La messe de saint Paul VI ?

Le 14 octobre 2018 le pape François a offi­ciel­le­ment « cano­ni­sé » son pré­dé­ces­seur le pape Paul VI qui gou­ver­na l’Eglise de 1963 à 1978.

Avec cette nou­velle cano­ni­sa­tion, Paul VI rejoint Jean XXIII et Jean-​Paul II pour por­ter Vatican II et sa nou­velle reli­gion sur les autels : un vague huma­nisme né d’une volon­té de se conci­lier le monde en adop­tant son lan­gage et ses valeurs.

Vatican II plus important que Nicée ?

Déjà, Paul VI avait affir­mé, dans une lettre adres­sée à Mgr Marcel Lefebvre le 29 juin 1975, que ce Concile « ne fait pas moins auto­ri­té et est même sous cer­tains aspects plus impor­tant que celui de Nicée ». On ignore quels sont ces aspects qui feraient de Vatican II un concile aus­si impor­tant sinon plus que Nicée, le pre­mier concile œcu­mé­nique de l’histoire de l’Eglise qui pro­cla­ma la divi­ni­té du Christ, ana­thé­ma­ti­sa l’hérésie d’Arius et fixa l’essentiel du Credo !

Cette atti­tude de Paul VI pré­ten­dant impo­ser de manière auto­ri­taire un concile qui s’était vou­lu pas­to­ral et non doc­tri­nal parut abu­sive. Même le car­di­nal Jean-​Marie Villot, alors Secrétaire d’Etat, qui avait pris connais­sance de la lettre à Mgr Lefebvre avant son envoi, avait cri­ti­qué cette com­pa­rai­son pour le moins osée. Mais Paul VI y tenait beau­coup et la maintint.

Car le pape Montini enten­dait obte­nir la sou­mis­sion de « l’évêque de fer » aux textes de Vatican II et à ses réformes, quelles que soient ses objec­tions, pour­tant graves et moti­vées. Paul VI, qui dès sa pre­mière ency­clique s’était pré­sen­té comme le pape du dia­logue avec le monde, n’entendait visi­ble­ment pas dia­lo­guer avec l’un de ses frères dans l’épiscopat avant son entière sou­mis­sion. L’ouverture au monde signi­fiait uni­la­té­ra­le­ment mar­cher dans le « sens de l’histoire » et du progressisme.

Le 24 mai 1976, devant les car­di­naux réunis en consis­toire, Paul VI se fai­sait plus pré­cis en dénon­çant nom­mé­ment l’attitude de Mgr Lefebvre et des groupes tra­di­tio­na­listes. En par­ti­cu­lier il exi­geait que la nou­velle messe soit par­tout célé­brée : « C’est au nom de la Tradition que nous deman­dons à tous nos fils, à toutes les com­mu­nau­tés catho­liques, de célé­brer, dans la digni­té et la fer­veur, la litur­gie réno­vée. L’adoption du nou­vel Ordo Missae n’est pas du tout lais­sée au libre arbitre des prêtres ou des fidèles ». La rai­son en est que « le nou­vel Ordo a été pro­mul­gué pour être sub­sti­tué à l’ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des ins­tances du concile Vatican II. Ce n’est pas autre­ment que notre saint pré­dé­ces­seur Pie V avait ren­du obli­ga­toire le mis­sel réfor­mé sous son auto­ri­té, à la suite du concile de Trente. Avec la même auto­ri­té suprême qui nous vient du Christ Jésus, nous exi­geons la même dis­po­ni­bi­li­té à toutes les autres réformes litur­giques, dis­ci­pli­naires, pas­to­rales, mûries ces der­nières années en appli­ca­tion des décrets conciliaires ».

Un an après avoir affir­mé que Vatican II ne fai­sait pas moins auto­ri­té que celui de Nicée – et même davan­tage « sous cer­tains aspects » –, le pape invo­quait le concile de Trente et la réforme de saint Pie V dans le sillage duquel il pré­ten­dait s’inscrire.

La nouvelle messe dans le sillage de la réforme tridentine ?

Le concile de Trente (1545–1563) fut un concile dog­ma­tique et dis­ci­pli­naire qui réa­li­sa la réforme que toute la Chrétienté atten­dait. Sa mise en œuvre fut cou­ron­née de suc­cès puisqu’elle débou­cha sur un renou­veau pro­fond et une recon­quête durable de la vie catho­lique, tant spi­ri­tuelle que sociale.

La réforme tri­den­tine est tout entière illus­trée par la messe dite de saint Pie V. Loin d’être une inven­tion, elle est une codi­fi­ca­tion, qui débar­rasse la litur­gie d’ajouts étran­gers pour res­tau­rer le rite dans son authen­ti­ci­té et sa sainteté.

Les fruits qui en découlent pour l’Eglise sont innom­brables. La for­ma­tion des prêtres s’en trouve gal­va­ni­sée, les sémi­naires voient le jour et les sciences sacrées connaissent un ample renou­veau. Les noms de saint Charles Borromée et de saint Robert Bellarmin sont indis­so­ciables de ce nou­vel élan, à côté de ceux de saint Pie V ou Sixte-​Quint.

Parallèlement, dans la vie chré­tienne, le renou­veau de la vie sacer­do­tale et reli­gieuse est assu­ré par saint Ignace, saint Pierre d’Alcantara, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, mais encore saint Jean de Dieu, saint Camille de Lellis, saint François Borgia, saint Philippe Néri, puis saint François de Sales ou saint Vincent de Paul au siècle suivant…

Prétendre que le rite réfor­mé que Paul VI pro­mul­gua en 1969, mal­gré les sages et graves mises en garde des car­di­naux Ottaviani et Bacci, par exemple, s’inscrit dans une démarche sem­blable à celle d’un saint Pie V, voi­là qui ne manque pas de sel.

Paul VI nouveau saint Pie V des temps modernes ?

Cette atti­tude est pour­tant signi­fi­ca­tive. Elle res­semble à une folle course en avant, un refus de voir la réa­li­té en face et les fruits que la nou­velle messe répand par­tout : crise des voca­tions, crise des prêtres qui aban­donnent le sacer­doce par mil­liers, crise de la foi et du caté­chisme, effon­dre­ment de la pra­tique reli­gieuse qui voit les églises se vider au gré des expé­riences litur­giques, des abus en tous genres, de la créa­ti­vi­té et de la vul­ga­ri­té enva­his­sant le temple de Dieu.

De même que Paul VI avait invo­qué l’autorité de Nicée, la réfé­rence à Trente et à saint Pie V pour la litur­gie indique qu’il sera, spé­cia­le­ment en cette matière, intrai­table et inflexible. Quand son ami Jean Guitton lui sug­gère des mesures d’apaisement, et d’autoriser au moins tem­po­rai­re­ment que la messe tra­di­tion­nelle soit célé­brée en France, il s’écrie : « Cela, jamais ! ». La seule évo­ca­tion du nom de Mgr Lefebvre semble le faire enra­ger : « C’est un sol­dat per­du. Il relève de l’hôpital psy­chia­trique. C’est la plaie de mon pon­ti­fi­cat », confie-​t-​il à l’Académicien français.

Lorsque le pape François, dans son homé­lie du 14 octobre, a pré­sen­té Paul VI comme le « pro­phète d’une Eglise ouverte qui regarde ceux qui sont loin et prend soin des pauvres », il a omis de pré­ci­ser que cette ouver­ture ne s’étendait pas aux catho­liques fidèles ni à leur prin­ci­pal défenseur.

Même Hans Küng regret­tait l’attitude inflexible de Paul VI à l’égard de Mgr Lefebvre, alors que lui-​même jouis­sait de sa pro­tec­tion, en dépit de ses posi­tions hété­ro­doxes. Jean Guitton, qui visi­ta encore Paul VI en sep­tembre 1977, ren­con­tra un pape triste et inquiet, presque tor­tu­ré. Il a por­té ce juge­ment sur son ami : « Paul VI n’était pas fait pour être pape. Il était fait pour être le secré­taire, le col­la­bo­ra­teur d’un grand pape. Il n’avait pas ce qui fait le propre du pape, la déci­sion, l’énergie de la décision ».

Une conclusion logique

Finalement, la cano­ni­sa­tion de Paul VI vou­drait faire accroire qu’il fut le saint pape de la sainte messe d’un saint concile.

Pour étayer cette thèse, Paul VI pré­ten­dit com­pa­rer « son » concile à Nicée et « sa » réforme litur­gique à Trente. Or Vatican II, concile pas­to­ral, ne sau­rait de ce fait se pré­va­loir de la même auto­ri­té que le saint concile de Nicée et donc lui être com­pa­ré. Quant à la réforme litur­gique d’Annibale Bugnini, elle n’a rien à voir avec la messe de saint Pie V qui éle­va, à la suite du saint concile de Trente, un rem­part inex­pug­nable contre l’hérésie pro­tes­tante et toute atteinte à la sain­te­té du rite catholique.

Quant au pape lui-​même, qu’il ait souf­fert et qu’il fut écra­sé par la charge qui pesa sur les épaules ne sau­rait faire oublier qu’il fit souf­frir les catho­liques en démo­lis­sant l’Eglise, empor­té par le cou­rant dévas­ta­teur du Concile et sa fré­né­sie de nou­veau­tés. Ses propres paroles sur l’auto-démolition de l’Eglise et les fumées de Satan répan­dues dans le sanc­tuaire n’auront pas suf­fi à stop­per le désastre.

La conclu­sion suit logiquement.

Abbé Christian Thouvenot, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, Secrétaire géné­ral de la FSSPX

Sources : /​ La Porte Latine du 13 novembre 2018