégation des Religieux, le 14 mars 1968, il écrit à ce dernier le 7 mai sa décision de se démettre de ses fonctions. En effet, il lui aurait été difficile de se maintenir alors que ses Assistants lui annonçaient leur intention de démissionner dès l’ouverture du Chapitre, « quoi qu’il arrive » (Perrin, p. 167).
Dès la première séance de travail, le lundi 9 septembre, les capitulants neutralisent les pouvoirs du Supérieur général dans la conduite du Chapitre. Pour ce faire, ils abolissent d’abord la règle de la majorité des deux tiers prévue par les Constitutions. Une majorité absolue suffit alors pour adopter la motion suivante qui relègue le Supérieur général à un rôle de président d’honneur tandis que la direction est confiée à une commission centrale élue. Mgr Lefebvre proteste en demandant que le Supérieur général soit président de droit de cette Commission chargée de conduire les travaux du Chapitre. Finalement, sa demande est rejetée par 63 voix contre 40 le mercredi 11 septembre. Un véritable camouflet.
Par contre, les capitulants acceptent par 54 voix contre 52 la présence du Secrétaire général. Quelles que soient les dénégations postérieures, il était clair que le Chapitre s’organisait de manière démocratique afin de « se réformer en profondeur par un retour à l’Evangile, aux fondateurs, et par une adaptation adéquate au monde d’aujourd’hui » (rapport du Père Morvan sur le départ de Mgr Lefebvre).
À 11h30, le premier Assistant annonce qu’il préside la séance tandis que Mgr Lefebvre quitte le Chapitre. Les travaux se poursuivent dans une atmosphère particulière. Le règlement en vigueur est suspendu ; le secret des délibérations aboli ; le noviciat est remplacé par des temps de formation spirituelle et des stages ; l’obéissance cède le pas à la coresponsabilité, au dialogue, au travail en équipe et à la dynamique de groupe ; la mission devient « dialogue de salut » dans l’esprit œcuménique du moment. Quelques étudiants et jeunes pères lancent un appel au Chapitre en tant qu’« experts de la mentalité des jeunes », et cet appel est reçu par un vote favorable (Béguerie, p. 442).
Le 30 septembre, à l’assemblée générale de 16h, Mgr Lefebvre réapparaît et lit un texte qu’il a préparé lors d’un séjour à Assise, où il s’était retiré pour réfléchir et prier. Il exhorte ses confrères à demeurer fidèles à l’esprit du Père Libermann et à rechercher la sainteté qui est essentiellement apostolique. Les moyens pour y parvenir sont « la vie religieuse et la vie de communauté, qui réalisent la vie d’abnégation, la vie d’oraison, la vie de charité fraternelle… » Il regrette l’état d’esprit qui se répand et conduit à rejeter ces moyens : « contre la vie d’obéissance, de prudence vis-à-vis du monde, de véritable détachement des biens et facilités de ce monde, contre les réalités de la vie de communauté qui nous mortifient et nous obligent à la pratique de la charité, qui nous invitent à la vie de prière et d’oraison, leur individualisme, leur égoïsme, leur soif de liberté, d’indépendance, a prévalu ».
Le 4 octobre, le Supérieur général démissionnaire se rend à la Sacrée Congrégation des Religieux. En l’absence du Préfet, le cardinal Antoniutti, il est reçu par Mgr Mauro, le nouveau secrétaire. Mgr Lefebvre lui explique comment il n’est plus membre d’aucune commission et qu’il se retrouve simple spectateur de la révolution en cours. Le secrétaire lui répond : « Vous comprenez, après le Concile, il faut comprendre… Je vais vous donner un conseil que j’ai donné, justement, à un autre Supérieur général qui est venu me faire les mêmes réflexions : « Allez donc, lui ai-je dit, faire un petit voyage aux Etats-Unis, cela vous fera du bien ». Quant au Chapitre et même aux affaires courantes, laissez-les au soin de vos Assistants ! » (Mgr Tissier, p. 396). L’autorité du Supérieur général s’effondre parce qu’elle n’est pas soutenue. Il n’y a plus qu’à jeter l’éponge. La messe est dite !
Pour l’honneur de Mgr Lefebvre
Au cours du Chapitre, rares furent ceux qui prirent la défense de Mgr Lefebvre et de l’autorité du Supérieur général. Luc Perrin cite la belle déclaration du Père brésilien Cristovao Arnaud Freire, prononcée le 20 septembre : « Le but du Chapitre est l’adaptation, non la destruction… Il est surprenant d’entendre des critiques contre le Pape, les évêques et les Supérieurs, de la part de prêtres qui sont parmi nous, mais qui en fait sont des ennemis de l’Eglise et se laissent entraîner par leurs passions. Dès le début, le Chapitre a été dominé par un groupe de pression animé de griefs personnels contre Mgr Lefebvre et incapable de distinguer entre celui-ci et le Supérieur général… Ce Chapitre est en fait un conciliabule. C’est pourquoi il a décidé de s’en retirer et de retourner dans sa brousse, se contentant de prier Notre-Dame de Fatima pour les auteurs de tout ce mal ».
Mgr Lefebvre continue de s’occuper des affaires courantes et s’efforce d’entretenir avec tous des relations cordiales. Il fait même des suggestions au Chapitre concernant la nature et la fin de l’institut. Finalement, le père Joseph Lecuyer est élu Supérieur général le 28 octobre. Le 1er novembre, Mgr Lefebvre quitte la Maison généralice et trouve refuge à l’Institut du Saint-Esprit, rue Machiavelli. Ainsi s’achève son supériorat, qui ne put résister à la tourmente conciliaire.
Le dernier acte public de Mgr Lefebvre sera d’apparaître à l’audience accordée par le pape Paul VI aux membres du Chapitre le 11 novembre 1968. Il se retire alors définitivement. La Providence a ses desseins. Un jour, il avait confié au père Michael O’Carroll : « Si jamais je dois quitter la Congrégation, je fonderai un séminaire international et, dans les trois ans, j’aurai cent cinquante séminaristes » (Mgr Tissier, p. 397). Une nouvelle page allait s’ouvrir. Elle s’écrirait à Ecône.
Abbé Christian Thouvenot, Secrétaire Général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Menzingen, le 13 septembre 2018
Sources : Maison Générale